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mercredi 26 avril 2017

Un ange passe

Mon petit chien est mort.
En revoyant sa dernière photo sur mon blog, je me dis que j'aurais dû prêter attention à des signes discrets, il semble fatigué, et par rapport à des photos de l'an dernier, beaucoup moins touffu.
Mais ces choses-là s'installent peu à peu, jour après jour. Il restait alerte, il mangeait, il courait joyeusement sur le chemin, comme me l'a dit le vétérinaire "il donnait le change".
J'ai dû partir avec lui, renouveler mon visa, hors de question de le laisser derrière moi, et lorsque j'ai vu un vétérinaire ruineux à Paris, il n'a rien décelé de bien grave.
Des troubles persistants m'ont ramenée, à mon arrivée, chez mon vétérinaire de Pierrelatte qui l'a opéré de calculs dans la vessie.
Après des jours d'espoir et de désespoir alternés et deux dialyses, mon petit compagnon est mort, malgré son jeune âge.
Je l'avais recueilli, c'était un "rebut d'élevage" avec une patte atrophiée due à une luxation congénitale. C'est mon deuxième spitz, et il meurt encore plus prématurément que le premier.
Je vais l'enterrer comme le précédent dans la garrigue du monastère de Solan.
Il m'adorait, il aurait tout supporté pour être avec moi, ce qui a pu m'empêcher de voir ce qui se passait, les derniers temps. Il m'adorait avec une ferveur mélancolique. C'était un petit être féérique qui n'était pas de ce monde et semblait savoir qu'il n'y resterait pas longtemps, me laissant inconsolable.
Je ne pouvais pas imaginer que si jeune, il pouvait avoir quelque chose de si grave, et j'ai cela sur le cœur pour longtemps.
J'ai vu sur Facebook les considérations d'un prêtre orthodoxe qui trouve qu'on ne doit pas aimer les animaux. Heureusement, tous ne sont pas de cet avis, car le monde me paraîtrait soudain si injuste que je pourrais en perdre la foi.
Car j'ai été souvent indigne de la confiance et de l'amour de mes animaux, qui étaient absolus.
J'aurais su aimer Dieu et mes proches comme mon petit chien m'aimait, je ne serais pas loin de la sainteté.
Je préfère écouter mon père spirituel: nous emporterons avec nous tous ceux que nous aimons







Mon tout petit copain
Qui pas un seul instant
Loin de moi sans chagrin
Ne peut vivre pourtant,
Voilà qu’un de ces jours
Elle viendra te chercher,
Loin de moi pour toujours
Elle viendra t’emmener

Chiens et chats dévoués,
Souvent si mal aimés,
Du royaume promis
Vous n’auriez pas les clés…
Comme au seuil de l’église,
Où ne pouvez entrer,
Vous ne me suivrez pas :
Là où je m’en irai,
Vous ne seriez de mise…

Cosaques vos chevaux,
Laissés sur le rivage,
Et suivant à la nage,
Sur le dernier bateau 
Leurs maîtres impuissants
Dessus le pont pleurant,
Comment croire que là haut
Vous n’eussiez pas trouvé
Dans les astres paissant
Vos pauvres destriers ?

Andronic, ton lion,
Fidèle compagnon,
Qui dans Rome aux arènes
Trépassa  crucifié,
Pour t’avoir épargné,
N’aurais-tu point de peine
Dans l’éternelle joie,
Si tu n’y voyais pas
Celui qui partagea
Le destin de ceux-là
Qui moururent pour leur foi ?

De ce que tu créas,
Mon Dieu serait-il vrai                
Qu’on put nous retrancher
Tout comme un lot de choix,
Et seuls nous emporter
Dans ton clair au-delà?
Mon Dieu prend donc pitié
De tous ces sacrifiés,
Animaux innocents
Qui mieux que nous souvent
Patientent et pardonnent
Ainsi que tu l’ordonnes.




