mardi 28 juin 2022

Enfin l'été

 




D'après la voisine Olga, le type d'en face, en massacrant son bouleau, avait dans l'idée de le rendre plus beau et plus épais en coupant le sommet. A mon avis, il était très beau comme il était, mais entre couper le sommet et casser le tronc à mi hauteur, il y a une marge... Ania est aussi consternée que moi. Je pense que chez certains individus, saccager leur environnement est une façon de démontrer leur pouvoir sur lui, un peu comme ces dingues qui vitriolent leur épouse pour qu'elle n'aille pas plaire aux autres.

Pour oublier tout cela, j'ai fait ma première baignade dans la rivière Vioska. elle était encore fraîche, mais je préfère, c'est plus vivifiant. Je me suis éloignée à la nage, dans son eau mauve et dorée, laquée de bleu, sous des caravanes de nuages blancs traversés de mouettes. J'écoutais le vent chanter dans les roseaux, où glissaient des canards. La présence de Rita m'a obligée à écourter, elle avait chaud, mais elle ne veut pas se baigner, et me regardait de la rive avec des yeux de martyre. Pour la consoler, je l'ai emmenée voir Gilles au café.

Contrairement à ce que laissait prévoir le printemps glacial, nous avons un bel été. Je recommence à jouer des gousli dans le jardin, et j'entre doucement dans un état de légère béatitude contemplative, où chaque nuance, chaque forme, chaque son et chaque mouvement prennent tout à coup un relief étrange et captivant.  

Au taux de change pratiqué par les banques, plus les pourcentages happés au passage, je vais me retrouver avec  peu près le même pouvoir d'achat qu'en France, mis à part les charges et l'essence, beaucoup moins chères. Je l'ai expliqué à mon encadreur. "Et alors, vous allez rentrer chez vous?

- Ah non. Pour baigner dans la propagande, les calomnies, les mensonges de la presse officielle, repris par les intellos bien dressés et bien sélectionnés, jusque dans les milieux orthodoxes, jamais.

- Alors vous êtes vraiment des nôtres..."

Mon encadreur est communiste. Il est très gentil, et me fait des prix. Malheureusement, il reste convaincu que les Russes n'ont jamais rien fait de vraiment bien, que la culture, c'est en Europe, et prend des airs de commisération quand je lui parle des merveilles de l'art populaire...

Le lendemain, après l'église, j'ai vu arriver la guide Ioulia, elle venait prendre six exemplaires de mes chroniques, car "il faut les faire lire au maximum de Russes". Elle voulait me faire découvrir les petites plages sauvages du lac, mais avec la chaleur qu'il faisait, et un dimanche, les rives étaient bourrées. C'est en effet, très joli, je reviendrai quand ce sera plus calme, pour dessiner, et m'imprégner de l'atmosphère. On peut juste se tremper, il n'y a pas assez de fond pour nager, ou alors il faut faire un kilomètre à pied en direction du centre, paraît-il très profond, lui. Quand on s'avance dans l'eau, on voit le monastère saint Nicétas, tout blanc, avec ses coupoles d'argent, au dessus des forêts sombres et de l'eau bleue.

Il y avait, parmi la foule des campeurs et baigneurs, une jeune fille avec un suricate en laisse, et cela m'a chagrinée. Que faisait donc cet animal en laisse sur une plage, et comment peut-on encore acheter des espèces sauvages et encourager leur trafic? Sans doute pour frimer, et il y a tant de chiens et de chats à l'abandon... 

Ioulia voulait me faire découvrir un sentier de randonnée, très intéressant pour les amateurs de botanique et les ornithologues. Et pour les peintres aussi, car c'est un lieu magnifique. Il rassemble plusieurs biotopes, par endroit marécageux, par endroit complètement sec, avec des plantes des steppes et des régions méridionales. Des prairies fleuries, des bois, le lac et le monastère au loin....






Je conseille vivement aux gens qui pensent encore de s'abonner à l'Antipresse, où l'on trouve une information, et surtout des réflexions sur l'information, de qualité. L'Antipresse est une antidote à la folie collective qui guette même les résistants, souvent isolés. Or il est difficile de s'opposer quand autour de soi tout le monde se met à délirer. Slobodan présente ici son dernier brillant numéro:


    

A chacun de s’en sortir comme il le peut, dans un solitude éperdue au milieu des cons. 

écrit Nicolas Bonnal dans sa lucidité tragique! L'évêque m'a dit lors de ma confession que Dieu ne les aimait pas moins que moi, et qu'il fallait relativiser nos petits inconforts et problèmes quotidiens devant la croix du Christ. Certes, mais pour l'instant, ce n'est pas gagné. "Vous y arriverez!" me dit-il avec un fin sourire.

C'est que selon le mot de Dostoievski, la bêtise peut parfois devenir un crime, nous le voyons tous les jours, en ce siècle "d'ineptocratie", comme dit Slobodan dans son article "Après l'Ukraine"...



jeudi 23 juin 2022

Massacre

 


Ce soir, je jouais des gousli dans le jardin, la lumière du soir allumait un à un les iris comme des lampes précieuses, une brise légère soufflait, et je me sentais dans une harmonie profonde avec tout ce qui m'entourait, quand j'ai entendu un bruit déchirant. Quelqu'un était en train de saccager le jeune bouleau ravissant qu'avait planté oncle Kolia, et que j'admirais tous les jours. J'étais si bouleversée, que j'ai poussé les hauts cris et je suis partie chez la voisine Olga. C'est l'héritier de Kolia qui fait cela. La brute contemporaine ne peut supporter la beauté naturelle et vivante. Après le bouleau, il va saccager la maison, j'en suis certaine. C'est comme si le pauvre Kolia mourait deux fois. Il était si délicat, si attentif, et il nourrissait les oiseaux... c'était la vieille Russie, la Russie paysanne. 

Je suis rentrée finir le fond de bordeaux qui restait depuis la visite d'Olga et Ghislain. Je ne me ferai jamais à toute cette barbarie stupide qui profane sans relâche la Création avec tant de bonne conscience. C'était si brutal, à ce moment doré et béni de la journée où tout exulte doucement, et cet arbre doit être plein de nids et de petites créatures, un monde à lui tout seul. D'un côté celui qui bétonne tout ce qui vit sous des tonnes de glaise, en face, celui qui saccage un arbre sans aucune nécessité, peut-être pour planter à la place un truc merdique qui ne soit surtout pas russe. Ou juste comme ça, pour faire "propre"...

J'ai fait un court séjour à Moscou pour ouvrir un compte à la Raiffeisen bank, seul moyen de recevoir ici l'argent de ma retraite, il paraît que tout le monde se sucre bien au passage, d'ailleurs. Mon père Valentin était seul avec son fils Kolia, j'ai pu lui parler de diverses questions. Nous avons évoqué le métropolite Onuphre, il est du même avis que le père Andreï Tkatchov. On ne peut juger ce saint homme qui subit des pressions terribles et doit protéger son clergé et ses fidèles. Et du reste personne ne le fait. Je lui ai parlé de la mort de mon petit chien Doggie et des remords qui me poursuivent à son sujet. "Je voudrais non seulement savoir que Dieu m'a pardonnée, ça je pense qu'Il la fait, mais que cela sera réparé d'une façon ou d'une autre, car cela ne me laisse pas en paix...

