Marseille |
Je suis partie pour
Marseille avec ma soeur mardi, voir mon oncle et ma tante. Je retrouve toujours avec nostalgie ces anciens et leur
maison, si simple et si exquise, un îlot de France d’autrefois dans la
science-fiction tonitruante de Marseille. Comme chaque fois, ils ont évoqué la visite déjà ancienne de Macha, la fille du père Valentin, avec son amie Ania, et une lettre écrite au feutre doré qu'ils ont conservée.
Je devais prendre le
lendemain le train pour Cannes, afin d’aller voir la famille Odaysky. Henry a proposé de me faire une « ricounette »,
un kir à sa manière, avant le repas de midi. Du coup, j’ai décidé de prendre un
taxi pour aller à la gare. Mais deux taxis coup sur coup nous ont fait faux
bond, ils disent qu’ils viennent et prennent quelqu’un d’autre, mort aux vieux. Mon oncle s'est ainsi un jour retrouvé en rade à la sortie de l'hôpital, à 92 ans, lâché par 5 pignoufs successifs. Il m’a fallu courir au métro avec mon sac et le chien. Evidemment, j’ai raté le
train, et je me suis retrouvée à attendre trois heures dans cette sinistre gare
Saint-Charles, à me faire taper toutes les cinq minutes, avec autour de moi une
espèce de Brésil bruyant, moche, vulgaire et sale.
Quand j’ai voulu monter
dans le TER, il était pris d’assaut, mais heureusement, la porte s’étant
ouverte juste devant moi, j’ai pu jeter ma valise dans un coin et tomber sur un
siège. Il y avait des gens partout, qui se montaient dessus et rouspétaient
tant qu’ils pouvaient. Un type a commencé à clamer qu’il était invalide, et qu’il
fallait lui laisser la place, que nous n’avions aucun civisme. Une vieille lui
a répondu qu’il n’avait qu’à faire lever des jeunes. Il me regardait fixement,
avec un mépris appuyé. Mais j’ai presque
67 ans, de l’arthrose du genou et un chien dans un sac… J’avais compris le
système qui consistait à peser sur un maillon faible, la mamie et sa mini
chienne, plutôt que d’aller se faire rembarrer par de jeunes sauvages en pleine
forme. J’ai laissé l’affaire au contrôleur : «Tout le monde est invalide, »
lui a-t-il répondu. Je le trouvais bien pugnace, pour un invalide…
Un TGV direct Paris Nice
avait pris du retard pour cause de neige, et on avait fait descendre son
contenu à Marseille pour le fourrer dans ce TER…
Je n’avais pas vu les
Odaysky depuis un an, les enfants ont beaucoup grandi, ils sont spontanés,
affectueux, et avaient l’air ravi de me voir. J’ai remarqué que tous les
enfants élevés normalement, traditionnellement, par un vrai papa et une vraie maman,
sont ouverts, caressants, tandis que les autres traînent des figures maussades,
ont des comportements nerveux et exaspérants et n’ont même pas l’air de
remarquer votre existence.
Le père Antoni est
accueilli quand il arrive par des « papa, papa » enthousiastes. «Vous
voyez, me dit Myriam, moi, je ne suis jamais accueillie de cette manière, moi
je fais partie des meubles… »
Le père Antoni a été
ordonné prêtre en Crimée, par le métropolite Onuphre de Kiev : « Vous
savez, la première chose qui vient à l’esprit quand on le voit, c’est que c’est
un moine. Un vrai moine. Il est extrêmement aimé, et devant sa résidence,
il y a toujours des files immenses de bonnes femmes et de gens venus lui
demander un conseil ou sa bénédiction, il est pris d’assaut, il n’arrête pas. »
Nous en sommes venus, au
cours de notre discussion sur ce thème, devant ce lumineux métropolite placé
par la providence dans le trou noir ukrainien, et son admirable troupeau soudé
autour de lui par la ferveur et l’amour, à envisager que précisément à l’endroit
le plus sombre de l’Europe allait prendre feu une extraordinaire renaissance
spirituelle.
Le père spirituel du
père Antoni vient d’être ordonné évêque par ce même métropolite Onuphre.
Puis nous avons évoqué
Solan, où la famille Odaysky aime tant à se rendre. Les enfants y font du jardinage,
Alexandre a même conduit le tracteur du père Théotokis, qui l’initie également
à la taille de pierre. Que d’anges penchés sur l’éducation de ces quatre
enfants…
Chaque soir, la famille
prie dans la chambre des parents, devant le beau coin des icônes. Les enfants
lisent les prières à tour de rôle.
Le lendemain, j’ai pris
le TGV pour retourner à Marseille. Cannes me semblait garder quelque chose de
la prospérité riante de la France que j’ai connue. Par la fenêtre, je regardais
la mer plombée, aussi plombée que la mer Blanche aux Solovki, mais beaucoup
moins puissante, une mer plate bordée d’un friselis discret, au pied des
rochers dansants couverts de jolis villas qui me parlaient des années 60 ou
même des vacances de mes tantes et de ma mère, quand les cinq superbes filles
Pleynet étaient la coqueluche des plages de Sainte-Maxime ou de Saint-Tropez,
au début des années 50. De temps en temps, j’entrevoyais, entre la mer grise et
le soleil rouge, sous les nuages, le frisson doré d’un mimosa, les dentelles
blanches d’une première floraison d’amandier.
Après ces endroits
sauvegardés, je me suis fait la réflexion que toute la côte devait être ainsi, autrefois,
et que le paysage, en soi, avait une très belle structure, des roches et des
collines exubérantes, des petites maisons qui
les escaladent, oui, mais voilà : que de zones industrielles, que
de hangards, que de béton, que de disgrâces, et par-dessus tout cela, ces tags
qui me dégoûtent depuis les années 80, quand ils ont commencé à ramper sur tous
nos murs, cette espèce de lèpre new-yorkaise, ces tatouages gravés sur le corps
de la France comme la marque infamante de son esclavage croissant, de sa vente
à l’encan, de sa mise sur le trottoir par les politiciens véreux de la république.
Rita apprécie les voyages,
car aucun chat ne lui fait plus concurrence. Elle est marrante, chipie et hargneuse,
du moins quand elle est dans son sac, et sur mes genoux. Elle me fait honte.
Une vraie peste !
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