samedi 9 mai 2020

Jubilée

photo éparchie de Pereslavl
Nous avons fêté les soixante ans du père Andreï, à la cathédrale avec l'évêque, puis le lendemain, chez le père Andreï, avec le sacristain et les membres du choeur. Parmi ces membres, une jeune fille très jolie et très fraîche, Lisa, qui "rêvait de me rencontrer" et qui chante dans la lignée de Lydia Rouslanova ou de Lioudmila Zykhina. Elle fait des tournées à travers la Russie et même à l'étranger. La partie masculine de l'assistance, complètement bourrée, était en proie à une logorrhée aussi torrentielle qu'affectueuse. J'ai quand même réussi à parler un peu avec la jeune fille, auprès de laquelle j'étais allée m'asseoir, après avoir reçu, dans les échanges de grands gestes qui accompagnaient les discours, un verre de cognac sur ma manche, et une tasse de thé sur les genoux. Voulant emporter des assiettes à la cuisine, j'ai été suivie par Ritoulia.  L'innocente s'est heurtée à la chatte de la maison, qui a une portée de chatons, et s'est métamorphosée en tigre du Bengale. Elle s'est jetée sur ma malheureuse chienne qui jappait avec épouvante, et pour lui éviter d'être éborgnée, je l'ai soulevée au péril de ma vie, et j'ai reçu deux profondes griffures. Les bonshommes se sont répandus en excuses et les femmes en conseils. On m'a arrosé la main de cognac, de désinfectant, puis encore de je ne sais quel produit, en la recouvrant de serviettes en papier, et le sacristain la baisait avec vénération entre chaque couche, en versant encore une dose de liquide alcoolisé spiritueux ou pharmaceutique.
Après quoi, au moment de partir, ma roue était à plat, et le sacristain l'a obligemment changée. Cet homme, qui a toujours l'air très sévère à l'église, était complètement transformé, plus qu'aimable, carrément sentimental. Ils étaient tous très sentimentaux, d'ailleurs. "Laissez-moi vous embrasser, vous n'avez pas peur du coronavirus? me disait-on.
- Ben si, quand même, un peu...
- Oh pour l'avenir qui nous attend, un an de plus ou de moins... Nous sommes entre les mains du Seigneur!
- Certes, mais je voudrais vivre assez vieille pour enterrer mes chats..."
Du coup, je suis allée au "chinomontaj" faire réparer ma roue, qui n'avait rien, on me l'a juste regonflée. Et au "Magnit" voisin faire des courses, avec masque et gants. A la sortie, je vois l'infirme habituel, dans son fauteuil roulant, et je cherche dans mon sac, ce qui avec des gants n'est pas facile. "Je sens que vous allez me donner de l'argent, dit-il. Enlevez donc votre équipement. Qu'est-ce qu'on en a à foutre de leur virus? Les vrais problèmes, c'est que les prix n'arrêtent pas de monter, et que Poutine a perdu la partie".
Le soir-même j'ai appelé mon père Valentin, et lui ai rapporté les paroles du mendiant. "N'importe quoi, s'est-il écrié, Poutine contrôle parfaitement la situation, le gouvernement agit correctement, c'est pourquoi nous avons beaucoup moins de victimes qu'en occident, Le virus existe, le père Théodore a été malade, maintenant c'est le père Valéri qui est touché." D'après lui, le vaccin russe ne sera pas le vaccin de Bill Gates, les Russes ne seront jamais des Chinois, ils ne feront pas partie du Nouvel Ordre Mondial, et il n'y aura pas de puçage électronique en Russie, impossible. Je ne demande qu'à le croire, mais au vu de ce que je vois passer, je n'en suis pas tellement convaincue. Et je me souviens que lorsque je redoutais la trahison de Bartholomée, il me répondait que certainement pas, que c'était juste un fin diplomate qui rusait avec les Américains. De plus, le fait qu'on agite un vaccin, quand le professeur Raoult et d'autres distingués virologues, y compris ici, disent que le virus ne s'y prête pas, et qu'un traitement existe, dont l'équivalent russe a été approuvé par décret, m'inspire une réelle méfiance, sans parler des créatures des ténèbres qui tournent autour de tout cela. Cependant, je ne nie pas que le virus existe, quelle que soit son origine et les manipulations auxquelles il donne prétexte, et regrette les deux extrémismes, ceux qui le nient, et ceux qui en font un instrument d'intimidation et de conditionnement.
