Je me lève dans les brumes, un chat avait dégueulé
sur le dessus de lit. J’arrive dans la salle de bains, je monte sur la balance :
elle était mouillée. Une mare de pisse. De chat, de chien, je ne sais pas, j’espère
que ce n’est pas mon artiste peintre… Voilà qui fait bien débuter la journée.
Le père Constantin m’avait engagée à venir à la
liturgie aujourd’hui, car il n’aime pas lorsqu’en semaine, il n’a personne à
qui donner la communion. Je n’avais aucune envie d’y aller. Mais aucune. C’est
même étonnant que moi, qui suis si orthodoxe, je n’arrive pas à surmonter mes
petites faiblesses pour aller à l’église ou respecter les carêmes qui me
compliquent la vie et me cassent les pieds. Mais c’est comme ça…
Enfin pour finir, j’ai lu les prières de communion
que je n’avais pas lues la veille, et je suis partie en traînant les pieds, en
jupe, avec les collants et tout, et le fichu sur la tête, pour enfourcher mon
vélo, direction la cathédrale. Il faisait un froid d’automne profond, 12°, vent du nord, le mois d’octobre. Hier, il ne
faisait pas beaucoup plus chaud, mais il y avait au moins du soleil. Cela dit,
quand il ne pleut pas, qu’il y a du vent, de beaux nuages, c’est vivifiant, le
pire c’est les rideaux de flotte et le ciel gris.
Quand je passe au pied de l’église de la
Transfiguration, où saint Alexandre Nevski a été baptisé, j’ai toujours un élan
du cœur : elle est si belle, si pure, elle me parle d’un temps où tout
était simple et sacré, elle a survécu à tout, elle a vu le beau prince du XII°
siècle et les affreux bolcheviques, et elle est toujours là. Ouvre-moi la
porte, saint Alexandre, de la ville invisible de Kitej et protège ce qu’il
reste de Pereslavl…
J’aurais bien aimé être madame Alexandre Nevski,
encore que je ne suis pas sûre d’avoir ce qu’il faut pour remplir la fonction
de princesse à longue tresse penchée sur son métier à tisser aux côtés d’un
guerrier qui va périodiquement risquer sa peau en vous faisant des enfants
entre deux campagnes, mais on ne se posait pas la question, et la question ne
se posait pas, et cela me paraît psychologiquement tellement reposant. Et puis
au moins, on l’avait d’office, le mari, et les enfants aussi. A cinq ans, on commençait à préparer son trousseau, on n’avait pas à se demander si on passerait son
bac, quelles études on ferait si on « réussirait sa vie », on avait
de la chance ou l’on n’en avait pas, et ce qui comptait, c’était ce qu’on
faisait de son âme, si on avait aimé les siens, si on leur avait été utile.
Alexandre Nevski avait dix neuf ans, quand il a commencé à remporter ses victoires. Je n'aime pas tellement les bustes de lui qui hantent la ville. J'aimerais bien voir la tête qu'il avait. Je pense qu'il était beau, beaucoup de Russes le sont, et à l'époque, ils devaient l'être encore plus, avec la vie qu'ils menaient, rude et saine.
Je me suis confessée, j’ai communié, j’ai pris le
petit déjeuner au café Montpensier avec le père Constantin. Il est anti
Poutine, mais pense que de toute façon, depuis la mort du tsar, la Russie est
aux mains de n’importe qui, et que suivre Navalny, avec sa tête de faux témoin,
il faut être idiot ou vouloir le malheur de sa patrie. Comme moi, il voit dans
la ferveur et l’élan de la procession ukrainienne une sorte d’événement
mystique qui est notre lueur d’espoir. Je lui ai fait part de mon sentiment d’inadéquation
de ma nature aux exigences chrétiennes orthodoxes. « Oh mais nous en
sommes tous là, me dit-il. D’ailleurs il ne faut pas projeter sur l’ensemble
des fidèles ce qui relève du monachisme et qui n’est pas à la portée de tout le
monde.
- Dimanche, vous avez dit dans votre homélie qu’à
notre époque, garder figure humaine était déjà un exploit. Le métropolite
Onuphre aussi avait demandé à ses fidèles de prier pour garder figure humaine.
Eh bien, c’est à peu près tout ce que je suis arrivée à faire de ma vie :
garder figure humaine… »
Dieu aime bien qu’on fasse un effort, même
insignifiant, car cette communion à l’arraché m’a fait du bien.
J'ai dit au père Constantin que j'aimais bien les monastères de Pereslavl, et les moines que j'y voyais, que j'aimais bien aussi le monastère saint Théodore, mais que je préférais les moines aux moniales: "Vous voyez, à la limite, je voudrais bien être moniale, mais dans un monastère d'hommes, et cela ne se fait pas. Parce que les vertus domestiques des moniales, cela me casserait vite les pieds, alors que je vois des moines tellement intéressants, qui ont l'air d'avoir des vies spirituelles ardentes et des activités intellectuelles profondes, enfin j'aurais rêvé d'être une femme au foyer modèle et je suis quand même un garçon manqué..."
Il pense que néanmoins, Dieu m'avait choisie dès mon enfance pour un destin particulier, et gardée à l'écart des erreurs de l'époque.
300 000 personnes ont suivi la Procession en mémoire du baptême
de la Russie, derrière le métropolite Onuphre, à Kiev
Elan du cœur, confession, réponse aux persécutions, pourquoi
la procession à Kiev réunit-elle toujours plus de monde ?
Il y a quelques heures à Kiev s’est achevée la grande
Procession en l’honneur de l’anniversaire du baptême de la Russie kiévienne.
Cette année, le nombre des pèlerins a dépassé toutes les attentes, surpassant
les indicatifs de 2017 et 2018.
Pourquoi aujourd’hui, quand l’Eglise du Christ est
persécutée par le pouvoir,quand se sont
dressées contre elle de puissantes forces extérieures , etque l’esprit même de l’époque, semble-t-il,
éloigne l’homme de l’exigence de la vie spirituelle, toujours plus de gens se
rassemblent autour d’elle ?
La Procession en tant
qu’élan du cœur
Sa béatitude le métropolite Onuphre l’a expliqué
simplement : les croyants viennent à Kiev parce que l’âme humaine ressent
le besoin de communiquer avec Dieu. " l'âme humaine n'a pas besoin
d'apprendre les nouvelles, mais d’apprendreDieu, de découvrir pourquoi l’homme a été créée età quoiil est destiné", a-t-il déclaré dans une interview accordée à la
chaîne Inter TV. "Au cours de la procession, celui qui entre en relation
de prièreavec les autres apaise sa soif
spirituelle de la parole de Dieu, de la prière et de la relation avec
Dieu."
La Procession en tant
que confession de foi.
Mais il est évident que dans l’Ukraine contemporaine, la
participation à la Procession avec la prière suppose encore un autre aspect, le
désir de confesser sa foi.
Tous ceux qui sont venus aujourd’hui à Kiev, par leur
présence sur la colline de Vladimir, ont exprimé leur soutien à l’Eglise
Orthodoxe Ukrainienne, s’est déclaré en unité avec elle.
Nous vivons, au moins extérieurement, dans une société
démocratique. Mais derrière les belles paroles sur la démocratie et la liberté,
on cache souvent, en Ukraine, les faits de persécution de croyants sur des
signes religieux.
Les confiscations d’églises, les lois anticléricales, la
haine et l’agressivité envers l’Eglise ne rencontrent pas de réaction de la
part des organes législatifs, on les tait et on les nie. Beaucoup de médias
sont catégoriquement opposés à l’Eglise et ne donnent pas seulement de
l’information fausse, mais mentent carrément. Les politiques et les
fonctionnaires font des déclarations contre elle et se mêlent directement de
ses affaires.
Et c’est pourquoi, dans avoir les moindres leviers
extérieurs d’influence sur la situation, et ne voulant pas non plus de
confrontation avec « ceux qui nous haïssent et nous attaquent », les
croyants de l’EOU utilisent le seul moyen qui leur permette de rappeler leur
présence dans la société ukrainienne et leur égalité de droits devant la loi et
la constitution, la Procession.
La Procession en tant
que soutien de l’Eglise
Dans la société capitaliste et les pays démocratiques, dont
notre pays désire faire partie, il y a un bon principe qui s’appelle
« voter avec son porte-monnaie ».Par exemple, très souvent le pouvoir démocratique n’interdit pas certain
produit ou marchandise, il existe librement, sans intervention extérieure. Mais
les gens réagissent à son existence par le désir, ou l’absence de désir, de
l’acheter. De la sorte, si personne ne veut payer pour cette marchandise, le
producteur comprend que personne n’en a besoin et soit il arrête la production,
soit il enlève la marchandise de l’étal pour la perfectionner.
Cet exemple est grossier et peut-être malchoisi, mais il correspondd’une certaine façon à la situation qui s’est
installée dans la sphère religieuse ukrainienne. Pour voir quelle église
soutient le peuple, les autorités doivent laisser toutes les églises
tranquilles. Comme Gamaliel l’a dit un jour: si l’affaire vient de Dieu, vous
n’y pouvez rien, et si c’est de l’homme, elle s’écroulera.
