jeudi 3 mai 2018

Le tsar idéal

La journée d'aujourd'hui avait ce côté miraculeux du beau temps russe qui vous fond brusquement dessus comme la grâce du Seigneur. Du soleil, un vent frais et léger, un air translucide, de petits nuages blancs lumineux et erratiques comme des anges folâtres. Georgette a observé l'installation du hamac avec un grand intérêt et a sauté dedans dès que je m'y suis allongée.
Mon père Valentin m'a donné à lire un recueil de témoignages d'étrangers sur l'ancienne Russie, du XV° au XVII° siècle. Les mieux disposés sont les Italiens. Les plus hostiles les Polonais. Les plus méprisants, les Anglais.
On décrit un pays immense, très froid, mais riche, avec de tout en abondance. Mais très peu de fruits, tout juste des pommes, et puis des baies sauvages. Des gens très endurants, aux mœurs rudes et plutôt vertueuses.
La composition de la ville de Moscou rappelle celle de Pereslavl Zalesski quand je l'ai connue: autour du Kremlin, des monastères, des églises, d'innombrables maisons de bois qui ont toutes un jardin et qui sont parfois séparées par de grands espaces non construits, des prés intérieurs.
Moscou était alors entourée de forêts impénétrables avec toutes sortes de bêtes sauvages.
Les marchés se tenaient sur la rivière gelée. On apportait la viande littéralement sur pieds: les animaux tués, écorchés et congelés étaient entreposés debout sur leurs quatre pattes, en attendant qu'on les achète, des troupeaux entiers d'animaux écorchés et congelés...
Les Russes sont décrits comme extrêmement pieux (je pense à un Russe acharné à prouver qu'en fait, les Russes n'étaient pas orthodoxes et que l'orthodoxie n'avait pas formé la Russie). Mais très portés sur la boisson, de sorte que les souverains prohibaient complètement l'alcool, sauf pour la période de Noël. Y compris Ivan le Terrible, du moins dans sa jeunesse, je m'interroge sur les festins de l'opritchnina... Quand il buvait, aux réceptions, c'était cul sec, après un signe de croix, tradition qui s'est conservée.
Un Italien s'extasie sur la beauté des Russes, hommes et femmes. Ils sont toujours beaux, ils devaient l'être encore plus à l'époque, et leurs vêtements étaient tellement plus seyants que les oripeaux modernes... Ivan III, grand-père d'Ivan le Terrible, est décrit comme un très bel homme par l'Italien ébloui.
L'ambassadeur Marco Foscarino dépeint Ivan le Terrible:
Le prince et grand empereur appelé Ivan Vassiliévitch est âgé de 27 ans, il est beau de sa personne, très intelligent et magnanime. Pour les qualités exceptionnelles de son âme, son amour de ses sujets et les grandes choses qu'il a accomplies avec gloire en peu de temps, il est digne de figurer aux côtés de tous les souverains de notre temps, s'il ne les surpasse pas...
L'empereur se gouverne par ses lois simples, selon lesquelles il règne et dirige tout l'état avec la plus grande justice. Ces lois sont observées tellement bien que personne n'ose les enfreindre par des interprétations arbitraires et rusées. Aux brigands, aux meurtriers et aux malfaiteurs sont réservés de sévères châtiments; les criminels, comme il se doit, sont soumis aux tortures.
L'empereur s'adresse à tous avec simplicité et s'entretient avec tous; il déjeune avec tous les nobles en public, mais avec une véritable noblesse: avec une grandeur royale, il allie l'amabilité à l'humanité.
Ce tableau ne correspond pas vraiment à l'image qu'on donne partout d'Ivan le Terrible. Et pourtant, c'est l'un de ses aspects, c'est sans doute ce qu'il avait décidé d'être, le souverain idéal. Il avait vingt-sept ans, il n'avait pas encore perdu sa femme ni fondé l'opritchnina...
Interrogé sur la raison pour laquelle il ne laissait pas repartir les Italiens qui travaillaient pour lui, le tsar répond que c'est parce qu'il les aime et a peur de ne pas les voir revenir...
De la même façon, dans mon livre, il coince à la Sloboda l'Anglais Arthur Rackham, parce qu'il l'aime bien et apprécie sa conversation...
Les Anglais trouvent les Russes superstitieux et filous, mais dans une lettre au pape, on dit d'eux:
Se tromper les uns les autres est considéré par eux comme un crime affreux et vil; l'adultère, la violence et la débauche publique sont également très rares; les vices contre-nature sont tout à fait inconnus; on n'entend pas du tout parler de parjure ou de sacrilège.
Ils vénèrent profondément, en général, Dieu et ses saints et partout où ils voient une image de la Crucifixion, ils tombent aussitôt prosternés... Dans les églises, on ne remarque rien d'irrespectueux ou de malhonnête, au contraire, tous, ployant le genou ou se prosternant, prient avec une ferveur sincère.
Mon père et de nombreuses autres personnes honorables qui ont vécu quelques temps en Moscovie, m'ont assuré que les moscovites seraient beaucoup plus justes que nous, si la séparation de nos deux Eglises ne faisait pas obstacle



Mes tulipes botaniques...

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