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samedi 26 juillet 2025

Fleur de Moscou

 


Mano est effarée par ce qui se passe en France et dans le monde, et il y a de quoi, elle est même loin, à mon avis, de réaliser à quel point c’est grave, car elle n’est pas aussi informée que moi, elle préfère inconsciemment ne pas l’être trop, d’ailleurs. La France est en train de mourir, minée par la caste, et submergée par les populations inassimilables et aggressives qu’on a encouragées à venir déferler sur nous. Je ne vois pas sans un serrement de coeur de vieux documents sur les années cinquante, soixante, soixante-dix et même quatre-vingt. Pourtant, le ver était déjà dans le fruit, mais on pouvait encore imaginer vivre normalement, alors que maintenant, les gens sont inquiets, désespérés, ils ont peur pour leurs enfants, débauchés et abrutis par l’école, violés et attaqués au couteau ou à la machette dans la rue. Paris est une sorte de cour des miracles où l’on voit tout ce que l’on veut mais très peu de ce qu'on appelait un Français, et quand je relis mes souvenirs, je réalise que tout cela, qui, dans les années 2000 me semblait encore plus ou moins dans la continuité de ma jeunesse, a disparu sans retour, comme le Moyen-âge ou la Rome antique.

Le gouvernement est un ramassis de minables, de salauds, de bandits, d'imbéciles et de traîtres, qui n’ont aucun souci de leurs administrés, on a l’impression qu’ils remplissent un contrat mafieux, consistant à nous éliminer, en tenant, comme des gourous de secte, des discours vides de sens et impudemment mensongers. Au delà de ce qui arrive à l’Europe, on peut dire que le monde entier est malade, que partout gagne la lèpre de la laideur hallucinante, de la vulgarité, de la confusion, de la bêtise et de la violence aveugle et vile. Tout est perverti, tout est transformé en cauchemar, les meilleurs sentiments et les meilleures intentions sont retournées pour nuire, comme dans le cas de l’écologie, où des pollueurs internationaux sans conscience et sans aucun respect de la vie, utilisent un discours idéologique creux pour asservir les gens et les faire marcher dans n’importe quoi : les éoliennes affreuses qui hachent les oiseaux et stérilisent la terre, les panneaux solaires qui transforment des régions entières en désert vitré; ou encore la santé, comme dans le cas du covid, ou bien des épidémies animales permettant de massacrer des troupeaux entiers. Je pourrais pleurer devant les témoignages de paysans qui doivent sacrifier leurs vaches pour une épidémie bénigne et limitée, parce que les nuisibles au pouvoir cherchent à les ruiner. Cela me rappelle en plus feutré, plus sournois, les horreurs de la collectivisation en Russie, d’ailleurs les malfaiteurs au travail sont de la même espèce et obéissent, au fond, au même motif : une haine sans limite et sans pitié pour toute espèce de société traditionnelle enracinée, surtout chrétienne. On dirait qu’un diable ricanant nous attend à tous les tournants, quel que soit le chemin emprunté. J’ai parfois le vertige, quand je songe que ce que je redoutais depuis plus de vingt ans, cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, remake de la guerre civile des années vingt qui, au fond, n’a jamais pris fin, a tout de même eu lieu, et même si la Russie la gagne techniquement, nous sommes tous profondément perdants, plus encore que ceux qui ont réussi à nous l’organiser avec des ficelles grosses comme des câbles. Ils seront peut-être détruits au passage, mais ils nous auront jetés les uns sur les autres, ils auront déversé ici toute l’Afrique, et là toute l’Asie Centrale, créant une situation irréversible en se moquant de nous. Ils nous auront privés de notre culture, de notre dignité, de notre âme et de toute espèce d’espoir, en tous cas, pour ce qui concerne l’Europe, car la Russie est peut-être encore assez vivante pour surmonter, et même jouer le rôle de Constantinople, de la troisième Rome, si les gargouilles et les gnomes ne la mangent pas...

Je disais au père Valentin que néanmoins, mon voyage au Donbass m’avait apporté une sorte de sérénité, m’avait donné une direction de vie. Mon champ d’action s’est rétréci au père Nikita, et à son entourage, à Fédia et ses camarades là-bas, et ici aux villages miraculés où les jeunes femmes de ma connaissance soufflent sur les braises de la Tradition. Et puis aux gens qui veulent venir ici et que je peux aider, aux animaux, devant lesquels nous sommes si terriblement coupables, quand cela n’est pas trop au dessus de mes forces. Je n’ai aucun pouvoir sur le reste.


Je n’ai pas non plus beaucoup d’élan pour les prières et offices interminables. Ni pour les jeûnes. Il me semble que lorsqu’on a mal partout et que l’on supporte un climat affreux qui vous rend malade, c’est en soi suffisant, comme ascèse. Quand je lis que je ne devrais pas faire de différences entre les gens et les aimer tous du même amour, eh bien c’est raté, je n’y arrive pas du tout. Je suis plus indulgente à mes contemporains, mais je suis loin de tous les aimer comme moi-même, ou simplement, comme mes proches. C’est à cela que je constate que je ne suis pas une sainte: je n’ai pas l’amour universel. A vrai dire, j’objecte souvent aux athées primitifs que ce n’est pas Dieu qui est responsable des horreurs fantasmagoriques de l’humanité, mais tout de même, je finis par trouver qu’Il devrait bien quelque peu intervenir. Ce qu’on a fait de l’Ukraine est tellement immonde, je sais bien qu’une partie de la population a versé dans une haine antirusse délirante et stupide, et cela se paie, au plan de la justice divine comme de la justice immanente, mais quand même... Plus de 500 000 morts, ces cimetières à perte de vue, ces hommes enlevés en pleine rue, arrachés à leurs femmes, à leurs enfants, au landau du nouveau-né qui reste seul sur le trottoir, au chien qu’ils promènent ; et aussi les pertes russes de garçons qui ne demandaient qu’à vivre, et qui reviennent affreusement mutilés, tout cela méthodiquement préparé pendant des années, dans l'indifférence générale, par une poignée de salauds, tandis qu’une poignée de gens lucides criaient dans le désert...

