J’ai
emmené mes invités voir la croix miraculeuse de Godenovo, dans son refuge de
l’époque soviétique, une église de village très jolie, mais le village semble
avoir disparu, et l’on projette, à côté de l’église, une basilique grandiose,
la basilique sainte Sophie bis, de style grec byzantin, qui va écraser tout
cela, et dont je ne vois pas l’utilité, quand tant de merveilles russes qui tombent en ruine ont besoin de
restauration.
Le
dimanche matin, nous sommes allés au monastère saint Nicétas, car on considère
l’higoumène comme un starets, et je voulais voir. Mes derniers ouvriers
m’avaient dit que c’était une vraie cour des miracles, c’est un peu ça, on y
voit des pauvres hères, des vagabonds hagards et même les moines ont quelque
chose de clochardisé. La façon dont l’higoumène (je pense que c’était lui) dit
la liturgie est étonnante. On dirait une longue plainte ininterrompue, et je
n’ai rien compris. Mais ce monastère qui ne construit pas de basiliques
grandioses donne asile matériel et spirituel à beaucoup d’âmes en peine et
restaure toutes les églises paysannes qu’il peut.
Ensuite,
sur les conseils de Yelena Vassilieva, nous sommes allés au monastère Goritsky,
où elle nous avait recommandé une exposition d’icônes et de bois sculptés. Les
deux expositions étaient magnifiques. Toutes les icônes proviennent des églises
et monastères locaux, mais n’ont pas été laissées sur place. Je voyais
l’évidente différence avec la plupart des icônes « traditionnelles »
faites aujourd’hui : liberté et spontanéité du trait, transparence,
fraîcheur. Seuls Ouspenski et le père Grégoire, ou encore la moniale Juliana,
me semblent avoir retrouvé en eux la source qui permet de créer aujourd’hui de
telles choses.
Pour ce qui est des sculptures, même celles qui ne sont plus iconographiques gardent une simplicité, une fraîcheur, une expressivité qui les sauvent.
Les
gardiennes du musée étaient très attentives à ce que nous vîmes toutes choses,
et l’une d’elle m’a poursuivie pour me ramener en arrière : je n’avais pas
lu les notes explicatives, je n’avais pas photographié le cadre où l’on voyait
Chaliapine avec son chien, qu’il avait dû abandonner derrière lui quand il est
parti en exil, et qui continuait à l’attendre, un chien si intelligent, d’ailleurs,
tous les chiens le sont, et si fidèles… En dehors des souvenirs de Chaliapine,
le musée est bourré de tableaux remarquables, qu’il me faudra revenir voir, car
je ne pouvais plus enregistrer de visions ni d’informations.
Le
monastère Goritski est le musée de Pereslavl, le seul monastère épargné par le
pouvoir soviétique qui l’amuséifié comme il se doit. Paradoxalement, ce n’est
pas le plus ancien. Au milieu de sa
cour, il y a un étang et un bois sauvage, ce que je trouve infiniment agréable.
Malheureusement, les monastères rendus au culte se croient obligés d’aligner
les petits massifs de fleurs et d’arbustes en bon ordre, comme de petits
soldats à la parade ou des chiffres dans les colonnes d’un comptable. Et là,
aux abords de ce bois, je tombe sur une brave dame, en compagnie d’un vieux
moine du grand schème et d’un autre moine, et elle m’ouvre les bras : il s’agissait
de la vendeuse d’un magasin de la galerie marchande du supermarché Magnit, avec
qui je converse de temps en temps depuis qu’elle m’a aidée à retrouver mon portefeuille.
Le père Tikhon, dont elle m’avait parlé, fait des baumes pour les douleurs
articulaires, et m’a tendu une fiole de parfum dont il me faisait cadeau.
Apprenant que nous étions tous trois orthodoxes, le moine du grand schème, le
père Eugène, nous fait part de sa joie et, prenant la fiole d’huile parfumée,
me trace avec sollicitude des croix sur les tempes. Il rayonne de bonté, il me
fait fondre sur place : «J’ai connu des orthodoxes français, me dit-il. Il
se passe beaucoup de choses, chez vous, et vous avez même eu une grande sainte,
Maria Skobtosva… »
Le
père Tikhon nous dit qu’il va prier pour la France. «Elle en a bien besoin,
répondons-nous.
-
Le principal est qu’il s’y trouve des gens comme vous, et qu’ils y fassent leur
salut. »
Je
m’étonne : «Je pensais que le monastère était exclusivement un musée…
-
Non, non, notre mère Euphrosyne en a partiellement repris l’usage, vous devez
voir cela, venez avec nous… »
Nous
voici entraînés par ce chaleureux mouvement écclésiastique vers une église à l’écart,
bordée des fameux petits massifs. Le père Eugène ne me lâche pas le bras, j’ai
l’impression de flotter dans une sorte de douce, chaude, et allègre nuée. Il
est grand et tout maigre, avec des yeux candides. La mère Euphrosyne nous
accueille pareillement, comme des enfants chéris, en nous prenant les mains, en
nous enveloppant d’un amour maternel. Et l’on nous montre les trésors de la
petite église reconquise : reliques de saint Nicolas, de la grande
duchesse Elizabeth, pantoufle de saint Spiridon, les icônes qui exsudent du
myrrhon, celle qui a miraculeusement survécu à l’incendie d’un monastère serbe…
« Elle a obtenu tout cela par ses prières pleines de larmes… » me dit
le père Eugène. Et nous voici conviés à l’agrypnie de la Dormition le lendemain
au même endroit, mais dans la cathédrale, avec la présence de l’évêque…
Nous
sommes sortis de là un peu abasourdis. Je regrettais qu’Henri et sa femme n’eussent
pas eu de contacts directs avec des moines ou prêtres locaux, et ils nous sont
tombés dessus là où nous ne les attendions pas, avec la douceur et la légèreté
de la colombe de l’Esprit !
Le choc de ma visite, cette sublime transfiguration, pleine de mouvement, d'inspiration, avec ces bleus absorbants, captivants. |
galerie de "Christ en prison". |
La Cène |
Ce prophète semble sorti d'un livre de Dostoïevski ou de Leskov. Ou de l'assemblée des fidèles du monastère saint Nicétas... |
L'église des Quarante Martyrs de Sébaste vue du rempart |
L'étang au milieu du monastère |
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