D’après une enquête publiée par les médias, c’est l’ELU récemment
fondée (il y a un an c’était l’EOU du Patriarcat de Kiev) qui bénéficie du plus
grand soutien. Cependant, la Procession démontre justementet précisément quelle Eglise soutient le
peuple ukrainien, à quelle Eglise s’identifie la majeure partie de l’Ukraine.
On peut affirmer autant qu’on veut que l’Eglise Orthodoxe
Ukrainienne n’a pas de soutien dans la population, et l’on peut simplement
regarder la transmission de la Procession d’aujourd’hui, et se convaincre que
c’est une énorme erreur.
La Procession comme
réponse aux persécutions
Les persécutions ne font que renforcer l’Eglise et tous ceux
qui ont en leur temps lutté contre l’Eglise on disparu de l’arène historique.
Sa béatitude Onuphre, dans une interview, a comparé l’Eglise
avec un navire. Il semble à beaucoup, dit-il, que sur ce navire, il n’y a pas
de capitaine, et ces gens essayent de piloter, de diriger ce navire. Cependant,
tous ceux qui ont pris la barre de l’Eglise en mains ont fini leur vie tragiquement.
L’Eglise a un Pilote, le Christ et Lui seul confirme la
route et la direction dans lesquelles ce navire vogue. Toutes les tentatives
pour changer de cap, s’immiscer dans les affaires internes ou diriger soi-même
se terminent mal.
D’autre part, plus l’Eglise était persécutée, plus elle avait
de fidèles par milliers. On peut même supposer que l’Eglise croît en proportion
directe avec les problèmes que lui créent les politicienset ceux qui sont au pouvoir.
Au tout début des persécutions contre l'orthodoxie,
organisées par le gouvernement soviétique, l'un des nouveaux martyrs et
confesseurs russes a déclaré: «Dieu utilise la persécution comme un fer à
repasser pour brûler tous les poux de la Tunique du Christ. Ces mots sont durs
mais justes. Pendant les persécutions, l'Église devient non seulement
nombreuse, elle devient plus propre, la foi devient plus forte, l'espoir se
renforce et l'amour pour les ennemispasse de l’incitation à un principe de vie.
La Procession comme réponse à l’agression
Pendant la Procession, un journaliste de la chaîne « 112
Ukraina » a pris une interview à des jeunes filles qui étaient venues à
Kiev depuis la région de Tchernovitsa, du village de Vaslovotsy. Pendant 180
jours, dans ce village, la communauté orthodoxe a, grâce à sa prière permanente,
défendu ses droits à son église, que des représentants de l’Eglise Locale ont
essayé de lui prendre.
L'archimandrite Alipy (Svetlichny) a comparé cette veille de
prière avec l'exploit monastique du monastère de Ceux qui ne dorment pas. Dans
ce monastère créé par le moine Alexandre au Ve siècle, la prière monastique
durait 24 heures par jour. Et ce parallèle n'est pas accidentel. Dans le
premier et le second cas, la prière est un moyen d'aider l’homme à être avec
Christ. Les habitants de Vaslovtsy, réagissant à l'agression et à la colère par
la prière, témoignent du fait que le Christ leur est plus cher que tout, et
même que la vie.
Les journalistes ont noté que la prière en tant que réponse
à la violence est la principale preuve de la vérité de l'Église, une sorte de
critère du vrai christianisme. Christ lui-même nous appelle à aimer nos ennemis
et dit que nous devrions bénir ceux qui nous maudissent, prier pour ceux qui nous
persécutent et nous causent des ennuis.
Et les habitants de nombreuses villes et villages d'Ukraine,
quiressentent la haine envers eux-mêmes
et leur Église, prient. Ils ne prennent pas les armes, des scies sauteuses, des
barres de fer et des marteaux pour démolir les portes des églises des autres
communautés. Ils prennent le psautier et l’Évangile afin d’ouvrir les portes de
leur cœur et de laisser le Christ y entrer. Ils prennent des chapelets et des
icônes dans leurs mains, et, eux-mêmes marqués du signe de la croix, demandent
à Dieu d'envoyer paix et amour au cœur de tous, y compris de ceux qui se
tiennent en face avec un pied de biche ou autres accessoires.
…
La Procession est la preuve que le christianisme se vérifie par la pratique. Ce n'est pas
simplement une belle théorie qui vise à rendre une personne plus parfaite
moralement. C’est d’abord un mode de vie
qui aide à se rapprocher de Dieu, à s’unir avec Lui, à devenir participant de
son Etre.
C'est pourquoi les représentants de l'Église orthodoxe
ukrainienne ont souligné à maintes reprises que la Procession est avant tout
une prière. Les gens qui vont de la colline de Vladimir à la laure de
Kievo-Petchersk le font pour illuminer par la prière aussi bien eux-mêmes que
le monde dans lequel ils vivent. Et ce qui est surprenantc’est que pour ce droit, pour la possibilité
de prier pour tous et pour tout, le chrétien est prêt à mourir.
Ce n’est probablement pas par hasard que notre Eglise a
décidé de mettre aux rangs des saints, pas n’importe quel jour mais précisément
demain, trois hommes qui ont vécu et sont morts en Christ.
Il s’agit du recteur de l’Académie de Théologie de Kiev
saint Basile (Bogdachevski), confesseur de la foi, de saint Sylvestre
(Malenavski) et du saint prêtre martyr Alexandre Glagolev, professeur à l’Académie
de Théologie de Kiev.Leurs reliques
participaient à la Procession, et leur exploit est la meilleure preuve de la
vérité du christianisme.
Il serait souhaitable en général que non seulement aujourd’hui,
mais chaque jour, notre terre ukrainienne soit emplie de porteurs de croix qui
la consacreraient par la prière et l’amour du prochain. Chacun de nous peut
plus ou moins le faire. Il n’est pas besoin pour cela d’aller quelque part, il
suffit de comprendre que Dieu est présent partout. Et où que nous allions, nous
pouvons être avec lui. Et là où est Dieu, là est le Royaume des Cieux.
Article de l'Union des Journalistes Orthodoxes traduit par mes soins
Trois jours de beau temps, dont j’ai profité autant
que j’ai pu, car demain, on annonce 13°… Les Français, accablés par la
canicule, m’envient. Pour ne pas sombrer dans le cafard, je suis allée me
promener avec Ritoulia, j’ai rencontré la chevrière, Nadia, qui elle-même a
rencontré une collègue. Je suis montée à la chapelle au dessus du lac. Que
cet endroit devait être beau, quand le monastère s’y dressait encore…
maintenant, les affreuses maisons s’y accumulent. Un point positif, les
monceaux d’ordures ont été retirés, le long du chemin. Des gens qui habitent à
l’année une maison en bas montent la garde et engueulent les cochons quiviennent sournoisement larguer leurs
poubelles.
Assise près de la chapelle, j’ai vu monter une
nuée si sombre, si énorme, si impressionnante, une sorte de raz-de-marée
céleste qui chassait devant lui de blancs et brillants nuages effarés. Dans ses
convulsions, ses anneaux, ses déchirures, des bribes d’arc-en-ciel, juste une
allusion, un arc-en-ciel en gestation. Je l’ai vu ensuite se déployer alors que
je me hâtais de rentrer sous une pluie pleine de lumière. Nadia était toujours
à flanc de coteau aves sa copine. Leurs chèvres se connaissent et se saluent
quand elles s’aperçoivent de loin. Elles sont très intelligentes, et très
caressantes.
L’évêque célébrait les vigiles de la fête de saint
Vladimir, hier soir, et me donnant sa bénédiction en entrant, il s’est exclamé :
« Oh il y avait si longtemps ! » Il a l’air si intelligent, et
malicieux, plein d’humour. Le lendemain, à la liturgie, Anastassia qui m'avait apporté des fleurs de la datcha de sa mère, m'a fait cadeau d'un linge brodé ancien pour me faire des rideaux, je ne crois pas que cela fera l'affaire, mais j'ai été très touchée.
La grande Procession ukranienne pour la
commémoration du baptême de la Russie par saint Vladimir a rassemblé 300 000
personnes. Les persécutions viles et brutales de ce pouvoir aux ordres des
forces mondialistes qui haïssent l’orthodoxie, et tout peuple qui garde sa foi, sa cohésion et sa mémoire, n’ont fait que confirmer la position de l’Eglise. Comme dit mon
ami Henri Barthas : « A côté de toute cette foule, on voit dans un
coin Philarète et quelques uns de ses affidés qui cherchent le Tomos dans une
poubelle… »
En allant porter des tableaux à encadrer, j’ai vu
et photographié une maison contemporaine, à Pereslavl, toute simple, bien
proportionnée, avec un revêtement de toit gris et mat, elle pourrait s’inscrire
dans n’importe quel coin de la ville sans le déparer, à proximité des
monastères, ou des maisons anciennes. Comme quoi c’est possible, de faire du
neuf qui ne soit pas immonde.
