.Dans le district de Chatsk, les paysans s'étaient rassemblés devant le bâtiment de la Tchéka pour récupérer l'icône confisquée de la Mère de Dieu Vychenskaïa. Les Gardes rouges ouvrirent le feu sur la foule. Un témoin raconte: "Je suis un soldat, j'ai participé à de nombreux combats avec les Allemands, mais je n'avais jamais vu ça. La mitrailleuse les fauche un rang après l'autre, et ils avancent, ils ne voient rien, par dessus les cadavres, ils rampent de travers sur les blessés, ils ont des yeux terribles, les mères poussent leurs enfants devant elles, elles crient: "Notre Mère secourable, sauve-nous et prends-nous en pitié, c'est pour toi que nous tombons tous!" Il n'y avait plus en eux aucune espèce de crainte." (archiprêtre Vladislav Tsypine, histoire de l'Eglise russe 1917-1997)
В Шацком уезде крестьяне собрались к зданию ЧК выручать конфискованную Вышенскую икону Божией Матери. Красноармейцы открыли огонь по толпе. Очевидец рассказывал: " Я солдат, был во многих боях с германцами, но такого я не видел. Пулемет косит по рядам, а они идут, ничего не видят, по трупам, по раненым лезут напролом, глаза страшные, матери — детей вперед, кричат: " Матушка Заступница, спаси и помилуй, все за Тебя ляжем!" Страха уже в них не было никакого"."
(Прот Владислав Цыпин, ИСТОРИЯ РУССКИЙ ЦЕРКВИ, 1917-1997)
Cet épisode lu sur une publication de Facebook, et déjà cité mais non traduit, me poursuit: il est clair que ces paysans n'avaient plus rien à perdre, ils savaient qu'il n'y avait pas de place pour eux dans le "monde nouveau", et Sophie m'en a brusquement parlé, parce qu'elle ressentait la même chose, elle ressentait aussi que ce qui s'est passé à ce moment-là, en 17, pourrait se passer aujourd'hui dans le monde entier, et que nous pourrions éventuellement mourir ainsi. Oui, c'est une éventualité. Dans ce qui a déterminé mon départ, il y avait la conscience d'aller dans un endroit où d'abord, tout n'est pas encore joué, et où, ensuite, on pourrait mourir en procession, s'il fallait en venir là, derrière les bannières et les icônes, et comme dit Sophie, "ensemble".
Non que je le souhaite ou que je sois pressée, mais dans les temps que nous traversons, c'est une éventualité.
J'ai toujours pensé qu'un héros n'était pas forcément un type téméraire qui aime braver la mort, mais plutôt quelqu'un qui s'aperçoit que vivre ainsi qu'on le lui propose, accepter certaines compromissions inacceptables dévaluerait tellement son existence qu'il n'a tout d'un coup plus d'hésitation à la risquer ou à la sacrifier.
Quand l'higoumène Philippe est parti à Moscou, convié par le tsar Ivan à occuper la chaire de métropolite, il savait probablement qu'il partait pour le Golgotha. Mais il n'avait pas d'autre choix: il allait dans le sens de son engagement de toute une vie. Un moine, un higoumène, se dérobe-t-il devant le Golgotha, quand il s'agit d'obéir à la volonté de Dieu et d'imiter le Christ dans sa soumission?
Ce Golgotha ne va pas toujours jusqu'au martyr effectif, concret, mais il peut simplement se présenter comme une manière plus difficile de vivre et de mourir, acceptée, consentie quand elle nous est offerte. Un jour, j'ai demandé à soeur Agnès, à Solan: "C'est parfois compliqué de discerner quelle est la volonté de Dieu. Serait-ce qu'entre deux choix, celui qui répond à sa volonté est le plus difficile?
- Comment vous dire? Bien souvent, oui."
Sur vkontakte, je vois que mon album "animaux" n'a pas été complété depuis longtemps, et je décide d'y remédier. J'ai donc plongé dans mes dossiers de photos, et vu mes petits spitz. De Jules, j'avais mis déjà beaucoup de photos, mais presque pas de Doggie. Doggie, ma petite créature féerique, béate de bonheur sur la plage des Saintes-Marie-de-la-Mer. Les Saintes-Marie-de-la-Mer... J'avais voulu y retourner parce que je pressentais que je n'allais peut-être plus revoir la mer de ma vie, ou plutôt, je me disais qu'il fallait envisager que ce pût être la dernière fois, même si le ciel ne nous tombait pas tout de suite sur la tête. Que de lumière, aux Saintes Marie, que d'azur, et comme mon petit chien était joli et heureux... Je crois que c'est le plus beau moment que nous ayons passé ensemble. J'étais avec Cécile, qui garde jusque dans la vieillesse, son air d'étudiante nordique hippie. Et je jouais avec les tresses douces et salées de la mer, avec ses reflets, sous l'oeil inquiet du petit Doggie, clair comme le sable, duveteux, immatériel. Un petit nuage de simoun éperdu d'amour.
