lundi 28 janvier 2019

Le samizdat et ses cuisines

Une dame m'a appelée pour me dire qu'elle aimait mes chroniques et que, grâce à elles, elle se sentait moins seule en ce monde étrange et de plus en plus hideux, ce qui est bien réciproque: que mes chroniques la touchent me donnent l'agréable impression que nous sommes quelques uns à voir les choses d'une autre manière que les hypnotisés de la modernité. Comme le disait je ne sais plus qui, être adapté à une société malade n'est pas un signe de bonne santé. Mais se sentir isolé dans une maison de fous n'est pas très confortable non plus.
 Je trouve ainsi un écho par internet, en dehors de la presse, de la radio, de la télé, des "médias" auxquelles on a de moins en moins envie d'avoir affaire, de sorte que surgit un phénomène de vie culturelle et de communication parallèle de type "samizdat" ou "autoédition" qui était répandu en URSS sous Brejnev. On se passait des manuscrits tapés à la machine et photocopiés, cela allait du roman et des poèmes aux textes religieux. Et on en discutait "dans les cuisines" des uns et des autres. C'était alors essentiellement dans le samizdat que se passait quelque chose de vivant.
Avant de passer à la suite de l'article, je rappellerai que, contactée par une maison d'éditions spécialisée dans la Russie au sujet de ces chroniques, je n'en ai brusquement plus entendu parler. A voir la teneur des pages des responsables, très libéraux, et soutiens inconditionnels de phénomènes comme ce peintre qui se clouait les parties génitales sur la place Rouge et autres Pussy Riots, j'ai compris pourquoi je ne faisais pas leur affaire.
Mes souvenirs du monde de l'édition et mes récentes expériences m'ont convaincue de recourir en ce qui me concerne au "samizdat", mais depuis l'époque des machines à écrire, les choses ont progressé, et sont apparues ces éditions sur Internet qui permettent de s'autodiffuser. Le problème est qu'en France, écrire un livre est quasiment une question de standing et absolument tout le monde veut le faire. Depuis mon plus jeune âge, je suis quand à moi convaincue qu'on ne décide pas d'écrire un livre, un livre en nous, par nous décide de s'écrire. Il doit répondre à une exigence intérieure insurmontable et tyrannique, et n'être pas le fruit d'une "idée"ou du désir de paraître et d'être admis dans les cénacles culturels où l'on vous balance des compliments insincères en vous tirant dans les pattes. Le samizdat, dépourvu de la prise de risque qu'il impliquait à l'époque soviétique, est le refuge de qui n'est pas accepté par les grands et petits éditeurs; mais chez ces grands et petits éditeurs, on n'est pas toujours mieux promu que par soi-même et qui plus est, on vous tripatouille souvent votre texte, en vous imposant de retirer le passage qui vous est le plus cher ou de mettre un titre idiot. Or ce qui est écrit sous la dictée de l'inconscient, et même de l'inconscient collectif, ne peut être tripatouillé par des mondains, on peut juste en affiner l'expression.
Comment peut-on espérer de nos jours publier dans les circuits officiels sans y laisser des plumes quand on ne s'inscrit absolument pas dans les grilles idéologiques et culturelles édictées et qu'on n'a pas fait toute sa vie des mondanités avec les bonnes personnes?
C'est pourquoi, j'ai pris la décision de recourir à la solution du samizdat, soit les éditions du Net, sans attendre des mois des réponses qui ne viennent pas ou des considérations absurdes, parce que je ne fais pas partie du cénacle, que je ne connais personne et ne sait pas jouer le jeu, pour finir peut-être par paraître de même au sein d'un flot d'autres publications, avec juste en plus un service de presse, des exemplaires adressés à des critiques dont je ne sais plus rien et qui en reçoivent des milliers. J'ai fait le pari de trouver, comme avec mon blog, des lecteurs avec lesquels la rencontre sera réelle. Le problème est à présent "d'en parler dans les cuisines". Soit sur les pages consacrées au livre, la page Yarilo sur Facebook, ma page, mon blog, les commentaires sous sa présentation à la librairie Chapitre ou aux éditions du Net, afin que les gens en aient connaissance.Parfois même un simple "like" si on ne sait pas s'exprimer, ou une courte réaction naturelle, une question, une remarque. Nos cuisines actuelles, où nous nous rencontrons pour échanger, ce sont nos divers forums.
J'ai déjà quelques fans, qui n'ont pas toujours ce réflexe, et m'envoient leur considérations en message privé. Ce qui me fait naturellement très plaisir, mais ne donne pas aux autres l'envie de claquer 30 euros pour lire mes cinq cents pages d'âme bien saignante. Et quand je dis "âme", il va sans dire que ce terme recouvre quelque chose qui dépasse les limites de la mienne.
