mardi 30 juillet 2019

Garçon manqué


Je me lève dans les brumes, un chat avait dégueulé sur le dessus de lit. J’arrive dans la salle de bains, je monte sur la balance : elle était mouillée. Une mare de pisse. De chat, de chien, je ne sais pas, j’espère que ce n’est pas mon artiste peintre… Voilà qui fait bien débuter la journée.
Le père Constantin m’avait engagée à venir à la liturgie aujourd’hui, car il n’aime pas lorsqu’en semaine, il n’a personne à qui donner la communion. Je n’avais aucune envie d’y aller. Mais aucune. C’est même étonnant que moi, qui suis si orthodoxe, je n’arrive pas à surmonter mes petites faiblesses pour aller à l’église ou respecter les carêmes qui me compliquent la vie et me cassent les pieds. Mais c’est comme ça…
Enfin pour finir, j’ai lu les prières de communion que je n’avais pas lues la veille, et je suis partie en traînant les pieds, en jupe, avec les collants et tout, et le fichu sur la tête, pour enfourcher mon vélo, direction la cathédrale. Il faisait un froid d’automne profond, 12°,  vent du nord, le mois d’octobre. Hier, il ne faisait pas beaucoup plus chaud, mais il y avait au moins du soleil. Cela dit, quand il ne pleut pas, qu’il y a du vent, de beaux nuages, c’est vivifiant, le pire c’est les rideaux de flotte et le ciel gris.
Quand je passe au pied de l’église de la Transfiguration, où saint Alexandre Nevski a été baptisé, j’ai toujours un élan du cœur : elle est si belle, si pure, elle me parle d’un temps où tout était simple et sacré, elle a survécu à tout, elle a vu le beau prince du XII° siècle et les affreux bolcheviques, et elle est toujours là. Ouvre-moi la porte, saint Alexandre, de la ville invisible de Kitej et protège ce qu’il reste de Pereslavl…
J’aurais bien aimé être madame Alexandre Nevski, encore que je ne suis pas sûre d’avoir ce qu’il faut pour remplir la fonction de princesse à longue tresse penchée sur son métier à tisser aux côtés d’un guerrier qui va périodiquement risquer sa peau en vous faisant des enfants entre deux campagnes, mais on ne se posait pas la question, et la question ne se posait pas, et cela me paraît psychologiquement tellement reposant. Et puis au moins, on l’avait d’office, le mari, et les enfants aussi. A cinq ans, on commençait à préparer son trousseau, on n’avait pas à se demander si on passerait son bac, quelles études on ferait si on « réussirait sa vie », on avait de la chance ou l’on n’en avait pas, et ce qui comptait, c’était ce qu’on faisait de son âme, si on avait aimé les siens, si on leur avait été utile.
Alexandre Nevski avait dix neuf ans, quand il a commencé à remporter ses victoires. Je n'aime pas tellement les bustes de lui qui hantent la ville. J'aimerais bien voir la tête qu'il avait. Je pense qu'il était beau, beaucoup de Russes le sont, et à l'époque, ils devaient l'être encore plus, avec la vie qu'ils menaient, rude et saine.
Je me suis confessée, j’ai communié, j’ai pris le petit déjeuner au café Montpensier avec le père Constantin. Il est anti Poutine, mais pense que de toute façon, depuis la mort du tsar, la Russie est aux mains de n’importe qui, et que suivre Navalny, avec sa tête de faux témoin, il faut être idiot ou vouloir le malheur de sa patrie. Comme moi, il voit dans la ferveur et l’élan de la procession ukrainienne une sorte d’événement mystique qui est notre lueur d’espoir. Je lui ai fait part de mon sentiment d’inadéquation de ma nature aux exigences chrétiennes orthodoxes. « Oh mais nous en sommes tous là, me dit-il. D’ailleurs il ne faut pas projeter sur l’ensemble des fidèles ce qui relève du monachisme et qui n’est pas à la portée de tout le monde.
- Dimanche, vous avez dit dans votre homélie qu’à notre époque, garder figure humaine était déjà un exploit. Le métropolite Onuphre aussi avait demandé à ses fidèles de prier pour garder figure humaine. Eh bien, c’est à peu près tout ce que je suis arrivée à faire de ma vie : garder figure humaine… »
Dieu aime bien qu’on fasse un effort, même insignifiant, car cette communion à l’arraché m’a fait du bien. 
J'ai dit au père Constantin que j'aimais bien les monastères de Pereslavl, et les moines que j'y voyais, que j'aimais bien aussi le monastère saint Théodore, mais que je préférais les moines aux moniales: "Vous voyez, à la limite, je voudrais bien être moniale, mais dans un monastère d'hommes, et cela ne se fait pas. Parce que les vertus domestiques des moniales, cela me casserait vite les pieds, alors que je vois des moines tellement intéressants, qui ont l'air d'avoir des vies spirituelles ardentes et des activités intellectuelles profondes, enfin j'aurais rêvé d'être une femme au foyer modèle et je suis quand même un garçon manqué..."
Il pense que néanmoins, Dieu m'avait choisie dès mon enfance pour un destin particulier, et gardée à l'écart des erreurs de l'époque. 



2 commentaires:

  1. Moi je suis garçon manqué au foyer ;)... On fait ce qu'on peut!

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    1. Vous avez de la chance! C'est ce que j'aurais bien voulu devenir!

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