vendredi 7 avril 2017

De la soirée du poète à la cour des miracles



C'est devenu une tradition que de faire la bringue la veille de mes départs. Cette fois je suis allée fêter l'anniversaire de Iouri Iourtchenko, il avait organisé une soirée littéraire, dans le théâtre qu'il a aménagé chez lui, en faisant des fouilles dans la cave de son appartement. Il a chanté une chanson de son cru, et certains de ses amis ont chanté les leurs. Tout le monde se congratulait avec beaucoup de sentiments, c’était une soirée typiquement russe. J’étais arrivée en retard à cause de Xioucha, qui était cependant enthousiaste. Je n’ai malheureusement pas tout compris, je suis au désespoir de me rendre compte que je suis loin de toujours bien comprendre et de parler correctement et me demande si cela me viendra encore, car je suis vieille.
 Un ami de Ioura a parlé de sa sincérité, du caractère lyrique de sa poésie, qui disparaît aujourd'hui, car s’il y avait de nouveaux poètes, ils n’avaient pas souvent accès à l’édition. «Tous ceux de la génération précédente sont morts ou sont en train de mourir, et il ne reste que celui-là, parmi nous, comme une source vive intarissable. » C’est en effet l’impression que j’ai retiré de cette lecture. Je ne comprenais pas tout, mais comme me disait Zakhar à propos de mes propres vers, j’entendais la musique. Un lyrisme auquel les Français ne semblent plus sensibles, que je ne vois pas se manifester dans ce que j’ai pu lire de poésie contemporaine, chez nous, un lyrisme puissant, qui transforme le monde, qui saisit de la vie et de la source qui la secrète le mouvement et la pulsation, et la traduit en discours et en images incantatoires. Si ce souffle, ce lyrisme, cette musique et ces visions sont absents de la poésie, ce n’est plus pour moi de la poésie, mais de la « prouesse technique» desséchée ou snobinarde qui n'obéit pas à une profonde nécessité intérieure et n'a plus cette conviction de l'innocence qui rend géniaux les enfants éternels. La fonction de la poésie s’apparente à mes yeux à celle du folklore, du chant traditionnel: elle transfigure notre existence et ressemble, en ce sens, à une démarche de prière. Selon l'ancien Porphyre: "Pour être chrétien, il faut être un peu poète". 
Le lendemain, départ et voyage affreux. Un type qui avait couru comme un dératé pour avoir sa correspondance trop courte est mort en s’asseyant sur son siège. Une équipe médicale a essayé de le ressusciter en vain pendant trois quarts d’heure. J’étais crevée et somnolente, je me demandais pourquoi les hôtesses galopaient sans arrêt dans le couloir central. J’ai compris en voyant une bonne femme tenir une perfusion, que quelqu’un s’était trouvé mal, et je me demandais pourquoi on ne l’envoyait pas à l’hôpital. En fin de compte, on nous a fait évacuer l’avion, et attendre deux heures à l’aéroport. Je dois dire que l’événement me semblait aussi irréel que fâcheux, je me disais qu’il eût mieux valu que le mort ratât son avion, ce qui n’était guère charitable. Je n’ai pas entendu un cri, les gens continuaient à mener leur vie chacun dans son fauteuil, et ce pauvre type, entouré de professionnels et de voyageurs indifférents, est sorti de son existence sans avoir compris ce qu’il lui arrivait, il a couru pour avoir son avion, et il est mort, en quelques secondes, toutes les raisons qu’il avait de courir ont été réduites à néant.
En arrivant à Paris, j’ai été étourdie par le printemps, les feuilles vertes pleines de lumière, les arbustes en fleurs. Autrement, c’est la cour des miracles, avec des homos et des bobos qui se promènent au milieu, je ne me sentais absolument pas chez moi.
Quand j’ai voulu prendre un taxi, je me suis heurtée au fait qu’il est devenu presque impossible d’en commander un par appel téléphonique. Il faut avoir un smartphone (j’en ai un, mais avec un numéro russe), il faut avoir un compte, chez telle ou telle compagnie, un mot de passe et toutes ces sortes d’horreurs qui vous pourrissent la vie. Ou bien "taper un, taper deux", et on ne tombe jamais sur un opérateur. Ou quand on y arrive, le chauffeur se décommande. J'ai fini par partir, hystérique, en chercher un dans la rue, avec valise, sac et chien, et par miracle, l'amie chez qui je logeais m'en a trouvé un. Il paraît que c’est la nouvelle mode, ils ne veulent plus faire de petites courses, et on ne peut plus les joindre. Vous êtes vieux et chargé, vous n’avez qu’à faire comme le passager de l’avion, passer l’arme à gauche, ça fait toujours une retraite en moins à payer. Tout à coup j’ai réalisé l’inhumanité de cette société électronique qu’on nous fabrique et souhaité de tout cœur la fin du monde.
Arrivée à la gare, je n’ai pas pu retirer mon billet ruineux à la borne, et j’étais harcelée par une rom impudente et plaintive. Je n’avais pas de monnaie, et pas envie de lui refiler une grosse coupure. Je me suis traînée au guichet pour retirer le fichu billet, puis j’ai voulu prendre un café et un croissant pour essayer de retrouver mes esprits . Le serveur de la croissanterie était complètement allumé, il n’arrivait pas à servir les gens, les faisait attendre des heures, leur parlait d’un ton rogue et a fini par nous déclarer : « Si vous voulez du café au lait ou un capuccino, y en a pas, allez ailleurs ! » La rom, un instant chassée par un vigile, était revenue à l’attaque comme une mouche inlassable qui zonzonait ses plaintes mécaniques. Elle était escortée par une folle qui vaticinait et insultait tout le monde. Ayant cassé mon billet de 20 €, j’ai en ai filé 5 à l’horrible rom qui n’est pas du tout allée s’offrir un petit dej comme elle prétendait le faire, et je me suis souvenue du jeune homme bien français que j’avais vu, la dernière fois, fouiller dans les poubelles, et à qui j’en avais offert un sans qu’il l'eût demandé, et sans que j'eusse à regretter mon pognon. « Donne-moi un p’tit billet, geignait la créature.
- Des p’tits billets j’en ai qu’un, je suis retraitée, qu’est-ce que vous croyez, que nous sommes tous richissimes ? Tiens, prends-le et fiche-moi la paix ! »
Il y a des moments où voir le visage du Christ dans celui de son prochain n’est pas simple, surtout en France.
La folle, lassée d’emmerder la rom, s’en est prise à moi, me reprochant de ne pas lui donner de travail, et de ne pas l’aider financièrement, et insultant ceux qui se trouvaient sur son passage. Il me semblait faire un cauchemar sordide et grotesque, bienvenue à la maison. Comment se fait-il qu'une femme dans cet état rôde dans une gare où tout le monde l'engueule, au lieu d'être prise en charge par un hôpital?
Dans le train lui-même, je me suis aperçue que la Russie m’avait donné de mauvaises habitudes. Chargée comme un âne, je me suis fait apostropher par une vieille noire qui me demandait de l’aider à soulever sa valise sur une étagère : «Ici, c’est les vieux qui aident les vieux, si je comprends bien ? » me suis-je exclamée. Eh bien oui, ou plutôt la vieille blanche  a aidé la vieille noire, sous le regard d’un quadragénaire souriant qui n’a aidé ni l’une ni l’autre. Et moi je me suis démerdée toute seule, comme d’habitude.
Je crois que malgré la rudesse du climat, Pereslavl Zalesski, c’est quand même la planque.
Le taxi m’a parlé du vilain Assad qui gazait les petits enfants, il l’avait vu à la télé. Je lui ai démonté son truc, et l’ai laissé convaincu qu’on lui racontait des craques, mais à mon avis, son prochain client le persuadera du contraire. "Je l'ai vu à la télé", c'est l'argument massue. Avant, on croyait ceux qui juraient sur la Bible maintenant, on croit ceux qu'on voit à la télé.