 - On ne peut pas savoir ce que Dieu fait des animaux et ce qu'Il a prévu pour eux, on n'en sait rien. C'est la raison pour laquelle je n'en veux plus. Cela laisse au coeur trop de remords et de chagrin".

On n'en sait rien, mais moi, je ne peux pas croire qu'Il ne s'en préoccupe pas. Je Lui demande obstinément un signe...

Avant la Raiffeisen bank, le père Valentin m'a emmenée à Peredelkino, voir Macha. Nous sommes allés visiter la datcha des parents du père Valentin, où vivait sa soeur récemment décédée. Son chat orphelin y vit toujours, le pauvre, Macha vient le nourrir, et cela sent terriblement la pisse, l’odeur sui generis. Je me suis demandé si chez moi, cela puait autant, j’ai eu la réponse au retour: oui, ça pue. Mais ça puait beaucoup moins après lavage. Le parquet flottant s’imprègne moins que le bois naturel !

La maison des parents m’a ravie, c’est une vraie datcha ancienne, avec de jolies verandas ajourées, des murs et des parquets de bois. Il y avait une merveilleuse pièce  tapissée de livres, que le père Valentin consultait avec des gestes amoureux. Quand je pense au nombre de livres qu’il garde dans son appartement, et à tous ceux qui sont dans cette maison... en français, en allemand, en russe, des livres grecs et latins, des livres anciens, cela sent la véritable culture comme on n'en fait plus, une culture immense, que je suis loin d’avoir moi-même. 

Macha a trouvé des lettres de son grand-père, philosophe connu de l’époque soviétique, adressées à ses enfants. Il prenait la peine d’écrire quelque chose de spécial à chacun, c’était plein d’humour et de tendresse, et de conseils judicieux, c’était un père attentif et remarquablement intelligent. Cela me fait penser un peu, sans le côté poignant,  aux lettres qu’envoyait le père Paul Florenski à ses enfants depuis les Solovki, où il avait été enfermé par les communistes.

La soeur aînée du père Valentin étant morte en bas âge, sa mère avait gardé toutes ses affaires, toutes, Macha a même retrouvé un paquet de biscuits entamé que l’on ne s’était pas résolu à jeter et qui était avec le reste depuis des décennies. Cela me rappelait mon grand-père, sa maison devenue le mausolée de sa vie, et le porte-monnaie de ma grand-mère dans le tiroir de la table de la cuisine, avec dedans de l’argent et sa dernière liste de courses.

Macha m'a envoyé ensuite des photos d'une petite exposition qu'elle a faite, pour les amis de la famille, des affaires du bébé défunt. C'est si touchant et si extraordinaire, comme un voyage dans le temps: les petits vêtements, les jouets, les livres, la poussette, la dinette, les biscuits! Je lui ai dit qu'il fallait organiser une véritable exposition, avec un album qui rassemblerait les photos des items exposés et les lettres du grand-père Asmus, parce que c'est un témoignage sur une époque disparue, et que tout cet amour ne doit pas disparaître sans laisser de traces. 

Cette petite fille est morte deux ans avant ma naissance, en 1950. Ses affaires dormaient dans cette maison depuis lors.













mardi 21 juin 2022

Réponse à Henri

Un ami fait à mon dernier article, un beau commentaire qui mérite réflexion. Et comme il le fait publiquement, je réponds de même. 

Bonjour Laurence. Je n'aurai été un peu russe que comme pèlerin... Aujourd'hui encore, quand j'arpente ici mes collines dans la chaleur, où le froid, dans l'émerveillement ou l'angoisse, je le fais à la manière de ce legs que m'a remis le pèlerin russe. La prière me rafraîchit me réchauffe, me réconforte, me donne à deviner le mystère qui enveloppe toute choses réelles. Même lorsque j'oeuvre auprès des gens de par mon métier ou autre, je pense à cette phrase du pèlerin qui sentant la présence agissante de la prière, envisageait toute personne comme un proche parent...
Pourquoi est-ce que je dis cela ? Peut-être, par-delà les drames, et la troisième auto-destruction de l'Europe, pour revenir au cœur de l'idéal que m'avait donné cette voie christique vécue au creuset de l'expérience religieuse russe et qui en est pour moi la quintessence...
Le pèlerin enseigne la prière à un couple de polonais qui l'avait aidé... Ou comment donner quelque chose qui ouvrira à une communion autre...
Je croyais qu'une autre voie était possible, comme une percée à travers les fantômes de l'histoire, la provocation des menées geo-stratégiques, les intérêts économiques, une voie de communion et que la Russie était armée pour cela... d'autres armes. Je reste fidèle plus que jamais à mon idéal.
Je n'ai pas eu comme vous le temps ni l'occasion de m'inculturer.
Je ne garde donc que ce petit joyaux qui m'a été donné.
En tant qu'occidental désorienté, essayant de m'inscrire dans la lignée de la spiritualité transmise par l'Église Orthodoxe, qui naquit dans les déserts s'est approfondie dans les montagnes et les forêts, où la beauté de la création n'est pas étrangère à la quête de la beauté divine, je retourne au désert. Notre patrie n'est pas encore céleste. Ici-bas, maintenant, elle est au désert avec le Christ. Lieu du dépouillement total et des tentations.
L'une d'entre elle fut celle du pouvoir d'où est exclu la communion. Une autre celle de chercher dans une transformation impossible, des pierres en pains, quelque chose qui tromperait notre faim...
La famille, la patrie... La seule fois où le Christ a parlé de la famille, c'est pour dire qu'il fallait la quitter, quant à sa patrie nul autre que lui n'est allé aussi loin dans la remise en cause dans son couple ethnico-religieux. Certes, il n'était pas no-border et pro-métissage mais il portait en lui-même la véritable vocation qui aurait du être celle d'Israël.
Vocation du Christ ou tentation d'Israël, la frontière est toujours délicate à discerner.
La guerre étant une boîte de Pandore, une fois ouverte, elle ne permet pas de voir qu'elle en sera l'issue. D'autant plus si elle est mondiale. Et celle-ci l' est, même si c'est "par proxy" comme ils disent dans le jargon stratégique.
Ma patrie, ici-bas sera donc le désert. Mais je crois que c'est tôt ou tard passage obligé si l'on veut être à la suite du Seigneur, où que nous soyons. Puissions-nous y être avec le Christ.
Communion cordiale, dans le Souffle Divin, partout Présent et Emplissant tout.
D'un petit coin de la France.
Henri.