A mon retour, deux gosses des maisons voisines m'ont demandé s'ils pouvaient s'inviter chez moi. Ils ont fait le tour, ils ont tout regardé et trouvé la maison "riche". Je crois qu'elle est surtout neuve, et faite avec un certain souci esthétique, car je n'ai que des meubles IKEA ou achetés d'occasion sur AVITO. L'un d'eux a compté quelques pièces de dix roubles que j'avais laissées sur la table de la cuisine. "Oh, dis-je, tu veux faire quoi dans la vie, banquier?
- Oui!" me répond-il avec conviction.
Les deux chevrières
Le lac avant la pluie
la maison discrète et de bon goût! La palissade est en bois, au lieu d'être en horrible tôle métallique. Le petit balcon sous le toit ne fait pas grosse verrue, il s'intègre bien.
Voici une analyse géniale d'Igor Rostislavovitch Chafarevitch du destin de la Russie, et du nôtre par la même occasion, c'est un extrait d'interview publié par le site pravoslavie.ru, qui rejoint mes propres réflexions, ce qui m'a amenée à le traduire et à le commenter.
".......Vous savez, il me semble
que la crise russe n’est en fait pas seulement russe. C’est une crise mondiale,
qui se reflète d’une manière particulière en Russie. Et si cela ne nous éloigne
pas trop de notre thème, je peux exposer comment je me figure le problème. Il
me semble en effet que le problème de la Russie ne peut se résoudre qu’à
l’échelle mondiale.
Il me semble que ces derniers siècles, particulièrement
les deux derniers, l’Occident construit une société absolument unique qui n’a
jamais existé auparavant, et sous bien des aspects, est en rupture complète
avec la tradition de l’histoire humaine.
D’abord,
elle n’est pas agraire, mais purement citadine. Il y eut des cas d’apparitions
de grandes villes et de régression de l’agriculture. C’était habituellement lié
avec la fin d’une civilisation : la Rome antique, Babylone… Spengler dit que
le signe typique de la chute d’une culture, c’est quand croissent de grandes
villes au dépend des campagnes. Mais cette croissance n’était pas du tout à la
même échelle : la majeure partie des gens a toujours vécu à la campagne,
or maintenant se construit une société dans laquelle idéalement, personne ne
vivrait à la campagne. Aux USA, peut-être trois pour cent des gens vivent à la
campagne et font de l’agriculture, alors que l’agriculture occupe une grande
partie de la population, dans la production d’engrais, la construction de
machines, la recherche scientifique, la génétique… On a l’impression que cette
société est hostile à l’agriculture et il lui faut, comme dans les mines d’uranium,
avoir le minimum de contact avec elle, si possible, remplacer l’homme par la
machine.
Cette
société s’est fondée sur l’anéantissement des campagnes qui a commencé en
Angleterre, avec la persécution féroce des paysans. On les chassait de leurs terres,
on les déclarait vagabonds, dans la mesure où, en effet, privés de leurs terres
communales, ils erraient à la recherche de travail. Ces vagabonds étaient marqués
au fer rouge et pendus. Ou on les enfermait dans des maisons de travail, où les
conditions de vie étaient à peu près carcérales et qu’on appelait les « maisons
des horreurs ». Ils se transformaient peu à peu en prolétariat urbain,
mais là aussi on les tenait sous la menace de lois féroces, supposant par exemple
la peine de mort pour le vol d’un bien de quelques fartings, c’est-à-dire
quelques kopecks. Alors les parcs de Londres étaient décorés de pendus… C’est
de cette façon terroriste que fut édifiée, aux dépens des campagnes, la société
technique industrielle.
Maintenant, la vie est de plus en plus basée
sur la technologie et la technologie est considérée comme l'élément le plus
fiable de la vie. Et partout où il est possible de remplacer une personne par
la technique, on la remplace par la technique. Sur les commutateurs, par
exemple, lors du remplacement de personnes par des dispositifs techniques, on a
moins d’erreurs ... La technique est comprise dans un sens très large, non
seulement en tant que technologie de la machine, mais également en tant que
système bien conçu et élaboré d’activités dirigées, tel que tout le monde peut
être formé. Ce peut être la technique du jeu boursier, la technique de la
publicité, la technique de la propagande politique ... La machine ici n’est
qu’un idéal, une "technique idéale". Cette technique subordonne
complètement l'homme. Elle lui indique à la fois les objectifs de la vie et les
moyens de les atteindre. Et le moyen de se détendre. On travaille sur la technique et c'est elle qui organise notre repos. Le contact avec la vie réelle est
remplacé par un contact artificiel, principalement par la télévision, comme
dans un roman de science-fiction sur l'avenir ... Un sociologue allemand a brièvement caractérisé ce courant: il s'agit de détruire la nature et de
la remplacer par une nature artificielle, à savoir: technique. Il se produit
dans le monde une sorte de coup d'Etat.
La Russie
était dans une position particulière, car cette civilisation technique crée de
très grandes forces et un grand nombre d'opportunités très attrayantes pour la
mentalité russe. Après tout, cette nouvelle technique très spécifique est basée
sur la science, chaque nouvelle réalisation technique est basée sur une
réalisation scientifique qui vient de se produire. Par exemple, la bombe
atomique est créée sur la base de la mécanique quantique, découverte par
pratiquement la même génération de personnes.
Et ainsi,
la Russie s'est retrouvée dans une position qu’elle partage avec un certain
nombre d'autres pays. Ils sont confrontés à un problème: comment doivent-ils
gérer une civilisation aussi technique? Et c’est une civilisation extrêmement
cruelle et intolérante. Bien qu’elle agisse sous le couvert de la tolérance, d’une
tolérance non partisane, elle ne s’applique qu’à ce qui se passe à l’intérieur
d’elle-même et à ce qui n’interfère pas avec son fonctionnement. En elle-même,
elle est prête à défendre toute minorité: religieuse, sexuelle, peu importe ...
- Vous
voulez dire la civilisation occidentale ?
Oui, biensûr. La civilisation technique, c’est
la civilisation occidentale… Mais avec tout cela, avec quelques alternatives,
elle est complètement incapable de coexister. Elle détruit tout simplement. Les
Indiens d'Amérique ont choisi la solution de ne pas y succomber - et ils ont
été complètement détruits. Les Chinois, les Indiens étaient soumis à la colonisation
... La Russie a choisi le chemin très difficile d'emprunter, d'apprendre, tout
en essayant de conserver ses fondements. Et il me semble que la lutte pour sauver les campagnes, pour empêcher l’arrivée
de cette révolution en Russie, est au centre de l'histoire russe: éviter la construction d'une civilisation industrielle
aux dépens du village. Ce fut la base des réformes d'Alexandre II. C’est pour
cela, que la communauté villageoise avait été préservée, afin d'empêcher la
prolétarisation du village. Puis, s’il s’est avéré que cette voie comportait un
certain nombre de défauts, les ministres d’Alexandre II et d’Alexandre III de
Bunge et de Witte ont proposé leur propre version… Mais c’étaient tous des
actes administratifs qui n’entraînaient pas de véritables mesures.
Beaucoup de choses ont été préparées qui furent ensuite accomplies par, Stolypine.
Parallèlement, tout à fait indépendamment de cela, s’est développé un courant grandiose pour
l'étude et la mise en œuvre de la coopération paysanne, qui a permis de
préserver l'élément le plus central et le plus individuel de l'économie
familiale, tout en la rendant économiquement puissante, en lui donnant accès au
marché mondial, en réfutant le point de vue que seules les grandes
exploitations sont compétitives. Et avant la guerre mondiale, 85 millions de
personnes avec des membres de leur famille étaient membres de coopératives -
une grande partie de la population paysanne. Il existait d’énormes entreprises coopératives
- le Centre pétrolier, le Centre du lin - des monopoles sur le marché mondial, qui
reposaient sur la coopération des fermes paysannes
Toutes
ces tentatives se sont toutefois avérées tardives et insuffisantes et n'ont pu
empêcher l'explosion de la révolution. Qu'est-ce qui manquait? Je pense que c’était
la même chose, que ce qui nous manque aujourd’hui, le sentiment que "la
patrie est en danger". Si les propriétaires de cette époque avaient été
suffisamment au courant de ce qui se passait, ils auraient bien sûr été prêts à
faire de plus grands sacrifices. Mais parmi eux, régnait cette sorte de
confiance à courte vue dans l'inertie de la vie, que j'ai déjà mentionnée, l’idée
que tout continuera à rouler de la même manière ... "
Quand j'avais lu les descriptions que donnait Jack London du Londres des misérables au XIX° siècle, je m'étais fait la réflexion que cet univers n'était pas loin de celui du goulag: une sorte de mise en esclavage industriel de sa propre population, et notez que la violence avec laquelle on a détruit la paysannerie en Angleterre, où toute cette horreur technique a pris naissance, rappelle énormément la dékoulakisation soviétique, les spoliations de la collectivisation et la détresse subséquente des paysans voués à la famine, à la misère, aux brimades, à l'incarcération et aux exécutions. Qu'est-ce qui nous a pris, pourquoi avons-nous pris en haine ce que nous avions de plus vénérable, de plus sain, de meilleur, à savoir notre civilisation agraire antique, humaine et pleine de sens? Je me souviens d'un peintre juif new-yorkais, propriétaire d'un mas en Provence, qui parlait avec une haine hallucinante des paysans du coin, et m'avait répondu quand je m'en étais étonnée: "les paysans font échouer toutes les révolutions". C'était la réponse que m'avait donnée un petit communiste français quand je lui avais parlé des horreurs de la collectivisation: "Que veux-tu, les paysans ne comprennent rien aux révolutions". Mais pourquoi la faire, cette révolution, technique, scientifique, industrielle, bourgeoise, prolétarienne, quelle rage nous a tous pris d'entrer dans cette sanglante arnaque, dans cette prison et cette destruction systématique de tous nos peuples? Pourquoi tant d'imbéciles se sont mis à mépriser les paysans, leur culture ancestrale, pourquoi nous sommes-nous reniés, pourquoi avons-nous choisi notre auto-domestication et notre avilissement, notre dénaturation, et quels avantages en avons-nous retirés, quel monde tout cela a-t-il enfanté, et à quel prix?