Invitée par la chaîne orthodoxe SPAS, j'ai fait un petit tour à Moscou. J’ai dormi chez Xioucha, car Liéna a installé quelqu'un chez son père, et celui-ci n’a pas pensé à me proposer le divan du salon, à défaut du réduit que j’occupe d’habitude, derrière la cuisine. Du coup, il est venu me voir à huit heures du matin le jour de mon départ, mais comme je m’étais réveillée à cinq heures moins le quart et qu’il faisait grand jour, j’ai décidé de m’en aller pour voyager tranquille et à la fraîche. J’étais à peine arrivée que Xioucha m’appelait : « Lolo, vous êtes où ?

- A Pereslavl....

- Papa vous cherche partout dans l’appartement ! »

J’étais consternée, si j’avais su, je l’aurais attendu...

J’ai dû faire un minimum de ménage, à cause des affreux chats, et puis tondre le jardin, et ceuillir les framboises, et dégager les fleurs des liserons qui les envahissent. En réalité, je n’ai presque pas arrêté. J’ai juste fait une sieste dans le hamac pour profiter de la vue sur mon jardin, mais les astilbes se fanent, et je ne les ai pas vraiment vu fleurir. Les floxs commencent déjà, et les boules jaunes... Nous aurons sans doute un mois d’août tiède et ensoleillé, mais cela sent déjà l’automne.

Je cours à nouveau comme un lapin. J’ai marché à Moscou sans problèmes, dans le joli quartier de Zamoskvorietchié, je suis allée voir Dany et Iouri, puis un taxi est venu me prendre pour m’emmener rue Sergueï Eisenstein pour l’émission à laquelle j’étais invitée par la chaîne SPAS. La journaliste était très gentille, une jeune femme qui a épousé un Espagnol, Angelika. L’interview n’a pas duré plus de dix minutes, elle le regrettait, et envisage une autre émission. Une de ses collaboratrices est venue me dire : «Vous êtes belle... Quels yeux vous avez, et puis votre allure, vos cheveux argentés, je n’en reviens pas ! »

Moi non plus, parce que ce n’est pas ainsi que je me perçois mais ça fait plaisir.

En traversant, à cinq heures du matin, le passage à côté de chez Xioucha, j’ai croisé un parfait inconnu qui m’a aimablement dit bonjour, ce qui est inattendu et agréable dans une grande ville. Plus loin, j’ai vu, au feu rouge du carrefour, une bande de jeunes sur des trottinettes, bruyants, et visiblement bourrés, sinon pire. Et marchant à leur rencontre, j’étais légèrement sur mes gardes, or voici que l’un d’eux m’arrête, et me tend une ombelle de carotte, ramassée le long du trottoir : «Tenez, c’est pour vous, » me dit-il , souriant, la casquette de travers.

Il m’a semblé que toute ma journée était bénie par ces deux rencontres, que j’ai bénies à mon tour. Comme si la Russie me rendait mon amour, souvent exaspéré, mais jamais découragé.




Crépuscule

 

Souffles éparpillés de la lumière bruissante

Au gouffre bleu ténèbre d’une journée torride,

Où la brise ébahie murmure et s’extasie,

Dansant d’un pied sur l’autre au travers des corolles...

Que la beauté s’arrête un instant de courir,

Loin du criard désastre de notre fin minable

Qui craque et se fracasse en milliers d’oiseaux noirs,

Et nous laisse la trace de ses pas adorables,

Au sein gris du brouillard où virent les couleurs,

Où hurlent, bigarrées, d’indistinctes horreurs

Où rampent entêtantes d’infernales odeurs.

 

Quand monte douce la lune

Au velours gris du soir

Et que s’étend léger le chant du rossignol

Vrombissent menaçants les démons surchauffés

Et les anges les fuient dans les couloirs du vent,

Gagnant à tire d’ailes les astres préservés.

 

Les lentes rêveries et les feux sur les rives

Des fleuves noirs glissant sous l’oeil rouge des nuits,

Les tournoyantes voix qui s’enlacent et s’érigent

Au gré s’élargissant du silence ébahi...

La barque tourne et dérive et brasse les étoiles

Où vont à petits pas des âmes égarées,

Les voilà qui filent et s’envolent, effrayées,

Les voilà qui fusent et s’étirent, éveillées,

Et de colossaux archanges

Les avalent dans leur énorme lumière.

 

A l’horizon pousse l’arbre et ses fruits stellaires,

Irisé, chatoyant, immobile,

Mais le vent qui claque bouscule la nuit,

Hurlant dans les rues bleues,

Où brûlent des terrasses jaunes,

Les voix s’entrecoupent et chuchotent,

Les trajets claudiquants s’entrechoquent

Et je vais dans la douceur du soir,

Vieille fiancée d’un roi mort,

Druidesse muette des dieux oubliés.


lundi 21 juillet 2025

Falelieïevo

 





Je n’ai pratiquement pas le temps d’écrire. J’ai une traduction à faire, ce dont je suis d’ailleurs très contente, cela me fait un peu d’argent. J’essaie de m’occuper de la publication de mon livre, chez the Book edition, sur les conseils du jeune libraire Samuel, mais j’ai laissé tomber pour l’instant. Et j’ai chez moi Tatiana. Nous sommes allées supprimer l’enregistrement provisoire chez moi, l’enregistrer sur son appartement, après avoir reçu nos titres de propriété. Et puis nous attaquons tout de suite les travaux, car il faut profiter de sa présence ici. Donc rendez-vous avec l’équipe qui a travaillé ici, celle de Gilles. Puis avec le cuisiniste Sacha, après avoir passé deux heures à choisir les éléments de cuisine dans son magasin. 

Blackos recommence à m’emmerder au sens propre du terme. Ce chat pervers, d’une jalousie morbide, chie dans l’escalier de l’atelier, je pense qu’il ne supporte pas que Vassia du Donbass vienne sur mon bureau, et en plus, il pisse sur l’écran de l’ordinateur. Quand Georgette était mourante, il attendait la place. Et maintenant, voici Vassia, une pierre dans son jardin. Alors il se venge.

Ce chat m’a coûté beaucoup d’argent. Il m’a ruiné deux divans. Je l’engueule à nouveau tout le temps, et il a peur de moi, mais il continue. On peut dire que les ex propriétaires de la maison m’ont fait un beau cadeau quand ils l’ont abandonné derrière eux. 

