jeudi 8 décembre 2022

Visite au père Boris

 


J'ai remis en service, après l'avoir rénovée, la table de cuisine de mon grand-père, qui a près de cent ans et dont il aurait été bien surpris d'apprendre qu'elle échouerait à Pereslavl Zalesski. Après quelques journées épuisantes à essayer de remettre la maison en ordre, à l'issue des travaux, j’ai accueilli Valérie et Lydia, qui viennent préparer, l’une son émigration, l’autre son retour en Russie après 30 ans d’expatriation en France. . 

Moi qui trouve les Russes âgées souvent terriblement emmerdantes, je suis séduite par Lydia, sa façon de parler français, qui mêle l’accent russe et celui du sud-ouest, la bonté, la finesse et l’humour de son visage de matriochka.

Nous sommes allées au restaurant Ultracooks, le restau noir que j’appelle la cantine de Katia. C'est un endroit un peu branché, inattendu, au fond d'un couloir où s'alignent diverses boutiques, badigeonné en noir et sans fenêtres, mais paisible, pas cher, avec d'adorables jeunes serveuses, une nourriture fraîche et bonne. 

Pour parler de la France et de ce qui s’y passe, Valérie chuchotait tellement que je l’ai priée de parler plus fort : « Je n’entends rien, que se passe-t-il ? vous avez peur qu’on nous espionne ? »

Elle a éclaté de rire. En effet, entre le Covid et la russophobie, elle a pris l’habitude de se taire, de prendre toutes sortes de précautions, c’est beau, la démocratie ! Une relation à elle est tout de suite devenue agressive quand elle a su qu’elle venait ici : « Quelle idée ? Tu n’y es sans doute jamais allée, tu vas avoir un choc !

- Mais si, j’y suis allée en 2018...

- Eh bien ça a changé, tu vas avoir un choc ! »

La relation en question n’y a jamais mis les pieds, mais ce n’est pas grave, elle est bien renseignée, par des sources sûres et respectables, j’ai aussi ça en magasin, parmi mes lecteurs de facebook. Valérie voit un lien direct entre ce genre d’attitude et la covidomanie du concombre masqué, de sorte que pour la prochaine vague, on pourrait leur imprimer des masques bleus et jaunes à croix gammée en filigrane. En filigrane, parce qu’il faut rester encore un peu discret, le Figaro ne s’est pas encore assez donné de mal pour blanchir le bataillon Azov et faire de ses bons éléments l’élite de notre gendarmerie, prêts à massacrer du gilet jaune avec toute l’expérience de leurs expéditions punitives au Donbass : huit ans, quand même, un bon CV de tortionnaires. 

Une amie prof lui a dit que pour les corrections du bac, les instructions du ministère étaient non seulement de monter les notes des plus nuls mais de baisser celles des plus brillants. Les gosses sont complètement déstructurés par internet et l’absence d’éducation, beaucoup ne savent plus faire une phrase et manquent du vocabulaire le plus élémentaire, ce qui les rend incapables de comprendre toute espèce de littérature, largement accessible à n’importe quelle personne de ma génération. Comme par ailleurs, ils n’ont pas de culture orale populaire, on va fabriquer quelque chose comme les enfants loups. Et encore vaut-il mieux peut-être être élevé par des loups que par les malfaiteurs et les dingues qui nous détruisent.

Toutes les activités sont politisées et orientées, comme dans la fac de Vincennes des années 70. C’est du dressage de singes. Type de sujet d'exercice : « Te sens-tu aujourd’hui fille ou garçon ? » L’adolescente d’une de ses amies veut changer de sexe, et l’équipe pédagogique se fait un devoir de « l’accompagner ». Quatre autres gamines, dans sa classe, ont la même intention, on a créé une mode, on exerce une pression sociale, et ça marche. Ainsi, moi qui m’identifiais à Claude du Club des Cinq, on aurait essayé de me convaincre de prendre des hormones et de me faire couper les seins. A la mutilation culturelle et spirituelle s'ajoute la mutilation physique.Je me demande si les générations élevées de cette manière auront encore quelque chose de récupérable. Et la caste des surhommes qui se prennent pour des génies, autorisés à pratiquer ce genre d’expériences sur leurs semblables pour mieux se gausser d’eux, n’est en faite pas plus intelligente ni moins inculte que ce troupeau, juste plus infâme, plus impudente et plus fourbe.

Nous sommes allées hier visiter la maison que Valérie veut acheter, dans un hameau de datchas soviétiques du côté de Serguiev Possad. La route passait devant la tombe de l’higoumène Boris, et je lui ai fait une visite de reconnaissance pour m’avoir aidée au moment où j’étais malade, l’année dernière. La vieille gardienne était enchantée, et m’a fait inscrire mon témoignage sur un cahier à cet effet. Un pèlerin bosselé et violet de froid a tenu à nous emmener sur la tombe du moine Germain qui a vu la Mère de Dieu et guérissait les possédés.

