mardi 13 juillet 2021

Album de Kourmych

 




Une fausse manoeuvre a détruit l'article que j'avais terminé hier sur mes derniers moments à Kourmych. Je suis allée me baigner encore une fois dans la Kourmychka et j'y ai relâché un poisson que le père Vladimir avait pêché et oublié dans un seau, la dernière fois qu'il était venu, il y a de cela deux ou trois mois. Par je ne sais quel miracle, le poisson était toujours vivant, dans l'eau trouble et verdâtre. Tous les autres avaient été mangés, et lui restait seul dans sa prison. Je l'ai descendu à la rivière dans un bocal. Il n'a pas compris tout de suite, il restait immobile sur la vase du fond. Mais après que j'ai nagé un moment, je ne l'ai pas retrouvé, il avait fait la belle.

La chaleur étant devenue supportable, j'ai fait un tour de Kourmych avec Sacha. On voit que cette bourgade somnolente et délabrée a été autrefois une petite ville prospère, elle avait même un lycée qui achève de s'effondrer. Beaucoup de très jolies maisons tombent en ruines. Mais pour ce qui est des autres, elles sont souvent restaurées avec beaucoup plus de souci d'authenticité qu'à Pereslavl, ou peut-être que les gens restent plus traditionnels. S'ils recourtent aux clôtures préfabriquées en métal, ils préfèrent celles qui sont à claire-voie, et les harmonisent au toit et au reste de la maison. S'ils recourent au maudit siding, ils conservent souvent les encadrements de fenêtres sculptés qu'ils mettent par dessus, ce qui limite les dégâts esthétiques. Génia me dit qu'ils chérissent encore leur folklore et jouent de l'accordéon, ceci explique cela.

Nous sommes allées nous asseoir sur l'escarpement, au dessus de la rivière, sur laquelle nous avions une vue magnifique. Nous avons été rejointes par un architecte très bavard. Et je me sentais d'humeur purement contemplative. Je regardais les branches agitées par le vent qui déplaçaient et mélangeaient des morceaux de ciel bleu, et les phosphorescences fugaces de leurs feuilles touchées par le soleil. Les lointains, les mouettes, les hérons... Kourmych a quelque chose de captivant et d'étrange, une sorte de moyen âge encore proche, bien que violé par le soviétisme, et le souvenir de la nonchalance raffinée des villes de marchands du XIX° siècle. On se sent là hors du monde, hors du temps, entre le cosaques, les streltsi d'Ivan le Terrible et les gardes rouges. 

le lycée...


A quelques mètres de la tombe du "héros de la révolution" qui massacra tant de gens à Kourmych, on a dressé une croix à la mémoire de ses victimes. Les deux monuments sont régulièrement fleuris. A noter que les vieilles komsomoles font le signe de croix devant l'étoile rouge de celui qui fusilla sommairement les prêtres du pays.

Le jour de la fête des saints Pierre et Paul, nous sommes retournées dans ce merveilleux village de Bortsourmani où repose dans sa châsse saint Alexis, arrière-arrière-arrière grand oncle de Sacha. J'avais très mal dormi, mal à la tête, nous avons failli ne pas y aller mais j'ai dit à Sacha: "C'est la fête, je me suis préparée à communier, allons-y..." Et je ne l'ai pas regretté, car cet office était à la fois si simple, et si spirituel. Ce sont les fils du prêtre, le père Andreï, qui constituent le choeur, et ils chantent sans fioritures, avec gravité, c'était beau et recueilli. C'est son plus jeune garçon, âgé de sept ou huit ans, qui lit l'Epître, dans sa tunique dorée de servant d'autel, et avec tant de fermeté, sans se tromper, d'une voix claire et forte... Je pensais à Sacha, le fils du père Antoni, de Cannes.

Sacha se dévoue complètement à ce pays où l'a amenée sa quête mystérieuse de ses ancêtres. Elle est persuadée que ce sont eux qui la guident, et qu'elle accomplit leur volonté. Elle s'occupe non seulement de l'église où ils officiaient mais de celle qu'on vient de rendre au culte un peu plus loin, elle donne du travail et de la considération à l'Afghan Génia, de l'attention aux enfants du village, qui en ont parfois bien besoin. Elle est toujours en quête de fonds pour restaurer et relever, écrivant de tous les côtés, sollicitant les uns et les autres, suppliant les artisans, rédigeant la chronique de ses travaux d'Hercule pour attirer des soutiens à sa cause. Rien ne l'arrête, car elle répare une déchirure, elle renoue les fils brisés, elle rend Kourmych à Kourmych en retrouvant ses ancêtres perdus, et recueille tout ce qu'elle peut trouver sur les rives désolées de nos naufrages historiques et culturels, pour que son petit pays ruiné récupère sa mémoire, et qui sait, peut-être un peu de sa prospérité.

Je vois que Génia l'admire éperdument. Je pense parfois aux reîtres de Jeanne d'Arc. Car Génia a tout du guerrier perdu, le physique et la mentalité. Il est pur et touchant, et quand nous avons pris congé, il avait les larmes aux yeux.

Je mets ici mon album de Kourmych, les photos de Sacha, les miennes, tout en vrac:

Sacha et les enfants de Kourmych






Avec le père Basile....



La première confession du petit Roma




Génia au travail


la "belle église"



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