Curieusement, quand je prie devant les icônes, il accourt aussitôt, et se plante devant moi, attendant mes caresses.

Vassia a montré des signes de grande inquiétude en entendant un feu d'artifice chez les voisins. Mes autres animaux ne réagissent pas. Ils n'ont pas connu la guerre au Donbass...

J’étais samedi invitée à chanter au village de Falelieïevo, où j’avais vu une isba qui me plaisait, mais j’avais trouvé le village un peu triste avec son église en ruines, et puis j’avais eu peur des travaux, de la solitude et des difficultés. Cette isba est toujours disponible, elle est voisine de celle de la jeune femme qui a entrepris de restaurer l’église et m’avait invitée à l’occasion d’un pique-nique de volontaires. L’environnement de cette maison est très joli, le terrain aussi, le toit est neuf, les frontons, la véranda, et on a même fait un prolongement derrière pour l’agrandir. J'aimerais savoir si les poutres sont valides, mais on ne construit pas, en principe, un toit et un fronton neufs sur des poutres pourries...




Les gens présents s'activaient pour réparer l'église, Marina estime qu'il y en a pour vingt ans, mais ça va, elle est jeune. Elle a acheté une isba dans ce village, et me l'a montrée, ainsi qu'un magnifique carreau de faïence au décor bleu, tout ce qu'il reste d'un poele sûrement très élaboré, avec des reliefs et des niches, que les précédents propriétaires ont anéanti... Marina espère que l'endroit ne va pas se courvrir de maisons Playmobil en plastique. Pour l'instant c'est encore très beau, on se croirait au bout du monde, et ce n'est en réalité pas très loin de Pereslavl.

Il y avait, près de l’église, une jeune chatte famélique et ses chatons aux yeux malades. Cela m’a gâché la journée. Comment pourrais-je prendre toute une famille de chats avec le cauchemar que me crée la saloperie de Blackos ici ? Cette misère animale est partout, c’est un vrai crève-coeur, et avec parfois, en sus, des enfants sadiques qui ont sauvagement tué je ne sais plus où un brave chien qui recherchait leur compagnie, ou ici, torturaient un petit chat, qu’un autre enfant a sauvé, c’est la mère de celui-ci qui me l’a raconté, car elle a recueilli le pauvre animal. Cette incroyable méchanceté, chez certains enfants, m’emplit d’une angoisse horrifiée. Avec tous les problèmes que me cause Blackos, j’ai beau répéter que je vais le tuer, je suis totalement incapable de le faire et des gosses le sont de faire souffrir de petites créatures sans défense. Que feront-ils quand ils seront adultes, et à qui ? J’aurais un rejeton coupable de cela, je lui balancerais une claque à lui dévisser la tête, elle partirait toute seule, avec l’engueulade correspondante. Une fois, à Pierrelatte, au bord du lac, un gamin de quatre ans jetait des pierres à un cygne, ce qui m’avait révulsée. Quel affreux réflexe, devant cette créature féérique! Son père avait réagi comme moi, car il lui avait crié : « Si tu recommences cela, je te fous à l’eau ! »


Ania Ossipova exposait ses dernières productions, c’était extrêmement joli, et j’ai beaucoup aimé un portrait de vieux moujik d’avant la révolution, fait d’après photo, une photo connue, mais le portrait a quelque chose de plus, le regard est si vivant, on dirait que l’âme de cet homme est passée à travers le bois du support, avec toute sa bonté, sa simplicité malicieuse. Ania a quelque chose d'angélique, elle s'est complètement incorporé la sainte Russie orthodoxe et paysanne, et son art poétique et merveilleux. Cela lui est devenu consubstantiel. 

Je trouve toutes ces manifestations dans les environs de Pereslavl très intérressantes. Il y a Anna Panikhina à Filimonovo, Marina à Falelieievo, Natalia à Loutchinskoie, et autour de chacune d'elles plus ou moins de monde qui gravite, mais ces petits foyers rassemblent et soutiennent les gens de bonne volonté, et aussi ceux qui ont des idées, du talent, du goût.

Ania et ses oeuvres

J'ai vu un post à propos d'étrangers qui viennent coloniser les villages abandonnés de Russie, il y en a pas mal. Las d'une vie complètement privée de sens et de joies réelles, ils sont prêts à se faire soigner à la russe, des herbes sauvages et des séances de bains de vapeur, comme mon héros Fédia dans Yarilo! Pour la joie de contempler une aurore boréale dans un ciel étoilé. Car nous ne sommes pas sur terre pour "bosser de toutes ses forces pour son patron", comme disait monsieur de Maesmaker, dans un enfer de béton tonitruant, il y a quand même des gens chez qui les gènes parlent encore et qui conservent une âme.. Slobodan a fait, à ce sujet un briefing très émouvant sur son défunt copain Fabrice, un homme avec des capacités intellectuelles hors du commun qui avait choisi d'être berger afin de vivre libre et en paix, en lien avec la nature. Je regrette de n'avoir pas suivi les conseils de mon beau-père paysan, qui avait fait le même choix, mais que la politique du marché commun, puis de l'UE, avaient rattrapé au tournant...

https://www.youtube.com/live/MH1-kErutPM?si=xm2RSrMZp6-QYBJX

Le père Mikhaïl et sa famille





lundi 14 juillet 2025

La maison de Katia

 


Hier, Katia faisait bénir la maison qu'elle a achetée, à Filimonovo. Je l'ai d'abord rejointe à l'église, que le monastère saint Nicétas avait commencé à restaurer il y a plusieurs années, sur l'impulsion de l'higoumène Boris, dont on vénère le souvenir, et qui était le frère de l'archimandrite Dmitri. Le monastère a restauré plusieurs églises de village. Mais les gens du pays n'y vont pas volontiers, au contraire des siècles passés, à présent, l'orthodoxie est plus vivante dans les villes que dans les campagnes. Il y a plusieurs années, j'avais fait une photo des trois jolies isbas qui faisaient face à l'église. Il n'en reste qu'une de vivante, les deux autres sont devenus des mausolées en plastique. 