Si j'aime tellement la Russie, c'est que malgré les ravages soviétiques, puis libéraux sur la société paysanne, elle fleure encore la campagne, celle du moyen âge, fervente, généreuse et fantastique. Mais pour combien de temps? Car le Moloch lâché en premier sur le monde par les Anglais ne fait que gagner en monstruosité et en infernale astuce.
Dans la foulée de cet interview, je suis tombée sur un remarquable documentaire, malheureusement sans sous-titres:
Quelque part en Russie, un prêtre, le père Victor Saltykov, sauve un village de la disparition complète, programmée par tous les monstres d'une humanité affolée par le diable et son train. Dommage que je ne puisse traduire tous ses propos, qui sont parfois peu intelligibles, mais ce qui est compréhensible est très consistant. De ce village perdu dans l'immensité de cet océan de terre peuplé de paysans qu'était la Russie, le prêtre dit qu'il est matériellement le plus pauvre et ajoute: "Quoique bien sûr, on ne peut pas dire que nous soyons vraiment pauvres, est-ce qu'on est pauvre, quand on a autour de soi cette beauté et cette grâce? "
Et en effet, je vous le demande: qui, dans les hideuses cages de béton où nous fait vivre la civilisation technique, dans les labyrinthes exténuants de ces villes hypertrophiées, peut dire qu'il a autour de lui la beauté et la grâce?
Dans ce village du fin fond de la Russie, la vie est lente, contemplative, les gens travaillent à leur rythme, et comme dit le prêtre, ils ont tout sous la main, la terre, ses fruits, un endroit pour se reposer, un endroit pour se baigner. Pas de médecin, mais dit le prêtre, avec la vie que nous menons, nous ne sommes jamais malades. Quand nous le sommes, c'est que c'est le moment de mourir. D'ailleurs, j'ai déjà repéré l'endroit où je veux être enterré, et j''espère maigrir d'ici-là, pour que les bonshommes d'ici n'aient pas trop de mal à me porter.
Les visages des gens sont calmes, leurs sourires lumineux. Regardez les visages de fous furieux ou de fantômes hagards qui vous entourent en ville, dans le métro, au boulot. Sommes-nous faits pour cela?
Le père Victor parle de l'arche de Noé: "Très peu de gens sont venus y monter, mais les bêtes sont arrivées toutes seules, Noé n'a pas eu à leur courir après. Il y a un temps pour prier et un temps pour construire une arche. Et cette arche reste un moment ouverte à tous ceux qui voudraient y entrer. Mais quand les portes se fermeront, il sera trop tard".
Traversant des hectares retournés à l'état sauvage, il explique: "Cela n'était jamais arrivé, depuis des siècles, même pendant la guerre, ces terres étaient travaillées, et maintenant, regardez..." Sa constatation rejoint les réflexions de Chafarévitch: assassiner la paysannerie, c'est assassiner la Russie, mais c'est aussi assassiner la France, comme on le voit aujourd'hui, c'est assassiner les peuples, leur mémoire, leur histoire, et de gros salauds qui ont organisé tout cela viennent nous dire maintenant que nos villages désertés en résultats de leurs efforts, de leurs entreprises néfastes et méticuleusement implacables, peuvent être repeuplés par les Africains!
Hier, devant un passage de montgolfières dans le ciel de Pereslavl, Katia évoque le paysan russe qui parvient à voler dans les airs, au début du film Andreï Roublev, et se tue à l'issue de l'expérience. "J'ai lu quelque part, lui dis-je, qu'un type était vraiment arrivé à voler, et c'était sous Ivan le Terrible, qui l'a fait exécuter, parce qu'il considérait que l'homme n'était pas fait pour voler dans les airs".Or le prêtre, dans le film, explique: "Voir la terre depuis le cosmos, cela paraît extraordinaire à des tas de gens, mais vivre sur la terre normalement, ils n'en sont plus capables, or regarder la terre de l'extérieur, nous ne sommes pas faits pour cela, nous ne sommes pas faits pour regarder de l'extérieur, nous sommes faits pour être dedans, regarder de l'extérieur, c'est mauvais pour l'âme".
La première fois que j'ai pris l'avion, j'étais émerveillée, et pourtant, assez vite, je me suis rendu compte, moi qui suis fascinée par les nuages, lorsque je les regarde depuis la terre, par leurs ombres et leurs lumières, leurs formes et leurs couleurs, toujours changeantes, que la "mer de nuages" vue d'en haut, d'au dessus, n'avait pas grand intérêt: c'est plat, c'est blanc, c'est sans nuances. Ce que les nuages ont à nous dire se passe dessous, entre la terre qu'ils ombragent et inondent, et leurs dérives monumentales, leurs monts et leurs caravanes, leurs architectures, leurs armées, l'endroit du tableau que Dieu a composé pour nous.
La technique est mauvaise pour l'âme quand elle prend le dessus sur nous et sur la vie. "Les anges sont dans ce qui est simple, et dans ce qui est élaboré, il n'y a rien": proverbe russe cité par le père Victor.
Pour finir, le père Victor déclare: Il ne faut pas sauver la nature, sauvons-nous nous mêmes, et la nature sera sauvée. Il ne faut pas sauver l'Eglise, c'est elle qui nous sauve. Il en faut pas sauver la Russie, il faut l'aimer. Et il ne faut pas sauver le village, il faut y vivre"... C'est encore une des raisons qui m'ont fait préférer, en fin de compte, la Russie à la France, ce genre de visions profondes, essentielles, de ce qui nous arrive à tous. Certes, en France, pas mal de gens se rendent compte que la modernité les fait passer à côté de la vie, non seulement de ses joies mais de son sens réel, de sa nécessité, mais ils ne voient pas les racines du mal ni les véritables issues et se lancent dans des retours à la terre new age avec tam-tams exotiques, sans se retrouver, sans retrouver leurs sources, sans se placer dans le doit fil de leur mémoire éternelle, et sans exigence intérieure fondée.
Si j'étais un peu plus jeune, je rejoindrais une de ces "réserves russes" du fond de l'océan de terre, mais à mon âge, cela ne vaut sans doute plus le coup. Cependant, à tous les autres, je recommanderais de suivre les conseils du père Victor et d'entrer dans l'arche avant que les portes ne se ferment. D'être audacieux et de tourner le dos à Babylone et son tumulte.
Nous avons reçu nos sarafanes pour donner des concerts ou participer à des rencontres de folklore, j'ai eu toutes sortes de commentaires, on m'a dit que "chaque région avait son costume", oui, bien évidemment, mais comment faire quand on n'est pas spécialisé dans une région particulière? En réalité, ces sarafanes sont faits avec de véritables imprimés populaires que l'on réimprime de nos jours, ce qui n'est déjà pas mal, plutôt que de nous déguiser en poupées de foire, comme j'en vois trop d'exemples épouvantables, et le sarafane était répandu dans toute la Russie, disons que nous n'avons pas de vêtements de fête, mais des vêtements de tous les jours, qui sont simples, et en même temps colorés.
Mes copains avec qui je chantais dans l'ensemble 3D avaient choisi de s'habiller d'une manière loufoque et hétéroclite, pour éviter l'écueil du costume typique. C'est le choix de l'excellent groupe Ottawa Io. Notre petit ensemble a pour l'instant le look de la plupart des bonnes femmes qui se retrouvent pour des fêtes où l'on ressort les vêtements d'autrefois, tellement plus dignes et jolis que les nôtres.
Chaque fois que nous nous allons chez Liéna, elle nous prépare des tartes aux myrtilles et des pirojki, du thé d'épilobe qu'elle fait elle-même, elle a toutes sortes de recettes d'herboriste, comme beaucoup de Russes. Les prix de son mari étant très raisonnables, je vais lui commander des encadrements de fenêtre traditionnels pour ma maison. J'aurai une vraie maison russe au milieu des "cabanes au Canada" recouvertes de plastique, des châteaux américains à tourelles et des cottages pseudo-allemands.