Cher Henri, je comprends fort bien que vous ayez votre démarche spirituelle particulière sur le sommet de votre montagne, avec le pèlerin russe, que j'ai aussi beaucoup aimé. Mais je me rends compte que je suis sans doute plus terre à terre que je le pensais dans ma jeunesse, ou que le pensaient les autres. Oui, je suis très terre à terre. "Le Christ russe sent la terre," écrivait Ernst Junger, et c'est peut-être ce qui m'a attirée. En lisant ce que vous m'écrivez, je me demande: "pense-t-il que je ne prie pas?" ou encore "est-ce que je prie vraiment?" puis "qu'est-ce que prier vraiment? " et enfin "est-ce que je considère toute personne comme un proche parent"? Et si je commence à me lancer dans ce genre de conversation, où cela va-t-il me mener? A l'écriture d'une confession de 300 pages?
Je me demande aussi ce que peut avoir de contradictoire mon article sur la patrie avec la prière du pèlerin. Et aussi de quelle autre voie il est question, et pourquoi serait-elle impossible. Ou bien pensiez-vous que toute la Russie était constituée, de nos jours, de pèlerins russes qui allaient marcher avec leur cordelette de prière à la rencontre de Georges Soros, Joe et Hunter Biden, et autres Clinton, avec leur CIA et leur OTAN, et tous leurs hommes de main européens et ukronazis? Je pense que si le pèlerin russe, quintessence de l'esprit orthodoxe de son pays, a pu exister, parcourir les chemins et écrire ses récits, c'est en partie parce que ce pays a été défendu par Alexandre Nevski, Dmitri Donskoï, et autres princes et tsars ultérieurs, il a été porté par cet immense corps social, ces générations de gens qui étaient loin d'être tous des saints, mais Dieu sait ce qu'il fait quand il envoie Dmitri Donskoï contre les Tatars sous la bénédiction de saint Serge, et il sait ce qu'il fait également aujourd'hui et en cela j'ai confiance. 
Je ne sais pas ce que vous entendez par le désert, la montagne où vous allez prier? Moi, j'ai eu un autre désert, ce sont toutes les années de solitude affective, spirituelle et même intellectuelle que j'ai passées en France et auxquelles se résume ma jeunesse, avec de temps en temps un signe, ou une révélation, pour me guider ou m'encourager. Pas souvent. J'aime bien l'extase, mais cela ne m'est arrivé que deux ou trois fois dans ma vie. Le reste du temps, je râle contre mon voisin, je rechigne à aller à l'église le matin, je n'ai pas de patience, bref, je suis loin d'être le pèlerin russe. Sommes-nous tous bâtis pour devenir le pèlerin russe? Ainsi, Dostoievski était un grand nerveux et un grand râleur. Un homme irritable et convulsé. Cependant, ses livres ont éclairé beaucoup de gens, dont moi, et il a eu une fin magnifique.
Pourtant, ici, en Russie, en ce moment, avec cette guerre dont vous blâmez visiblement la Russie en considérant qu'elle faillit à l'idéal que vous lui voyiez, je suis absolument certaine que je suis à la bonne place, que la Russie est dans son droit, et que ceux d'en face, en ce moment, sont la proie d'un dragon d'une espèce à la fois particulièrement brutale et particulièrement fourbe que l'on voit recourir à des procédés d'une rare vilenie. Car je n'ai jamais été aussi calme, ni aussi rassemblée, ni du reste aussi assidue à la prière et même à l'église, ni même, en dépit du voisin, aussi fraternelle et sensible au destin d'autrui. Chacun sa voie.
Mon blog est un témoignage humain, un ensemble de croquis sur le vif et de questions, de réponses, une recherche. Ma vie spirituelle n'étant pas spécialement exemplaire, j'en partage les aléas dans une certaine mesure, il y a des gens à qui ça peut servir, mais je n'ai pas sur ce plan-là de message à délivrer. Chacun fait comme il peut. Cependant, à ma manière, j'avance. La mère Hypandia m'a récemment écrit: "Merci de vos nouvelles qui nous apportent toujours beaucoup de bonheur, tant elles répandent de joie et surtout témoignent de votre foi inébranlable, loin du monde et des idées reçues". 
Loin du monde et des idées reçues. 
L'Eglise a besoin de tous, de Dmitri Donskoï, de Dostoievski et du pèlerin russe. Et en ce qui concerne la Russie, si elle n'avait pas eu Dmitri Donskoï, elle n'aurait pas eu non plus Dostoievski ni le pèlerin. Je ne partage pas les vues de certains Russes, qui justifient des choses injustifiables au nom de l'empire, de sa grandeur et de sa conservation et finissent par adorer Staline. Car en effet, ceci n'est pas la vocation de la Russie, ni l'empire, ni la conquête du cosmos, et ce n'est d'ailleurs pas de cela que je parlais quand j'évoquais la notion de patrie. Et ce qui se joue en ce moment dépasse de loin les nostalgies staliniennes, et les luttes de pouvoir. En ce moment, le mal est dans l'autre camp, quels que soient les défauts, les péchés et les interprétations du camp russe. Les Russes, j'en suis convaincue, ne pouvaient pas faire autrement que d'intervenir. A moins de laisser exterminer le Donbass, et de s'exposer eux-mêmes ensuite. Cette certiude en moi n'est même pas d'ordre politique. C'est au delà. 

jeudi 16 juin 2022

Patrie

 


Mon évêque, pendant sa conversation de la Trinité, a été amené, en réponse à une question, à évoquer la patrie, dans une perspective spirituelle. Car si il n'y aura plus au Royaume des cieux, ni juif, ni Héllène etc... saint Paul évoquait cependant sa nation d'origine avec douleur et témoignait ailleurs de son affection pour elle. Monseigneur pense qu'on a sa patrie dans le sang, mais qu'on s'attache plus aux gens qu'aux lieux. Ainsi il est plus sensible au ciel du Caucase, mais c'est parce que sa mère y vit. Pourtant, la plupart des gens qui m'étaient proches sont morts, et j'ai des flashs nostalgiques des lieux où j'ai vécu, bien que ma vie n'eût pas été plus heureuse qu'ici et même beaucoup moins. Cela va parfois jusqu'à l'Intermarché de Bagnols-sur-Cèze, ou le parking de Carrefour à Pierrelatte! Et puis, évidemment, les chemins de Cavillargues, le monastère de Solan, la jolie route d'Uzès, sans remonter jusqu'aux périodes où j'étais dans la Drôme, dans l'Ardèche... Maman, quand elle était malade, voulait rentrer chez elle, et c'était l'appartement de ses parents, à Annonay, avant la guerre de 40.

Je ne voulais pas intervenir dans la conversation avec mes gros sabots, d'autant plus qu'elle se faisait sous forme de questions réponses, et c'était une réponse que je voulais apporter, ou un essai de réponse, et ce n'était pas mon rôle qui était de poser une question. En réalité, la notion de patrie m'est venue quand j'ai commencé à aimer la Russie, quand j'ai découvert cette espèce de lien familial profond entre tous les Russes, à travers les oeuvres de Dostoievski, de Tolstoï et plus tard du cinéma soviétique. Au delà des différences de classe, d'opinions, Napoléon survient, ou Hitler, tout le monde est russe avant tout, et défend son immense marécage plein de bouleaux et de sapins, avec au bout la steppe, la mer Noire et le Caucase. Comme si tous les Russes étaient de la même famille, formaient une supra famille, avec ses codes, sa mentalité spécifique. 

