vendredi 27 septembre 2024

Illégaux

 


Le beau temps nous quitte, chassé par la pluie et le vent. La tristesse me place dans une sorte d’état second, où les arbres dorés et mouvants prennent une beauté surnaturelle. Anne-Laure est partie, me laissant avec le fantôme de Georgette. Elle apparaît, toute guillerette, surprise par mon objectif derrière ma fenêtre, avec ses ronds yeux d’or et son museau rigolo, sur la photo qui ouvre ma page Facebook. La Georgette qui enchantait encore ma vie cet été et dont l'absence me poursuit partout.

Hier, le service d’immigration m’appelle pour me demander si je serais d’accord pour aller faire l’interprète à Rostov, auprès d’une équipe d’illégaux camerounais qu’on venait d’arrêter. J’ai accepté parce qu’on ne refuse pas, dans ces cas-là, c’est le service d’immigration, et en plus, je dois bien me montrer utile à mon pays d’accueil... On m’a envoyé une voiture, et je me suis retrouvée à Rostov, dans les locaux correspondants, avec beaucoup de dames en uniforme, et une brochette de noirs de diverses origines. J’ai d’abord eu affaire à trois camerounaises. L’une d’elles ne me plaisait pas beaucoup. Elle avait l’air rusé et impudent. Je ne comprenais rien à ce qu’elle racontait, et je sentais qu’elle ne me facilitait pas la vie. Elle était fuyante comme une carpe et voulait appeler son grand frère qui l’avait introduite dans la firme agroalimentaire où ils travaillaient tous, soit avec des visas de tourisme, soit avec des visas étudiants plus ou moins expirés. Elle disait qu’elle n’avait pas renouvelé son visa parce qu’elle était malade. Une autre s’était fait arnaquer, ceux qui l’avaient fait venir avaient annulé son billet de retour et elle était venue travailler pour essayer d’en acheter un autre; donc, être rapatriée par les Russes aurait dû l’arranger, mais tous ses papiers importants, dont son diplôme, se trouvaient à Moscou, à la discrétion des aigrefins qui avaient mis tout ce petit monde au boulot. Je dois dire que les dames de la police se montraient patientes et compatissantes, jamais insultantes ou brusques. 

Une fois les procès-verbaux établis, on nous a tous emmenés au tribunal. La « malade » se tordait sur son banc, il lui fallait aller aux toilettes toutes les cinq minutes, mais une fois la séance finie et le verdict prononcé, elle n’a pas voulu y passer avant de prendre le bus qui les acheminerait au centre d’hébergement provisoire, à deux heures de route de là. La policière qui m’accompagnait a fait des prodiges pour qu’on apportât le lendemain à ces filles les affaires qu’elles n’avaient pas prises avec  elles, bien qu’on leur eût dit de le faire. Car pour tout le monde, visa expiré et visa inadapté, c’était la déportation obligatoire dans le pays d’origine, après un certain temps passé au centre d’hébergement. Explications plausibles ou pas, compassion ou pas, c’était mathématique. 

On m’a ramenée chez moi à neuf heures du soir, et le lendemain, on est venu me chercher à neuf heures du matin. Et je suis revenue à six heures du soir, épuisée. J’ai eu affaire à des hommes, c’était plus simple, mais j'ai eu plus de monde. L’un d’eux nous a expliqué qu’il avait un visa d’étudiant, mais qu’ayant perdu son financement il avait dû arrêter ses études, cependant, on lui avait proposé de l’inscrire à Rostov dans une école de typographie pour le prolonger avant son expiration, mais il s’était retrouvé, pour payer l'avocat et le traducteur qu'on prétendait lui donner, à rammasser des légumes pour la firme scélérate. Lui aussi avait laissé ses papiers importants à Moscou et pleurait en nous disant que s’il ne les récupérait pas, dans son pays, il était mort. La policière au grand coeur a fait encore des prodiges pour récupérer les bagages des garçons, et l’on m’a priée de traduire des tas de choses concernant le transport de ces valises énormes qui ne rentraient pas dans le bus. « Je ne comprends pas comment ils sont faits, me disait la policière. Comment peut-on se séparer de ses papiers quand ils sont importants, et les laisser Dieu sait où ? Et comment peut-on envisager de vivre dans un pays sur des visas périmés ou inadaptés ?