Nous avons fait un tour à pied, après notre séance de chant, que de jolies maisons subsistent encore à Rostov... Et une belle petite église du XVII° siècle, qui faisait partie d'un monastère, dont il ne reste plus grand chose.
Je regrette parfois de ne pas m'être installée dans une de ces communautés où les gens se rassemblent pour recréer la Russie agraire perdue et ses usages, et j'aurais quinze ans de moins, j'en rejoindrais une, par exemple Davydovo. Mais déménager me semble au dessus de mes forces. Pourtant, l'avantage, c'est qu'en attendant la fin du monde, on ne voit aucune maison hideuse, aucune manifestation de la modernité dans tout ce qu'elle a de révoltant.
Cela tente Katia, mais elle voudrait avoir un mari avant de se lancer. Mauvais calcul. Elle peut vivre des années à Moscou ou à Pereslavl sans trouver personne et rencontrer l'homme de sa vie à Davydovo. Moi aussi, j'avais peur du coin de campagne perdu sans avoir trouvé le merle blanc au préalable. Moyennant quoi, non seulement j'étais seule et le suis restée, mais en plus, j'ai passé des décennies dans un milieu urbain que je déteste. Il est vrai qu'en France, il me fallait aussi trouver un coin perdu avec une église orthodoxe, ici, ce n''est pas dur, car ce sont souvent des prêtres qui sont au coeur des communautés de néo ruraux.
Mon électricien m'a dit: "Mais Pereslavl, c'est bien aussi, pour attendre la fin du monde, vous allez voir, on va tout reprendre en mains, et vous avez bien raison de faire des encadrements de fenêtres russes, ici, on n'est pas chez les Américains..."
En chemin, nous avons parlé du temps, Katia avait été très impressionnée par une conférence sur la "Recherche du Temps perdu" qu'elle avait découverte à cette occasion, et nous avons toutes deux pris conscience par différents canaux, que présent et passé sont inséparables, le premier étant l'écume, la surface du second, et l'avenir le résultat de leur interaction. Donc qui n'a pas de passé, n'a pas non plus de présent, ni bien sûr d'avenir, et partant de là, pas d'éternité non plus, et c'est là ce que nous ont préparé deux ou trois siècles de progressisme matérialiste, nous volant notre existence, avec tous les prolongements qu'elle est censée avoir, en un mot notre âme, notre destin spirituel, et celui de ceux qui nous ont enfantés, et avec lesquels nous ne sommes plus reliés. Quand on prend conscience de cela, on ne se laisse plus complexer ni intimider par ceux qui nous traitent de passéistes et nous parlent des lendemains qui chantent. On n'en a plus rien à foutre. On est passéiste avec la plus grande sérénité car retrouver notre passé nous fait entrer dans l'éternel présent, toujours renouvelé.
« Lorsqu'on se rappelle, on établit en soi un miroir intérieur pour y refléter le passé ; lorsqu'on"écoute en silence" dans l'état de contemplation, on fait aussi de sa conscience un miroir, mais ce miroir a la tâche de refléter ce qui est en haut. C'est l'acte de se rappeler dans la verticale. Il existe en effet deux espèces de mémoire : la "mémoire horizontale", qui rend le passé présent, et la "mémoire verticale", qui rend ce qui est en haut présent en bas, ou selon notre distinction entre les deux catégories de symbolisme, la "mémoire mythologique" et la "mémoire typologique". Henri Bergson a parfaitement raison lorsqu'il écrit de la mémoire horizontale ou mythologique : "La vérité est que la mémoire ne consiste pas du tout dans une régression du présent au passé, mais au contraire dans un progrès du passé au présent " ("Matière et Mémoire" p. 269; ¨Presses Universitaire de France, Paris, 1946) - et aussi : "...le souvenir pur est une manifestation spirituelle. Avec la mémoire nous sommes bien véritablement dans le domaine de l'esprit." (p. 270-271). » [Valentin Arnoldevitch Tomberg (Saint-Pétersbourg, 1900 – 1973)]
J'ai vu que ma deuxième rose-trémière fleurissait, elle est quasiment noire. Je me demande de quelle couleur seront celles qu'on m'a données cette année. Je voudrais en avoir des roses pâles et même des blanches. J'en ai une qui a poussé toute seule, je l'ai découverte aujourd'hui. Donc, l'invasion des roses-trémières commence, je la préfère nettement à celle des migrants.
La maison de Liéna. Son mari l'a agrandie, et c'est lui qui a fait les encadrements de fenêtres. Le toit de tuile métallique reste discret...
la petite église
A Rostov, on est encore en Russie: deux grands-mères au milieu des flox. Elles nous ont expliqué comment en obtenir à partir d'une tige qui donnera des racines
Je suis allée hier porter ma voiture au garage Renault, près de Moscou, et à l'assurance un papier qui manquait, et qu'en fait j'avais déjà. La voiture va devoir me quitter douze jours pour la réparation de l'accrochage contre la porte de mon propre terrain...
Je ne pensais pas dormir à Moscou mais Xioucha m'avait fait une place dans son auberge permanente, où en plus de ses nombreux enfants, elle héberge un mari, son frère et le fils de celui-ci.
Dans un sens, j'aurais préféré rentrer, car il y avait un office de nuit en mémoire de la famille impériale à l'église du Signe. Mais d'"un autre côté, il y avait à Moscou, à la galerie Tseretel, le vernissage de la grande expo personnelle de mon ami Soutiaguine.
C'était la première fois depuis bien longtemps que je voyais autant de tableaux de lui exposés, et j'ai été vraiment impressionnée par la maîtrise acquise dans son style particulier et bien à lui, fait de fraîcheur enfantine, de profondeur sous-jacente, d'humour, d'humanité et de simplicité.
Ses paysages, ses bouquets sont habités par l'espace et la lumière et le moindre coin de Moscou, de campagne russe ou de Crimée, avec quelquefois de braves gens qui passent, revêt une espèce de profondeur mystique. Quand à ses sujets religieux ils ont été pour moi une sorte d'expérience spirituelle, car ils semblent venir du passé pour illuminer le présent, ce Christ aux vêtements éclatants paraît contaminer les gens qui l'approchent et l'espace qu'il occupe d'une bouleversante lumière. J'ai particulièrement aimé les noces de Cana, où la table éclairée pourrait avoir été dressée de nos jours, à vrai dire, j'ai même pensé aux noces de la fille de Soutiaguine, Macha, à laquelle j'avais convié Skountsev et dansé comme une folle pour la dernière fois de ma vie. Je me souviens de Kostia, pleurant sur mon épaule qu'il perdait sa fille, tandis que je lui répétais: "Mais vous l'aimez bien, votre gendre"! Dressée de nos jours, la table des noces de Macha, enfin celle des noces de Cana, aboutit mystérieusement à ce moment lointain brusquement rapproché où le Christ fit son premier miracle.
En réalité, toutes les pièces religieuses de Soutiaguine ont quelque chose de miraculeux, et d'enfantin.
Il y avait beaucoup de monde, et c'était très bruyant. Au milieu de tout cela, un ami compositeur, Sokolov, était venu interpréter au piano des pièces qui me rappelaient vaguement l'impressionnisme musical français, ce' qui n'est sans doute pas un hasard, puisqu'au départ, Kosta a été inspiré par l'impressionnisme, et particulièrement Marquet.
Ensuite, avec Xioucha, nous sommes allées au dépôt de pâtisseries du café la Forêt. Les pâtisseries se vendent très bien mais l'endroit fait un peu hall de gare, avec des tas de points de vente différents au même endroit et des tables au milieu. Nous avons discuté avec Maxime, et je l'ai ramené en voiture le lendemain à Pereslavl.
En chemin, j'ai eu un coup de fil de l'immigration: j'ai dû passer à la banque demander encore un papier, les employés se marrent quand ils me voient arriver, maintenant. Je devrai donc aussi retourner à l'immigration le remettre demain matin. D'après la responsable, on accepte mon dossier, mais il faut ce papier.
Mes photos des tableaux de Kostia sont bien ternes, mais c'est pour donner une idée...
dans le brouillard
bouquet
entrée du Christ à Jérusalem
La Cène (sur une vieille porte réutilisée)
Thomas
A la fin de la vidéo; on voit Xioucha et son dernier bébé
Génia m'ayant invitée à la liturgie mensuelle du village de Tverdilkovo, j'y suis repartie avec un début de migraine qui n'a fait que croître au cours de la journée, mais je ne regrette quand même pas, car l'endroit est très beau, j'ai été accompagnée tout le long de la route par de splendides nuages, et le hiéromoine de service, m'a fait grande impression. C'est un homme qui a dû être beau garçon, mais qui est à présent comme ravagé par l'ascétisme et la douleur, maigre et convulsé, et pourtant, ce visage tourmenté de combattant épuisé est pénétré d'une sorte de grâce, de lumière dévorante, et lorsque je suis allée me confesser à lui, j'ai senti tant de miséricorde et de vertigineuse profondeur, que le seul fait de lui avoir parlé et de recevoir sa bénédiction m'a fait un bien immense. "Vous devez patienter et subir tout cela, la création vous rapproche du Créateur, et il sait ce qu'il fait de vous et pourquoi. Quand à ce qui nous arrive à tous, oh c'est bien compréhensible que cela vous fasse du mal et que cela vous fasse peur, nous sommes faibles, mais le Christ est avec nous, et il sait ce qu'il fait".