En plus des ciments culturels, il y avait évidemment l'orthodoxie, du moins jusqu'à la révolution, mais même après, c'est un sous-entendu permanent des films soviétiques, sauf les plus anticléricaux d'entre eux. Je regardais Ivan le Terrible pleurer en évoquant la Russie lors de son sacre, dans le film d'Eisenstein, j'adhérais tout à fait à cela. D'une certaine façon, cela répond pour moi à la notion de sobornost, communion chrétienne, communion dans le Christ, avec tous ceux du présent, ceux du passé et la nature qui vit autour d'eux et qui donne son reflet particulier à leur âme. J'en suis venue à l'idée que de même que l'individu apparaît dans une famille qui l'élève dans un certain esprit après lui avoir légué ses gènes, il apparaît également dans un peuple, qui partage avec lui la même nature, la même culture et en fin de compte, le même fond génétique, car nous finissons par être tous cousins. Et de même qu'on défend sa famille, on peut être amené à défendre son peuple, qui est une supra famille, et la terre qu'il occupe, avec les jardins et les monuments que ses ancêtres ont aménagés depuis qu'il s'est constitué.

En France, pays morcellé en plusieurs petites régions assez distinctes les unes des autres et géographiquement déterminées, on avait peut-être plus la conscience de son clocher, de son terroir, que de la patrie au sens large. En Russie, pays ouvert à tous les vents, on était davantage cimenté par la foi, la culture et le fond génétique commun, la terre russe vénérée de ce peuple de paysans étant un immense bien commun aux frontières floues, où l'on était amené à nomadiser, soit pour fuir les invasions, soit du fait des déportations imposées par les gouvernements. 

Moi-même, je ressens comme ma patrie la Drôme, l'Ardèche, le Gard et la Haute-Loire, le Vaucluse, c'est déjà quand même les bobos parisiens. Les Russes sont russes partout, unis par la foi orthodoxe et leur folklore, du moins c'est ainsi que s'est formé leur peuple. Et les frontières doivent toujours être reculées, il faut parcourir des distances hallucinantes pour trouver une mer ou une chaîne de montagne, c'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont "impérialistes": tant qu'ils ne contrôlent pas l'étranger proche qu'aspire leur gouffre, ils sont susceptibles d'être pillés et asservis. D'une certaine façon, l'évêque n'a pas tort de dire que le sentiment d'appartenance tient plus aux gens qu'aux lieux, c'est vrai pour les Russes. 

Je pense souvent au livre de Jean de la Viguerie "les Deux Patries", en concurrence chez les Français depuis 1789. L'une, idéologique, celle de la République, la seule qui soit reconnue aujourd'hui par notre gouvernement, et l'autre, charnelle et spirituelle, culturelle, que la première citée déteste cordialement. Sans doute d'ailleurs parce que la patrie idéologique n'est pas une patrie, l'idéologie ayant une vocation universelle, et nous le voyons bien à présent. La nation idéologique, qui a su mobiliser les gens pour la défendre sur un malentendu, s'est débarrassée depuis la guerre de 14 de la patrie charnelle et spirituelle, dont elle a fêté la disparition avec l'incendie de Notre Dame.

La Russie a malheureusement connu quelque chose d'analogue avec sa révolution, faite par des gens qui haïssaient la notion de patrie, et particulièrement de patrie russe, et qui d'ailleurs n'étaient majoritairement pas russes. Cependant, le truc me paraît moins réussi que chez nous, peut-être parce qu'il est plus frais, il y a plus d'un siècle de différence entre les deux cataclysmes. Et peut-être aussi parce que ce sentiment d'appartenance charnelle et mystique à une supra famille est si fort, que le géorgien Staline y faisait appel quelques décénnies plus tard, en rameutant Alexandre Nevsky et Ivan le Terrible, et en remplaçant Russie par Union Soviétique dans les discours mobilisateurs... Dans une émission sur des Allemands russes revenus dans leur pays d'origine, la dame qui les présente dit:"Notre société est malade, mais elle vit encore et n'a pas franchi le point de non retour". C'est exactement ce que je pense au sujet de la Russie.


Mais pour en revenir au fond spirituel de la question, en France, justement, pas mal d'orthodoxes critiquent l'orthodoxie russe pour son sentiment national. Sentiment national qui ne l'empêche pas de recevoir les étrangers à bras ouverts. Il est vrai que le chrétien n'est que de passage sur cette terre, et pourrait fort bien s'arranger, en théorie, d'une société sans patrie, sans culture spécifique, sans attachement particulier à un terroir. Peut-être même aussi sans famille, après tout, la famille non plus n'existera plus dans la Jérusalem céleste, mais ce n'est pas comme cela que ça marche, et l'on voit que ces sociétés qu'on crée là bas de "comme-la-plume-au-vent' et de poissons de bancs multicolores et indéterminés, sans sexes, sans mémoire, sans fidélité particulière à quoi que ce soit, sont de plus en plus incapables et de sentiments élevés et par conséquent de sentiments religieux. De même que l'art, la religion prend racine dans la culture nationale. Comme l'art, elle est universelle, mais n'est universel que ce qui est enraciné. Sans racines, la plante dépérit et ne donne pas de fleurs. Le peuple n'est pas un assemblage aléatoire de personnes que rien ne relie, à part leur lieu de résidence et leurs papiers d'identité. Le peuple est représenté à la fois par tous ceux qui vivent aujourd'hui dans le pays qu'il occuppe et par tous ceux qui l'ont précédés, et quand on n'a pas conscience de la profondeur du temps, du caractère inséparable du passé et du présent, le présent contenant tout le passé, ou n'étant que son écume, et enfantant, avec tout le passé, le futur qui les continue, on ne peut pas apréhender la notion de divinité, on rebondit dessus, on traîne à la surface comme des feuilles emportées par une rivière.  Le Christ lui-même était enraciné, puisque l'évangile prend soin de citer sa généalogie. 

Pour moi la patrie est le creuset d'un peuple qui est en soi une entité spirituelle et charnelle constituée d'individus qui sont eux-mêmes le prolongement et l'écho de tous ceux qui les ont précédés et qui portent en eux la promesse de ceux qui les suivent. Le peuple possède un destin, et même une vocation, comme ceux qui le composent. On peut mourir pour son peuple, pas pour un conglomérat de poissons de banc.

C'est tout le contraire de numéros répertoriés vivant et fonctionnant un certain nombre d'années de façon absolument insensée dans les cases en béton d'un milieu artificiel épéhémère appelé "agglomération".

Je suis obligée de constater que si tout cela était profondément inscrit en moi, je trouvais la France des années 60 et 70 déjà déracinée. A part les campagnes que la république et l'Union européenne ont depuis complètement vidées.

