jeudi 25 avril 2019

Dans quel enfer allons-nous pour cela brûler ?



Le récit d’un prêtre de l'EOU sur le conflit inter-religieux dans un village ukrainien, sur le site Soiouz Pravoslavnikh Journalistov et traduit par mes soins

Au vu du titre de ces réflexions, le lecteur, de façon inconsciente, va s’attendre certainement à un texte au sens mystique et sacré. En fait, tout est beaucoup plus simple.

Je n’ai pas trouvé mon récit dans les anciennes chroniques, je ne l’ai pas inventé, il ne provient pas des vies de saints clairvoyants qui pouvaient voir le monde spirituel. Il est moderne et parle de personnes vivantes que je connais depuis l’enfance. Je les connais, mais je ne peux pas comprendre leurs changements et leurs actions. Et c'est précisément en cela que réside le tragique et  l'horreur de cette histoire.

Tout a commencé très récemment. Dans mon village natal, dans les maisons (ou plutôt dans la tête) des villageois, la tragédie spirituelle de la modernité - la division de l'église - a atteint mon sanctuaire. Des gens qui depuis des décennies ne se souviennent plus de Dieu et de sa sainte Eglise, ainsi que ceux qui  s’y rendaient comme dans une entreprise de pompes funèbres, ont décidé de suivre les dernières tendances de notre temps: se joindre au développement et à la propagation de la «nouvelle église» en détruisant l'Unique, Sainte, Catholique et Apostolique.

Afin de ne pas «réinventer le vélo», ils ont emprunté une voie éprouvée au cours des derniers mois: ils ont convoqué une réunion de la communauté territoriale, l'ont appelée paroisse et ont décidé de changer de juridiction.
Cette initiative a divisé le village, jadis paisible et amical: les gens qui assistaient aux offices, faisaient confiance au prêtre, priaient et tentaient de mener une vie chrétienne, mais n’appuyaient pas la proposition de transition vers le schisme, devinrent à ce moment donné des vendus, des séparatistes, des traîtres.

Mais ceux qui, au mieux, "jetaient pour Pâques un regard en direction de l’église", ou même moins souvent, se sentaient tout à coup "les chefs de la vie", capables de décider qui a raison et qui a tort, à qui appartiennent l’église et ses biens, qui a le droit de vivre et de prier dans le village, et qui devrait partir dans le pays voisin ...

En peu de temps, on a réussi à détruire ce qui avait été construit et avait prospéré depuis nos grands-pères  et arrière-grand-pères  grâce au travail humain quotidien et à l'aide de Dieu:  la paix, l’harmonie, le respect et l’amour mutuels.


Un jour d’hiver, les disputes et les divisions ont amené les «différents camps» dans la courde l’église. Certains étaient venus s'emparer illégalement et par tromperie des biens d'autrui, les autres  pour défendre ce qu'ils avaient construit, entretenu et décoré pendant des décennies par  leur travail, leurs épreuves et leur amour. Plusieurs membres du clergé s’étaient réunis pour apporter leur soutien spirituel à leur confrère le recteur. C’est parmi eux que je me trouvais.

Des querelles ont éclaté, des menaces ont retenti, des accusations  «télévisuelles» n’ayant rien à voir avec la réalité. Il y a eu aussi des tentatives de règlement pacifique du conflit, mais cela n'a pas été possible en raison des décisions spéculatives prises lors de la prétendue réunion paroissiale. Par conséquent, la solution fut de tomber d’accord sur une fermeture temporaire de l'église, afin de ne pas provoquer de conflit interconfessionnel.
Grâce à Dieu, parmi les gens présents prêts à poser les scellés sur l’église, seulement deux hommes furent capables de le faire. Tous les autres voulaient bien faire du bruit, mais porter la main que un bâtiment sacré, non.
C’est pourquoi déjà près des portes, en clouant l’accord authentifié par des tampons et des signatures, l’un des activistes « patriotes » se tourna vers son compagnon avec ces paroles : « Dans quel  enfer allons-nous toi et moi brûler pour cela ? »
Ces paroles m’ont vraiment choqué. D’un côté, elles révèlent que quelque part dans les profondeurs de l’âme humaine, demeurent des traces de foi et de crainte de Dieu. De l’autre, on s’étonne qu’un homme qui conserve ces qualités puisse si facilement marcher sur tout ce que l’on a de plus sacré au nom d’un but incompréhensible qui ne lui est d’aucune utilité (ces hommes n’allaient jamais à l’église et on ne sait pas s’ils vont désormais le faire).
Une semaine plus tard, après l’office, mes paroissiens m’ont posé la question : « Qu’est-ce que le blasphème contre le Saint Esprit qui ne trouve de pardon ni dans ce monde ni dans l’autre ? » (Matt. 12, 31-22). Après un instant de réflexion, j’apportai immédiatement un exemple réel et vivant d’opposition consciente à la vérité.
Et que se passe-t-il au village? Les gens prient sur le territoire de l’église fermée. Personnellement, il me semble que ces épreuves ne font que les unir davantage. Ils ne sont pas nombreux, mais ils constituent le véritable corps vivant du Christ. Ils prient, pleurent, s’inquiètent, supportent les moqueries et le mépris. Cependant, la présence de Dieu et l'amour chrétien se font sentir au milieu d'eux.

Mais quand je pense à ceux qui ont amené la division et la haine dans un village jadis amical et joyeux,  les seules  paroles qui me viennent à l’esprit sont celles prononcées par le Sauveur sur la croix: «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font» (Luc 23, 34).




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