saint Séraphin de Sarov par le père Grégoire |
J’ai été très émue de tomber sur ce compte-rendu d’une exposition consacrée au père Grégoire et à Léonid Ouspensky.
Lorsque je suis arrivée à Paris toute jeune pour étudier le
russe aux Langues O, hantée par la Russie, et décidée à devenir orthodoxe, j’ai
commencé par rencontrer Léonid Ouspenski, et j’ai un peu travaillé avec lui, c’est
essentiellement lui qui m’a appris le peu que je sais de l’iconographie et je n’ai
rien oublié de ce qu’il m’a montré ou dit. C’était un homme sévère et taciturne,
qu’exaspéraient parmi ses élèves une religieuse catholique et une vieille Russe
incapable de faire un dessin normal. Lorsque je lui avais demandé de m’apprendre
la dorure, il m’avait toisée par-dessus ses lunettes et m’avait demandé : « Pourquoi ?
Vous êtes riche ? »
Ensuite, j’ai fait connaissance avec le père Serge, père
spirituel du père Grégoire, qui venait malheureusement de mourir, et avec le
père Barsanuphe, qui m’avait, comme la dame de l’émission, expliqué les icônes
et les fresques du Skite du Saint-Esprit où il m’avait accueillie. Ce moment a
été déterminant dans ma décision de devenir orthodoxe, car ce langage des
icônes me parlait profondément et me rendait mes racines médiévales, me reliait
à tout ce que nous avions perdu en France et que les Russes me restituaient. J’ai été recentrée spirituellement et
enracinée par cette rencontre avec ces icônes inspirées et plus tard par ma
découverte du folklore russe authentique auprès de Skountsev et de Mikhaïl
Korzine. C’était comme une greffe de mon individualité flottante, qui n’avait
pas reçu de tradition religieuse réelle, ni de tradition populaire sur un tronc
vénérable aux racines profondément ancrées dans le fin fond des siècles. D’où
le sentiment que j’ai d’avoir trouvé une
patrie en Russie, mais sans perdre pour autant ma patrie d’origine, dont je
rejoins parfois la substance profonde au travers de mon expérience orthodoxe.
Car cela répondait à un vrai besoin de sortir d’un monde superficiel, hors sol,
entièrement plat, coupé de son passé et tourné vers un futur qui par définition
n’existe pas, alors que le passé est inclus dans le présent, lui-même réduit à
une mince pellicule à la surface de l’énorme masse des siècles qui ne cesse de
dévorer la minute suivante.
L’originalité du père Grégoire et d’Ouspenski est d’avoir
fait des icônes modernes qui me rendaient l’abîme des siècles dans le moment
présent. Elles étaient imprégnées de tout ce qui les avait précédées, mais
elles étaient actuelles, à la fois immédiates et immémoriales. Comme le moment
où mes cosaques chantent une byline, avec tout l’arrière-plan des ancêtres qui
la leur ont transmise.
Je ne trouve pas cet esprit dans les icônes russes actuelles
qui me semblent souvent des reconstitutions dont la spontanéité, la vie, cette
sève qui monte jusqu’à nous depuis les racines de l’arbre sont souvent
absentes. Elles sont « bien peintes » et bien dorées. Les gens
choisissent leur style : byzantin, quatorzième siècle, dix-septième siècle…
Comment est-ce possible ? Riches de toute cette tradition, c’est aujourd’hui
que nous vivons… Les chants de mes cosaques, venus d’avant Pierre le Grand, c’est
aujourd’hui qu’ils les chantent, même si chantent à travers eux toutes les
générations précédentes.
Et le travail de ces deux Russes émigrés, exilés, reste peu
connu et peu apprécié ici, malheureusement.
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