D'avoir écrit ce livre ne me donne pas de moi-même une idée particulièrement hypertrophiée et je dois même me faire violence pour le promouvoir. Je l'ai écrit, ce sont à ses lecteurs qu'il convient de le louer éventuellement, pas à son auteur, qui a obéi aux injonctions de cet orgue aux nombreuses et mystérieuses voix qui a résonné un certain nombre de mois, et même d'années, au fond d'elle-même.
Je m'adresse donc à ceux qui le liront et à qui il plaira vraiment, dites-le. Dites-le à votre manière, courte ou détaillée, partout où vous le pourrez, vous serez mes critiques et mes médias.
D'autant plus que je me fiche assez complètement, sauf au plan de la pub, d'une critique officielle que je ne connais pas et qui ne serait pas sincère.
Quand je chantais du folklore, deux avis comptaient pour moi: celui de Skountsev et celui de Micha Korzine. Si quelque inconnu ne 'appréciait pas, je pensais: "Si tu plais à Volodia Skountsev ou à Micha Korzine, que t'importe ce que raconte cette bonne femme ou ce bonhomme?"
Ainsi, l'avis de mon amie Dany, ou de l'historien russo-arménien Eskoziants, du père Constantin ou d'Henri Barthas comptent plus à mes yeux que celui de telle diva des lettres ou critique en vue, bien que les conséquences sur la diffusion de ma prose en soient beaucoup plus modestes. Mais c'est pour Dany, le père Constantin et leurs semblables que j'écris, et pour Henri Barthas, pas pour les divas des lettres hagardes de vanité.
Henri écrit lui-même, en toute discrétion, de très beaux poèmes dans ses montagnes mystérieuses. Il est profond et vrai, et prend tout au sérieux, sauf lui-même, comme il convient. J'ajoute à la fin de cette adresse la critique qu'il m'a faite, car elle vaut tout ce qu'on pourrait me dire dans les cénacles reconnus par la sensibilité authentique de sa compréhension. Je la trouvais un peu trop louangeuse, mais en réalité, c'est ainsi qu'il le voit, alors je m'en réjouis, et j'accroche cette fleur au palmarès de Yarilo, avec les considérations, déjà enregistrées, de Philippe Ekoziants, et les appréciations, malheureusement privées et orales, de mon amie Olga. 
Pour les réfractaires à Facebook, la librairie Chapitre a publié mon premier chapitre, avec en dessous, une fenêtre destinée aux appréciations. N'hésitez pas à mettre les vôtres. Et si vous êtes sur Facebook, à les poster sur la page de présentation Yarilo.
Henri m'a dit de faire moi-même un copié-collé de ce qu'il a écrit, mais il semble que ce soit identifié comme venant de moi, et cela n'est pas enregistré.
En fin de compte, il se peut qu'il en soit de nos jours pour les écrivains sincères comme pour les gilets jaunes: il faut là aussi sortir du système!
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Je me suis laissé porter avec délectation par la prose fluide qui tisse le roman de Laurence Guillon, "Yarilo". Placé sous le signe du dieu slave du printemps et de la jeunesse, le récit jaillit dans un style exubérant, incantatoire et limpide, enchanteur au plus haut point malgré les épisodes sombres de l'histoire qui sont décrits avec tellement d'émotion et de poésie, qu'ils ne sont que des remous dans l'écoulement ininterrompu des flots de cette magnifique histoire.
Toutes les différentes ambiances propres à chaque épisode sont incroyablement bien rendues, dans un texte aux images puissantes, intensément poétiques et dans un déroulé quasiment cinématographique… Les scènes s’enchaînent avec un subtil équilibre entre les fresques campant l’histoire dans son contexte historique, qui passent rapidement, et les épisodes romanesques clefs merveilleusement bien écrits : De l’envoûtante transe païenne bouillonnante d’éros, lors de l'épisode sur les bords du lac de Plechtcheïevo où le héro du livre, Fédia, favori et ange noir du Tsar Ivan le Terrible, rencontre la sorcière rousse qui l’initiera à la magie, en passant par la pause pleine d'hésychasme et de gravité, auréolé de sainteté, lors du voyage du même ange déchu aux îles Solovky, jusqu’à d’autres scènes, comme celle du repas à la Sloboda où le personnage anglais, l’artiste Arthur, est introduit auprès du Tsar, elles sont toutes, pour la plupart, des morceaux d’anthologie ! À les lire, j'avais l'impression de suivre de longs plans-séquences colorés et pittoresques de cinéastes russes, tels que Paradjanov, Kalatozov, Tarkovski ou d'autres.