Je pense quelque fois à André Makine, qui a tellement aimé la France qu'il est entré à l'Académie Française, et il se retrouve en pleine russophobie officielle, en pleine grosse propagande mensongère. Cela me fait un pincement au coeur quand ici, on critique les Français de façon injuste, ce qui d'ailleurs n'est pas souvent. On critique Macron, mais peut-on encore dire que cet ectoplasme mondialiste est français et comment ne pas le critiquer? Donc j'imagine ce que ressent Makine, qui a eu l'itinéraire inverse du mien, il s'est reconnu dans la France, tandis que je me reconnaissais dans la Russie.

Cependant, je n'ai jamais réussi à parler russe comme il parle français et encore moins à l'écrire. Et la langue est un élément très important de l'identité nationale. D'après ses livres, d'un autre côté, il était plus attiré par Belmondo et la douceur de vivre des années 60 et 70 que par le catholicisme de la fille aînée de l'Eglise. Mais il me semble que pour vraiment aimer la France, la vraie, il faut être catholique, tendance saint Louis Jeanne d'Arc, parce qu'à partir de la Renaissance, c'est le début de la fin. En épousant l'orthodoxie, j'ai embrassé la Russie, la sainte Russie, qui, à côté de ma patrie génétique, historique, charnelle, est devenue ma patrie spirituelle.

dimanche 12 juin 2022

Trinité


C'était aujourd'hui la fête de la sainte Trinité, la Pentecôte, une de mes fêtes préférées. Je devais aller aux vigiles hier soir, mais à la suite de ma présentation de livre, Olga était venue avec Ghislain, et puis aussi Nadia, que je n'avais encore jamais rencontrée, malgré une longue fréquentation sur Facebook. Et notre entrevue s'est prolongée si tard que j'ai raté les vigiles. 
C'était pour moi très embêtant, car je voulais fêter tout cela au monastère de la Trinité saint Daniel, où officiait notre cher évêque, chez son ami le magnifique higoumène Pantaleimon, et je comptais me confesser la veille. Or quand je suis arrivée le lendemain, l'église était bourrée, et je ne voyais pas de moine confesser les gens. J'ai pensé que j'allais communier sans confession, car je l'avais fait dix jours auparavant, et de l'avis du père Placide comme de celui du père Valentin, pas la peine d'aller enquiquiner les prêtres avec des histoires d'éclair au chocolat le vendredi quand on fait le ménage dans son âme assez souvent. Mais cela m'ennuyait un peu quand même, je me disais que j'aurais dû faire ma présentation à un autre moment, ou bien dire à mes amis que la fête était finie. Bref, cela me gâchait un peu la cérémonie, je communie toujours pour la Trinité, comme pour la Théophanie. L'église, qui conserve de superbes fresques du XVII° siècle, antérieure à l'académisme imposé par Pierre le Grand et Catherine II, était décorée de jeunes bouleaux, et il y régnait une sorte de ferveur tendre et radieuse, je voyais, tandis que se déployait le rite byzantin de l'habillage de notre évêque, combien il était aimé de tous ceux qui s'affairaient autour de lui, et cela était si noble et si beau, je m'émerveillais que cela existât encore, à notre époque d'universelle profanation, de despotique vulgarité. Prise dans les frondaisons d'un bouleau qui venait ici finir sa vie trop courte pour nous ravir les yeux, je me suis sentie investie d'une grande compassion pour lui, quelque chose passait entre cette créature et moi, et je me suis mise à prier pour que son esprit allât fleurir dans les jardins du paradis. Et puis j'ai demandé au Christ de me permettre de communier, même si j'en étais bien peu digne.
Le moment venu de l'eucharistie, la mère de Katia, Lioudmila, m'a demandé si j'y allais, je lui ai expliqué mon problème. "Demandez à votre ange gardien de le résoudre..." me dit-elle. Et voilà qu'une inconnue me tape sur l'épaule: "Il y a une autre coupe, dans la chapelle adjacente, allez communier là bas..." J'étais indécise, et puis la foule m'empêchait d'avancer. "Tant pis..." me disais-je. La même inconnue est alors revenue à la charge: "Qu'est-ce que vous attendez? Allez dans la chapelle, il y a une autre coupe!"
Je lui ai obéi, et là, en effet, le père Pantaleimon communiait les dernières personnes de sa file, et un moine assis confessait encore une paroissienne. J'ai pris sa suite, et expliqué la situation, puis,  munie de l'absolution, j'ai eu juste le temps de recevoir l'eucharistie de la main de l'évêque, car le père Pantaleimon avait déjà fini.

Photo éparchie de Pereslavl


Après quoi, nous avons eu une rencontre avec l'évêque et le père Pantaleimon. Le thème en était plus ou moins le sacré et le profane, bien que cela eût dérivé en cours de route. L'évêque est extrêmement intelligent et spirituel, aux deux sens du terme, et très spontané, le malheur est que je le comprends assez mal, il n'a pas une diction très intelligible, il a tendance à avaler les mots. Mais je me disais que nous avions beaucoup de chance d'avoir un clergé de ce niveau intellectuel et humain. Une jeune femme que je connais, qui travaille pour le café, lui a demandé: "Je suis quelqu'un de totalement extérieur à la religion, et voudrais savoir comment on s'adresse à vous, par votre nom et votre patronyme, par votre titre, par votre nom de famille, comment cela se passe? "
J'ai vu qu'il se régalait à lui répondre: "Si vous croisez une soutane, vous pouvez être presque sûre que c'est un prêtre, parce que normalement, on ne rencontre jamais un hiérarque, à part moi, les hiérarques sont invisibles, sauf pendant les offices, les hiérarques ne courent pas les rues, on les promène en voiture. Dans ce cas, qu'est-ce que vous faites? Eh bien..." Il appelle une autre jeune femme de l'assistance, qui, se levant en riant lui dit: "bénissez..." Et il la bénit avec un fin sourire. "Voilà. vous dites "bénissez père, en slavon, otche, parce que nous aimons bien le slavon, cela nous fait plaisir! Pas le nom et le patronyme, parce que nous avons laissé tout cela, nous sommes le père Un Tel, et encore moins par le nom de famille, parce que cela fait un  peu "vous travaillez au KGB?" Et nous n'aimons pas cela du tout, non, cela ne nous plaît vraiment pas, il vaut mieux éviter!"
Je lui ai donné mon livre et il a déclaré: "Ah très bien, j'ai failli attendre!"
Vendredi, j'en ai donc fait la présentation, les Chroniques de l'année 16. Des gens venaient le demander au café déjà dans l'après midi, et j'ai eu plein de monde, des réactions très touchantes, et j'ai vendu beaucoup. Je vais en laisser à Gilles et au magasin de souvenirs de Gleb. Puis je suis allée au restaurant avec Olga, Ghislain, Katia et sa mère, et depuis, j'ai eu sans arrêt des visites. A vrai dire un peu trop.
Il fait enfin beau, très beau. Pourvu que ça dure. J'ai découvert avec ravissement que j'avais un hérisson dans mon jardin. Je me désesperais de ne point en avoir. Eh bien ça y est. Ils trouvent l'endroit habitable. Il faut dire que je garde des taillis, et que j'y jette régulièrement des déchets de légumes ou de fruits. Rita lui aboyait furieusement dessus, il avait très peur, j'ai emmené l'emmerdeuse.




jeudi 9 juin 2022

la belle fougère


La voisine est venue prendre le thé avec ses chiots dans un panier. Elle m'a apporté de la confiture de pommes de pin, je ne savais pas que cela existait. J'étais mal fichue, et je ne l'ai pas encore ouverte. 