Génia m'a dit ensuite qu'il avait fait la guerre en Afghanistan et qu'à son retour, il était entré au monastère, ce qui arrive à beaucoup de guerriers. Le métropolite Philippe de Moscou aussi était un ancien guerrier, et je suis très sensible à cette dimension virile, héroïque du monachisme russe.
Une des fidèles disait, à la sortie de l'église, qu'il semblait un fou-en-Christ surgi des siècles passés. Il y a de cela, parce qu'il parle avec tant de sincérité et d'inspiration, et aussi de souffrance, et pourtant de joie... c'est un champ de bataille à lui tout seul, contre quels souvenirs se bat-il? Contre quelles sombres armées? Et pourtant, il est présent à ce qu'on lui dit, et il ne juge pas.
Il y a quelques temps, une personne très négative m'avait raconté toutes sortes d'anecdotes sur l"Eglise et ses représentants locaux, il fut un temps où de telles anecdotes m'avaient presque fait perdre la foi, mais personnellement, je n'ai pratiquement jamais été le témoin direct de pareilles histoires. Bien au contraire, mes expériences sont généralement extrêmement positives, et en dépit de certaines moniales tyranniques ou de dépenses excessives pour des projets inutiles alors que nos églises anciennes ne sont toujours pas restaurées, je suis quand même étonnée de voir la qualité spirituelle des monastères de Pereslavl. Aussi en suis-je venue à faire miennes deux assertions que je rencontre souvent dans les milieux orthodoxes: "Celui qui ne reconnaît pas l'Eglise comme sa mère, Dieu ne le reconnaît pas comme son fils" et "l'abeille va trouver instinctivement les fleurs, et la mouche la merde".
"Je n'arrive pas à aimer assez le Christ, à l'aimer personnellement", ai-je dit en confession. Mais j'avais l'impression tout à coup de l'avoir auprès de moi, en ce moine souffrant, j'aime le Christ à travers ses moines.
Génia m'a donné du "vin de prune sauvage" qu'il fait lui-même, de la tisane d'épilobe et d'argousier. Il m'a dit que sa défense acharnée et victorieuse des environs du monastère saint Nicétas avait fait de lui l'ennemi numéro un pour les autorités locales. "Pourtant, je suis un pragmatique qui n'aurait jamais dû s'occuper de ce combat, mais je savais qu'on pouvait le gagner et que je devais laisser quelque chose de bien derrière moi. Je n'ai pas toujours été un ennemi du capitalisme, dans les années 90, nous nous sommes presque tous jetés dedans, d'abord parce qu'il fallait survivre, et ensuite, parce qu'il nous arrivait d'occident toutes sortes de biens matériels, le fer à vapeur que j'utilise encore, c'était une vraie conquête, la machine à laver également. Mais au bout d'un moment, j'ai ressenti une espèce de vide que rien ne pouvait combler, et c'est là que je me suis tourné vers Dieu, et vers nos valeurs éternelles"...
Voilà, dossier complété et remis. Il va partir à Iaroslavl et il faut prier pour que là bas, il passe la rampe. Sinon, je risque fort de devoir refaire pour la troisième fois les examens médicaux! Je suis arrivée à 9 heures du matin chez la juriste avec un paquet énorme de relevés bancaires imprimés en vitesse (2018, 2019). On y voit apparaître chaque mois le montant de ma retraite et les retraits que je fais à Pereslavl. Mais on peut chipoter que ce n'est pas un document légalisé, et qu'il n'est pas traduit, même si les chiffres sont limpides. Mon avis d'imposition, je viens de m'en apercevoir, portait sur 17 et pas 18. J'aurais pu rectifier le tir, et aussi essayer de le faire apostiller à l'ambassade, mais on m'avait dit que ce papier, on n'en voulait pas. Si jamais ça ne passe pas, j'irai en vitesse à Moscou le faire traduire et tenter d'obtenir une apostille. Un principe: faire légaliser, apostiller, couvrir de tampons tout document destiné à la bureaucratie russe...
La juriste m'a rédigé une nouvelle déclaration. Je suis allée porter tout ça à l'immigration. Là, ça a duré des heures avec des coups de fil, parce qu'à Iaroslavl, ils changeaient sans cesse d'avis sur ce qu'il fallait produire, et chaque fois, il fallait refaire une déclaration en fonction des pièces à produire, et donc repartir chez la juriste (j'y suis allée trois fois). Je suis sortie de là à 1 heure de l'après-midi, et j'avais rendez-vous avec l'émissaire de l'électricité venu pour le nouveau compteur...
Depuis, je suis devenue une espèce de méduse échouée devant l'ordinateur, et je n'aimerais pas croiser la route du bon docteur Sanchez, dans l'état où je suis: à 67 ans, mon compte serait bon. L'idée de recommencer à courir me glace le sang, j'espère un miracle. J'ai la phobie administrative et je lis mal les papiers, je n'y comprends rien.
La bureaucratie me semble un des symptômes morbides de notre civilisation malade.
Il fait toujours mauvais, et j'ai l'impression d'être au mois de septembre, d'ailleurs il y a des feuilles qui jaunissent. Cela me rappelle les Solovki, l'année dernière, où les fleurs qui ici fleurissent en juin s'épanouissaient fin juillet, tandis que les arbres prenaient déjà des couleurs automnales.
Katia et moi avons fait le choix de notre équipement folklorique: sarafane, chemise, foulard et ceinture. Mais je n'arrive pas à chanter ni à jouer autant qu'il le faudrait.
j'ai choisi le sarafane du premier plan, sur fond bleu, avec une
blouse grise et un foulard bleu...
J'ai fait la grève facebook pendant deux jours. quand je suis revenue dessus, le pauvre Vincent Lambert était mort, après neuf jours d'agonie, privé d'eau et de nourriture, pour un type qui ne survivait que parce qu'il était "branché", il a mis du temps à être "enfin délivré". Et des gens s'en réjouissent bruyamment en insultant les parents, forcément, des cathos tradis, autant dire la lie du pays.
Il est certain qu'autrefois, le malheureux serait mort assez vite des suites de son accident, et que cela n'aurait sans doute pas été plus mal, mais voilà, on l'a arraché à la mort, maintenu dans un état pauci-relationnel des années, sans lui accorder la chance d'un établissement spécialisé pour améliorer son existence et son état, et puis on a décidé que ça suffisait comme ça, et qu'on ne le nourrirait plus, parce que sa vie n'en était pas une.
Il avait un regard conscient et intense. J'ai déjà vu un garçon réduit à "l'état de légume", comme on dit charitablement à longueur de commentaires, il avait un regard vide qui ne se fixait sur rien, ce n'était pas le cas de Vincent Lambert, c'est sans doute pour cela que les journaux bien pensants floutaient sa photo... Reste que sans doute d'autant plus, sa vie n'en était pas une, mais ce principe peut-être étendu à des tas de gens, les tétraplégiques, les filles affreusement défigurées à l'acide, les sourds et aveugles, et même les SDF. Des tas de gens ont une vie qui n'en est pas une, selon les critères contemporains de la santé, de la beauté et du succès. Il sera désormais miséricordieux et convenable de les envoyer ad patres.
Pour les bébés à naître, le raisonnement du légume, de l'amas de cellules, du tas de viande et de la vie qui n'en est pas une ou qui n'en sera pas une parce que toutes les fées modernes n'entoureront pas le berceau, est depuis longtemps installé, au point que beaucoup de femmes poussent des cris d'orfraie si on remet cela en question ou que des médecins rechignent à la triste besogne. On a fait mourir l'infirme de faim et de soif, avec une sédation qui ne marchait pas tellement, d'après ses proches. On découpe les gosses dans le ventre de leur mère, on les arrache en pièces détachées, mais ça ne crie pas, à ce stade. C'est juste un acte médical miséricordieux, que deviendrait ce malheureux, avec sa vie qui n'en sera pas une?
Bien évidemment, le raisonnement s'étend maintenant jusqu'à des foetus tout à fait formés ou prêts à naître: mieux vaut les tuer que de leur laisser vivre une telle vie, qui ne débute pas sous les auspices radieux obligatoires.
Et par conséquent, le raisonnement Vincent Lambert s'étendra lui aussi à toutes sortes de gens lourdement handicapés, ou socialement défavorisés, ou trop vieux.
