mardi 5 juin 2018

Saint Nicétas

Au monastère saint Nicétas
Je suis donc allée à Petrovskoïé en évacuateur, avec un joyeux retraité qui avait mon âge et se tordait de rire parce que je lui avais dit que j'étais une vieille et que j'avais du mal à monter dans son camion. Il m'a aidée à boucler ma ceinture: "Allez, il faut bien que quelqu'un vous fasse la cour, puisque vous vous trouvez vieille!"
A Petrovskoïé, tout le monde me regardait d'un air goguenard, surtout l'inspecteur: ils n'ont pas souvent de personnages qui font immatriculer leur voiture trois fois en six mois, est-ce ma faute, s'ils ont de tels usages? "Oh, m'a dit la  dame qui m'a remis les nouvelles plaques, vous avez de la chance c'est encore un numéro miroir." (191). Et un type qui attendait son tour derrière moi me les prend des mains pour les admirer: "Quelle beauté!" me dit-il avec tendresse. Je dois dire que je n'ai pas trop bien compris ni la valeur du numéro miroir, ni la beauté des plaques d'immatriculation!
Chez moi, les trois loustics de Yaroslavl qui avaient fait ma barrière étaient revenus s'occuper de l'auvent. Je pourrai abriter la voiture cet hiver, et aussi le vélo, la brouette et autres glingues. Je les ai trouvés qui m'attendaient sur mon salon de jardin, et ils voulaient un café que je leur ai servi. En échange des thés et cafés, ils m'ont rendu quelques petits services.
Après le joli mois de mai que nous avons eu et dont j'ai bien fait de profiter eh bien c'est déjà l'automne. On se gèle tellement que j'envisage de rallumer le chauffage. J'ai ressorti une petite doudoune.
Dans l'après-midi, j'ai vu arriver ma nouvelle amie de Filonovo, Katia, Yekaterina Igorievna, qui m'apportait des plants de fleurs, et une dame à qui elle avait donné rendez-vous chez moi et qui venait de Borissoglebsk, à 80 km d'ici, un monastère contemporain d'Ivan le Terrible que je rêve d'aller visiter. Cette dame, Lioudmila,  m'a paru très fine, très intelligente et très distinguée, avec un éclair malicieux dans l'oeil. Elle s'occupe d'une revue orthodoxe locale, "Kovtcheg", l'arche. Elle m'a conviée à me joindre à une procession de 5 jours qui a lieu chaque année à Borissoglebsk: "Mais avec mon arthrose?
- Il y a une voiture qui suit, avec du personnel médical. Et puis vous savez, les gens viennent en chaise roulante, avec des béquilles et l'on en voit parfois qui se mettent à cavaler comme des lapins..."
Ensuite, j'ai suivi Katia au monastère saint Nicétas, c'est justement aujourd'hui la saint Nicétas le Stylite. J'ai prié saint Nicétas et saint Alexandre Nevski de repousser les promoteurs et les fonctionnaires locaux loin de ces terres sacrées et magnifiques, car saint Nicétas est bien le plus beau monastère de Pereslavl.
Les moines chantent avec sobriété et ferveur. L'église a été restaurée plus ou moins bien, mais l'iconostase est équilibrée, simple, en bois clair. En revanche, une affreuse barrière de bois peinte façon malachite m'a fait cuire les yeux pendant tout l'office. Le sol est également affreux, sans doute par manque de moyens, mais un choix de couleur plus heureux est toujours possible. Toujours est-il que le monastère semble apprécier quand même la simplicité, la pureté, et cela me plaît. Il y a un bon choix de livres religieux. L'église était complètement ruinée à l'issue de la période soviétique, je m'en souviens, j'avais visité les lieux en 99. Elle avait été bâtie par Ivan le Terrible, ce qui ne lui avait pas valu d'être épargnée. Elle conservait encore une ou deux coupoles couvertes de tuiles de bois essentées, comme il est de tradition dans le nord. Elle les a perdues dans le processus de restauration, sans doute était-il trop cher de les restituer. L'office était très long, avec lecture de l'acathiste à saint Nicétas, et sermon de l'évêque. J'avais très mal au genou. Je suis allée m'asseoir, mais je n'entendais plus grand chose. Par la fenêtre, je voyais tournoyer des mouettes dans le ciel nuageux monumental, au dessus des remparts blancs.
Dans l'assistance, beaucoup d'hommes, et des figures qu'on croirait issues d'un roman de Dostoïevski ou de nouvelles de Leskov, dans le genre barbu mystique.
Je n'ai pas tenu jusqu'à la fin. Debout, j'avais trop mal, assise, je ne participais plus. Alors je suis partie. En sortant, je me suis retrouvée face à ce ciel exaltant qui me faisait signe lorsque j'étais à l'intérieur, ce fascinant ciel nordique plein de lueurs. Saint Nicétas, saint Alexandre, ne laissez pas des richards et des fonctionnaires sans âme, sans entrailles, sans foi ni loi ni patrie, nous priver de ces lieux que vous avez habités et aimés, d'encore une réserve de beauté dans le monde hideux qu'ils nous font.

3 commentaires:

  1. Laurence, c'est à quelle période la procession de 5 jours ? Tout ça me fait rêver ....

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    1. Il y en a une début août, locale et courte. Je pense que je me limiterai à celle-là. Mon genou ne suit plus.

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