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Mon isba de Krasnoïé, vendue au cosaque Dima. elle a retrouvé sa fonction agricole vivrière, mais perdu beaucoup de son esthétique... |
Poussée par Xioucha, curieuse de voir le phénomène, j’ai demandé au beau plombier si je pouvais le prendre en photo pour mon blog.
Il a refusé : « Non, il ne faut pas, est-ce si important, la beauté d'un
visage ? »
Il m’a fait encore
toutes sortes de considérations linguistiques, m'a parlé des investissements d'Ivan le Terrible à Pereslavl, où il a construit une église et le mur d'enceinte du monastère Nikitski, et écrit un kondakion et un irmos qui sont toujours chantés par les moines. C'est lui également qui a fondé le monastère Fiodorovski, pour la naissance du tsarévitch Fiodor. A propos des menées
anglo-saxonnes contre son pays, Rouslan m’a dit : «Vous savez ce qui est
écrit ? Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les
derniers. Ils seront les derniers, couverts de honte. »
Au moment où nous
discutions, mon chien, que tout ce remue-ménage scandaleux chez moi met dans
une indignation permanente, a vu brusquement surgir de la trappe de la cave
l’ouvrier du plombier, armé de sa perceuse, comme un extraterrestre de son
fusil laser, et s’est enfui avec des cris étranglés.
Le cosaque Dima m’a
invitée à reprendre les meubles que j’avais laissés dans l’isba que je lui
avais vendue. J’ai repris ce dont il ne se servait pas, la table de cuisine de
mon grand-père, un buffet qu’un ami avait trouvé dans la rue, un autre que
j’avais récupéré dans un appartement de fonction. Mais l’opération a été
précédée du thé en commun, avec Igor, le garçon qui entretenait mon terrain, et
qui m’a embrassée pour me souhaiter la bienvenue : «Vous allez faire un
potager, ou bien seulement des petites fleurs ? Je suis à vos ordres, nous
avons tout l’hiver pour planifier cela ! »
J’avais de grandes
discussions philosophiques avec Igor, comme avec le plombier. Igor, Dima et
Kostia sont des « pieds-rouges », des Russes rapatriés d’Asie
centrale. Tous trois très croyants, et très traditionnels. Tout le temps de
notre entrevue, les trois enfants de Dima jouaient dans la pièce voisine, on
les entendait rire et chahuter, mais aucun n’est venu courir à quatre pattes
entre les jambes des adultes, leur couper la parole, se servir sur la table,
comme c’est beaucoup trop souvent le cas ailleurs. La famille de Dima ne
connaît pas la théorie du genre. Je lui ai demandé des précisions sur la
coutume cosaque consistant à faire exécuter un poulet par les garçons en âge de
passer à ce premier stade de l’apprentissage guerrier, poulet qui est ensuite
mangé en famille, car c’est une coutume que je décris dans mon livre. Il a cru
que je faisais preuve de sensiblerie. Igor m’a dit : «Il faut bien manger…
Il faut bien que quelqu’un le fasse.
- Oui, sans doute, moi
je suis totalement incapable de le faire.
- Hé oui, mais vous,
vous êtes une femme, vous, vous êtes censée attendre le morceau de bidoche
qu’on vous apporte à la maison, et le cuisiner.
- Mais le type qui ne
sait pas tuer pour nourrir sa famille, ce n’est pas un homme.
- Je peux comprendre
cela, ce que je ne comprends pas, c’est qu’on tue pour s’amuser.
- Naturellement, on ne
doit tuer que pour se nourrir, et prélever juste ce qu’il faut, me dit Igor.
Voyez, il y a des cueilleurs de champignons qui ne savent pas s’arrêter. Les
champignons doivent être préparés pour être consommés, si on les cueille pour
les laisser pourrir, parce qu’on ne peut pas s’arrêter de les ramasser, alors
il faut aller se confesser, car cela relève déjà de la passion.
- Quelle excellente
définition de la chose, Igor ! C’est tout à fait cela, en effet…
- Cela peut mener à
toutes sortes d’excès, ajoute Dima en riant. Deux types se sont battus au
couteau pour un coin de champignons ! »
La mère de Dima est
une femme très sympathique qui ne se plaît pas à Pereslavl, elle vient d’un
pays torride, et le climat la déprime : «Ici, ce sont les ténèbres…
- Voyons, dit Igor,
mais bientôt nous aurons de jolis petits flocons, et il fera blanc et clair
partout, et puis après ce sera le printemps ! Nous n’avons pas beaucoup de
soleil, c’est vrai, mais quand nous le voyons, quelle joie ! »
Nous avons ensuite
abordé les questions politiques, de ce côté-là, nous sommes tous bien d’accord,
c’est même étonnant pour moi de voir à quel point je suis d’accord avec tout le
monde, ici. Le plombier, le cosaque, le jardinier, le prêtre orthodoxe…
J’entre avec Kostia
dans le bureau du fournisseur de matériel de construction, il a le portrait de
Poutine au dessus de sa tête. « Moi aussi, j’en ai un, me dit Kostia en
sortant. J’en ai même deux, je vous ferai cadeau du deuxième ! »