Personnellement, je ne tiens pas à ce que l'on s'acharne à me faire vivre si déjà je ne suis plus viable. Mais m'abrutir de drogue pour me faire crever de faim et de soif, seule dans mon coin, épargnez-moi cela, de grâce.
J’espérais qu’Ilya m’accompagnerait au service
d’immigration maudit, mais il me laisse me débrouiller, il ne viendra que si je
l’appelle. Or je suis persuadée que cela va encore foirer. Hier, je suis
retournée à la banque deux fois. Car j’avais demandé un état des opérations sur
ma carte depuis janvier 19 et il fallait le faire depuis la date d’attribution
de mon RVP, et quand je l’ai fait, la juriste m’a reprochée de ne pas l’avoir
établi depuis janvier 19. De plus, elle estime que je n’ai pas assez fait
d’opérations sur ce compte. Oui, bien sûr, j’essaie de dépenser le moins possible
mes réserves d’argent sur place, je tire de l’argent sur ma carte française, et
sur ma retraite, mais ils ne reconnaissent pas mon avis d’imposition traduit,
où se trouve noir sur blanc la somme de revenus annuels dont je dispose entre
la retraite et le loyer de maman…. Cependant, depuis mai dernier, j’ai
certainement dépensé sur cette carte leur somme minimum de 120 000
roubles, car j’ai fait des travaux, j’ai acheté des meubles IKEA. j’ai même viré de
l’argent en France pour compenser un découvert.… Mais il n’y pas de dépenses
régulières.A l’avenir, je vais
systématiquement déposer 15 000 roubles par mois sur mon compte russe,comme cela l’année prochaine, je pourrai
produire un « revenu » de 150 000 par an. On en arrive à des
absurdités incroyables. Je ne retrouve
pas cet avis d’imposition, j’espère qu’il est resté chez eux avec mon dossier,
car je soupçonne qu’il pourra quand même servir.
Tout cela m’épuise, j’ai toujours eu la phobie
administrative, mais avec l'âge, cela ne fait que croître et embellir. Je suis persuadée
qu’il nous faudra, avec Ilya, solliciter un rendez-vous auprès du grand-chef à
Iaroslavl, et que jusqu’à ce moment, on me fera sans arrêt courir après des
papiers qui ne font jamais l’affaire.
Dire que je croyais naïvement, avec le RVP, avoir
fait le plus dur… Je crois que si j’avais occupé la maison que m’avait retenue
Martine d’acheter, à Saint-Laurent-la-Vernède, avec son adorable petit jardin, son
puits, son ciel dégagé,sa terrasse et
sa glycine, et si on m’avait tracé le tableau complet de ce qui m’attendait
comme emmerdes et comme dépenses, je ne serais sans doute pas partie. J’adorais
cette magnifique région d’Uzès, je ne peux penser sans nostalgie à cette beauté
encore intacte, et au monastère de Solan, à ma chère mère Hypandia. Pourtant,
je ne peux pas dire non plus que je regrette d’être partie, c'est mon combat, mon destin, c'est sans doute ma rédemption et mon accomplissement. Merci, clairvoyant père Placide.
Mes deux pensionnaires me collent parfois quelque peu le cafard. Elles
respirent la vieillesse et la déprime, tout va mal (c’est vrai, mais il y a la
manière d’y réagir), tout est hostile, tout est foutu. Cependant l'une d'elles me sort tout à coup, l'oeil humide: « Je
suis peut être naïve, mais mon seul espoir, c’est l’amour ».
Quel amour? Je crois en l’amour rédempteur, je crois en l’amour de Dieu, je
crois à la mystérieuse osmose des âmes, mais je vois bien que ce n’est pas à
cela qu'elle fait référence.
L’amour rédempteur peut tout, dans la mesure où
les gens le reçoivent. Allez parler d’amour à Soros ou BHL. A un commissaire du
peuple. Aux assassins du tsar et de sa famille. A ceux qui affament le Yemen et
détruisent le Donbass. A ceux qui violent et sacrifient des enfants, dans les
hautes sphères qui nous gouvernent.
Et même l'amour familial, l'amitié, tous ces excellents sentiments qui nous réchauffent et qui doivent être accueillis avec reconnaissance comme des bénédictions, cultivés, respectés, ont leurs limites. La mort les détruit en un instant, et ils ne tiennent pas toujours l'épreuve de l'adversité, je l'ai vu avec maman, que j'aimais plus que tout au monde, et qu'au contact quotidien de son affreuse maladie, je finissais par engueuler parce que mes nerfs lâchaient lamentablement.
Je crois à l'amour de l'ancien Porphyre, de saint Séraphim de Sarov, mais pas à celui de la larme à l'oeil et du repli sur soi.
C’était la fête de la naissance de saint Jean
Baptiste et l’anniversaire de la mort tragique de l’higoumène Daniel qui
dirigeait il y a quelques années le monastère saint Daniel. Je suis donc allée
là-bas, à cette occasion. Je pensais que l’higoumène avait été tué par un
repris de justice qu’il avait hébergé par charité chrétienne, mais il semble
que ce soit plus compliqué que cela. Lioudmila, rencontrée sur place, parle de
satanistes, comme dansle cas des trois
moines de la Pâques sanglante d’Optina, dans les années 90. D’après les
commentaires divers, l’enquête aurait repris, mais personne ne croit que le
crime sera élucidé. L’higoumène Daniel était considéré par les fidèles comme
une « icône vivante », il était humble et simple, son monastère sans
grandes ressources.
Le service
funèbre à l’extérieur, devant la croix de pierre blanche, parmi les vénérables
églises, sous le ciel parcouru de nuages agités, qui passaient en courant de
l’ombre à la lumière, m’a beaucoup émue. Au moment où l’on chantait
« Mémoire éternelle », le soleil a inondé et réchauffé notre
assemblée et illuminé les façades. Pereslavl semble si paisible, mais le diable
est à l’œuvre partout, et l’higoumène ascétique dont tout le monde vénère le
souvenir, et qui avait prévu sa mort, a été sauvagement égorgé par un
mystérieux assassin, si ce n’est pas le repris de justice soupçonné tout
d’abord.
J’ailu sur
la page de l’éparchie de Pereslavl-Ouglitch qu’un novice abordé par des
journalistes indiscrets au moment du drame avait, après un moment de stupeur
silencieuse,éclaté en sanglots comme un
enfant : « En lui se trouvait tout ce qu’on peut chercher de
meilleur, de plus pur et de plus clair… »
A Pereslavl, des saints continuent à apparaître, à jalonner la vie de la ville de leurs modestes et claires existences, après saint Constantin martyrisé par les bolcheviques, l'higoumène Daniel, massacré pour on ne sait encore quelles ténébreuses raisons.
Il ne fait vraiment pas chaud, on a l’impression
que l’été a duré trois semaines au mois de juin et que maintenant, ce sera
l’automne jusqu’au mois de novembre, un automne de cinq mois… Mais le festival
de nuagessomptueux se poursuit. Je suis
allée à Rostov fêter l’anniversaire de Liéna avec notre groupe d'apprenties folkloristes. Elle avait une ravissante robe
typique à carreaux rouge foncé et bleu marine qui lui allait très bien. Nous
avons chanté de manière intensive, et quand elles ont commencé à danser, j’ai
exprimé le refus total de la vieille carne : « Pardonnez-moi, mais
non. Je suis crevée et j’ai encore une heure de route à faire pour rentrer.
J’ai au moins vingt ans de plus que vous et des rhumatismes.Pour la danse et tout ce qui demande d’être
en forme, la prochaine fois, mettez ça au début de la séance ! »
Toute l’équipe s’est confondue en excuses.Mais l’on oublie souvent que je suis une
vieille bonne femme. Or le matin, j’avais fait le ménage de fond en comble pour
l’arrivée de mon artiste-peintre.Nadia, qui avait proposé de m'aider, ne s’était pas réveillée. Le jeune Kolia, envoyé par Kostia en urgence, est venu terminer l’électricité, que le mari de la gérante du café m'avait laissée en plan, avec le père
Andreï, celui qui est beau garçon, dans le genre très russe. Ils ont été impeccables. Kolia m’a parlé politique :
« Ne vous en faites pas, Laurence, la Russie en a vu d’autres, ils n’ont
pas encore notre peau. Nous sommes en train de fonder un nouveau parti
patriotique, et nous allons réveiller tout ça. De temps en temps, nous avons
des creux de vagues, mais ça va remonter, vous aller voir. »
Au retour de Rostov, Katia et moi avons vu un ciel
fantastique au dessus du lac Nero, et nous sommes arrêtées pour le contempler
et le photographier : double arc-en-ciel, nuages de plomb et d’or, ourlés
d’un bleu étrange, presque d’un autre monde… Sur la route, je voyais du coin de
l’œil que la fête se poursuivait, mais je ne pouvais pas bien la regarder, sous
peine de me payer un camion.