Le village de datcha m’a séduite, il est bordé d’éminences abruptes et boisées inconstructibles et il a beaucoup de charme, la petite maison aussi. Son prix me paraissait incroyable pour l’emplacement, mais s’il est effectivement bas, il s’explique, en dehors d’autres considérations dues à la situation des propriétaires, par la quasi impossibilité d’agrandir cette demeure pour lutins. Le jardin est charmant mais exiguë, si l’on fait un gros cottage, plus de jardin, et pas de place pour une voiture. C’est un endroit très bien pour une personne seule ou un couple, on peut à la rigueur ajouter un auvent par côté pour la voiture, mais c’est tout. Les maisons alentour sont neuves ou ont été rénovées, de sorte qu’on ne lui implantera pas un OVNI énorme. C’est joli, et c’est une région encore pittoresque, accessible, bien desservie.

Valérie avait les clés, mais à cause du gel, impossible d’ouvrir le portillon. Je l’ai vue escalader et franchir la clôture avec intrépidité, j’en aurais été bien incapable. Nous nous entendons très bien, et j'ai l'étrange impression de voir venir à moi le meilleur de l'esprit français. Le fait que l'higoumène Boris, qui prédisait un afflux d'étrangers et un rayonnement spirituel de sa région, soit mêlé à l'affaire, et situé à quelques kilomètres de la future résidence de mon amie, me confirme dans l'idée que nous nous inscrivons tous dans quelque chose qui nous dépasse. Même la trouvaille de cette datcha a quelque chose d'inattendu et de miraculeux: par relations, et après que les événements aient rendu impossibles d'autres variantes, devenues trop chères.

A Serguiev Possad, nous avons plaisanté ensuite toutes les trois sur l'humour et la serviabilité du père Boris qui avait poussé l'amabilité jusqu'à nous trouver une place idéale à deux pas du restaurant.

J'ai vu, parmi les mésanges et moineaux qui fréquentent mon restau, un oiseau magnifique, de la taille d'un pigeon. Il s'avère que c'est un geai. C'est la première fois que j'en vois un chez moi.



 

 



7 commentaires:

  1. Les geais français (je ne sais pas si ce sont les mêmes en Russie!) ont de très belles plumes d'un bleu intense sur leurs ailes et ils ont les yeux bleus ! Cela fait quelques années que nous sommes envahis par les geais.
    Ludmila d'Annonay

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    1. Je n'ai pas vu la couleur de ses yeux, mais il a des plumes d'un bleu intense sur les ailes. Je prie toujours pour vous. Une pensée pour Annonay, son charme mélancolique, bien endommagé, hélas.

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  2. Chère amie virtuelle , mais, pour moi, de cœur tout de même,

    Mon fils et moi projetons un voyage aux sources, ou presque: mon grand père étant venu de Zmiev, petite Russie d alors, cela risque d être longtemps impossible et la maison dans laquelle il a grandi, que le gouvernement avait proposé à mon papa de reprendre gracieusement il y a une vingtaine d années s il s y installait et...y investissait, est sans doute éventrée par un bombardement d Azov et consorts...

    Ce sera donc la Russie, si possible avec une virée en transsibérien, notamment pour rendre visite à la marraine de mon Théo, mais pas que...

    Je suis passée à Sergueï Possède en 2014, avec mon papa dont ce fut le dernier voyage avant celui, plus définitif de décembre 2016, lors d une tournée des monastères de "l anneau d or" , très émouvante pour nous deux.

    Ce que j en ai vu m a plu et votre bienveillante présence me rassure aussi, pour débuter, car ma grande envie serait de m y installer .

    Une jolie isba avec un peu de terre, une autre pour mon fils...j ignore si une location est envisageable, sinon, le peu dont les soeurs ne m auront pas spoliee de la succession de papa sera consacré à l achat et l installation, si cela suffit: je n ai aucune idée du prix auquel se négocie une isba et un peu de terre(suffisamment pour verger, potager, poules, cailles et lapins, un peu de bois... Auriez vous l obligeance de me renseigner à ce sujet ainsi qu à propos des démarches nécessaires pour s installer en Russie lorsque l on est français (mon fils) ou double nationalité franco américaine pour moi(je suis née à New Brunswick, New Jersey, de parents français ?

    Je cherche aussi un moyen d améliorer mon russe qui était passable il y a 40 ans mais que je n ai nulle occasion de parler, et , qui, donc, disparaît comme peau de chagrin au fond de l un des tiroirs de ma mémoire, et, surtout, d aider mon fils à acquérir de quoi se débrouiller malgré sa très sévère dyslexie-dysorthographie, qui l a, par exemple, rendu impossible l apprentissage de l anglais.

    Percevoir retraite et/ou pension d invalidité française en résidant en Russie est il possible?

    Mon fils de 18 ans, bûcheron élagueur paysagiste ayant aussi des notions de maçonnerie a t il une chance de trouver du travail ou de débuter sa petite entreprise, et en aurait il le droit?

    Si vous voulez bien me répondre par mail, je vous en serais infiniment reconnaissante.

    valinka.derevianko6@gmail.com

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  3. Voilà, c est ici, Laurence , juste au dessus

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  4. Je ne suis pas anonyme, je suis Valinka Derevianko, mais j ignore comment ne plus apparaître en tant qu anonyme, ici

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    1. Valinka, je vous ai répondu par mail, regardez votre boite. J'ai une adresse russe mail.ru. si elle ne passe pas, je vous écris par gmail.com

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    2. je pense que peut-etre il faut s'abonner, regardez les photos de ceux qui le sont, en bas.

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