La maison de Katia a été très bien restaurée, elle est claire, paisible, il s'en dégage quelque chose de profondément bénéfique, et la vue, depuis la terrasse, n'est gâchée par aucun cottage ni isba défigurée. Une maison idéale pour vivre avec Fiodor et élever un petit. Elle accueillait un ami, avec qui elle a fait ses études, et qui est lui-même un ami du prêtre, Ivan. Ivan a un beau visage russe, ouvert, noble et intelligent, et il aime rire. Il s'est marié à dix-neuf ans, et il a sept enfants. Nous avons tous participé à la cérémonie de la bénédiction. 



Vers cinq heures sont arrivées toutes les copines de Katia, je connaissais beaucoup d'entre elles, notemment Anna Panikhina, qui a lancé à Pereslavl l'opération annuelle 'Tom Sawyer Feast" qui consiste à mobiliser des volontaires pour repeindre les vieilles maisons et attirer l'attention du public sur leur charme et la nécessité de les conserver. Filimonovo est devenu son village pilote. Elle y a fait transporter en pièces détachées une isba de Pereslalv menacée de destruction. Dans ce quartier, il n'y en a pratiquement plus, c'est devenu une sorte de zone industrielle défoncée avec des bâtisses de moellons nus et gris, des maisons chaotiques; disparates, des barrières métalliques d'usine, quelque chose de totalement affreux que je traverse pour aller chez moi en essayant de ne pas regarder.



Anna Panikhina est derrière l'achat de la maison de Katia, car elle redoutait que d'autres acheteurs en fissent une horreur plastifiée, et elle a expliqué les circonstances de l'affaire, tandis qu'Ivan nous faisait un barbecue de saumon, et que son mari tondait leur terrain. Katia a raconté que lorsqu'elle avait pris possession de sa maison, un calendrier sur le mur était ouvert à la date de son anniversaire, et que quelqu'un y avait tracé le mot "papa". Elle l'a pris comme un signe et un cadeau de son père, ce qui a tiré des larmes d'émotion à Anna Panikhina. Celle-ci médite de racheter l'ancienne maison de la culture, pour faire revivre le village, et dès qu'une maison se vend, elle cherche des copains pour l'acheter. Elle est persuadée qu'on peut mobiliser les gens, leur rendre la mémoire, le goût des belles choses et de leur propre culture, et elle n'est pas la seule à tenter l'aventure.


 

Notre expédition au Donbass a fait de nous des vedettes locales, une jeune femme m'a dit que lorsqu'elle m'avait entendu chanter au café, elle essuyait ses larmes avec son bonnet, tant je mettais d'âme dans mes interprétations, et qu'aller là-bas avait été si courageux, et si inspirant pour tout le monde. "Ce n'était pas si courageux, maintenant, il y a les Russes, là-bas, c'était beaucoup plus sportif il y a quelques années. Je craignais surtout de tomber malade!"

Même à Filimonovo, on entend les débroussailleuses et les motos. Un petit nuisible nous a gâché une partie de ce moment de paix idyllique, devant les défilés de montgolfières qui glissaient à l'horizon, au fil des nuages. Je me suis souvenue de ce que m'avait dit le père Nikita, dans un cas semblable, lorsque nous étions assis dans son jardin de Dokoutchaievsk: "Ces motos sont un fléau. Je les déteste tellement que je pourrais leur jeter des briques, mais figurez-vous qu'en passant devant l'église, ils font tous leur signe de croix, alors qu'est-ce que je peux faire?"



samedi 12 juillet 2025

Retour au front

 7, 8 et 9 juillet 2025


Complètement épuisée et vaseuse, je n'ai pas trouvé le courage d'aller à l'église, le dimanche matin. Katia, Fiodor et Elena, si. Le prêtre a pris une photo de Katia et de Fédia avec un journal orthodoxe où, en l'honneur des saints Piotr et Févronia, symboles de l'amour conjugal, s'affichait en première page une famille idéale. Le prêtre a donné un chapelet à Katia: "Prie pour lui". Katia a finement observé que la couverture du journal était un signe, et qu'il ne restait plus qu'à organiser la cérémonie.

Avant le retour au front, Fédia m'écoute chanter un vers spirituel accompagné sur les gousli. Il n'avait jamais entendu cet instrument traditionnel, ni la chanson, et il en est très ému. Je trace sur lui un signe de croix. 

Nous l'avons ramené à un poste de contrôle, au milieu de la steppe, sous un soleil ardent. Le chauffeur Génia était en retard, car sa camionnette l'avait lâché. "Revenez-nous vite! nous dit-il.

- Nous reviendrons avec de l'aide!

- Revenez, avec ou sans aide, pour lui, pour nous!"

L'aide humanitaire est le meilleur moyen qu'a trouvé Katia de revoir son fiancé et d'adoucir sa vie. Elle est extrêmement nécessaire et très bien venue. Nous avons pris congé, bouleversées de voir Fédia et son camarade repartir en enfer.

Tout au long de ce voyage qui m'a, comme prévu, tellement surmenée, j'ai ressenti une véritable paix intérieure, en dépit de l'angoisse de tomber malade dans une région en guerre où j'étais de passage. La certitude d'avoir fait ce que je devais, et d'avoir trouvé en cela une direction pour la suite des événements. Au plus près des nôtres, et au plus loin de toute la sombre pantomime des monstres qui ont tramé tout cela. En chemin, je disais au père Nikita que j'avais bien du mal à pardonner aux fourbes sanglants responsables de ce malheur: "Ils n'ont plus grand chose d'humain, m'a-t-il répondu. Il faut comprendre que pour ces gens, nous sommes des inutiles et des gêneurs. Ils se figurent que tout leur appartient. Nous respirons leur air, buvons leur eau, occupons leurs terres, dépensons leurs ressources. Il leur faut donc nous éliminer, car ils sont la caste supérieure, et nous des sous-hommes."

Ce tableau correspond bien au personnel politique de toute l'UE, qui ne s'en cache même plus. Je suis donc confirmée dans tout ce que je pensais au sujet de cette affaire, et calmement certaine d'avoir choisi le bon camp. 