lundi 3 avril 2017

Retour en France

Comme je disais à mon beau plombier que les libéraux m'inquiétaient, en Russie, il m'a répondu: "Ne vous en faites pas, s'ils essaient de déstabiliser la Russie, et de provoquer ce qui s'est passé en Ukraine, tout Pereslavl se dressera contre eux." Quand je lui ai raconté cela, le père Valentin a fait en riant un grand signe de croix.
Il semble que j'ai choisi le bon endroit pour venir mourir avec les icônes et les bannières, et la présence tutélaire de mes âmes chères, le prince Alexandre, le tsar Ivan, le tsar Feodor, et tous les saints locaux de saint Nicétas au bienheureux Michenka...
A part ça, qu'est-ce qu'on se caille, à Pereslavl Zalesski, neige fondue en rafale, la seule chose qui indique que nous sommes au printemps depuis presque un mois, car ici, les Russes sont optimistes, le printemps débute le 1° mars, ce sont les bourgeons de saule, ceux qui servent de rameaux au dimanche du même nom. Et puis les fameux freux, qui se doublent de l'arrivée, à tire-d'aile, des artistes-peintres que l'on voit se percher sur les rives de la rivière Troubej ou au pied des monastères...
Mais j'ai laissé Pereslavl, ma chatte Georgette qui comprenait très bien que je partais, pour Moscou, et demain pour la France, où je vais renouveler mon visa, en attendant le permis de séjour, qui est à l'horizon, semble-t-il. Le temps de voter et de réchauffer mes rhumatismes, mes sinus et mes poumons!
J'ai fait la route dans la super bagnole de Micha, en écoutant Iouri Chtcherbakov. A travers une tempête de flocons énormes et les gerbes de flotte projetées par les camions.