Les acteurs de ce drame ont une telle épaisseur psychologique dans leurs relations et une telle vie intérieure qu’elle déborde des pages pour vous saisir ! L’émotion, le tragique, le drame sont parfois intenses mais toujours sublimés. Je me suis surpris à plusieurs reprises à pleurer d'émotion à la lecture de certains passages tant je ressentais totalement le tragique des destinées piégées par l’égrégore maléfique incarné par la terrible milice du Tsar : l'Opritchinina. Il y a dans ce livre un mouvement de balancier entre le bien et le mal, et ce sont précisément ces contrastes qui lui donne un grand intérêt ! Il se détache sur le fond sombre des figures iconiques et lumineuses comme celle de l’inoubliable Métropolite Philippe. Le récit nous confronte à la ligne de partage qui est en chacun de nous et nous interroge d’une manière lancinante sur le cheminement de nos vies.
L’impressionnante et redoutable figure tutélaire du Tsar Ivan imprègne tout le livre. Être au charme magnétique et puissant mais blessé, ravagé par des forces chthoniennes, entouré de conseillers démoniaques, et qui ne connut qu’une brève rédemption dans l’amour conjugal avec la douce tsarine Anastasia dont la mort prématurée l’a laissé totalement dépouillé face à ses démons intérieurs et extérieurs. En même temps certains aspects humains de cet homme déchiré nous le rendent proche et on se prend à avoir envie de compatir à sa destinée, cercle infernal dans lequel il est engagé à cause de ses écrasantes responsabilités en tant que souverain, de ses traumatismes d’enfance et des deuils déchirants auxquels il a dû faire face.
Croyez-vous qu’en vous plongeant dans ce livre vous lirez simplement un splendide conte initiatique guerrier et mystique sur l’ancienne Russie ? Oui, en partie, mais pas seulement : il nous parle aussi de notre monde, perce le mystère d’iniquité à l’œuvre aujourd'hui. L’égrégore ténébreux s’est mondialisé ! Il ne prend plus simplement le visage d’une milice qui, malgré ses errances criminelles, se devait de défendre un Empire Orthodoxe perdu au confins d’une Hyperborée de légende, non, il est devenu la face abjecte, obscure et anti-christique qui pousse ses ramifications iniques au cœur de tout les États et ne désire rien de moins que de posséder le cœur de chaque être humain sur cette terre pour sa perte et celle de l’humanité entière. Dans certains passages je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la situation en Ukraine, à celle de l'Église orthodoxe et dans une moindre mesure à ce qui se passe en France et dans tant d’autres endroits sur terre… Ce conte est beaucoup plus actuel qu'il n'en a l'air !
Certains passages qui décrivent les points clefs de la spiritualité orthodoxes sont bien intégrés au récit et n’altèrent en rien sa fluidité, au contraire ! Ils font partie de ces moments de sublimation dont je parlais tout-à-l’heure, voire de catharsis ! Mais qu’on ne s’y trompe pas l’ouvrage n'est pas religieux : il est spirituel ! C'est un tout ! Ces passages sont extraordinaires et d'une grande portée... mystique, car c'est bien le mot qu’il faut utiliser si on l'envisage dans son acception profonde et première.
Pour finir, le mot clef qu’il faut retenir quand nous ouvrons ce livre et que nous commençons le parcours qui nous y est proposé, c’est « initiation». Comme pour toutes les grandes œuvres depuis les antiques odyssées jusqu’à nos jours, nous le refermons différents, quelque chose en nous de profond a changé depuis l’heure où nous avons commencer à feuilleter les premières pages. Comme un conte, comme les puissantes histoires qui vont intensément au fond des choses, il s’adresse à quelque chose dans les tréfonds de nous-même, au-delà de l’intelligence, au-delà même des sentiments, à quelque chose d’archétypal. Dans l’obscurité nous percevons au fond des profondeurs d'épaisses et froides forêts ou de quelques marécages glacés et embrumés, le visage jeune, beau et rayonnant du dieu Yarilo qui surgit de la nuit hivernale. Sa vie exubérante irrigue tout l’univers et l’emporte vers la lumière, vers le soleil, mais cette lumière-là, aussi joyeuse et symbolique soit-elle, reste de ce monde et peut se cogner à quelques murs sombres de cachots, culs-de-basse-fosse froids et ténébreux comme au mur fatidique de la mort. C’est là que le récit de Laurence Guillon nous entr’ouvre la porte vers une clarté néotique qui n’est pas d’ici-bas, une clarté nimbée d’une aura résurrectionnelle qui métamorphose toute l’opacité de la matière et à côté de laquelle notre pauvre lumière cosmique même semble une flamme vacillante sur le point de s’éteindre. Longtemps, longtemps après que le point final ait, à regret, suspendu le chant splendide de cette épopée, Yarilo vit toujours en nous… mais transfiguré.
Henri Barthas

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