vendredi 23 novembre 2018

La porte du paradis

Ce matin à l'aube, je sors Rita, en chemise de nuit sous ma doudoune. Il a neigé, trop peu, mais quand même, un voile blanc s'étend partout, le vent souffle en rafales, la nuit est encore profonde, avec des nuées qui glissent dans l'air pur, et à l'est une lueur, et l'étoile du matin, si brillante et si solitaire... Rita apprécie la neige et jappe, Rosie la rejoint, essaie de jouer, mais elle est si grosse, et elle ne sait pas faire attention, donc elle se fait engueuler par Rita, comme elle l'est régulièrement par moi, et pour les mêmes raisons...
J'essaie d'aller me promener le soir avec elles deux, elles s'entendent bien, malgré la différence de taille et de style. Je vais regarder, comme la chevrière Nadia, le somptueux spectacle du coucher de soleil que Dieu nous prépare tous les jours, et il est tous les jours différent. Hier, le soleil se couchait d'un côté, la lune se levait de l'autre, une lune vraiment énorme, d'un jaune miroitant dans un ciel mauve.
Ce soir, après une journée ensoleillée, le ciel tirait sur lui une grande couverture de nuages, au travers de laquelle il brillait et chatoyait encore, le couchant était un gouffre de feu, un feu énorme et sans chaleur.
J'aime les rayons sertis dans le toit de la baraque en ruines, ce cloisonnement de poutres noires et ces vitraux changeants qu'elles détachent et soulignent. On la dirait rongée par des insectes radieux. Une décomposition céleste.
Sous les nuées, la lumière fuse et frappe les fenêtres qui se mettent à brûler du même éclat doré et pourtant glacial, elle irradie les arbres et les pentes brunes de l'ancienne berge du lac, j'aperçois la chapelle commémorative du monastère disparu, qui était consacré à Boris et Gleb; comme ce serait beau, s'il était encore là, quand la gloire solaire déferle sous la voûte bleue ...
Mais il n'est plus là, je regarde les tombes au pied de la croix, tout ce qui reste du cimetière, profané avec indifférence.
La beauté se retire inexorablement du monde mais mon âme la retient, un fragment ici, un fragment là, et compose son kaléidoscope éternel, celui qu'elle emportera, là où la rouille ne corrompt pas et où le ver ne ronge pas.
Ce vent très froid, et son murmure à mes oreilles, me rappelle celui qui m'accompagnait au petit matin sur le chemin du lycée et me faisait rêver de la Russie, parce qu'il arrivait du nord, libre et sauvage, et, lui aussi, semait des étoiles et lançait des rayons.
De la neige, beaucoup plus rarement....
C'était il y a longtemps. Mais je retrouvais ma jeunesse intacte, elle reste toujours intacte, c'est sans doute elle qui finit par laisser ce corps, qui ne lui correspond plus, pour partir avec les ailes qu'elle s'est donné se perdre dans le gouffre qui l'attend.
Un jour, je revenais avec maman de l'hôpital, et le mistral soufflait, les nuages déployaient de telles architectures, au dessus des collines de la vallée du Rhône, qu'elle avait tout à coup soufflé à mes côtés: "On dirait la porte du paradis..."
Oui, la porte du paradis, celle de la beauté inaltérable, de l'amour insondable et de la mémoire éternelle...





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