Elle m'a demandé des nouvelles de mon amie qui veut venir s'installer par ici, je lui ai répondu qu'elle ne viendrait pas avant septembre et qu'elle avait en vue une maison près de Rostov, superbe, mais sans gaz. "Ce n'est pas grave, me dit la voisine, un programme gouvernemental de gazification générale est lancé.

- Ah bon? Partout?

- Partout."

J'ai réfléchi un instant: "C'est vrai que vous êtes en train de gagner plein de fric avec les mesures de Poutine... C'est pour ça aussi, qu'on refait la rue principale? "

Elle éclate de rire: "Ce doit être ça, en effet!"

En réalité, Kolia m'a dit qu'un ministre passait demain à Pereslavl, c'est peut-être pour cela qu'on nous a vite réparé la rue...

Les chiots jouaient sur l'herbe, au grand dam de Rita et Georgette. Ils étaient contents, j'ai de l'ombre, un peu de vent. Même la voisine était contente. Elle me dit qu'elle a du mal à faire pousser des arbres. Il y a les saules, les noisetiers qui poussent bien, ici, et on fait maintenant des saules nains. "Quand je pense, me dit-elle, à ce qu'était votre terrain, et vous en avez fait un rêve"!

Elle me dit que son père, qu'elle avait recueuilli, m'écoutait chanter. Lui-même chantait et il avait appris tout seul à jouer de l'accordéon. Dommage qu'elle ne me l'ait pas présenté...

Mes fougères sont enfin florissantes, et je ne me lasse pas de voir la lumière du matin et du soir jouer dans leur feuillage, elles ont quelque chose de magique, chacune d'entre elles semble une ronde de fées. Cela me rappelle un chanson:

Mon père m'a donné un mari,

La belle fougère... 


 Il y a quelques temps, j'ai vu passer cet article très pénétrant de Nicolas Bonnal. Pénétrant et riche. 

Cette réflexion sur le costar cravate je me la fais depuis longtemps à ma manière.  

Je n'ai jamais pu blairer le costar cravate, c'est un costume affreux. D'ailleurs les costumes sont ridicules depuis le XVII° siècle, depuis l'avènement de l'ère moderne, ce n'est certainement pas un hasard. Enfant, je n'arrivais pas à comprendre comment on avait pu passer des nobles vêtements antiques et médiévaux à ces grotesques perruques poudrées, à ces fanfreluches, puis à ce sinistre costume bourgeois. Dans le film "le Dernier Samouraï", on voit de magnifiques guerriers japonais en face d'une armée innombrables de petits automates habillés comme des fonctionnaires occidentaux, et on voudrait me faire croire que nous avons progressé, progressé vers quoi? 

Je ne pardonnerai jamais à Pierre le Grand d'avoir obligé ses boyards à endosser le costume des Européens du XVIII° siècle.

Curieusement, ce costar cravate, en effet, résiste à tout. Je ne sais rien de plus déprimant, et pour moi de moins attirant, qu'un politicien ou un homme d'affaire en costar cravate. Quand à la politicienne en tailleur Chanel, eh bien disons qu'ils sont faits l'un pour l'autre...

Mais le Prédateur cosmique auquel l'article fait allusion aime justement à nous dégrader, à nous habiller comme des clowns, à nous ôter toute noblesse et toute beauté. Dès que j'ai pris conscience de ce prédateur, que j'appelais le diable, et des ravages qu'il opérait sur nous et par nous sur la Création, j'ai cru en son contraire, qui est Dieu et pris son parti contre lui, parce qu'il n'y a pas d'autre option... C'est l'un ou l'autre.     


https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/05/09/maupassant-et-le-horla-avenement-des-predateurs-aux-temps-technologiques/ 


Depuis que nous sommes sous l’emprise de ses prédateurs dépourvus d’imagination (Castaneda) ou de cette modernité techno-sulfureuse, le Temps est, comme je ne cesse de le dire immobile. Même la mode disait Debord n’a plus bougé  et ne bougera plus : costard-cravate. Et nous vivons dans un cercle d’informations abrutissantes et répétées. Debord :

« La construction d’un présent où la mode elle-même, de l’habillement aux chanteurs, s’est immobilisée, qui veut oublier le passé et qui ne donne plus l’impression de croire à un avenir, est obtenue par l’incessant passage circulaire de l’information, revenant à tout instant sur une liste très succincte des mêmes vétilles, annoncées passionnément comme d’importantes nouvelles ; alors que ne passent que rarement, et par brèves saccades, les nouvelles véritablement importantes, sur ce qui change effectivement. Elles concernent toujours la condamnation que ce monde semble avoir prononcée contre son existence, les étapes de son autodestruction programmée. »

mardi 7 juin 2022

De l'autre côté du rideau

Merveilleuse journée ensoleillée et venteuse. Tout pousse, en essayant de ratrapper le temps perdu. Déployant leur manteau dentelé, les fougères se ruent tête baissée, et la perdent dans la lumière. Le premier iris fleurit, violet. Les clochettes du muguet, discrètes, se décèlent à leur enivrante odeur.

J'ai beaucoup de "mauvaises herbes", mais outre que j'en consomme une partie, tout le monde a le droit de vivre, et puis le jardin ne doit pas devenir une corvée harassante, mais un lieu de vie pour son propriétaire théorique et toutes les petites bêtes qui y résident... Il faut vivre avec ce qui nous entoure, généreusement, en nuisant le moins possible.

Qu'est-ce qu'une plante? Des racines dans la terre, qui ont trois mois pour sortir jouir de la lumière, de la pluie et du vent, se faire belles et donner leurs fruits. J'éprouve une certaine crainte à porter la main sur ces organismes avides de vivre, et ne le fais que pour en privilégier d'autres...

Comme je me reposais sur mon hamac, j'ai entendu des cris déchirants, l'un des chiots de la chienne des voisins, et ces cris se prolongeant sans aucune réaction de leur part, j'ai appelé Olga. "Oh me dit-elle, je suis loin, allez voir s'il vous plaît, ils sont dans l'herbe, à droite de la maison!"

J'ai trouvé tous les chiots dans le terrain de foot grillagé, à l'intérieur d'un petit enclos. L'un d'eux était coincé entre le grillage et les planches rajoutées pour les empêcher de filer, sans doute. Quand j'ai voulu le saisir, il s'est aplati, mais lorsque je l'ai soulevé et caressé, il a paru très soulagé. Cependant, il a continué longtemps à pleurer, dès que je le remettais par terre, il avait besoin de réconfort. Sacha et Olga sont arrivés assez vite. Ces chiots ont tout du chien des Pyrénées, comme leur mère, à part un qui fait plutôt husky. On dirait des nounours.

