J'avais rendez-vous en fin d'après-midi avec deux fournisseurs de clôtures clé en main. Echaudée par mes expériences précédentes, j'avais décidé de recourir à cette formule pour m'éviter des surprises. Le garçon avec qui j'avais parlé, Yevgueni, devait m'envoyer un certain Viatcheslav censé mesurer avec un mètre ce que j'avais mesuré avec mes pas. Intrigué par mon accent, il m'a demandé d'où je venais et l'apprenant, s'est exclamé qu'une de ses amies avait passé cinq ans en France, et que lui-même avait vu plein de Français pendant ses vacances en Tunisie, et que clôture mise à part, il mourait d'envie de s'entretenir avec moi. Du coup, il est venu avec son métreur, et je leur ai offert le thé. Non seulement Yevgueni est un fervent francophile, mais en plus, il joue de l'accordéon et de la guitare et s'intéresse à la vielle à roue. Il rêvait de s'expatrier, parce que tout est si beau et propre en Europe, alors que la Russie, c'est le bordel, le climat pourri, les routes défoncées, les villes défigurées, le mauvais goût... Comment avais-je pu faire le chemin inverse? Je lui ai répondu que certes, au premier regard, on pouvait partager entièrement son opinion, mais que tout n'était pas aussi rose que cela et que surtout les perspectives étaient sombres. Son entreprise marche bien, il a une jolie maison à Yaroslavl, je n'ai vu de photos que de l'intérieur, mais c'est blanc, lumineux, simple, pas le genre nouveau riche boursouflé. "Restez où vous êtes, lui dis-je. Vous avez un climat pourri, c'est vrai, mais plus de liberté, moins de tracasseries dans votre travail et sûrement plus d'avenir.
- Donnez-moi de bonnes raisons de rester!"
J'ai réfléchi, et comme il me donnait à écouter sur son téléphone une merveilleuse folkloriste qui s'accompagnait à la vielle, je lui ai dit: "Eh bien tenez, en voilà une de bonne raison: cultiver ce trésor de votre musique traditionnelle, surtout vous, avec votre guitare et votre accordéon!"
Son copain Viatcheslav m'expliqua qu'il était obsédé par la mémoire de son peuple, détruite ou faussée par la période communiste, et qu'il collectait tout ce qu'il pouvait trouver sur ses ancêtres, dans un esprit similaire à la démarche d'Alexandrina, en quête des siens.
Leur argument en faveur de l'Europe était l'amabilité des gens dans les magasins et la qualité des services. "Oui, leur ai-je dit, c'est en effet très agréable, mais en Russie ça s'arrange, et puis pour tout vous dire, cette amabilité est souvent assez superficielle, et je n'avais pas en France de grandes discussions culturelles, métaphysiques ou politiques avec le plombier, le métreur, le jardinier et le fabriquant de clôtures. Je ne leur chantais pas de vers spirituels à la vielle à roue, et ils ne me montraient pas de folkloristes en action sur leur téléphone"...
Au milieu de ce très sympathique entretien, nous avons réussi à signer un devis: garanti sans dépassement, tout compris, et garanti trois ans. Réalisation du projet après les fêtes de mai. Nous devons nous revoir pour discuter de la France et rencontrer la copine francophile et francophone.
J'avais emporté de France du mirror, car je ne voyais rien de tel pour faire briller l'argenterie ici. J'ai nettoyé une petite timbale d'enfant en argent que j'avais achetée cinq euros à un antiquaire du Gard, et j'ai vu que l'objet avait appartenu à un certain René. René... un prénom qui sent le terroir. Qu'est-il advenu de ce René, et du pays qui allait avec? Celui des paysans burinés et moustachus à béret?
J'aime beaucoup les timbales de baptême et j'ai d'ailleurs conservé la mienne. Toute mon affection nostalgique va à ce René inconnu du Gard, Dieu ait son âme, s'il est mort, ce qui est très probable...
Les nuages étaient magnifiques, ce soir, et accompagnés d'un arc-en-ciel. Hier aussi, nous avons d'ailleurs essuyé une tempête. Pour voir se déployer ces nuages dans toute leur majesté, il me faudrait aller près du lac, mais de sentir les promoteurs planer autour comme des nazguls me déprime. Je me replie sur ma maison en espérant qu'on ne viendra pas détruire les petites isbas en face pour construire un caca de trois étages recouvert de plastique.
- Donnez-moi de bonnes raisons de rester!"
J'ai réfléchi, et comme il me donnait à écouter sur son téléphone une merveilleuse folkloriste qui s'accompagnait à la vielle, je lui ai dit: "Eh bien tenez, en voilà une de bonne raison: cultiver ce trésor de votre musique traditionnelle, surtout vous, avec votre guitare et votre accordéon!"
Son copain Viatcheslav m'expliqua qu'il était obsédé par la mémoire de son peuple, détruite ou faussée par la période communiste, et qu'il collectait tout ce qu'il pouvait trouver sur ses ancêtres, dans un esprit similaire à la démarche d'Alexandrina, en quête des siens.
Leur argument en faveur de l'Europe était l'amabilité des gens dans les magasins et la qualité des services. "Oui, leur ai-je dit, c'est en effet très agréable, mais en Russie ça s'arrange, et puis pour tout vous dire, cette amabilité est souvent assez superficielle, et je n'avais pas en France de grandes discussions culturelles, métaphysiques ou politiques avec le plombier, le métreur, le jardinier et le fabriquant de clôtures. Je ne leur chantais pas de vers spirituels à la vielle à roue, et ils ne me montraient pas de folkloristes en action sur leur téléphone"...
Au milieu de ce très sympathique entretien, nous avons réussi à signer un devis: garanti sans dépassement, tout compris, et garanti trois ans. Réalisation du projet après les fêtes de mai. Nous devons nous revoir pour discuter de la France et rencontrer la copine francophile et francophone.
J'avais emporté de France du mirror, car je ne voyais rien de tel pour faire briller l'argenterie ici. J'ai nettoyé une petite timbale d'enfant en argent que j'avais achetée cinq euros à un antiquaire du Gard, et j'ai vu que l'objet avait appartenu à un certain René. René... un prénom qui sent le terroir. Qu'est-il advenu de ce René, et du pays qui allait avec? Celui des paysans burinés et moustachus à béret?
J'aime beaucoup les timbales de baptême et j'ai d'ailleurs conservé la mienne. Toute mon affection nostalgique va à ce René inconnu du Gard, Dieu ait son âme, s'il est mort, ce qui est très probable...
Les nuages étaient magnifiques, ce soir, et accompagnés d'un arc-en-ciel. Hier aussi, nous avons d'ailleurs essuyé une tempête. Pour voir se déployer ces nuages dans toute leur majesté, il me faudrait aller près du lac, mais de sentir les promoteurs planer autour comme des nazguls me déprime. Je me replie sur ma maison en espérant qu'on ne viendra pas détruire les petites isbas en face pour construire un caca de trois étages recouvert de plastique.
La tempête |
l'arc-en-ciel |
la timbale de René |