Nous avons envoyé une petite vidéo à Serioja le balalaiker, qui nous a répondu: "Coucou à tous les artistes! Je suis bien content qu'on ne vous ait pas enlevées, il nous aurait fallu payer une rançon ou aller vous chercher au fond des steppes. Si vous répétez l'opération, je pourrais vous accompagner,d'abord parce que vous n'avez pas froid aux yeux, et ensuite parce que certains de nos gars y sont déjà allés, et que les soldats nous achètent pas mal de balalaïkas, je ne sais pas ce qu'ils en font, s'ils s'en servent pour se taper dessus, mais c'est un fait, et un petit concert avec master class serait bien venu!"

Au retour, nous avons fait escale à Zadonsk, une jolie petite ville où j'avais autrefois séjourné, et qui se trouve à mi-chemin. Nous nous sommes inclinées sur les reliques de saint Tikhon de Zadonsk. La ville a a été fondée seulement au XIX° siècle, et comme en beaucoup d'endroits, marquée par les marchands. Les marchands et les paysans, c'était le socle du pays. Il y a bien des fautes de goût à Zadonsk, mais tout de même, quelle différence avec Pereslavl-Zalesski! La ville reste homogène est charmante, très propre, pimpante, et la "mise-en-valeur" si souvent catastrophique n'y a pas fait trop de dégâts. 


 








jeudi 10 juillet 2025

DEPASSEMENT

 5 juillet 2025



J'ai quitté Dokoutchaievsk, après une mauvaise nuit vrillée par les avions, et une sorte de bourdonnement sourd. Cela fait une impression singulière, quand on n'a jamais connu cela, de sentir le souffle métallique de cette bête tapie, et de penser que pendant tant d'années, le père Nikita et ceux qui l'entourent, en percevant ces grondements infernaux, n'étaient jamais sûrs que leur maison n'allait pas exploser, ou qu'ils ne seraient pas fauchés en allant faire leurs courses ou en arrosant le jardin.

Avant de rejoindre Lougansk, escale à Debaltsevo, après plus de deux heures de bagnole surchauffée. J'ai refait mon numéro, pour le même genre de public, plus des enfants. Je leur ai dit que c'était un honneur pour moi d'être reçue par le Donbass, qui était un exemple de résistance à la déshumanisation qu'on voulait nous imposer partout. Nous devions être à trois heures à Lougansk, pour le barbecue organisé par Fédia, mais impossible, on nous retenus pour le thé, et puis le vieux prêtre local, le père Miron, tenait à nous faire visiter son église, décorée par ses soins de fresques dans le style des images de communion solennelle de mon enfance, et il ne nous a pas fait grâce d'une seule icône. Il nous a raconté que l'explosion d'un obus ayant fait exploser toutes les vitres, il avait tout un hiver célébré dans le froid et le vent, et qu'un autre obus avait ouvert un cratère dans la cour. Il m'a remerciée avec effusion d'être venue: "Vous chantez comme ma mère, j'avais l'impression de l'entendre".

Le père Nikita ne déborde pas d'optimisme, enfin tout dépend du point de vue d'où l'on se place. En bref, il pense que nous vivons les derniers temps. Le starets Zossime disait que la Russie était elle aussi gangrénée par les créatures des ténèbres. Je risque: "Vous n'avez pas confiance en Poutine?

- Comment vous dire... Ce que je sais, c'est que le starets Ivan Krestiankine en avait une bonne opinion, et il ya beaucoup de choses que je n'ai pas la compétence d'apprécier. En plus de celles que j'ignore. Mais ce dont je suis sûr, c'est que négocier avec Zelenski et ses parrains occidentaux est extrêmement compliqué et n'a peut-être même pas de sens, car ils n'ont aucune parole et ne respectent rien. Ils sont toujours susceptibles de violer les traités ou de nous faire un coup en traître."

C'est aussi ce que je pense.

J'ai pris congé de lui avec chagrin et compassion, car il a dû s'appuyer le retour, un trajet de trois heures dans la chaleur ardente. Katia et Fédia estimaient en riant qu'il m'avait pressée comme un citron, mais il ne se ménage pas lui-même, et puis, il m'a ouvert des horizons spirituels. Tout-à-coup, l'ignoble soupe politique de ceux qui nous ont fait cette horreur reculait derrière une sorte de transfiguration par le dévouement quotidien et mutuel des uns envers les autres, par les actions concrètes des uns et des autres, par l'amour qui nous unissait tous. Notre seule issue m'apparaissait dans ce que je voyais ici. Dans cette tournée que m'avait imposée le père Nikita, alors que je suis peut-être au bord de la colique néphrétique, insomniaque et dolente. Dans ce qu'avait accompli Katia, pour aider son homme, et ceux qui combattent avec lui, et dans leur reconnaissance à notre égard, et même dans l'honnête sévérité de nos guides du Front Populaire. Les pourritures de la caste n'ont même pas idée de l'élévation morale que nous donnent ces épreuves, ni de cette affection qui naît entre leurs victimes qu'ils méprisent, du salut qu'elles trouvent dans le mal qu'ils nous font. 

Après le barbecue de Fédia, le sans-gêne bruyant de la table voisine, dans la cour de l'hôtel, nous a contraints à aller prendre le thé sur le balcon fumoir du premier étage. "A quelques kilomètres d'ici, nous mourons en masse, dit Fédia, et ceux-là font la fête comme si de rien n'était." 

Sur ce balcon soufflait une légère brise, des martinets viraient en criant, comme dans le midi de la France, les soirs d'été. "Il vaut mieux entendre ça que des drones,"observai-je.

Fédia nous explique que les drones donnent aux soldats des attaques de panique, que cette guerre ne ressemble à aucune autre. Un de ses camarades venait d'être gravement blessé, il a perdu les deux jambes et un bras. Lui-même se considère comme un miraculé, qui a plusieurs fois échappé à la mort. Lourd silence. "Nous allons continuer à prier... dis-je

- Oui. Car en effet, cela marche. Autrement, je ne m'explique pas comment j'en suis sorti jusque là."

Katia décide qu'elle refera le voyage: "C'est à nous de défendre et d'aider nos fiancés, nos maris, nos fils. Directement. Il y a trop de corruption chez les intermédiaires."

Je crois que cette perspective soutient le moral de Fédia, qui ne s'attendait pas à notre visite ni à la permission qu'elle lui a valu.