Le soir, la voisine Ania est venue avec son mari Kolia et leur fils Aliocha m'aider à déménager les meubles. Désormais, je pourrai finir d'installer petit à petit. Je me retrouve avec un immense salon, un peu sombre, mais qui sera joli, avec une atmosphère ancienne, malgré des éléments contemporains. J'ai donné à Ania des choses qui lui convenaient et qui ne me seront plus utiles, dès lors que je ne louerai plus. "Pourquoi voudriez-vous partir, alors que vous avez des voisins comme nous?" m'a demandé Kolia. 

le nouveau bureau

Comme je le disais en commentaire de mon précédent article, l'église incendiée n'est paraît-il pas ancienne. Dans le même monastère, la laure de Sviatogorsk, et l'on me reproche d'avoir parlé seulement de l'église, des moines ont été tués par un bombardement, j'attendais d'avoir confirmation que le truc était signé par les Ukrainiens, ce que j'avais pensé dès le début, puisque le monastère est sous la juridiction du patriarcat de Moscou. A vrai dire, l'incendie de l'église est symbolique de l'assassinat des moines, tout est lié. 
 https://vk.com/wall-112398232_1801
Le centre de Donetsk a été également bombardé, bombardement faussement attribué aux Russes, on se demande pourquoi ils auraient fait une chose pareille, puisque Donetsk leur est favorable depuis longtemps. Non, c'est un bombardement ukraino- anglo-saxon de vengeance, de terreur et d'extermination.
Karine Bechet Golovko écrit: 
Puisqu'il n'est plus possible de mentir éhontément, autant se taire. Donetsk est bombardé tous les jours depuis, le 4 juin a été une journée particulièrement meurtrière et pas un mot dans le compte-rendu journalier de France Info. Or, ce 4 juin, des armes américaines ont été utilisées par les Ukrainiens pour toucher le centre de Donetsk et faire 5 morts et 20 blessés, comme vous pouvez le lire sur le canal de Svetlana Kissileva. Ici aussi, des écoles touchées. L'armée ukrainienne semble viser volontairement les écoles et les médias occidentaux semblent tout aussi volontairement ignorer ce crime de guerre, puisqu'il n'est pas possible de l'attribuer à la Russie.

Ce 6 juin, Donetsk a encore été touché et cette fois-ci avec des armes françaises, puisque la France est fière de fournir des armes lourdes et de former en France des soldats ukrainiens pour les manier, ce qui fait d'elle formellement une partie au conflit. Belle réussite en effet que de permettre aux Ukrainiens de se battre contre des civils ... 

Macron ne se contente pas de ruiner et de détruire la France, il faut aussi qu'il la déshonore. Non content d'avoir ignoré délibérement ce qui se passait là bas pendant huit ans, les dirigeants français s'arrangent pour que ça continue. Ce sont pratiquement eux qui ont tiré sur Donetsk, sur des écoles, sur des quartiers d'habitation. C'est leur oeuvre, ce sont leurs canons.
Les Ukronazis et leurs parrains ont tout fait pour susciter chez ceux d'en face l'horreur de l'occident et la nostalgie de l'Union Soviétique, à croire que les Américains eux-mêmes ne supportent pas la disparition, ou l'évolution, de cet ennemi bien pratique. Ou bien sont-ils frustrés de n'avoir pas pu massacrer d'abord les populations du Donbass, et ensuite celles de Russie, comme des Peaux-Rouges; afin de s'emparer de leurs richesses minières? Le massacre biblique d'un adversaire diabolisé, les anglo-saxons aiment bien, on l'a vu avec les Amérindiens, les Irlandais, les Boers, on l'a vu au moyen orient, on le voit en Ukraine et au Donbass.
On m'aurait dit quand j'avais dix-huit ans que je finirais contre eux au côté des communistes du Donbass, je ne l'aurais pas cru, mais je suis bien obligée de reconnaître que le communiste du Donbass est infiniment plus sympathique que le banderiste ukrainien haineux et sadique, ses parrains nazisionistes ou anglo-saxons de la caste des surhommes en costar cravate et leur presse pourrie qui ne reculent devant aucun procédé dégueulasse. On n'a pas envie d'être du côté de ces gens-là. Tant pis si cela me met en partie du côté des communistes...
Je ne doute pas une minute que la caste est prête non seulement à faire la guerre aux Russes jusqu'au dernier Ukrainien, mais même jusqu'au dernier européen, elle se fout complètement de l'autochtone français, allemand ou autres, il est facile à remplacer, les remplaçants sont d'ailleurs déjà sur place, le couteau entre les dents.

Témoignage trouvé dans vkontakte

Ioulia Andrienko hier à 15h05 Nous sommes tous maintenant devenus ouïe. Nous sommes tous maintenant devenus vue. Nous avons, comme les animaux, aiguisé nos instincts. Vous comprendrez l'impuissance des mots et des phrases auxquelles nous sommes habitués. Tous ces "tiens bon", "prends soin de toi" et ainsi de suite. Moi-même, je dois parfois les prononcer, tout en sentant leur insignifiance. Mais on n'en a pas inventé d'autres.
Comment prendre soin de soi, par exemple ? Ne pas sortir ? Encore des attaques sur Donetsk. Kalininsky, district de Leninsky. C'est tombé très près de l'OTsKB. Où parmi nos blessés et brûlés se trouvent des prisonniers des Forces armées ukrainiennes. Ils sont nourris et soignés. Et leurs frères frappent Donetsk. Ne cherchez pas à savoir pourquoi ils ont frappé tel ou tel endroit. Quelqu'un dit - le FSB y vit, ou il y a une unité militaire à proximité, voire pas du tout - les enfants y passaint leur examen de fin d'étude. Il me semble que tout est beaucoup plus monstrueux et plus simple. Ils frappent pour frapper. Pour montrer que toute notre ville est attaquée, et le choix dépend du caprice d'un groupe de maniaques ukrainiens. Comme dans la chanson de Tsoi: "et maintenant quelqu'un pleure, un autre se tait, un autre encore est si content, si content."

dimanche 5 juin 2022

Un buisson de cierges

 




Voici que, dans la foulée de beaucoup d'autres lieux saints et chefs d'oeuvre, brûle en Ukraine une église en bois du XVI° siècle, à la laure de Sviatogorsk, dépendante du Patriarcat de Moscou. Ceux qui ont construit cette église sont les ancêtres de ceux-là même qui l'ont brûlée, orthodoxes de la sainte Russie qui n'avait pas encore été découpée en tranche par Lénine, puis les Américains. On peut dire la même chose de toutes les églises qu'a détruite le pouvoir soviétique, et également de Notre Dame et de tout ce que la révolution et ses descendants ont saccagé. Rien n'est pire que les renégats et les apostats, ils accompagnent les pires pulsions autodestructrices des peuples qu'ils infectent.

