vendredi 22 mars 2019

La quête de Sacha

Présentation du film, photo Vadim

Retour de Moscou à travers une tempête de neige fondue. Cela ne tient pas trop, mais tout ce qui n’est pas neigeux est boueux. Les oiseaux m’ont accueillie par de joyeux appels : ils avaient faim. J’ai éprouvé un serrement de cœur à me retrouver dans ma maison déserte, souillée par les pattes de chats, et empreinte d’une odeur de fauve caractéristique.
J’ai retrouvé mon coiffeur Albert, je n’en pouvais plus de lutter le matin avec ma trop longue et trop lourde tignasse, et je suis allée lui confier ma tête. Je ne l’avais pas vu depuis huit ans. Le jeune homme excentrique et gracile, qui aurait pu passer pour un homosexuel, est devenu un homme fait, qui m’a parlé de la datcha et de l’appartement qu’il a réussi à s’acheter, comme quoi on peut encore gagner sa vie en Russie sans être oligarque. Il a deux enfants, l’aînée s’appelle Amélia en l’honneur d’Amélie Poulain…
En revanche, je ne suis pas enthousiasmée par la coupe qu’il m’a faite, je trouve qu’en effet, ça me banalise, et pourtant, Albert est un excellent coiffeur. Je pense que je laisserai  repousser mais pas au point où j’en étais arrivée, Sissi impératrice avec beaucoup d’heures de vol en plus.
J’étais venue pour assister à la présentation, à la maison des écrivains, du film sur Sacha Viguilianskaïa « Le visible invisible » qui retrace la quête de ses ancêtres, déjà décrite dans ses articles et dans un livre du même nom. Le film est très bien, très émouvant, il faut dire que Sacha elle-même est très émouvante, très belle, avec quelque chose de féérique, un véritable charisme. Nous avons travaillé deux ans ensemble au lycée français, où elle travaille encore, et pendant ses vacances, mène sa quête, son enquête, écrit articles et livres. Elle avait trouvé comme antidote à la déprime qui la guettait, outre la pratique religieuse et le soutien spirituel du métropolite Zinovi, qu’elle aime et connaît depuis son enfance, de faire des voyages à travers la Russie, et de cette manière, dans la région de Vladimir, elle est tombée sur la tombe d’un diacre, fusillé au cours des répressions de 1937, qui portait le même nom de famille qu’elle. Et de fil en aiguille, elle a reconstitué toute l’histoire de ses ancêtres, pratiquement depuis le XVIII° siècle et saint Alexis de Bortousrmani,  qui lui est apparentée, comme elle l’a découvert, puis elle a trouvé de la façon la plus simple du monde, dans une bibliothèque provinciale, le journal de saint Alexis, qui est évidemment un précieux document spirituel, dont on avait perdu la trace. Elle expliquait tout au long du film à quel point, en tout ce périple, elle s’était sentie guidée, les liens qu’elle se découvrait avec des inconnus qui lui étaient également apparentés, et cette mystérieuse toile mystique spatio-temporelle qui finissait par tisser les fils de son destin actuel avec ceux de toute la Russie pré et post révolutionnaire. « La mort n’existe pas, et le passé vit toujours » dit-elle. En effet, j’ai par d’autres canaux réalisé moi-même que la coupure complète entre le passé et le présent était une idée absolument moderne, qui aplatissait nos vies et les coupait de tout en les projetant  dans un futur illusoire, au nom duquel, en détruisant le passé, nous annihilons le présent et le vidons de tout sens et de toute substance.
Sacha parlait, au cours du film, de son expérience, avec tant de sensibilité, de poésie, qu’on la suivait sans difficultés dans son périple et que d’ailleurs, toutes les portes s’ouvraient devant elles, dans ses recherches, et ses tentatives pour restaurer l’église de son arrière-arrière-grand-père, qui avait été transformée en discothèque et qu’on a rendue au culte.
Le mari de Sacha a dit quelque chose d’intéressant sur la Russie, dans le film, mais je n’ai pas tout compris. Il dit, ce que j’ai pensé aussi moi-même, que c’est un océan ignoré, un océan scythe, et qu’elle génère une forme particulière de patriotisme, car il s’y passe des choses qui n’arrivent nulle part ailleurs et que seuls ses habitants comprennent vraiment. Sacha a parlé, après le film, de l'abandon des campagnes, des destructions qu’elle a constatées au cours de ses voyages, la ville de Kourmych, par exemple, troisième ville la plus ancienne du gouvernement de Nijni-Novgorod, et qui était prospère, avant la révolution : il y avait des marchands, des marchés, des cosaques, deux monastères, toute une vie locale, et aujourd’hui, des deux monastères, il ne reste même pas les fondations, les isbas disparaissent les unes après les autres, la ville fond à vue d’œil. Elle a évoqué l’importance pour la Russie de retrouver sa mémoire, sentiment que j’ai rencontré chez beaucoup de Russes, d’ailleurs. Sa démarche de récupération du passé russe à travers celui de ses ancêtres pour régénérer un présent sinistré est symptomatique d’une partie de la population, d’un renouveau peut-être limité mais profond, et dont je vois l'expression dans divers phénomènes, la résistance des croyants ukrainiens du métropolite Onuphre, l'intérêt renaissant pour le folklore.
Puis, au cours des mondanités qui ont suivi la séance, j’ai revu un vieux copain, Vadim, qui vit maintenant en Crimée. Nous formions avec Sérioja et Micha un ensemble folklorique farfelu qui n'a pas vécu longtemps mais nous a laissé de bons souvenirs. Quand je vois la neige tomber encore dans la grisaille, je regrette parfois de ne pas avoir choisi la Crimée. Mais il me dit qu'au point de vue folklore, là bas, il n'y a rien: juste les chansons soviétiques d'après-guerre. 

Pour mémoire, l'article de Sacha que j'avais publié sur son expérience: https://chroniquesdepereslavl.blogspot.com/2018/02/je-nai-rien-cherche-cest-moi-quon.html#comment-form

Image du film, Sacha dans l'église de son ancêtre.

Avec Vadim



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