Mon artiste et sa mère sont extrêmement gentilles,
très émotives et elles me prennent pour une maîtresse-femme alors que je suis
prête à payer quelqu’un pour aller dans les administrations à ma place et que j’éclate
en sanglots sur mon bricolage en demandant à Dieu ce que je lui ai fait pour qu’il
ne m’ai jamais donné le mari que je lui réclamais tous les jours et auquel j’étais
prête à faire la cuisine et le repassage, pourvu qu’il me délivrât des
tournevis, des perceuses, des relations avec les garagistes, les artisans et
les bureaucrates, et m'évitât d'aller bosser à l'école... Quand on n'est jamais aidé, on s'aide tout seul, et les gens vous croient fort, alors que vous êtes simplement seul. Marche ou crève.
Je m’active pour préparer l’appartement de
l’artiste-peintre et de sa mère. Qu’elle me soit tombée du ciel m’a obligée à
m’en occuper, mais que de corvées… Je suis encore retournée au siège de
l’électricité Energo, qui était tout le temps fermé pour « causes techniques ». Les employées étaient présentes, mais ne me voyaient pas, j'avais un avant-goût de ce que peut signifier être sorti de son corps et imperceptible au monde des vivants, et cela a duré un bon quart d'heure. Quand on m'a enfin aperçue, on m’a encore envoyée ailleurs. Valia, du café français, m’a accompagnée, car c’est son
mari qui a changé le compteur. Et là, on me dit qu’avant de changer le
compteur, j’aurais dû les appeler, et que d’ailleurs j’avais une dette de
20 000 roubles. Théoriquement, je paie à travers la banque, mais il faut
quand même leur envoyer le relevé du compteur, sinon, ça ne marche pas, alors à
quoi bon passer par la banque ? En France, il y a un prélèvement mensuel,
une vérification ponctuelle du compteur et un réajustement si besoin est, mais
ce serait sans doute trop simple… D'un autre côté, les employés sont eux-mêmes tellement conscients que c'est le bordel, que cela ne va généralement pas plus loin et qu'on s'arrange...
Maintenant, il me faut attendre le gars qui
viendra plomber le truc.
Pour le gaz, j’ai renoncé à faire le raccordement
des plaques au reste du circuit, car c’était également toute une affaire, et
j’aurais dû mettre des plaques à induction sans me poser de questions. Là j’ai
vraiment manqué de jugeotte. La même Valia m’a dit de prendre une bonbonne,
normalement, ici, on doit les placer à l’extérieur, ce qu’en France, on ne fait
pas. J’espère que son mari va bien venir finir l’électricité, il manque des
prises…
Avec cela, il parait que les flics ont omis de me
donner un papier pour l’assurance de la voiture, et il va me falloir aller les
trouver, ce que je remets à demain depuis quinze jours.
Et côté permis de séjour, ce n’est pas fini non
plus.
Je vais à nouveau chanter toutes les semaines avec Katia à
Rostov, car Liéna est plus libre de son temps et désireuse de travailler avec des adultes et de fonder un petit ensemble. Cette fois, elle nous a reçues chez elle. Elle vit dans une isba, et son mari est charpentier, quel beau et véritable métier... Il a agrandi cette isba, pour y mettre les commodités modernes et avoir plus de place, sans aucunement la défigurer, elle reste une jolie maison russe. Il a sculpté lui-même les encadrements de fenêtres, et j'envisage d'en faire poser chez moi, aux fenêtres de la partie ancienne de ma maison. A titre de témoignage!
Nous en sommes au choix de vêtements typiques pour d'éventuels concerts. Ils ne doivent pas être trop typiques non plus. Nous allons nous adresser à une femme qui en fait sur commande, avec des imprimés traditionnels ravissants, à Vologda.
sarafanes de Tatiana Cheoulina
La ville de Rostov est encore très belle, délabrée, mais belle, avec des dentelles de bois sur les vieilles isbas, des petits hôtels particuliers de brique, des maisons de marchands, quelle magnifique destination touristique elle pourrait devenir si ceux qui décident avaient un minimum de goût et d'intelligence...
L’actualité est abominable, ce ne sont que
destructions, génocides discrets, comme au Yemen et au Donbass, indignations
bruyantes et manipulées dans le sens voulu par la dictature mondiale qui se met
en place avec de plus en plus d’évidence
et d’impudence,invasions voulues et
dirigées, corruption, perversion. Une amie russe m’a appelée pour m’en parler.
Je vois sur Facebook plein de Français prendre Poutine pour l’homme fort et le
dernier recours, et ses discours sont effectivement impeccables, le problème
est que la réalité russe nous offre le démenti permanent de ce qu’il nous
raconte… Cette amie me disait qu’elle ne savait pas s’il servait de paravent
aux entreprises sournoises et délétères des équivalents « russes » de
nos seigneurs mafieux occidentaux,auquel cas c’est un excellent comédien, bien meilleur que Macron, ou s’il
ne pouvait, au fond, pas faire grand-chose. Car d’après sa sœur, spécialiste de
l’économie et de la politique, la Russie est vendue, comme l’est l’Europe, ce
qui explique d’ailleurs cette arrogance des apparatchiks qui font ce qu’ils
veulent,imposent ici tout ce qui a
perdu l’Europe, mais en douceur, parce que la population n’étant pas aussi
abrutie que la nôtre, aussi coupée de toutes ses sources, désorientée,
conditionnée, hypnotisée, il ne faut pas effrayer la grenouille qu’on a mise
dans l’eau tiède de sa future cuisson avant que le degré d’ébullition ne lui
permette plus de réagir. Aussi Poutine nous parle-t-il des valeurs humaines éternelles,
des ciments spirituels et culturels de la sainte Russie et de la foi orthodoxe, et je souscris pleinement, mais l’on continue à détruire le patrimoine architectural, à piétiner tout ce
qui est russe, à promouvoir tout ce qui est étranger, et surtout ce qui peut
pervertir et abrutir la jeunesse, tout en lui faisant prendre son pays en
horreur. Parallèlement, une immigration musulmane est discrètement favorisée
aux dépens des Russes coincés dans les républiquesex-soviétiques et qu’on devrait inciter à
venir et accueillir à bras ouverts. Quand la population sera aussi avachie,
abrutie, hypnotisée que la nôtre, on pourra alors lui déverser dessus la Chine
et l’Asie Centrale par millions d’envahisseurs voraces, avec peut-être aussi l’Afrique
en prime, comme on le fait chez nous.
A mon humble niveau, je ne perds pas une occasion
de souligner les parentés de techniques entre leurs politicards et les nôtres,
leurs journaleux et les nôtres. Et de manifester mon enthousiasme pour tout ce
qui est russe de chez russe.
Il me paraît de plus en plus évident que tout cela
est voulu, concerté, qu’une toile d’araignée nous emprisonne tous, que des
métastases détruisent nos pays les uns après les autres au profit d’une caste
absolument sans foi ni loi qui confisque tout le pouvoir et toutes les
richesses, et nous créera un enfer auprès duquel les totalitarismes du XX°
siècle nous paraîtront d’aimables plaisanteries, un vrai cauchemar de
science-fiction. Parce que ce qui fait la force des peuples, c’est leur unité,
c’est leurs traditions, leur culture, leur foi, leur héritage historique,
culturel, spirituel, génétique, tout ce système de code subtil qui met les gens
en communion, et fait qu’ils se sentent en famille dans leur pays, et porteurs
d’une certaine idée sacrée de leur destin commun. Si l’on brise tout cela, si
les gens n’ont plus d’autre lien que la merde dans laquelle on les fait vivre
universellement, alors on observe l’émergence d’un abruti d’une stupidité et d’une
méchanceté, d’une indignité et d’une veulerie qu’on n’avait jamais connues
jusqu'alors, le produit, le produit au sens marchand du terme, d’une mafias de
monstres auxquels la disparition des monarchies a donné tout pouvoir sur nous, et qui nous prend pour des sous-hommes, qui nous métamorphose en sous-hommes.
Dans ce chaudron de sorcières que devient la
planète,mes seules lueurs d’espoir, c’est
la résistance spirituelle du métropolite Onuphre et de ses fidèles en Ukraine;
la résistance armée du Donbass qui, au moins, mourra debout, s’il faut mourir.
Des prophéties, celles de saint Païssios ou celles de saint Laurent de
Tchernigov. Des signes. Par exemple, les nuages. Après ceux que j'ai vus l'autre jour, j'ai observé dans la publications de mes amis russes, qu'ils en avaient aperçu d'aussi fantastiques près de Moscou. A la fois splendides et menaçants, comme un avertissement, assorti d'une bénédiction.
En attendant la suite, je profite de mon jardin, et du ciel, du vent, après deux jours de froid polaire, le soleil réchauffe un peu notre été nordique. J'ai fait une aquarelle, sur le perron, en écoutant l'air siffler à mes oreilles, et en contemplant les mouvements torses et bleuâtres de ce ciel unique, plein de lumières exaltées et d'ombres menaçantes, de rayons et de pluies traversières. Nous avons encore des oiseaux. Nous avons encore des papillons, des abeilles et des bourdons, des coccinelles... Et cela me paraît miraculeux, cela me paraît un sursis, cela qui me semblait si normal dans mon enfance, et si éternel.