samedi 4 mai 2019

Emménagement progressif


J’ai passé la semaine à ranger mon déménagement, et j’ai encore des affaires que je ne sais pas où mettre, bien que ce que j’ai  pris représente un très petit volume. Contrairement à ce que j’avais cru au départ, mon déménagement était complet, j’ai tout retrouvé, y compris mes livres de prières en français, qui dégageaient un parfum de myrrhon, parce que Claude Ginesty m’en avait envoyé dans une enveloppe, et je l’avais  glissée dans la brochure des acathistes ; elle était accompagnée d’une lettre de la mère Hypandia, quand ma mère était mourante, où elle me conseillait de ne pas la retenir sur terre, de la remettre à Dieu et de lui laisser traverser des épreuves qui lui facilitaient le passage. Or la fin de maman me laisse souvent un sentiment de culpabilité, que cette lettre retrouvée et relue remettait un peu à sa place. 
Il y avait également un livre de prières, un évangile en slavon très beaux, et des dyptiques, que m’avait offert « oncle Slava », le voisin juif converti à l’orthodoxie du père Valentin, un homme adorable qui est mort depuis. Il a été portraituré, sous la forme d’un prophète, sur l’iconostase de l’église, où il a fait tant de bien et aidé tant de monde.
La pièce où je travaille a beaucoup changé, elle se retrouve investie par des objets qui ont tous une grande charge émotionnelle, qui sont passés avec le temps du stade d’éléments de décoration à celui de précieux souvenir, en raison de mon âge et du naufrage de la France. La statue qui était sur la cheminée de l’Armençon, dans mon enfance, le vase 1900 que m’avait donné la tante Camille, des aquarelles de Pierrelatte ou de Cavillargues, le petit pot doré où je mettais le tabac à rouler et le papier, quand j’étais jeune, à Paris, deux vases que j’avais offerts à maman, d’autres qui  me viennent d’elle, une lampe des années 70 que je lui avais offerte également, je l’avais achetée dans une jolie boutique de déco à Montpellier, le pied est un parallélépipède de bois incrusté de cuivre, tout simple. Un brûle-parfum que j’avais acquis dans un mas du Gard, avec Cécile, on peut y brûler du bois de cade en poudre, et ainsi de suite, tout cela représente les seules traces qu’il me reste de ma vie et de la France, de ceux qui m’étaient proches et pour lesquels, chaque jour, je prie avec des larmes, qu’ils soient morts ou encore sur terre.
J’arrange tous ces objets et ces tableaux de telle façon qu’ils se mettent tous en valeur les uns les autres, qu’ils soient en harmonie, et cela me demande beaucoup de temps et d’efforts. Je ne sais combien de fois j’ai fait cela autrefois, et c’est probablement la dernière, et puis je mourrai et tout cela sera dispersé je ne sais où.
A la mort de ma tante Jackie, j’avais rêvé que je me promenais sur une grève déserte et que les vagues m’apportaient en chuchotant des objets qui lui avaient appartenu et que je ramassais.
De tout ce que j’avais, livres, et affaires de famille, il ne me reste pas grand-chose, une sorte de quintessence, mais même cela, je ne l’emporterai pas avec moi, en tous cas pas sous une forme matérielle.
Ma tante Mano me dit que mon grand-père et ma grand-mère auraient été bien étonnés d'apprendre que la ménagère de leur mariage annonéen, leur sculpture d'albâtre et leurs photos de famille échoueraient un jour à Pereslavl Zalesski. 
Le matin, depuis mon lit, je regarde le thuya que j’avais planté en arrivant, il y a presque trois ans, éclairé par le soleil il prend une patine de bronze, et de beaux reliefs tourmentés, finalement, ce n’est pas un cyprès, mais cela peut y ressembler, un arbre en forme de flamme, comme sur les tableaux de Van Gogh. Bientôt il me cachera la maison du voisin. J’ai beaucoup de travail dans ce jardin et le ferais volontiers, mais les forces me manquent et la forme physique, entre les rangements, le jardinage et les offices de la semaine sainte et de Pâques, je suis fatiguée et j’ai mal au genou. J’ai vu les remontrances du père Tkatchev aux gens qui s’écroulent après Pâques, au lieu d’aller joyeusement à l’église, et perdent le bénéfice du Carême, c’est justement ce que je fais. En général pour moi, la semaine lumineuse, c’est les vacances… Or nous attendent de grandes épreuves, et je ne sais vraiment pas si je ferai face.
Je vois sortir, promesses de l'été, des plantes de ce qui était un paillasson beigeasse et boueux il y a encore peu de temps, des iris, des astilbes, des jonquilles, des primevères, des delphiniums, des pivoines, des asters, des hémérocalles et des lupins, tout ce que j’ai planté depuis que je suis arrivée dans ce qui était un terrain vague. Et tandis que je m'active, me parviennent, des églises et des monastères de Pereslavl, des carillons de Pâques.
L’autre jour, j’ai rencontré Kostia, qui m’a fait les travaux, il est venu me proposer de me donner un hectare de terrain. Il en quarante, et il m’en donne un. Depuis, je me perds en conjectures.






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