Alexandrina Viguilianskaïa,, jeune femme on ne peut plus pieuse, fille d'un ecclésiastique renommé, l'archiprêtre Valdimir Viguilianski et de la poétesse et romancière Olessia Nikolaïeva, a connu une mésaventure comparable à beaucoup d'autres que l'on m'avait relatées autrefois et qui me scandalisaient profondément, au point que j'en avais presque perdu la foi.
Il y a deux ou trois jours, mon voisin, en faisant notre palissade, m'avait déclaré qu'il portait une croix en bois d'olivier de Jérusalem mais ne fichait pas les pieds à l'église à cause des popes qui ne pensaient qu'à l'argent. C'est une chose que j'entends souvent, le "pope en Mercedes" ou le pope ivrogne, ou les deux. Mon voisin me produit un exemple: "Au monastère saint Nicétas, dès que tu arrives, on te saute dessus pour te prendre de l'argent.
- Oleg, je ne sais pas, vous avez sans doute un physique de riche, car je suis allée plusieurs fois là bas sans que personne ne me demande rien.
- Comment cela, mais dans tous les coins on voit des troncs qui nous incitent à ouvrir le portefeuille!
- Mais enfin, Oleg, il faut bien vivre, ces moines font beaucoup de bien, ils accueillent les sans abris, ce qu'on leur reproche assez, ils restaurent toutes les églises des villages environnants, alors que personne d'autre ne se soucie de conserver et de restaurer votre patrimoine! Je n'ose penser à ce que serait la Russie sans l'Eglise! Les gens deviendraient aussi cons qu'en Europe!
- Ce prêtre qui est venu bénir votre maison, il vous a pris de l'argent pour cela?
- Il ne me l'a pas pris, je le lui ai donné!
- Oui, mais il l'a accepté!
- Evidemment! Il mange, lui aussi, il ne vit pas de la manne céleste, il a des enfants à élever!"
Je n'ai jamais connu de "pope en Mercedes", sauf un, en Biélorussie, sa bagnole devait avoir 30 ans, et il se démenait tant qu'il pouvait pour ses paroissiens à qui il voulait constituer une bibliothèque classique. Beaucoup de prêtres font des kilomètres et des kilomètres, si un sponsor leur paie une voiture, cela ne me dérange pas vraiment. Beaucoup de prêtres sont d'ailleurs fauchés comme les blés, dans les campagnes, où ils n'ont que quelques grands-mères tout aussi fauchées pour subvenir à leurs besoins. Car ils vivent ici des dons des fidèles, en nature, ou en argent. On apporte à l'église des pommes, de l'épicerie, du miel, des conserves, à certains endroits on fait la quête, à d'autres non, les gens laissent de l'argent dans les troncs, ils donnent un peu plus pour les mariages, les enterrements, les bénédictions de maisons, offices spéciaux etc.
Pour ce qui est de l'ivrognerie, la femme du père Valentin m'avait dit que c'était presque une maladie professionnelle, parce qu'il faut toujours finir le vin de messe, d'une part, et que d'autre part, partout où ils vont bénir, marier et enterrer, les prêtres sont invités à boire et manger avec la famille. Alors selon qu'on lève ou non facilement le coude...
En revanche, ce qui me révulse, ce sont les Savonarole, qui ne sont pas toujours prêtres, qui peuvent être des fidèles, des jeunes filles revêches, des dragons de paroisse en fichu, des barbus rigides, des moines et moniales. Ceux qui se jettent sur la bonne femme qui entre mettre un cierge sans foulard, ou en pantalon, qui vous engueulent à tous propos dans la maison du Seigneur. J'ai pris un jour une tape sur la tête, parce que quelqu'un trouvait que je ne m'inclinais pas assez, quelqu'un qui ne s'est pas dénoncé quand je me suis retournée, furieuse, ce qui avait beaucoup fait rire le père Basile Pasquiet.
Et voilà donc Alexandrina qui, avec sa fille et sa nièce adolescentes, s'arrête pour aller visiter un joli petit monastère dans le Don, et mettre quelques cierges. En bonne fille de prêtre bien pieuse, elle a jupe longue, manches et fichu, et passe un moment, avec les gamines, à les équiper de la même manière, manches courtes, jupe jusqu'aux chevilles, en principe, tout est au delà du réglementaire, mais les moniales ne les ont pas admises, car les manches s'arrêtaient au coude et ne descendaient pas jusqu'au poignet (peut-être faudrait-il même les faire aller jusqu'aux doigts, comme au moyen âge?), qu'elles ne portaient pas de chaussettes dans leurs chaussures d'été (par 40°) et que, péché suprême, Alexandrina avait du vernis incolore sur les ongles de ses orteils!
