samedi 8 juillet 2023

Messagers de joie

 Ce soir, le grondement lointain d'un orage se mêlait au carillon des églises. Après deux jours de chaleur, la pluie m'aspergeait de gouttes éparses et froides. Je venais de me séparer de six étudiants de l'institut saint Tikhon de Moscou venus pratiquer le français.

Ces jeunes gens sont les élèves de la fille de mon père Valentin, Macha. J'ai connu Macha quand elle avait leur âge, et elle a, à présent, celui que j'avais alors. Je n'avais pas très envie de recevoir toute cette équipe, j'étais fatiguée, mais je ne regrette pas de l'avoir fait, car le spectacle de cette jeunesse m'a grandement réconfortée. Ils étaient tous les six attachants, spontanés, purs, profonds. Macha avait désigné une responsable du groupe en la personne de Lolita qui, comme son prénom ne l'indique pas, est une sibérienne de l'Altaï. A part le prénom, Lolita est tout ce qu'il y a de plus russe, d'aspect et de mentalité. Elle est extrêmement intelligente, et m'a paru très forte, assez déterminée, elle lit beaucoup et partout,son sujet de prédilection, c'est Shakeaspere et les poètes de son époque, et elle voudrait aller à Cambridge mais, me dit-elle, "ce n'est pas vraiment le moment, je suis jeune, je peux attendre". Lolita trouve les moscovites bizarres, elle ne comprend pas leur inconsistance, leur absence de patriotisme. En fait, je crois que toute la Russie est un Donbass potentiel, à part Moscou et Saint-Pétersbourg. En partant, elle m'a emprunté les Pensées de Pascal.

En plus soft, cette étudiante déterminée m'a fait penser à Katia Kopylova, cette jeune diplomate d'une intelligence intimidante qu'on interviewe périodiquement..

Serioja a de l'humour et certainement un coeur assez tendre, il est le seul garçon du cours de français. "C'est amusant, lui dis-je. Dans notre cours de grec, au lycée, nous avions un seul garçon, aussi. Il est devenu homosexuel.

- Oh, mais cela ne m'arrivera pas!" s'exclame-t-il en riant.

Juste avant son départ, une autre jeune fille, Nadia, allongée sur mon hamac, me dit: "Laurence, quand vous chantez, on devine toute la nature derrière ces chansons, le folklore, c'est le chant de la nature. J'ai remarqué que la nature réagissait à ce que nous faisions, un jour, comme ça, j'ai chanté, et le vent s'est levé, j'ai pensé que j'étais une magicienne."

J'étais sidérée de voir que quelqu'un partageait avec moi ce genre d'expérience poétique: "En effet, lui répondis-je, et par exemple, un jour où je commençais à lire un psaume à haute voix dans la campagne, le vent s'est levé. Lorsque je joue des gousli dans le jardin, parfois c'est la brise, parfois les oiseaux, parfois la lumière, mais je suis absolument sûre que j'interagis avec tout ce qui m'entoure, les arbres, les oiseaux, les fleurs, les chats, l'air, et que toute la nature autour de moi est heureuse que je m'associe à son harmonie, à sa respiration, à son perpétuel chant de vie, je suis ravie que vous le ressentiez aussi."

Nadia m'a fait penser à mon amie Ania Ossipova, c'est le même style, une jeune femme sensible, intuitive, fine, très jolie. Son père est prêtre.

Il y avait dans le groupe une Ukrainienne, Liéra. Elle m'a dit qu'elle était souvent en butte aux reproches des petits libéraux, qui ne comprennent pas pourquoi elle a préféré, pour faire ses études, la dictature de Poutine au paradis démocratique européen::::.

Toute mon équipe chantait volontiers en choeur, ils ont chanté dans tout Pereslavl, des chansons populaires et aussi des chansons anciennes qu'affectionnaient déjà les enfants Asmus, quand je les ai connus; ces enfants Asmus qui ont à présent l'âge d'être leurs parents. Ils appellent  avec déférence Maria Valentinovna leur professeur, la gamine que j'ai rencontrée en 97 et qui reste pour moi Macha.

Ces jeunes gens sont tous des enfants de famille nombreuse. Et le monde est petit, Nadia est amie avec la fille du cosaque Sakharov, Tania est la nièce du père Dmitri, qui officie avec le père Valentin. Les voir m'a remonté le moral: si la Russie élève encore de tels jeunes gens, tout espoir n'est pas perdu.

Je pensais au séjour que Macha avait fait chez ma tante Mano et mon oncle Henri, quand elle avait l'âge de ses étudiants. Mano était comme moi affolée à l'idée de recevoir ces deux jeunes filles. Pourtant, elle et Henri les avaient tellement aimées qu'ils m'en parlaient à chaque fois que je les voyais, et du reste, ils avaient laissé un souvenir identique à leurs deux invitées. Ils me disaient qu'ils avaient retrouvé la mentalité de leur jeunesse, une fraîcheur, une spontanéité, une pureté dont ils n'avaient plus l'habitude. Eh bien, 25 ans plus tard, en Russie, j'ai vécu la même chose qu'eux avec mes six visiteurs.




3 commentaires:

  1. Rebonjour Laurence, c'est magnifique et cela confirme qu'il ne faut jamais désespérer de la vie !

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  2. Tant qu'il y aura un petit reste, n'est ce pas?

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