Voulant envoyer mes vœux
à mes amis, je me suis surprise à écrire : bonne année 1917. J’ai
naturellement corrigé et ajouté : qu’elle nous apporte le contraire de ce
que je redoute.
1917… Le naufrage de la
sainte Russie, séduite et violée par les gnomes lénino-trotskystes. Un abîme de
malheur, de destructions, de cruauté bestiale et vile, de méchanceté bureaucratique
méticuleuse et acharnée, de persécutions inlassables de tout ce qui était beau,
spontané, naturel, épique, poétique, traditionnel, enraciné, spirituel, la
perversion de toutes les valeurs, l’humiliation et l’éradication de toute
noblesse. Après avoir lancé la destruction de la France en 1789, le diable
lançait celle de la Russie, la troisième Rome. Mais c’était là un plus gros
morceau. La troisième Rome a avalé et russifié le communisme et ressuscité son
orthodoxie martyrisée. « La troisième Rome, Moscou, est debout, et il n’y
en aura pas de quatrième » dit le jeune tsar Ivan dans le film d'Eisenstein. Il n’y en aura pas de quatrième, parce que
l’Orthodoxie, et plus particulièrement l’Orthodoxie russe, est la dernière
arche, le dernier rempart du christianisme des origines, et qu’elle s’apprête à
jouer le rôle eschatologique qu’elle s’est préparée au long de son histoire
chaotique, excentrique, parfois violente et presque toujours fervente et
absolue.
2017. Depuis plusieurs
années, les forces qui ont présidé à cette attaque inouïe contre la sainte
Russie sont de nouveau à l’œuvre, pour l’entraîner dans une guerre totale dont
elle ne veut pas et détruire fondamentalement l’Europe dans son essence et son
identité, dans sa culture, ses paysages, son héritage, son histoire, sans doute
même dans l’intégrité physique de ses habitants, presque tous aveugles,
profondément égarés, spirituellement mutilés et devenus incapables de
discernement. Il se peut que la Russie soit entraînée dans la catastrophe à son
corps défendant, je veux me trouver avec elle, et non pas au pouvoir de
satanistes, de traîtres et de malfaisants comme ceux dont nous dépendons
malheureusement ici. Je veux vivre tout cela au côté de la sainte Russie
orthodoxe, de ce qu’il en reste de vivace et de fervent.
Mais au sein même de la
sainte Russie, subsiste l’Union Soviétique, parfois russifiée à un point
acceptable, parfois bornée et amnésique, et s’infiltre le libéralisme du fric
éhonté et de la haine trotskiste inlassable pour « ce pays », comme
l’appellent les sectateurs de ce mouvement, prêts à la livrer à ses pires
ennemis. Les cicatrices de la chute, du travail du diable, sont partout :
villes défigurées, constructions hideuses, musique abrutissante, comme partout
ailleurs, la hideur bigarrée, criarde des démons triomphants, de Mammon et de Moloch.
Il y a seulement plus de
résistance, et je crois qu’elle tient à une certaine simplicité, à un besoin
inextinguible de ferveur et d’absolu, et au fait, souligné par mon plombier de Pereslavl,
que les Russes ne sont pas formatables.
Et en effet, ils ne le sont
pas, sinon, comment auraient-ils résisté à ce qu’ils ont subi ? Car malgré
tout, ils ont résisté, et mieux que nous, en Europe. Peut-être leur foi est-elle
la bonne ? C'est ma conclusion depuis longtemps.
Ce qu’ils représentent est
ma dernière patrie en ce monde, où je ne m’attarderai de toute façon que deux ou
trois décennies au maximum. La Russie est de toutes parts calomniée, provoquée et
attaquée, c’est là le sort des chrétiens depuis le Christ lui-même, c’est une preuve
de plus, à mes yeux, qu’il faut monter dans cette arche, dans l’arche de la troisième
Rome dont je devinais le rayonnement dès les années 70, quand elle nous semblait
bétonnée sous l’Union Soviétique. J’ai aimé la sainte Russie, je l’ai crue morte
et je l’ai vue ressusciter.
Je me trouve en ce moment
entre deux pays, à attendre une invitation pour faire mon visa et repartir, dans
l’angoisse que les choses ne tournent tout à fait mal et que je ne puisse pas le
faire.
Que cette année 17 ne soit
pas notre perte, que résiste la sainte Russie, et que puissent rejoindre cette arche
tous ceux qui en discernent la direction. Qu'ils le fassent physiquement, comme moi, qui rejoint la troisième Rome mue par une certitude intérieure, ou spirituellement, au sein des quelques lieuх saints qui subsistent encore en Europe. Et qu'ils s'accrochent fermement: ça va tanguer.