Après cela, je suis tombée sur les photos des félicitations du père Andreï à la cathédrale, où il est très aimé, sur un film de la télé locale, où d'ailleurs je figure, sur le parvis. La joie, l'amour qui se lisent sur les visages de ceux qui lui portent fleurs et cadeaux, lisent un compliment, les enfants des cosaques, le petit Gricha, la petite Yevdokia, sur le fond du déjeuner alcoolisé dont je parle précédemment, m'ont fait une fois de plus prendre conscience de ce que c'est que l'Eglise. Tous ceux qui sont en dehors d'elle en exigent qu'elle soit une communauté de saints irréprochables, alors que s'il est des saints parmi ses membres, elle est surtout une mise en communion de pécheurs souffrants qui essaient cahin-caha de suivre le Sauveur en lui faisant constemment d'impuissants signes d'excuses. Sur les photos, les péchés et les défauts disparaissent derrière la ferveur touchante des expressions, l'affection, la fraîcheur des jeunes et des enfants, une fraîcheur qu'on ne voit plus guère aux rejetons maussades et prématurément dégradés et blasés des consommateurs mécréants. L'Eglise n'est rien de plus que l'humanité du Christ, celle qui écoute son appel comme elle peut, et le suit en procession, une procession millénaire de gens divers, du mendiant au saint prince ou au prince pas saint, mais chrétien quand même, comparable à la foule qui, à la fin du livre "les Quatre Vies d'Arsène", suit le sublime cadavre du starets, dans son dernier chemin jusqu'au marécage, où il a demandé à être jeté. Et cette Eglise, cette humanité christique tirée et poussée par ses saints, encouragée et consolée par eux, trébuchante, souffrante, réticente, entre l'élan de foi et le découragement, entre la chute et la repentance, avec tous ceux qui la composent, et qui individuellement peuvent être décevants, irritants, tout ce qu'il y a de plus critiquables, mais qui néanmoins continuent à cheminer, c'est tout ce à quoi je tiens en ce monde, c'est là mon peuple, dont le Christ est le roi et nos hiérarques les princes. Qu'avons-nous à faire de l'homme nouveau, du surhomme ou de l'homme augmenté? L'homme nouveau est celui qui a vaincu en lui le vieil homme, le surhomme est l'homme transfiguré, l'homme augmenté est celui qui a acquis le Saint Esprit et sa grâce. Le reste n'est que parodie démoniaque aux effets atroces. L'Eglise essaie, elle est faite de gens qui essaient, qui boitillent pas à pas. C'est même la seule différence notable entre cette humanité là et l'autre. Mais c'est une grosse différence. Ainsi, Gilles de Rais torturait et violait des enfants, mais il est allé au bûcher en pleurant et en implorant le pardon des parents. Ivan le Terrible fut un tsar dur et cruel, mais il éprouvait des remords et construisait de magnifiques églises, composait de très belles stichères. Nos modernes prédateurs sont tellement investis par le démon, qu'on ne peut même plus discerner en eux quoique ce soit d'humain. Ils n'ont reçu aucun des anticorps spirituels qui aurait pu garder une étincelle d'humanité dans leur carcasse ténébreuse et malfaisante. Et les gens sur lesquels s'exercent leur violence, leur séduction et leur fourberie n'ont pas non plus de défense, ni de discernement, et ne forment plus de communauté.
Les romans de Dostoievski sont entièrement façonnés par cette idée de la communauté chrétienne, où les uns sauvent les autres et quelquefois les perdent, où personne n'est parfait, et personne n'est exclu, et j'ose espérer que le Christ recevra toute son Eglise, à bras ouverts, tous ceux qui l'ont plus ou moins suivi, ou rejoint au dernier moment, ou pour lesquels des proches auront prié. Et de mon côté, c'est toute l'Eglise que j'aime, c'est la seule représentation tangible que j'ai de son Chef sur cette terre, avec les icônes qu'elle porte en procession depuis pratiquement les catacombes.

Photos éparchie de Pereslavl

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