J'espère que les thuriféraires orthodoxes et distingués de ces incendiaires nous trouveront de jolis commentaires pour justifier ce qu'ils ont tellement encouragé par leur soutien aveugle.

Pour moi, j'en pleurerais et je pense à cette vieille Russe disant à propos de la révolution au père Valentin: "J'ai su dès le début que le beauté était en train de quitter le monde".

Il y a ceux qui sont du côté de la beauté et ceux qui sont du côté des incendiaires, lesquels changent de costumes et de drapeaux, de boniments et de miroirs aux alouettes, mais restent des serviteurs du démon. C'est toujours la même hydre, un seul corps, plusieurs têtes.

Cette merveille brûle comme un buisson de cierges et s'en va dans la ville invisible de Kitej où Dieu récapitule ce que nous avons profané.

Comme dit le père Vassili, la beauté, il ne nous reste plus qu'à la trouver au dedans de nous.

samedi 4 juin 2022

Ascensions estivales


Le matin de l'Ascension, le père Andreï m'a dit que le soir même, c'était les vigiles de la fête votive de l'église, l'icône de la Vierge de Vladimir. Il y aurait monseigneur Théoctyste, il fallait venir... A la tête que j'ai faite, il a éclaté de rire: "Ah l'Orthodoxie, c'est dur!"
C'est que je suis épuisée par le chambardement opéré chez moi, j'imagine ce que donnerait un déménagement complet, avec des travaux, déjà que ceux de ma petite entrée n'ont pas de fin... Mais je ne regrette rien, à la limite, je suis presque reconnaissante au voisin de m'y avoir contrainte, à mon bureau, j'ai l'impression d'être dehors, le vent passe d'une fenêtre à l'autre, avec les chants d'oiseaux et l'odeur des narcisses, je vois à nouveau défiler les nuages, la lumière jouer dans les arbres et les fleurs. Et le jardin se déplace au nord est, plus loin du perturbateur. J'ai commencé à planter de ce côté.
Je suis revenue le soir à l'église, mais notre évêque était souffrant, et il n'y avait pas grand monde, mais je ne sais pas ce qui s'est produit, je n'ai pas vu passer le temps et je me retrouvais dans une sorte d'enfance, pleine de lumière et de roses, une enfance paisible et joyeuse. Un jeune diacre chantait comme un ange, et les anges semblaient descendre l'écouter, discrets et innocents, juste perceptibles à une sorte de densité vibrante qui traversait mon coeur.
Les paroissiennes de notre cathédrale sont caressantes et attentives, à l'office de l'Ascension, même la majestueuse directrice d'école à la retraite débordait de bienveillance, il circule entre les fidèles de notre cathédrale un palpable courant d'amour. Natacha, qui vend les cierges, voyant que je n'avais pas eu de prosphore, m'a offert du thé, et la directrice a insisté pour qu'on en tirât une d'une mystérieuse réserve.
C'est ici l'été, ou ce qui en tient lieu, et j'essaie de profiter de chaque minute. Quand passent en fôlatrant le soleil avec le vent, entre  deux nuées, entre deux ondées, je sors à leur rencontre. J'écoute leurs chansons, j'admire leurs splendides sortilèges, je contemple étendue les nuées qu'ils dispersent, escaladent et traversent, comme deux petits enfants radieux dans le chaos désert de formidables ruines.
Les rossignols chantent de toutes parts. Je suis restée un moment, avant d'aller me coucher, à écouter leurs notes mystérieuses, étoiles invisibles et sonores d'une nuit orageuse, avec au loin de brefs et vastes éclairs. 
On dirait ici que la terre, l'eau et le ciel sont constemment brassés et mélangés, le lac fuit dans les nuages en colonnes ascensionnelles bourgeonnantes, la pluie se déverse entre deux arc-en-ciels, les chemins sertissent dans leur boue des flaques où se mire la lumière. 
Je bénis Dieu d'être en vie, et de voir, entendre, sentir tout cela. J'ai lu il y a quelques temps un article sur la prière perpétuelle et la façon discrète et progressive dont elle s'installe. Je n'éprouve pas de ravissements extatiques, mais je me sens comment dire? Embarquée, toute fantaisiste que je puisse être. Comme si on m'avait tendu la main pour me faire traverser la passerelle, et me voici sur le pont, avec Pereslavl, Rostov et leurs étrangers. "Merci de vos nouvelles qui nous apportent toujours beaucoup de bonheur tant elles répandent de joie et surtout témoignent de votre foi inébranlable, vécue loin du monde et des idées reçues", m'écrit la mère Hypandia. Je n'avais pas du tout l'impression d'avoir une foi inébranlable, mais peut-être que ça vient, que cela ressemble à ce que j'éprouve. D'après ce que j'ai compris, même les plus grands saints avaient de longues périodes de grisaille et de luttes ingrates, c'est même peut-être à cela qu'on les reconnaît. J'ai toujours pensé que je ne luttais pas, en tous cas, je ne me ruais pas au combat, mais qu'est-ce que ça veut dire, lutter? Quand il y a des choses que l'on ne peut accepter, on finit par lutter sans savoir qu'on lutte, pour continuer à exister, pour ne pas être réduit à ces armures vides que laissent les cigales quand elles muent...
Macha, la fille du père Valentin, me dit au téléphone qu'elle ne veut même pas parler de la guerre, que de telles choses ne devraient pas se produire au XXI° siècle. De telles choses ne devraient pas se produire, c'est sûr, mais pourquoi davantage au XXI° siècle que, par exemple, au XIII°? "Parce que, me dit-elle, les gens étaient plus barbares.
- Comment ça, plus barbares?
- Ils prenaient les choses plus simplement, la vie humaine n'avait pas la même valeur, alors qu'avec l'avènement de l'humanisme, chaque vie s'est mise à compter..."
Etonnant comme ces idées pénètrent jusque dans la cervelle des jeunes femmes orthodoxes.
En fait, depuis l'humanisme, c'est chacun sa merde, et comme on n'a qu'une vie, on n'a pas l'intention de se la laisser gâcher. Et pourtant, on nous la gâche dans les grandes largeurs, on en fait très bon marché. Est-ce que la vie individuelle comptait pour les révolutionnaires progressistes de l'humanisme triomphant? Le XX° siècle est sans doute le plus meurtrier de l'histoire et pour le XXI°, j'ai l'impression que nous sommes bien partis...
J'éprouve jusqu'au fond de l'âme la reconnaissance de pouvoir vivre en paix dans cet ilôt de Pereslavl Zalesski, et cela, malgré les maisons hideuses, vivre parmi des gens qui ont encore de la personnalité, des réactions naturelles, suivre des processions, sortir entre amis, vivre en paix. Je plains de tout mon coeur ceux qui sont pris dans la tourmente, partout où l'on a mis la discorde, une discorde qui n'aurait pas lieu d'être et qu'on a soigneusement attisée. En même temps, cette horreur durait depuis huit ans, on a peut-être maintenant une chance de la voir prendre fin.