dimanche 13 novembre 2022

Le dos au mur

 

Les travaux sont terminés, enfin pour l'instant. Je retrouve un peu de calme, pour ranger tout ce qu'on m'a mis sens dessus dessous, et reprendre mes habitudes de création et de prière.

Nous avons eu un étrange réchauffement, avec une tempête pluvieuse, de retour du bar, je voyais une demie lune énorme, et des nuages affolés et rapides, des étoiles brillantes qui paraissaient fuir dans tous les sens. Nous avions un concert Monteverdi Purcell, avec notre luthiste Oleg Botko et deux jeunes chanteuses. L’une d’elle avait une robe lie de vin semée de paillettes et j’étais fascinée par la lumière qui courait sur elle et rebondissait sur ses boucles d’oreilles. L’autre avait une coiffure bizarre, des dread locks en partie rouges, des emplacements rasés, je pensais à l’univers de Monteverdi qui n’est pas si loin de nous, en fait, et pourtant, c’est une véritable Atlantide engloutie. Un peintre local est venu nous dire qu’il descendait d’Eugène de Beauharnais. Il pense que les Russes vont perdre la guerre car « ils sont les agresseurs ». Je lui ai dit que ce n’était pas mon avis, que depuis des années, ils avaient tenté d’éviter la guerre qu’on les acculait à faire, et que j’espérais bien qu’ils allaient gagner, car sinon, l’existence de l’humanité deviendrait un tel cauchemar qu’on serait content de mourir. 

Le lendemain dimanche, j'en ai parlé en confession au père Andreï. "Mais non, nous n'allons pas perdre, me dit-il, avec une assurance bonhomme et indulgente. Nous ne pouvons absolument pas nous le permettre, nous sommes le dos au mur, si nous perdons, nous serons mis en pièces, il ne restera plus rien de nous ni de notre pays. Nous avons contre nous des satanistes enragés, c'est une guerre pour la sainte Russie!

- Oui, c'est ce que je me dis, et c'est ce que je répète à mon entourage, mais si vous saviez ce que je ressens quand je vois des orthodoxes soutenir ceux d'en face!

- Et alors? Cela s'est déjà produit! Combien de métropolites et de Russes blancs ont suivi Hitler?

- Ah oui, mais ce n'était pas pareil, à l'époque, entre Hitler et Staline, le choix était quand même difficile... 

- Oh vous savez, derrière les idéologies, les choix fondamentaux sont les mêmes. On nous voulait déjà la peau."

J'étais venue communier, j'avais même assisté aux vêpres la veille, avant le concert de musique baroque...

Il faisait déjà beaucoup plus froid, le vent avait viré au nord, une énorme banquise de nuage montait sous le pâle vaisseau lunaire, et s'ornait d"un débris d'arc-en-ciel, dont je ne verrai sans doute plus de manifestations jusqu'au printemps prochain...


Un correspondant facebook m’a envoyé des tas de petits cadeaux, des edelweiss de son jardin, des dessins, un vieux billet de banque.... C'est très touchant, un peu comme une bouteille à la mer.  Facebook est maintenant complètement bloqué en Russie, cela m’ennuie, car je ne peux appeler ma tante, mon dernier espoir est qu'on réussisse à lui installer Whattsapp. Sinon, au moins, je ne lis pas les commentaires imbéciles de tous les gogos de la Secte.

Au café, j'ai rencontré le cuisinier du futur restaurant français de la salle voisine, Laurent. Nous avons beaucoup discuté, de la Secte, justement, de la façon dont son état d'esprit s'est installé, de l'impossibilité où nous sommes de faire entendre raison à des gens de plus en plus butés et agressifs qui sortent des énormités, et estiment que nos témoignages ne sont pas valables car, certes, nous avons vécu en Russie et eux, la plupart du temps, non, mais ils savent quand même mieux que nous, car notre longue familiarité avec le pays nous rend partiaux. Sans doute sommes-nous masos de nous obstiner à y vivre... Cela dit, il y a des tas de gens qui ont vécu ici, des slavistes, ou même des Russes, qui disent également n'importe quoi car ils se sont bâtis une espèce d'hallucination dont ils préfèreraient crever plutôt que de s'éveiller, c'est justement là un des traits de la Secte depuis que je la vois à l'oeuvre, soit 1968. Ce qu'il y a de bien avec Laurent, c'est qu'il est croyant, catholique, il a donc une dimension supplémentaire qui lui permet de mettre les choses en perspective. D'après lui, les gens reviennent à l'église, en France, enfin ceux qui ne deviennent pas musulmans. Car les fameuses "valeurs" de la Secte sont tellement anti humaines, anti naturelles, qu'elles ne peuvent certainement pas donner un sens à la vie des personnes restées un tant soit peu normales...

J'attire à ce sujet l'attention sur deux vidéos capitales, celle d'Idriss Aberkane, dont je partage l'analyse du consentement hagard de mes contemporains à n'importe quelles manipulations. Et celle de Jean-Dominique Michel, anthropologue. 

Dans le discours de ce dernier sur tous les mécanismes à l'oeuvre pour le covid comme pour l'Ukraine, j'ai noté une réflexion intéressante sur la robotisation du travail. Il dit que nous ne pouvons pas travailler constemment, que cela nous est impossible, que nous avons besoin de ne rien faire, à l'intérieur de notre temps de service. Cela nous permet de penser. Toute nature créative et contemplative le sait bien, et jusqu'à l'invention du capitalisme du profit et de ses divers épiphénomènes politiques, c'était le cas de la plupart des gens, le monde moderne n'est jamais qu'une énorme caserne, et cela depuis au moins deux cents ans. Mais les horribles mutants engendrés par la quête du profit ne peuvent envisager une chose pareille, c'est comme cela qu'on en arrive à empêcher les caissières d'aller pisser. Quand j'étais instit, je ménageais des temps de pause dans ma matinée, pour moi et les enfants, et notre hiérarchie estimait que nous devions en permanence être à l'affût de ces pauvres gosses, que chaque minute de notre temps devait entrer sans répit dans notre démarche pédagogique, or ma démarche pédagogique était de nous laisser vivre, rêver, souffler, échanger, penser. Il y avait des moments où je lâchais les gosses, et où je réflechissais, en prenant un café. Et puis en les regardant, et en regardant ce qu'ils avaient fait, des idées me venaient. Parfois j'en parlais avec mon assistante maternelle, elle me donnait son avis. Parfois j'en arrivais à changer complètement ma démarche ultérieure. La hiérarchie avait toujours peur que nous ne volions l'argent de notre salaire, mais enfin, quand on prend un moment pour réfléchir, avec un café, dans le bruit d'une classe et le cadre d'un horaire, on n'est pas peinard chez soi à faire ce qu'on veut...






3 commentaires:

  1. De tout coeur avec votre point de vue; ce texte si réaliste est empli d'une paix et d'une profondeur qui font beaucoup de bien. Bien à vous, que Dieu vous garde. Roselyne F. vk.

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  2. Bonjour Laurence, merci pour tes billets toujours intéressants et agréables à lire. Étrange qu'à l'autre bout de la planète j'ai les mêmes références... Ici à Tahiti, tout cela semble lointain mais on sent bien le mal qui se rapproche. Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour aider la Russie dans son combat, j'y sui prêt.
    Fred de Tahiti

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  3. Je pense effectivement qu'il commence à se passer quelque chose en France côté christianisme. Le livre Dieu et la science a fait un carton. Sylvain Durain commence à se faire un nom à Droite. Et le film de Gad Elmaleh sur sa conversion en cours au catholicisme conciliaire est en train de mettre l'establishment juif francophone en ébulition !

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