dimanche 21 juillet 2024

L'arbre de vie et les alouettes

 


Expédition au monastère Anastassov, près de l’ancienne petite ville d’Odoiev, dans la région de Toula. Je devais laisser ma voiture au garage près de Moscou, pour une remise en forme, puis dans la foulée, partir avec Oleg le journaliste, pour aller rejoindre l’higoumène de ce monastère, le père Parthène, qui m’avait invitée. 

Le paysage de la région de Toula me rappelait vaguement la France, par la douceur de ses collines, et ses essences d’arbres moins sévères et moins nordiques. Le monastère apparaît à flanc de coteau, sans horribles constructions tout autour. C’est la Russie éternelle, comme on l’imagine, d’autant plus que les bâtiments sont dans le style du XVI° siècle, bien que récents, pour la plupart, le monastère ayant été presque complètement détruit, mais l’higoumène Parthène était architecte, et il a bien travaillé, sans incohérences ni fautes de goût.

Je me suis retrouvée dans cet endroit absolument silencieux, sans aucun moustique, devant un paysage intact, avec des arbres magnifiques, des ormes, des pins, et le cri des martinets dans l’air du soir. Au dessus de la petite rivière, des collines, des brumes qui les recouvraient partiellement se levait une énorme lune dorée. Je ne sais pas pourquoi, la  lune me paraît toujours beaucoup plus grosse en Russie qu’en France. « On dirait un tableau de Vroubel ou un dessin de Bilibine », dis-je à l’higoumène.




Le père Parthène nous a reçus à dîner, il voulait absolument me gaver de sucreries, qui me sont défendues. « Cela fait dix ans que j’ai du diabète, je mange sucré quand même, et je suis bien vivant ! » Il a ensuite joué de l’accordéon, et il en a prêté un à Oleg, sur lequel était écrit « Ukraine ». « C’est un trophée de guerre, nous dit-il. J’ai reçu il y a quelques temps des Wagner qui l’avaient récupéré au front, et me l’ont donné ».

Le père Parthène est chaleureux, intelligent, plein d’humour et très malin. « Vous êtes un petit rusé, père, observai-je, en riant.

- C’est pour cela que je suis higoumène ! Vous connaissez l’anecdote ? Deux higoumènes échangent des nouvelles de leurs monastères respectifs. « Ca va, toi ?

- Oh nous avons eu cete année trois grands malheurs : la mort d’une vache, l’incendie d’un bâtiment, et la visite de l’évêque ! »




L’higoumène Parthène était si content de ma visite qu’il m’a fait cadeau d’une magnifique petite icône sculptée ancienne de saint Nil le Stylite, à ne pas confondre avec saint Nil de la Sora. Il m’a dit que son film sur moi était meilleur que celui de Victor le Blogueur, car j’y étais beaucoup mieux filmée, par les soins d’Oleg, ce qui n’est pas faux. Il me passait au téléphone des gens qui l’appelaient pour m’exprimer leur enthousiasme à l’issue de cette émission.


Le lendemain, je suis allée aux matines, dans l’église principale, dont l’intérieur est digne de l’extérieur, simple et beau. Du haut de la galerie extérieure, je contemplais une brumeuse gloire matinale traversée par les hirondelles et les martinets, pareils à de petits anges lestes et affairés. Après les matines, ne voyant pas arriver la liturgie, mais l’heure du départ prévu pour le festival du jouet de Filimonovo, je regagnai ma chambre et appelai Gleb. On m’attendait pour le petit-déjeûner « français », qui n’avait rien de français, concombres, tomates du jardin, fromage blanc et lait du monastère. Outre la visite du festival et des musées du jouet en terre et de la broderie, nous devions écouter le concert des « Petites alouettes d’Odoiev », un ensemble folklorique de fillettes, patronné par notre higoumène Parthène.

Il faisait dans le centre-ville une chaleur terrible, et il y régnait une ambiance de kermesse, avec le vacarme correspondant. Le père Parthène voulait tout me montrer, me présenter tout le monde et m’offrir tout ce qui me tombait sous les yeux. Gleb n’arrêtait pas de parler, et il avait ses idées, lui aussi. Je cherchais une amie, Lisa, qui collectionne les jouets en terre depuis son enfance. Les stands étaient loin de proposer tous des jouets authentiques, il y avait malheureusement pléthore de kitscheries dégoûtantes, mais je suis tombée sur deux vieux, le frère et la soeur, qui avaient poursuivi sans pouvoir la transmettre la tradition familiale, et j’ai acheté un magnifique « arbre de vie » très poétique et très symbolique qui me rappelait mon « vers spirituel »  préféré :

 


Au milieu du paradis

L’arbre croit et resplendit.

Les feuilles en sont de satin

Les pommes de l’or le plus fin

Et les oiseaux séraphins

Chantent pour les chérubins.

 

Le programme musical continuait à nous bétonner les oreilles d’un boum-boum constant avec des variations pseudo-folkloriques à la surface, ou du sirop patriotoïde. J’attendais les « petites alouettes » avec impatience pour quitter cet endroit surchauffé, et j’ai pu constater qu’elles étaient largement les meilleures. Habillées de costumes simples et authentiques, et non déguisées en poupées russes et en matriochkas, elles chantaient et dansaient du vrai folklore avec un naturel délicieux et si rafraichissant, sur le fond de toutes ces grimaces et de tout ce toc ! Je les ai chaleureusement félicitées, et elles étaient ravies, car elles avaient vu l’émission du père Parthène, l’une d’elles m’a quand même demandé si j’étais une Française réelle.


De retour au monastère, déjeuner, et puis le père Parthène voulait à nouveau me filmer et m’interroger, notemment sur « Parthène le Fou », dont le titre l’avait frappé, forcément, et dont je venais de lui offrir un exemplaire. J’étais absolument épuisée par mon périple et la chaleur, et me suis aperçue que ce n'était pas seulement le pseudonyme que partageait l'higoumène avec Ivan le Terrible, mais l'art russe d'amener les gens à faire ce qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de faire au départ!

Enfin Lisa est passée me prendre, avec trois copines, dont l’une avait exigé un détour de cent kiomètres pour aller à Toula dans un magasin qui, seul en Russie sans doute, vendait un alcool particulier. Sur le chemin du retour, elle me racontait sa vie dans la région de Tver, où elle s’est installée avec son compagnon, et sa chienne des Pyrénées. C’est une femme d’une rare énergie, rien ne lui fait peur, elle a toutes sortes d’activités de couture et de modelage, plus l’élevage des poules, mais depuis qu’elle est en ménage, elle ne travaille plus pour gagner sa croûte. « La voilà, la vraie libération de la femme !  m’exclamai-je.

- Le travail, me répond-elle, c’est l’horreur. »

Elle m’a laissée chez Macha, la fille de mon père spirituel, à Peredelkino, après plus de trois heures de voiture. Il me restait à récupérer ma Logan le lendemain et à rentrer chez moi. Son fils Marc, qui a onze ans, lui a déclaré pendant qu’elle me montrait ma chambre : «J’espère que dans son blog, elle écrira que je suis le meilleur ! »

De retour à Pereslavl, j'ai trouvé presque autant de vacarme et d'agitation que dans la rue principale d'Odoïev. Le bricoleur sciait, les jeunes débiles pétaradaient, le café français était pris d'assaut, et Lika n'avait pas pensé à amener Rita!






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