la source de saint Philippe, prise par A. Mersserer |
Je
suis retournée me baigner au lac, hier matin, aujourd’hui, je ne le ferai pas,
j’étais un peu malade au réveil. Mais quel moment de bonheur et de beauté… Il faisait beau, et il me semblait nager dans
le ciel, tant son reflet était absolument lisse et pur, et les canards
glissaient paisiblement devant moi.
L’eau est fraîche, mais si revigorante que j’ai du mal à en sortir. De
là où j’étais, je voyais d’un côté l’église des quarante martyrs, de l’autre le
premier bouleau doré de la rive qui se penchait, dans ses atours de fête, pour se
mirer dans la surface bleue et brillante. Puis le soir, je suis allée écouter l'acathiste à saint Luc de Crimée, à côté de l'endroit où il travaillait, dans une église de Pereslavl où va Katia. Elle m'a présenté le prêtre, qui m'a offert d'emblée un nouveau testament russe-slavon. Le choeur n'était pas terrible, mais un vieil Ukrainien s'est mis à chanter en solo avec tant de grâce, de sobriété, et la légère fêlure de sa voix ne faisait qu'ajouter à l'émotion de son chant. J'ai eu une pensée émue pour le père Antoni Odayski, qui a publié son travail sur ce saint indomptable, très populaire ici.
Mon
roman m’est apparu ce matin comme un parcours initiatique dont les Solovki sont
une étape décisive. J’ai refait l’itinéraire de mon héros, dont la vision du
monde commence à basculer après sa mission aux Solovki. Comme lui ensorcelée
par le tsar, et en discernant de plus en plus les côtés démoniaques au fil de
mes lectures (tandis que Fédia le fait de visu), je rencontre le métropolite
Philippe, car c’est bien d’une rencontre qu’il s’agit, d’une rencontre
spirituelle. Je l’avais naturellement rencontré il y a fort longtemps, et il était
venu me le signifier dans un rêve : «Comment peux-tu croire, après m’avoir
rencontré dans ton livre, que nous n’allons pas nous retrouver un
jour ? » Or j’ai fait le voyage aux Solovki, et le trajet en vélo
jusqu’au skite, pour le retrouver, j’ai lu l’acathiste, et j’ai senti sa protection descendre sur
moi, la protection que je lui demandais.
J’ai
trouvé sur place le livre qu’il me fallait sur cet homme extraordinaire, pas seulement son hagiographie, mais un
travail historique. Après m’être documentée sur le tsar, je suis passée à son saint antagoniste. Après avoir partagé les passions
du tsar, et de son favori, je retrouve
celui qui les affronta jusqu'à la mort.
Je
devais faire cette démarche, l’entière démarche de l’écriture du roman qui m’a envoûtée, tyrannisée et perturbée, puis amenée, à mon tour, aux Solovki. C'est toute l'histoire de mon âme depuis mon adolescence.
De
sorte que mes faiblesses sont ce qu’elles sont, mais j’ai mon intercesseur et
mon protecteur de l’autre côté, où j’ai peut être une chance de pénétrer grâce
à lui en contrebande, comme Fédia.
C’est
cette expérience mystérieuse qui me donne une sorte de paix, provoque un rassemblement
intérieur de mes forces, et la certitude mystérieuse que le livre, cette fois, sera porté jusqu’au bout, sera traduit, paraîtra quand il le faudra, touchera
qui il faudra, et s’il suscite des réactions furieuses, j’aurai, au bout du
processus, le courage de les affronter. Car en fin de compte, ce roman « historique »
qui n’en est pas un, ce conte, est surtout un itinéraire spirituel. Celui de
Fédia. Le mien.
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