- C’est ce que font les millions de migrants qui nous déferlent dessus... »

Et en effet, je pense que la plupart de ces illégaux croyait que cela s’arrangerait comme en Europe et qu’il suffisait d’entrer. Bien que certains eussent péché par naïveté, et on aurait bien voulu les aider, mais la loi est inflexible.   

A un moment, on m’a amenée dans une salle du tribunal avec un jeune noir comme l’ébène qui ne parlait ni français, ni anglais. Il parlait bambara. Moi pas, ni personne alentour. La police de Rostov en avait ras le bol, c’était la première fois qu’elle était confrontée au problème, d’habitude, elle a des ouzbeks, des tadjiks et des ukrainiens... Et pendant que le juge délibérait je ne sais où avec sa secrétaire dans un bureau sur ce cas difficile, j’ai attendu avec le Malien une heure et demie. Pour les derniers clients, je ne savais plus ce que je disais, je ne comprenais plus rien.

 Avant d’avoir vu tout cela, je me disais que les éminences ténébreuses de la globalisation faisaient entrer leurs contingents de gardes noirs pour casser le peuple russe, cela a si bien marché chez nous... Ce n’est certainement pas faux, et cette malveillance trouve un écho idéal dans la cupidité et la bassesse de certains employeurs. Je me disais que ces grandes firmes d’agro alimentaire ne devraient pas exister. Il devrait y avoir partout un réseau d’exploitations agricoles indépendantes de taille moyenne qui emploiraient deux ou trois ouvriers si besoin est, et pas plus, comme dans la ferme de mon beau-père avant le marché commun. Il n’y aurait alors pas de possibilité pour le recrutement en masse, par des salopards, d’esclaves exotiques qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive. 

On m'a bien remerciée, on m'a dit qu'on était prêt à ma garder au service d'immigration. J’ai dû faire un retour remarqué dans le quartier, car on m’a renvoyée chez moi dans une camionnette de police ! 

Avec ça, j'ai loupé la fête de l'Exaltation de la Croix, qui est une de mes préférées.


3 commentaires:

  1. ...The infinite sorrow of life... Я продолжу по-русски, так как для меня это легче чем писать по- французски. Я Вам более чем сочувствую,Лоранс,по поводу смерти Вашей кошки. У меня, к моему нынешнему возрасту -79 лет- было множество кошек и котов, так что я сейчас всех и вспомнить не могу. Но было несколько ,абсолютно незабываемых, и которых мне до сих пор очень не хватает. Лет двадцать тому назад моя небольшая семья потеряла двух совершенно замечательных кошек и одну собаку,и всех одновременно. Дело в том, что моя жена пожалела и подобрала на улице бездомного котенка, а он,как вскоре выяснилось, был болен чумкой. В нашей стране в то время эту болезнь лечить не умели. Меня и сына все-таки вылечили, но животных пришлось отвезти в клинику, где их всех, на наших глазах, и усыпили... А что оставалось делать? Даже я,взрослый мужик, в тот день сильно напился и плакал... Но... как писал великий Шекспир, "Нет горя вечного и счастья бесконечного" Позже были и другие кошки, ещё более ласковые ,умные и красивые... Но, увы,тоже все умерли. Что делать? Такова уж эта трагикомедия, называемая ЖИЗНЬЮ. Но вот что мне недавно пришло в голову... Вы не думаете,Лоранс, что кошки, которые на протяжении веков постоянно присутствуют и тесно соприкасаются с нашей жизнью, это нечто вроде современных камер видеонаблюдения?

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    1. Cпасибо Борис, то, что Вы рассказываете, это ужасная трагедия, и с животными, у меня было много трагедий. Нет, я не думаю, что они камеры видеонаблюдения, потому что в животных трепетное и любовное внимание к нам а в камерах ничего такого нет. Но они как будто нам посланы. Молодой кот, умный, добрый и смешной, поселился у знакомой девушки, у нее жених на фронте и сложные семейные проблемы. Я ей сказала: Бог его послал за утешение...

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