dimanche 19 avril 2020

Christ est ressuscité!












Au dernier moment, j'ai été avertie qu'il valait mieux aller avec Natacha et le père Constantin dans l'église de la sainte Rencontre, qui est perchée sur une colline abrupte, à côté de l'endroit où vivait saint Luc de Crimée quand il travaillait à Pereslavl. C'est une église en cours de restauration sans doute depuis des années, pauvre, avec peu de mobilier. Des fresques iconographiques qui sont anciennes mais je ne saurais dire de quelle époque, peut-être "néo iconographiques" du XIX° ou XX° siècle, ou alors une survivance du style traditionnel post Pierre le Grand, elles ne me paraissent pas du XVI° ou même du XVII° car l'église ne remonte pas à cette époque.
Deux flics à l'entrée, à l'intérieur peu de monde, et un cosaque, les cosaques se répartissent la protection des églises et des monastères de Pereslavl, voici pourquoi j'en vois dans toutes les églises où je vais, au moment des fêtes, en uniforme.
J'y ai retrouvé mon amie Katia Kalininskaïa, l'écrivain pour enfants qui est en train de s'installer définitivement à Pereslavl et chez qui j'éditerai peut-être mon livre en russe. Elle est aussi une spécialiste de  saint Luc de Crimée, sur lequel elle a écrit plusieurs livres. Cette église est sa paroisse de référence.
Nous avions tous nos muselières, mais peu à peu, elles ont deserté les visages, le visage est une chose importante, pour les orthodoxes. Le choeur faisait ce qu'il pouvait. Au moment de la procession, il y a eu une longue pause. Allait-elle avoir lieu? Le prêtre a décidé qu'étant donné notre nombre restreint, on allait se lancer. Et nous voilà partis dans la nuit glaciale - il gelait. Une procession rapide, furtive, mais nous chantions fermement: "Le Christ est ressuscité des morts, par sa mort il a vaincu la mort..." Le défilé des chasubles rouges, des bannières, icônes et lanternes surplombait tout Pereslavl et ses lumières nocturnes, froides, clairsemées. Quand les prêtres sont retournés dans l'église, je suis restée un moment coincée dehors, avec une partie des fidèles. Je n'entendais rien de ce qui se passait à l'intérieur, mais tout à coup, le carillon de Pâques nous a dégringolé dessus du haut du clocher, un carillon qui y allait vraiment de bon coeur, un déluge de séraphins et chérubins sonores, et quand je dis séraphins et chérubins, je ne pense pas aux angelots joufflus de la décadence baroque, mais aux esprits de feu des visions prophétiques. Cela me semblait à la fois sublime et alarmant, alarmant parce que nous défions quelque chose de particulièrement noir. Je sentais, tout au long de cette fête arrachée in extremis à la gueule de la bête qui soufflait sur nos talons, ce que tout cela avait de maléfique, de dirigé en premier lieu contre l'Eglise, et combien m'était cher ce peuple orthodoxe de Pereslavl, ses prêtres, ses moines, et son évêque. Ce n'est pas en vain que nous avons eu ce petit miracle de la Pâque, Pereslavl est vraiment un lieu particulier, en dépit des ravages commis sur cette belle ville, ou peut-être grâce à eux, car la gangrène de la laideur est aussi un assaut du diable, et il y a ici quelque chose de très lumineux qui l'irrite, comme à Moscou, tellement profanée. De sorte que j'ai parfois bien peur, mais pas du virus. De la Bête... Si la Bête l'emporte, si l'on fait de la terre entière une Babylone dédiée à Mammon et Moloch, alors nous regretterons que le virus ne nous ait pas charitablement emportés. Bien sûr, sa victoire sera passagère, mais le moment à passer ne sera pas drôle.
J'ai vu ce matin un post du père Athanase, de Iouriev Polski, dans la région de Vladimir, dont les églises ont été bouclées depuis longtemps: Et voilà, quand, me redressant près des portes, je me retournai vers l'Autel, et commençai à chanter le tropaire de Pâques, avec les versets selon la Règle, de façon pour moi tout à fait inattendue, mon coeur s'emplit d'un tel bonheur et d'une telle joie que moi, moine déjà vieux, je me mis à sourire comme un gamin, comme on dit "d'une oreille à l'autre". 
Je regardais cette poignée de fidèles et je comprenais que je n'avais pas sur terre de gens qui me fussent plus proches!"
J'avais une révélation du même ordre, mon appartenance spirituelle profonde, génétique, paysanne-chrétienne, médiévale, à l'univers incarné par la communauté orthodoxe de Pereslavl en particulier, et de la Russie en général. Sans eux, je n'aurais plus de place nulle part sur cette terre. Car lorsque je regarde les maîtres du monde et leurs théoriciens, je n'ai pas envie de vivre dans la société qu'ils nous préparent, et je ne regrette pas de ne pas y laisser d'enfants ni de petits-enfants.
Quand aux gens qui s'indignent que des croyants persistent à aller à l'église, malgré l'ordre du patriarche... D'abord, jusqu'à présent, nous avions la permission du gouverneur, qui, c'est net, commence à paniquer sous les pressions. Et ensuite, j'espère que Poutine, le Patriarche, le métropolite Hilarion, le métropolite Tikhon, que je m'abstiens prudemment de critiquer ou de juger, savent ce qu'ils font, et des choses que nous ne savons pas. Si ce n'est pas le cas, je ne saurais alors comment qualifier ce qui est commis.
Car ce qui se passe est une persécution sournoise et vile auxquels certains prennent un évident plaisir, ils ont senti l'odeur du sang, comme en Ukraine, et trépignent de se ruer à la curée. Fatalement, il est très difficile aux croyants d'accepter de se prosterner devant ces gens-là, et encore plus difficile de leur faire confiance, et si le père Athanase a eu cet afflux de grâce, et moi ce déluge de séraphins nous témoignant leur protection et nous délivrant leur mise en garde, c'est que nous ne sommes pas dans la situation où le gouvernement honorable d'un peuple uni prend des décisions pour le bien général.
Nous sommes probablement dans celle où une partie du gouvernement n'est pas au service de son peuple et s'efforce de circonvenir ceux qui le sont encore. Cela dans le meilleur des cas.

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