Volnovakha

 


4 juillet 2025

Le père Nikita m'a emmenée à Volnovakha, après m'avoir donné un nochpa et un spasmalgon qui m'ont complètement déphasée. Comme je le craignais, je suis malade, et c'est cela que j'appréhendais le plus, dans notre équipée. Je suis arrivée au musée local dans un état second. Y étaient exposées des reproductions d'icônes du musée Andreï Roubliov de Moscou. Partout où nous allons, le père Nikita montre celle que je lui ai faite, le miracle de l'Archange Michel à Konekh, celle que lui avaient apportée les cosaques, et c'est vrai qu'elle est réussie, comme si ce n'était pas moi qui l'avais peinte. Il me présente comme une élève d'Ouspenski, ce qui est beaucoup dire, mais le peu que je sais, c'est à lui que je le dois.

J'ai été assez inspirée, je ne sais pas comment j'ai fait. On m'a couverte de fleurs et de cadeaux. Même chose à la deuxième séance du jour, qui avait lieu chez lui, à l'école du dimanche, j'avais dormi entretemps, mais je n'arrivais plus à me réveiller. 

Le voyage est au dessus de mes forces, et je le savais en partant. Mais j'éprouve une sorte de paix intérieure, la certitude de faire ce que je devais faire, et d'accomplir un "exploit" qui me fait sortir d'une impasse spirituelle où je m'attardais depuis trop longtemps. Complètement dépassée, je me dépasse. Dieu donne les forces que je n'ai pas. Et je parle, explique, témoigne, chante. On me dit: "Vous nous faites aimer notre culture que nous ne connaissions plus, et qui a touché votre coeur à un si jeune âge". Je leur réponds que je pense obéir à une sorte de vocation particulière. 

En chemin, le père Nikita me montrait les destructions encore visibles, des usines bombardées, des maisons. "C'est là que passait la ligne de front entre les insurgés du Donbass et les Ukrainiens. Cela tombait sans arrêt. Les cadavres restaient dans les rues, les voitures passaient dessus, personne ne pouvait les enterrer. Ici, quand ils ont bombardé l'usine, un de nos paroissiens est mort brûlé vif dans son engin. Les Ukrainiens tiraient dans les jambes de ceux qui essayaient de lui porter secours, et tout cela a duré huit ans, huit ans d'enfer."

Il me dit que de temps en temps, tombe encore un obus longue distance, de ceux que la France procure au sale type de Kiev. J'ai vu ce soir que cela s'était encore produit à Donestk. On a l'impression que les pourris qui tiennent l'occident ne lâcheront jamais l'affaire, ils se foutent de ruiner et de vider les pays qu'ils occupent, que ce soit l'Ukraine ou leurs protectorats de l'UE.

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mercredi 9 juillet 2025

DON CAMILLO ET LES GILETS ROUGES

 


Jeudi 4 juillet 2025

Le père Nikita est venu me chercher pour m’emmener à Dokoutchaievsk, en passant par Donetsk. De Lougansk à Donetsk, le paysage est moins joli que de Kamensk à Lougantsk, plus défiguré par l’industrie, et par la guerre. Je vois beaucoup d’arbres morts ou malades.

J’étais attendue à la maison des travailleurs de la culture, à Donetsk, où j’ai été présentée à la directrice, Maïa Borissovna, qui est très âgée, et m’a passée au crible de ses questions. J’étais si fatiguée que j’avais peur de m’évanouir. J’avais encore mal dormi, et fait trois heures de voirure en plus. Mais non, cela s’est bien passé. Le père Nikita m’a fait une interview publique, il a lu des passages de Yarilo, les réflexions de mon héros anglais sur la Russie du XVI° siècle. J’ai parlé de mon amour de la Russie, de ma conversion à l’orthodoxie, chanté des chants russes et français et mes propres chansons. Le public réagissait chaleureusement. Maïa Borissovna m’a serrée dans ses bras : « Vous venez de si loin, et vous m’êtes si proche, vous rendez-vous compte que Dieu vous a comblée de ses dons ? Comment vivez-vous cela ?


- Pas toujours très bien, et je ne suis pas à la hauteur ! Je suis à présent très entourée, mais je suis quand même seule...

- Vous êtes avec Dieu, qui vous a donné tout cela, et veille sur vous comme sur une petite flamme. »

Elle m’a décorée d’une cocarde aux couleurs de la Russie.

Le père Nikita est très aimé, c’est le prêtre qui supervise toutes les autres paroisses de sa région, et tout le monde le connaît, les gens arrêtent sa voiture pour lui dire quelque chose au passage. Il ne partage pas l’enthousiasme communiste de Narodni Front. « Ils me font bien rigoler, ces communistes qui sont tous propriétaires ! Et quand aux staliniens, je leur dis : « Si tu vivais du temps de ton idole, il y a longtemps que tu serais fusillé ! » Il n’y a chez eux aucun ascétisme idéologique, mais beaucoup d’orgueil, et souvent d’envie et de méchanceté. Et souvent aussi la nostalgie d’un temps paisible où les gens vivaient normalement. Le Donbass était très privilégié par le régime communiste, c’était l’aristocratie du prolétariat, et cela d’autant plus que si l’on a mis le Donbass dans la composition de l’Ukraine, c’était justement pour diluer la paysannerie dans la classe ouvrière. Maintenant, croire au retour du communisme, c’est de l’illusion totale, cela ne reviendra jamais ! »



Il pense comme moi que la nostalgie communiste a été artificiellement causée par la nostalgie fasciste de ceux d’en face, entretenue pour créer un climat de guerre civile qui avait disparu depuis longtemps. « Les gens regrettent une vie simple et paisible où l’on peut gagner honnêtement sa vie, avec des sentiments sains et normaux ». D’après ce que me dit le père Nikita et mon impression personnelle, les gens du Donbass, ce sont des gilets rouges. Leur communisme est un populisme analogue à celui des gilets jaunes français et de l’électorat vilipendé de la mère le Pen, qui a d’ailleurs trahi tout le monde. L’essence du bolchevisme, le pur et dur d’avant sa russification, qui s’entend si bien avec le nazisme, s’est déplacé en occident et à Kiev qui en est l’abcès de fixation purulent. C’est là qu’on persécute l’Eglise, comme dans les années vingt et trente, avec une brutalité et une vilenie typiques, et aussi les petites gens, méprisées et traitées comme de la chair à canon, de la chair à organes et à bordels, des sous-hommes, avec l’aide de néonazis au front bas, utilisés par un capitalisme mondialiste mafieux et des sionistes suprémacistes et haineux.