Comme le faisait remarquer un commentaire, Alexandrina s'en remettra, mais la fille peu ou pas christianisée qui serait venue, sans tenue réglementaire à la chaussette près, chercher du réconfort, prier, qui serait venue sur un bon mouvement, un élan de son âme, accueillie de cette manière par des mégères doucereuses en soutane aurait fui pour toujours. J'ai connu un homme qui, s'étant décidé à se confesser pour reprendre une vie pratiquante, s'était fait engueuler dans toute l'église, de sorte que plus personne n'ignorait ses péchés dans la paroisse.
J'ai d'ailleurs le vague soupçon que si Alexandrina et ses jeunes compagnes avaient été de vrais laiderons sinistres, la longueur de leurs manches n'aurait pas eu la même importance.
Toujours est-il que c'est un étrange réflexe quand on voit arriver des gens dans un lieu de prière, que de mesurer mentalement la longueur des ourlets et de traquer l'orteil qui brille de façon suspecte sous certains angles, quand on se penche bien pour le voir et qu'on ne pense qu'à ça. Cela ne dénote pas un coeur débordant d'allégresse spirituelle et d'amour pour son prochain.
De telles histoires m'avaient conduite à un état permanent de colère que j'avais confessé au père Valeri, et celui-ci s'était exclamé avec tristesse: "C'est que vous fréquentez trop les prêtres et entendez tous nos ragots, eh bien que voulez-vous que je vous dise, vous avez raison, pardonnez-nous, au nom du Christ!"
Réflexion qui m'avait délivrée de cette colère pour toujours. L'Eglise est une communauté, avec ses brebis noires, que Dieu leur soit juge. Il faut pourtant bien dire que souvent, ses pires ennemis, ses ennemis les plus efficaces ne se trouvent pas parmi ses persécuteurs et ses calomniateurs, mais d'abord en son sein...
Je préfère un pope en Mercedes qui picole à des vierges desséchées et méchantes ou à des ayatollahs orthodoxes qui désespèrent les gens...
Il y a deux ou trois jours, mon voisin, en faisant notre palissade, m'avait déclaré qu'il portait une croix en bois d'olivier de Jérusalem mais ne fichait pas les pieds à l'église à cause des popes qui ne pensaient qu'à l'argent. C'est une chose que j'entends souvent, le "pope en Mercedes" ou le pope ivrogne, ou les deux. Mon voisin me produit un exemple: "Au monastère saint Nicétas, dès que tu arrives, on te saute dessus pour te prendre de l'argent.
- Oleg, je ne sais pas, vous avez sans doute un physique de riche, car je suis allée plusieurs fois là bas sans que personne ne me demande rien.
- Comment cela, mais dans tous les coins on voit des troncs qui nous incitent à ouvrir le portefeuille!
- Mais enfin, Oleg, il faut bien vivre, ces moines font beaucoup de bien, ils accueillent les sans abris, ce qu'on leur reproche assez, ils restaurent toutes les églises des villages environnants, alors que personne d'autre ne se soucie de conserver et de restaurer votre patrimoine! Je n'ose penser à ce que serait la Russie sans l'Eglise! Les gens deviendraient aussi cons qu'en Europe!
- Ce prêtre qui est venu bénir votre maison, il vous a pris de l'argent pour cela?
- Il ne me l'a pas pris, je le lui ai donné!
- Oui, mais il l'a accepté!
- Evidemment! Il mange, lui aussi, il ne vit pas de la manne céleste, il a des enfants à élever!"
Je n'ai jamais connu de "pope en Mercedes", sauf un, en Biélorussie, sa bagnole devait avoir 30 ans, et il se démenait tant qu'il pouvait pour ses paroissiens à qui il voulait constituer une bibliothèque classique. Beaucoup de prêtres font des kilomètres et des kilomètres, si un sponsor leur paie une voiture, cela ne me dérange pas vraiment. Beaucoup de prêtres sont d'ailleurs fauchés comme les blés, dans les campagnes, où ils n'ont que quelques grands-mères tout aussi fauchées pour subvenir à leurs besoins. Car ils vivent ici des dons des fidèles, en nature, ou en argent. On apporte à l'église des pommes, de l'épicerie, du miel, des conserves, à certains endroits on fait la quête, à d'autres non, les gens laissent de l'argent dans les troncs, ils donnent un peu plus pour les mariages, les enterrements, les bénédictions de maisons, offices spéciaux etc.
