dimanche 30 juillet 2023

Défilé



 

Après une journée de pluie battante, sur le soir, comme un rideau se soulève, le ciel a laissé voir une lisière turquoise, et sur cette échancrure ont commencé à défiler des bouffées brunes, effilochées, pressées, comme un troupeau d'herbivores célestes, qui se sont éclairés peu à peu d'un étrange feu interne chatoyant et violacé. Puis les rides régulières des nuages ont pris des teintes roses et bleu profond, allongées comme des vagues sur une grève de cristal lisse et lumineux. Ce ciel de Pereslavl est un perpétuel miracle. Il y avait quelque chose de si mystérieux dans cette course silencieuse de vapeurs phosphorescentes sur ce fond immobile... Je n'ai pas pu fixer cette merveille sur une photo. Comme si elle échappait aux procédés techniques, une espèce d'étrange petit prodige.

Je devais aller rejoindre les cosaques dans un parc où allait se dérouler l'émission "Joue, accordéon!" C'est une émission très ancienne et souvent très kitsch, mais c'est une des seules qui soit consacrée au folklore et on y voit parfois de belles choses. A cause du temps, elle a été reportée à une date ultérieure. J'ai pensé: "Eh bien alors, va donc aux vigiles! Pour une fois que tu le peux..."

J'y suis allée et j'ai vu tout d'abord le père Andreï. "Je suis tout le temps prise par des tas de trucs...

- Eh bien comme cela, sans doute, vous n'avez pas le temps de penser!

- Mais si! Je pense beaucoup, surtout en ce moment, avec tout ce qui se passe, avec toutes ces profanations et ces calomnies...

- Ne vous en faites pas, Laurence, vous êtes montée dans l'arche, nous sommes tous avec Dieu, que peut-il nous arriver?"

Puis je me suis confessée à l'évêque, qui officiait ce soir. Je lui ai parlé de tout ce qui m'indignait et m'inspirait parfois des pensées peu chrétiennes, de certaine trahison qui m'affecte et m'emplit d'amertume et de mépris. "Vous regardez trop les nouvelles. Dans les périodes troublées, il faut écouter de la musique, lire de la poésie, et des périodes troublées, ici, nous en avons eu tellement, seule l'Eglise est stable, accrochez-vous à l'Eglise et ne la lâchez plus."

Pour la première fois depuis pas mal de temps, je n'étais pas assiégée par toutes sortes de pensées et de fantasmes. Dans l'espace intérieur libéré, se déplaçait le tintement froissé des encensoirs et des chants qui me berçaient le coeur. J'étais pleine de la joie de voir nos prêtres et monseigneur Théoctyste, si émacié et si doucement ironique, et puis la vieille Antonina, la bonne Valentina qui nous embrasse comme si nous étions de sa famille, le jeune sacristain Vania, le vieux sacristain Vitali, le petit servant d'autel dans sa robe dorée, le beau diacre athlétique et brun comme un guerrier, toute notre humble et gentille communauté.

Ce matin, je me suis hâtée, somnolente, à l'église de l'icône de la Vierge de Vladimir, où ont lieu les liturgies matinales, à sept heures. Il y a peu de monde, et on entend très bien les lectures. J'étais dans le même état de paix et de joie que la veille, sans parasites sur la ligne. De temps en temps, Dieu nous accorde de telles grâces, on peut dire qu'ici, c'est une réponse au geste que j'ai fait d'aller aux vigiles, puisque le tournage avec les cosaques était annulé, plutôt que de rester chez moi. Le père Andreï a fait un sermon qui reprenait en substance ce qu'il m'avait dit la veille.

J'ai commandé une quarantaine pour le métropolite Longin.  


Sur le drap bien tiré du ciel gris

Défilent des fumées sombres

Venant à petits pas précis

Border le soir dans la pénombre.

 

Toute la journée sous la pluie

Le jardin repliait ses fleurs

Qui toutes froissées et marries

Répandaient pétales et pleurs.

 

L’été ne tient pas ses promesses

De chaleur et d’abandon,

Il nous prive de ses caresses,

Entre deux hivers, sans raison.

 

Comme tout un chacun trahit,

Autour de notre chère épave,

Voilà que le beau temps s’enfuit

Loin de sa courageuse étrave.

 

Mais qu’importe ? Au ciel obscurci,

Passent muets des lions d’or

Qui vont emporter dans la nuit,

De notre coeur, les grands trésors.

 

Quel silence dans ce cortège

Que de clarté dans ces crinières...

Au pré d’azur ridé de beige

Des fauves roux se font la guerre.


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