Le père Nikita est consterné par le sort du métropolite Onuphre, privé de sa nationalité par un ukase de Zelenski. Il a pour lui, à juste titre, beaucoup d’amour. « Mais que va-t-il advenir de lui ? demandai-je.

- Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il est entre les mains de Dieu et de sa très sainte Mère. Voyez-vous, il ne faut pas négocier avec le diable, il ne faut pas se compromettre avec lui, cela ne mène à rien. Zelenski, c’est le diable, le Malin. Il n’a aucune parole, aucun principe, aucune pitié. C’est le diable, et ceux qui le servent sont des bêtes d’autant plus féroces qu’elles ont le cerveau lavé par l’idéologie. Les tentatives pour apaiser cette bande n’ont pas empêché l’Eglise de se retrouver dans sa situation actuelle. »

Il pense que le communisme a fait beaucoup de mal à la mentalité et à la culture russes et il est fier de construire des églises là où se dressaient des statues de Lénine. «Voyez, ici, j’ai fait cela avec tact. Vous savez pourquoi Lénine et Kroupskaïa n’ont jamais eu d’enfants ? Ils étaient syphilitiques l’un et l’autre, et le monument qui se dressait là, comme au dernier stade de cette affection, avait perdu le nez et une oreille. J’ai dit aux communistes du coin de récupérer avec les honneurs ce grand malade... »

Le père Nikita habite, près de l’église qu’il a construite, le jardin d’enfants local qui lui a été transmis, faute de gosses en quantité suffisante pour justifier son entretien par la municipalité. Il y organise une école du dimanche, avec catéchisme et toutes sortes d’activités. C’est un lieu très vaste, il y abrite deux ou trois réfugiés, et des chats, dont deux rescapés du front donnés par des soldats. Le soir venu, nous nous sommes assis dans la douce fraîcheur du jardin, avec la vielle et les gousli, qu’il voulait remettre en forme, un ami à lui est venu nous rejoindre. L’air était doux, sec, pas de moustiques, une soirée d’été méridionale, simple et paisible, les chats, la matouchka qui arrose les fleurs... Percevant un grondement sourd, j’observe : «On dirait qu’il va y avoir de l’orage... »

Fin sourire du père Nikita et de son ami : « Non, non, ce n’est pas cela...Mais ne vous faites pas de souci, désormais, ce sont les nôtres qui tirent sur les autres, cela ne vient plus dans notre direction. »

Ils m’expliquent qu’ils vivent avec ce fond sonore depuis dix ans. Dokoutchaievsk était cerné par l’armée ukrainienne, et ils ne savaient jamais où ni quand cela allait tomber. Ca tombait, les murs tremblaient, ils vérifiaient si la maison était encore debout, si tout le monde était encore entier, et ils continuaient à mener leur existence ordinaire.








mardi 8 juillet 2025

"GOUMANITARKA" - 1

 


2 et 3 juillet 2025

Le père Nikita, dont j'avais autrefois traduit l'interview: Mettez la musique plus fort, que l'on n'entende pas qu'on nous tue, m'invitait depuis longtemps à venir le voir à Dokoutchaievsk. Et Katia méditait, elle, d'aller rejoindre son Fédia à Lougansk. Son amie et professeur Elena Vladimirovna voulait, quant à elle, retrouver là bas la tombe d'une amie chère qui n'a plus de famille. L'idée nous est venue d'unir nos efforts et de partir ensemble. Nous devions le faire en même temps que les parents de Fédia. Mais ceux-ci ont dû y renoncer, et nous ont laissé le soin de convoyer l'aide humanitaire qu'ils projetaient de remettre au régiment de leur fils. Nous sommes parties, non sans une grande appréhension de ma part, et à la suite d'une nuit sans sommeil, par une pluie diluvienne et glaciale qui a duré sans interruption de Pereslavl à Voronej. Comme Katia nous avait demandé de prendre le minimum d’affaires, la voiture étant chargée d’aide humanitaire, je me gelais tellement en robe d’été que dans la première station d’essence, j’ai acheté le seul plaid disponible, un grand truc en polaire rouge estampillé « Spartak de Moscou ».

Après une nuit dans un petit hôtel à Kamensk Chartinski, nous avons repris la route à travers la steppe, couverte de fleurs violettes qui semblent des pieds d’alouettes, de bouillon blanc aux rondes corolles jaunes. On ne voit plus ni sapins ni bouleaux, mais des accacias, c’est-à-dire des robiniers, comme dans le midi, et des arbrisseaux rabougris. Je suis émue de rencontrer des plantes qui me rappellent la France, des bignones, des yuccas, des abricotiers. Le paysage est beaucoup plus joli que je ne le pensais, il y a de temps en temps des terrils, et des villages, qui restent authentiques, modestes, avec de charmants jardins, tout est paisible, il y a seulement beaucoup de camions militaires. Je n’ai parlé à presque personne de ce voyage, pour ne pas effrayer les gens. Le père Valentin m’avait donné sa bénédiction chaleureuse. Le père Nikita m’avait préparé un programme très chargé de concerts et de rencontres, dans sa juridiction de Dokoutchaievsk, et à Donetsk. Il pense que c’est très important pour les gens d’ici de voir des personnes comme moi venir à leur rencontre pour leur apporter leur soutien et leur témoignage. Je pouvais donc difficilement me dérober, bien que je fusse terrifiée par les difficultés du voyage, et du reste, je dors très mal et je suis plus ou moins malade, épuisée dès le départ.

Curieusement, voilà que sur la route, j’ai un appel intitulé Mano, c’est ma cousine Claire qui a réussi à mettre sa mère sur Whattsapp et essaie de me joindre, pour que nous pussions désormais nous appeler. A cause des drones, internet est brouillé à mort, mais l’appel est quand même passé, voici la famille qui fait irruption dans mon expédition, d'une manière qui me paraît assez surréaliste : « Je suis en voyage avec des copines ! » dis-je, rassurante et faux-cul.