Iouri Chtcherbakov Koukouchka

dimanche 2 avril 2017

Printemps


Quand je suis rentrée de Moscou vendredi soir, le bus a traversé une tempête de neige. Un grave accident nous a arrêtés une demie heure. Le lendemain, j'ai promené le chien par un beau soleil, je suis allée prendre un repas spécial carême au café Montpensier, pour fuir la maison, où s'affaire le plombier. Il me fabrique une sorte de Beaubourg privé assez craignos, il paraît qu'on ne peut pas faire autrement, mais outre que je n'en peux plus des travaux, il va falloir de l'ingéniosité pour rendre cela moins moche. Il m'a aussi offert un massage pour me calmer les nerfs. Comme masseur, il est pas mal, le plombier. Il m'a étonnée, une fois de plus...
Aujourd'hui, pluie glaciale, ma soeur me dit qu'en France, il fait 20° et que le soleil est trop fort pour déjeuner dehors! Cela me console de devoir partir pour aller renouveler mon visa...
Par ce temps ignoble, je suis allée au monastère saint Théodore, où la soeur Larissa m'a accueillie comme le père du fils prodigue, à bras ouverts. Elle m'avait préparé des cadeaux pour la prochaine Pâques, un livre sur Pereslavl, une icône de voyage, de l'huile sainte issue de l'icône miraculeuse vénérée au monastère. Elle en avait pour la mère Hypandia de Solan, avec une carte de félicitations de l'higoumène de saint Théodore, la mère Varvara. Me voilà en train de faire la messagère entre higoumènes, comme au bon vieux temps de la sainte Russie.
Parmi les cadeaux, pour Solan et pour moi, de l'épilobe, ivantchaï, une grande fleur rose qui pousse partout en Russie et chez nous dans les montagnes, c'était ce qui tenait lieu de thé, avant que les Anglais n'en fournissent aux Russes. Malgré des frontières communes avec la Chine, avant les Anglais, ils n'en buvaient pas, et si j'ai bien compris Skountsev, certaines communautés de vieux croyants préfèrent encore l'ivantchaï et autres herbes locales au thé des Anglais.
Cela fera plaisir aux soeurs de Solan, qui ont elles-mêmes leurs infusions, et je repartirai sans doute pareillement chargée dans l'autre sens.
Voici la carte de la soeur Larissa qui accompagnait mes cadeaux:
Le Christ est ressuscité



Chère Laurence!
Le Christ est ressuscité!
C'est par ces  paroles joyeuses que se saluent tous les chrétiens orthodoxes.
Alors que la grâce du Seigneur ressuscité emplisse votre coeur d'amour
et vous fortifie sur le chemin du salut.
Avec amour en Christ
soeur  Larissa

J'ai vu aussi Lioudmila, qui pendant tout le temps où je ne l'avais pas rencontrée, était à l'hôpital avec une thrombose variqueuse. Elle a absolument voulu me céder sa place à l'église, et une soeur est allée lui chercher une chaise. J'avais honte, de ne pas l'avoir appelée, et de prendre sa place. Elle semble d'une abnégation totale, dont je suis très loin.
Pour me rattraper, je l'ai raccompagnée en voiture, avec une grosse dame qui se traîne avec difficulté. Car mon ami Micha m'a filé l'usage illimité de sa voiture qu'il n'utilise pas. J'en ai quelques complexes. Le père Païssios disait: "Accepte ce que l'on te donne, car si tu refuses tu prives l'autre du bénéfice de son acte salutaire."
Et moi, de mon côté, qu'est-ce que je donne? Je me fais voler mais je ne donne pas grand chose...