Pour ce qui est de l'ivrognerie, la femme du père Valentin m'avait dit que c'était presque une maladie professionnelle, parce qu'il faut toujours finir le vin de messe, d'une part, et que d'autre part, partout où ils vont bénir, marier et enterrer, les prêtres sont invités à boire et manger avec la famille. Alors selon qu'on lève ou non facilement le coude...
En revanche, ce qui me révulse, ce sont les Savonarole, qui ne sont pas toujours prêtres, qui peuvent être des fidèles, des jeunes filles revêches, des dragons de paroisse en fichu, des barbus rigides, des moines et moniales. Ceux qui se jettent sur la bonne femme qui entre mettre un cierge sans foulard, ou en pantalon, qui vous engueulent à tous propos dans la maison du Seigneur. J'ai pris un jour une tape sur la tête, parce que quelqu'un trouvait que je ne m'inclinais pas assez, quelqu'un qui ne s'est pas dénoncé quand je me suis retournée, furieuse, ce qui avait beaucoup fait rire le père Basile Pasquiet.
Et voilà donc Alexandrina qui, avec sa fille et sa nièce adolescentes, s'arrête pour aller visiter un joli petit monastère dans le Don, et mettre quelques cierges. En bonne fille de prêtre bien pieuse, elle a jupe longue, manches et fichu, et passe un moment, avec les gamines, à les équiper de la même manière, manches courtes, jupe jusqu'aux chevilles, en principe, tout est au delà du réglementaire, mais les moniales ne les ont pas admises, car les manches s'arrêtaient au coude et ne descendaient pas jusqu'au poignet (peut-être faudrait-il même les faire aller jusqu'aux doigts, comme au moyen âge?), qu'elles ne portaient pas de chaussettes dans leurs chaussures d'été (par 40°) et que, péché suprême, Alexandrina avait du vernis incolore sur les ongles de ses orteils!
Comme le faisait remarquer un commentaire, Alexandrina s'en remettra, mais la fille peu ou pas christianisée qui serait venue, sans tenue réglementaire à la chaussette près, chercher du réconfort, prier, qui serait venue sur un bon mouvement, un élan de son âme, accueillie de cette manière par des mégères doucereuses en soutane aurait fui pour toujours. J'ai connu un homme qui, s'étant décidé à se confesser pour reprendre une vie pratiquante, s'était fait engueuler dans toute l'église, de sorte que plus personne n'ignorait ses péchés dans la paroisse.
J'ai d'ailleurs le vague soupçon que si Alexandrina et ses jeunes compagnes avaient été de vrais laiderons sinistres, la longueur de leurs manches n'aurait pas eu la même importance.
Toujours est-il que c'est un étrange réflexe quand on voit arriver des gens dans un lieu de prière, que de mesurer mentalement la longueur des ourlets et de traquer l'orteil qui brille de façon suspecte sous certains angles, quand on se penche bien pour le voir et qu'on ne pense qu'à ça. Cela ne dénote pas un coeur débordant d'allégresse spirituelle et d'amour pour son prochain.
De telles histoires m'avaient conduite à un état permanent de colère que j'avais confessé au père Valeri, et celui-ci s'était exclamé avec tristesse: "C'est que vous fréquentez trop les prêtres et entendez tous nos ragots, eh bien que voulez-vous que je vous dise, vous avez raison, pardonnez-nous, au nom du Christ!"
Réflexion qui m'avait délivrée de cette colère pour toujours. L'Eglise est une communauté, avec ses brebis noires, que Dieu leur soit juge. Il faut pourtant bien dire que souvent, ses pires ennemis, ses ennemis les plus efficaces ne se trouvent pas parmi ses persécuteurs et ses calomniateurs, mais d'abord en son sein...
Je préfère un pope en Mercedes qui picole à des vierges desséchées et méchantes ou à des ayatollahs orthodoxes qui désespèrent les gens...