En chemin, nous tombons sur d’énormes éoliennes, qui gâchent, comme partout, le paysage que nous traversons. « Ce sont vraiment des objets aussi laids qu’inquiétants, observe Katia.

- Oui, encore des machins démoniaques, une arnaque absolue. »

Après les éolilennes, premier contrôle, un simple contrôle de police. Le jeune flic prend les papiers de Katia, et lui déclare : «Ah... Ekaterina Gourkina. Eh bien vous venez d’où, comme ça, Ekaterina Vladimirovna ? De Moscou ? Et vous allez où ? Et pourquoi faire ? »

Il jette un coup d’oeil dans la voiture : « Aide humanitaire ?

- Oui. Nous portons ça à Lougansk...

- Passez, et bon voyage. »



Ensuite, nous arrivons au point de contrôle frontalier, vérification des passeports, du chargement, et on continue le voyage. Juste après, en grosses lettres tricolores, nous voyons affiché : « Merci la Russie ! » Tous les arrêts de bus sont peints en tricolore, tous les monuments de la seconde guerre mondiale couverts de fleurs et de drapeaux. Des drapeaux russes, des drapeaux rouges, des drapeaux chrétiens, cosaques, la sainte Face sur fond écarlate, tout ce qu’on veut.

A l’hôtel, nous sommes prises en charge par deux jeunes gens du « Front populaire » qui se proposent de nous faire la visite guidée, sur recommandation d’un journaliste que connaît Katia. Arrive son Fédia, avec un très jeune commandant, une camionnette et son chauffeur, Génia, qui, après avoir chargé l'aide humanitaire, nous regarde avec une tendresse nostlagique : « C’est tellement bien que vous soyiez venues, pour lui: c’est son anniversaire! Et même pour nous... C’est celui de ma femme, demain, à Voronej, j’aurais tellement voulu y être ! »

Nous étions aux yeux de Génia trois hirondelles venues des régions paisibles... Là où sont les mères, les soeurs, les amies, les fiancées, les épouses.

Nos deux guides du Narodni Front sont très mobilisés, très convaincus, la parole brève, le regard sévère. Ils nous emmènent voir un lieu appelé : « les plaies inguérissables du Donbass », en nous expliquant que sans les Russes, ils ne savent pas ce qu’ils seraient devenus. Nous arrivons à un cimetière en rase campagne, avec un très beau monument aux morts, et des tombes alignées, qui se prolonge par un cimetière sauvage, celui où l’on avait enterré comme on avait pu les victimes du premier bombardement de Lougansk, d’après le guide Marina, totalement inattendu, un mois jour pour jour après l’affreuse histoire de la maison des syndicats à Odessa, où des partisans du maïdan avaient brûlé vifs et massacrés des opposants au régime réfugiés dans la Maison des Syndicats. Kiev avait attaqué l’administration de Lougansk, créant de nombreuses victimes civiles : « Nous avons basculé du jour au lendemain dans une guerre absurde, incompréhensible. J’avais dit à mon mari : « ils ne vont quand même pas nous bombarder ? » - « Mais non, idiote, nous sommes au XXI°siècle ! » Le lendemain, ça commençait à tomber. Et plus d’eau, plus d’éléctricité, plus de gaz ! Les Ukrainiens, aujourd’hui, poussent les hauts cris quand cela leur arrive, et on les comprend, on ne souhaite pas cela à son pire ennemi. Mais eux, alors, ils applaudissaient. Les Russes ne bombardent pas systématiquement les civils en les privant de tout. Les Ukrs, si. »


Nos deux guides en ont gros sur le coeur. Ils disent « les Ukrops, les Toupets, les Ukrainiens ». Mais aussi : « les Russes », ou « ceux de la Grande Terre ». Et répètent : « Les Russes nous ont tout reconstruit, si nous sommes encore là, c’est grâce aux Russes ».

Je dis à la sévère Maria : « Je ne pensais pas voir un si beau pays, je pensais que c’était très industriel, mais ces industries coexistent avec un beau paysage naturel encore assez intact, et de jolis villages modestes. 

- C’est vrai, me répond-elle, fière et ravie. Et même quand on était bombardé, sans eau, ni gaz, ni électricité, on essayait de tout entretenir. Les gens arrosaient même les plates-bandes publiques, je ne sais même pas d’où ils sortaient l’eau » !

Le mémorial récupère peu à peu les corps enterrés dans la hâte, et les ajoute aux rangées de tombes, avec une plaque, lorsqu’ils sont identifiés, ce qui n’est pas toujours possible.



Nos patriotes nous ont ensuite emmenés voir le monument « le tombeau escarpé », sur une éminence. Un bel endroit, avec de grands arbres et des statues de style soviétique inspirées qui rendent hommage aux héros des quatre guerres de Lougansk, la guerre civile, la guerre patriotique, la guerre du Donbass et l’Opération Spéciale... Nous sommes escortés par de gros nuages sombres qui jettent sur nous une pluie intermittente et de brusques lueurs. Katia et Fédia sont cramponnés l’un à l’autre : l’aide humanitaire apportée par nos soins vaut à ce dernier une perm de cinq jours.

Lougansk est une ville agréable, très aérée, avec beaucoup d’espaces verts, elle conserve une certaine cohérence. Elle doonne l'impression, en dehors du folklore soviétique, d'être une sorte de capsule temporelle, rien de gigantesque, rien de tape-à-l'oeil, pas de publicités aguichantes. On voit des ruines de place en place, et comme il y en a plein à Pereslavl qui ne sont pas dûes à la guerre, mais à l’incurie, je ne réagis pas tout de suite, d’autant plus que tout est très calme. Mais ce sont bien les bombardements qui ont causé ces dégâts. Près de l’Administration, un monument aux correspondants de guerre abattus par l’ennemi, et un autre dédié aux victimes de la première attaque contre la ville. Ce dernier montre à la fois des étoiles soviétiques et une croix orthodoxe. "Les Russes reconstruisent tout, nous dit Maria.

- Vous viviez plus mal, sous l'Ukraine, avant tout cela? demande Katia.

- Nous ne vivions pas mal. Mais avec les Russes, c'est mieux."