le père Andreï, le père Constantin et Ritoulia |
Il m’est tombé sous les yeux une citation de saint
Païssios concernant les tentations dont les chrétiens sont les victimes au
moment des fêtes, je suis tout-à-fait dans ce cas. Les carêmes me cassent les
pieds, j’ai besoin de faire un régime, pas de manger des céréales-sucreries,
c’est-à-dire de surmonter ma gourmandise et de manger peu, mais équilibré, je
suis dans un pays étranger où la médecine n’est pas forcément au top, j’ai
intérêt à rester valide. D’ailleurs je ne suis pas du tout ascétique, j’aime la
vie, et je n’ai jamais supporté les pisse-froids et les frigides, les
rabat-joies, les imprécateurs et les Savonarole. Et depuis quelques temps, chaque fois que je
dois aller à l’église, je suis la proie de luttes intérieures inimaginables
avec un refus catégorique de m’infliger cette contrainte. Peut-être parce que
j’ai trop de contraintes, d’ailleurs, pour mon âge avancé, il va falloir y
mettre bon ordre. Me remémorant le père Valentin, m’invitant à communier,
prête ou pas, et le père Dmitri, auquel j’ai eu affaire à Vologda, avec ses
propos sur le non-conformisme de la divinité, je suis allée morte de honte, à
la cathédrale en ce jour de la Dormition, exhiber mes caprices au père Constantin,
et j’ai communié. J’ai considéré que cette communion avait été le résultat
d’une lutte acharnée jusqu’au dernier moment, que je sois ou non une petite
nature. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, ou ce qu’on est. Mais j’ai
senti que mon Dieu non conformiste était
sensible à cet effort, et qu’Il m’accueillait telle que j’étais, j’étais heureuse,
paisible, émue, et j’aimais tous les paroissiens qui me faisaient de grands
sourires. Je pense souvent à mon héros, Fédia Basmanov. Nous avons vraiment
beaucoup de points communs, et j’espère passer du bon côté, comme lui, en
contrebande, par piston, cachée sous la mante du métropolite Philippe.
J’ai remis ça ce matin, car c’était les 20 ans de
la chirotonie du père Constantin. Les petites dames qui s’occupent de l’intendance
lui ont fait de petits cadeaux, elles étaient tellement touchantes.. J’y ai
ajouté un paquet de thé. Nous avons tous pris le café ensemble, ensuite, dans l’annexe.
Le père Andreï était venu pour l’occasion. J’ai l’impression que sa famille est
du genre arche de Noé. Il a pris Rita
sur ses genoux, elle semblait s’y trouver très bien.
Tout le monde adore notre évêque, monseigneur
Théoctyste, mais on pense qu’il ne restera pas très longtemps, parce qu’il est
trop intelligent et capable pour le poste qu’il occupe, et moi, je pense que c’est
justement de gens comme lui qu’aurait besoin la province, avec tous ses
problèmes. Il paraît qu’il dit : «Dans mon éparchie, j’ai pléthore de
ruines et de popes fauchés… »
Depuis quelques temps, je survole Facebook, je
survole plus qu’avant, on est obligé de survoler, d’ailleurs, comment digérer
autant d’articles et de nouvelles, de commentaires, et il y a tant d’événements
sinistres, absurdes, horribles… Le pire étant de voir une partie des gens
trouver normales des choses inimaginables, qui auraient mis tout le monde dans
la rue avec des carabines et des fourches il y a quarante ans.
Le gosse des voisins est revenu me demander de l’inviter.
Je lui ai servi le thé sous le poirier, car il fait si beau qu’il faut en
profiter pour rester dehors, si ça se trouve dans quinze jours on est au bord
de la neige… Il a huit ans et s’appelle Ivan. Il m’a demandé si j’avais visité
la tour Eiffel et si j’étais montée au dernier étage. « Je l’ai visitée, j’avais
cinq ou six ans, et je m’étais arrêtée au premier.
- Les Français doivent être très élégants…
- Ils l’ont été, mais c’est en train de changer. Ma mère
était très élégante et très jolie, elle cousait elle-même ses vêtements et les
miens. »
Mon problème, c'est qu'Ivan veut sans arrêt venir, avec un petit copain, et qu'il va dans toutes les pièces, sans cérémonies. Ce soir, j'avais envie de rester sur le perron, au soleil, mais j'y ai renoncé, parce que j'avais peur d'une invasion enfantine, et j'avais envie d'avoir la paix.
Je lui ai demandé ce qu'il aimait dans la vie, la question avait l'air de l'embarasser, il a fini par répondre: "les voitures..." Sa soeur ainée aime dessiner mais uniquement les mangas japonais.
Ce matin, je suis retournée dans le seul magasin de
Pereslavl où je trouve de jolies choses, « le lin russe », que je
croyais fermé. En fait, il ferme l’hiver, et il a une antenne dans un endroit
où je n’aurais jamais eu l’idée de mettre les pieds, le » Musée des farces
et attrapes », un de ces petits musées idiots que l’on ouvre ici pour
justifier l’appellation « Anneau d’Or », alors qu’on détruit tout ce
qui est pittoresque autour. Au « lin russe », il y a de belles choses
anciennes, de beaux tissus, des nappes et dessus de lit, j’ai acheté des draps
magnifiques, en lin, simples et de bon goût, et de bonne qualité, qui vont très bien dans ma
chambre, et je ne pensais pas pouvoir trouver cela ici. En plus, c’est moins
cher que dans les boutiques de souvenirs horribles.Je suis en très bons termes avec les vendeuses, et celle d'aujourd'hui me dit: "le vieux qui balaie devant chez nous apprend le français tout seul, il rêve d'aller en France, je lui ai parlé de vous!"
J’ai pensé au petit Ivan qui, à huit ans, a déjà dans la tête que
la France est un pays mirifique de beauté, d’élégance et de douceur de vivre,
comme le vieux balayeur et la plupart des Russes, et à ce qu’ont fait de notre
pays nos gouvernements félons successifs, au bidonville du tiers-monde que
devient Paris, et j’en ai eu le cœur chaviré.
Des voisins ayant décidé de couper le grand peuplier qui me faisait face, je suis partie dessiner au bord de la rivière, pour ne pas voir ça, mais dans mon émotion; j'ai oublié mon bloc. J'ai fait juste une petite "carte postale"... Sur le chemin, j'ai vu un fier drakkar, que j'ai photographié: