samedi 18 août 2018

Itinéraire


la source de saint Philippe, prise par A. Mersserer
Je suis retournée me baigner au lac, hier matin, aujourd’hui, je ne le ferai pas, j’étais un peu malade au réveil. Mais quel moment de bonheur et de beauté…  Il faisait beau, et il me semblait nager dans le ciel, tant son reflet était absolument lisse et pur, et les canards glissaient paisiblement devant moi.  L’eau est fraîche, mais si revigorante que j’ai du mal à en sortir. De là où j’étais, je voyais d’un côté l’église des quarante martyrs, de l’autre le premier bouleau doré de la rive qui se penchait, dans ses atours de fête, pour se mirer dans la surface bleue et brillante. Puis le soir, je suis allée écouter l'acathiste à saint Luc de Crimée, à côté de l'endroit où il travaillait, dans une église de Pereslavl où va Katia. Elle m'a présenté le prêtre, qui m'a offert d'emblée un nouveau testament russe-slavon. Le choeur n'était pas terrible, mais un vieil Ukrainien s'est mis à chanter en solo avec tant de grâce, de sobriété, et la légère fêlure de sa voix ne faisait qu'ajouter à l'émotion de son chant. J'ai eu une pensée émue pour le père Antoni Odayski, qui a publié son travail sur ce saint indomptable, très populaire ici.
Mon roman m’est apparu ce matin comme un parcours initiatique dont les Solovki sont une étape décisive. J’ai refait l’itinéraire de mon héros, dont la vision du monde commence à basculer après sa mission aux Solovki. Comme lui ensorcelée par le tsar, et en discernant de plus en plus les côtés démoniaques au fil de mes lectures (tandis que Fédia le fait de visu), je rencontre le métropolite Philippe, car c’est bien d’une rencontre qu’il s’agit, d’une rencontre spirituelle. Je l’avais naturellement rencontré il y a fort longtemps, et il était venu me le signifier dans un rêve : «Comment peux-tu croire, après m’avoir rencontré dans ton livre, que nous n’allons pas nous retrouver un jour ? » Or j’ai fait le voyage aux Solovki, et le trajet en vélo jusqu’au skite, pour le retrouver, j’ai lu l’acathiste, et j’ai senti sa protection descendre sur moi, la protection que je lui demandais.
J’ai trouvé sur place le livre qu’il me fallait sur cet homme extraordinaire, pas seulement son hagiographie, mais un travail historique. Après m’être documentée sur le  tsar, je suis passée à son saint  antagoniste. Après avoir partagé les passions du tsar, et de son favori,  je retrouve celui qui les affronta jusqu'à la mort.
Je devais faire cette démarche, l’entière démarche de l’écriture du roman qui m’a envoûtée, tyrannisée et perturbée, puis amenée, à mon tour, aux Solovki. C'est toute l'histoire de mon âme depuis mon adolescence.
De sorte que mes faiblesses sont ce qu’elles sont, mais j’ai mon intercesseur et mon protecteur de l’autre côté, où j’ai peut être une chance de pénétrer grâce à lui en contrebande, comme Fédia.
C’est cette expérience mystérieuse qui me donne une sorte de paix, provoque un rassemblement intérieur de mes forces, et la certitude mystérieuse que le livre, cette fois, sera porté jusqu’au bout, sera traduit, paraîtra quand il le faudra, touchera qui il faudra, et s’il suscite des réactions furieuses, j’aurai, au bout du processus, le courage de les affronter. Car en fin de compte, ce roman « historique » qui n’en est pas un, ce conte, est surtout un itinéraire spirituel. Celui de Fédia. Le mien.





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