samedi 12 mai 2018

Solba

Un ami folkloriste, Sacha Joukovski, m'a conviée à venir le rejoindre au monastère Saint Nicolas de
Solba, à une soixantaine de kilomètres de Pereslavl. Lui-même a une datcha à dix minutes de là. Il y avait un festival de folklore, me disait-il, dans ce monastère. Je suis arrivée bien avant lui et j'ai rôdé sur le territoire, qui m'évoquait le faux kremlin kitsch qu'on a bâti à Ismaïlovo, à Moscou, là où il y avait le marché aux puces. D'abord il y a un énorme mur d'enceinte, genre citadelle imprenable, mais percé de multiples fenêtres, évidemment, donc on se demande pourquoi il est là, et du reste, la plupart des monastères ont un mur d'enceinte assez modeste. On a toujours intérêt à faire simple, à notre époque, à ne pas essayer de copier le passé, c'est son esprit qui doit vivre en nous et s'exprimer dans le présent. Et puis tout cela a dû coûter un maximum, pourquoi faire, pourquoi si grandiose, alors qu'il y a tant de choses à restaurer qui tombent en ruines. Enfin tout cela n'est pas harmonieux, et je dirais même n'est pas monastique. Question folklore, c'était de tous les côtés ce qu'ici on appelle "klioukva", c'est-à-dire du toc, du faux, de la contrefaçon, que ce soit la musique et le chant ou "l'artisanat" présenté partout. Les gens n'ont plus aucune idée de ce qu'était vraiment la culture paysanne et ce ne sont pas de telles manifestations qui vont la leur restituer. La seule chose authentique que j'ai trouvée, c'étaient les poupées de chiffons traditionnelles. J'en ai fabriqué une et acheté deux autres, un prix dérisoire. Ces poupées n'ont pas de traits du visage dessinés, on considérait autrefois que le visage ne devait être représenté que sur les icônes, et en plus, on redoutait le mauvais oeil. Le style des poupées correspondait à un dessein ou une circonstance précis, fertilité, mariage, fêtes... Elles permettaient aussi de développer l'agilité des doigts chez les petites filles, pas seulement des doigts, je dirais, en tant qu'ancienne instit, mais de la cervelle. Rien n'est cousu, tout est noué.
De toute évidence, il ne faut pas compter sur le monastère de Solba pour éduquer le goût des populations... Solba n'est pas Solan!
 Il y avait un excellent ensemble de chanteurs géorgiens avec des voix puissantes, une formation de chant byzantin qui m'a ramenée brusquement à Solan, et le très beau choeur des moniales du monastère sainte Elizabeth de Minsk, que nous avons écouté dans une des églises, plus belle à l'intérieur qu'à l'extérieur, grâce à ses icônes.
J'ai discuté avec une pieuse dame venue en pèlerinage qui s'extasiait sur ce qu'on avait réalisé ici en vingt ans, cela tenait du miracle, et moi, je ne sentais pas trop de miracle là dedans, plutôt de riches sponsors et une higoumène femme d'affaires.
J'avais décidé de repartir chez moi quand j'ai enfin rencontré Sacha, sa femme Ira et une partie de leurs enfants. Timocha a déjà quatorze ans, et il est toujours aussi sympa, avec un tendre visage russe avenant au nez retroussé, mais quand je lui ai dit qu'il était bon, j'ai commis un impair: à quatorze ans, il a envie d'être viril, et pas bon, comme si les deux choses n'étaient pas compatibles! Il aura pourtant du mal à cacher son jeu: la bonté lui sort par tous les pores!
Assise dans un coin avec Sacha, qui a boîté toute sa vie, tandis que moi, je découvre avec l'âge, je me sentais ahurie, fatiguée. Il faisait chaud, ce qui nous rend toujours un peu ivre, ici, quand cela se décide à arriver. Cela nous monte à la tête. Je regardais fixement un petit nuage blanc, très pur et très seul dans un azur immense et serein, et tout à coup, cela me parlait de Dieu mieux que le grandiose monastère. Sur l'estrade, se produisaient des sourds muets qui mimaient une chanson sirupeuse, sirupeuse, mais bruyante, nous ne sommes pas sourds, nous! Et cela me résonnait dans une oreille, tandis que l'autre captait des bribes de chant folklorique, ou des cris, des conversations, et au delà, dans l'azur calme, passait ce nuage, silencieux, lumineux, mystérieux et d'une insondable innocence.
Au moment de quitter le monastère, j'ai vu, derrière un stand, une jeune moniale qui me prodiguait de tels sourires que je me suis demandé si je ne la connaissais pas, d'ailleurs je lui ai posé la question. "Mais non, je ne crois pas, m'a-t-elle répondu, ou peut-être... Simplement, je suis contente que vous soyez venue nous voir!
- Laura vient de France, a précisé Sacha, c'est notre Française orthodoxe de Pereslavl!"
La joie de la moniale n'avait plus de limites...
En chemin, à l'aller et au retour, j'ai constaté les ravages de la tôle galvanisée, les toits et les palissades aux couleurs criardes qui jurent entre elles, et bien sûr, les grosses maisons hideuses tombées comme des ovnis dans le paysage russe. C'est comme une épouvantable lèpre qui fait disparaître tout ce qui est vrai, beau et vivant au profit (c'est le mot) de ce qui est faux, moche et mort.
Je n'avais pas emprunté la route qui va de la datcha de Sacha à Pereslavl depuis près de dix ans. Il y avait, au village de Troïtskoïé, une église que je me désolais de voir en ruines, et de loin, j'ai vu qu'elle était entièrement refaite, j'ai même douté que ce fût la même. Mais c'était bien Troïtskoïé, et son église...
La route aboutit à un tank. C'est notre point de repère: au tank, prendre à droite. Le tank était pimpant et couvert d’œillets rouges: le jour de la victoire...





Samovar et sa théière en baudruche

samovar géant

le petit nuage
L'église de Troïtskoïé telle que je l'avais dessinée en 2008

L'église deTroïtskoïé aujourd'hui
Les poupées



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