Et puis les chemins de Cavillargues: tout est brillant, éclatant, dans le Gard, exubérant, les pins, les cyprès, les arbres fruitiers, leurs fleurs miraculeuses qui surgissent au printemps directement sur leurs squelettes sombres, ressuscitant à travers les collines des foules entières de mariées et de communiantes fragiles, illuminées et odorantes, les oliviers, les coquelicots, le Ventoux et l'azur, le vent et les rayons. Le petit chien...
Le petit chien, inconsciemment sacrifié dans mon équipée, car moins soucieuse et moins bousculée, j'aurais peut-être remarqué les signaux de sa maladie et réagi plus vite.
On pourrait penser que j'ai quitté la Russie pour aller vers une vie meilleure, mais en réalité, il n'en est rien, et réfléchir là dessus tombe à point pour moi, puisque une journaliste, Vera Polyt, me pose la question qui intrigue tous les Russes.
Pourquoi suis-je partie? J'étais bien planquée dans le Gard, au soleil, avec le climat idéal pour mon arthrose et ma sinusite, un excellent médecin généraliste, le monastère de Solan, la mère Hypandia. Les paroissiens m'aimaient bien, et aussi les commerçants du village, les clients du café. Il y a des chances pour que cela tourne très mal en France, en tous cas, les maîtres du monde et notre gouvernement à leur solde font vraiment tout pour cela, mais à mon âge, il est plus simple d'attendre la fin du monde là où l'on se trouve ...
Je suis partie sans doute parce que je ne pouvais pas faire autrement, pour être en paix avec moi-même. Et je suis globalement en paix.
Tous les jours que je fais, je faillis à tous mes devoirs de chrétienne, j'oublie mes prières ou néglige le jeune, enfin je ne suis pas du tout à la hauteur, mais je suis partie quand même, à reculons, avec toutes sortes d'oreillers, de parachutes, de petites laines, de valises, de petits chiens et de petits chats, je suis partie accomplir ce pour quoi je suis née et suivre le sens de toute ma vie, parce que sinon, j'aurais eu l'impression de mourir à côté de la plaque. J'ai choisi la nuit polaire, la patinoire-pataugeoire moins un plus un, les douleurs arthrosiques, la sinusite et j'ai perdu mon petit chien chéri dans l'affaire. Mais comme toujours dans ces cas-là, et c'est le signe que je suis en bonne voie, je suis puissamment aidée. Les choses sont difficiles mais elles s'arrangent. Les gens sont avec moi extrêmement serviables et secourables. De tous côtés on m’accueille à bras ouverts. Je suis obligée de compter avant tout sur Dieu, c'est ce que je fais, et Il m'aide.
Je suis venue, entre autres, dire aux Russes de s'aimer tels qu'ils sont, et le message semble être bien passé. J'en suis même étonnée. Comme quoi, lorsqu'on parle avec sincérité et amour, on est entendu, on est aussi entendu de ceux qui écument de haine, mais ce sont des choses auxquelles il faut se préparer et s'attendre...
On m'a dit: "L'exil est une renaissance choisie, et c'est tout." En réalité, s'il s'agit de renaissance, c'est peut-être de celle qui suit la mort du "vieil homme". Je suis peut-être en train de mourir à ce que j'étais, mais il s'agit plus d'un accomplissement ultime que d'une renaissance.
(Прот Владислав Цыпин, ИСТОРИЯ РУССКИЙ ЦЕРКВИ, 1917-1997)
Cet épisode lu sur une publication de Facebook, et déjà cité mais non traduit, me poursuit: il est clair que ces paysans n'avaient plus rien à perdre, ils savaient qu'il n'y avait pas de place pour eux dans le "monde nouveau", et Sophie m'en a brusquement parlé, parce qu'elle ressentait la même chose, elle ressentait aussi que ce qui s'est passé à ce moment-là, en 17, pourrait se passer aujourd'hui dans le monde entier, et que nous pourrions éventuellement mourir ainsi. Oui, c'est une éventualité. Dans ce qui a déterminé mon départ, il y avait la conscience d'aller dans un endroit où d'abord, tout n'est pas encore joué, et où, ensuite, on pourrait mourir en procession, s'il fallait en venir là, derrière les bannières et les icônes, et comme dit Sophie, "ensemble".
Non que je le souhaite ou que je sois pressée, mais dans les temps que nous traversons, c'est une éventualité.
J'ai toujours pensé qu'un héros n'était pas forcément un type téméraire qui aime braver la mort, mais plutôt quelqu'un qui s'aperçoit que vivre ainsi qu'on le lui propose, accepter certaines compromissions inacceptables dévaluerait tellement son existence qu'il n'a tout d'un coup plus d'hésitation à la risquer ou à la sacrifier.
Quand l'higoumène Philippe est parti à Moscou, convié par le tsar Ivan à occuper la chaire de métropolite, il savait probablement qu'il partait pour le Golgotha. Mais il n'avait pas d'autre choix: il allait dans le sens de son engagement de toute une vie. Un moine, un higoumène, se dérobe-t-il devant le Golgotha, quand il s'agit d'obéir à la volonté de Dieu et d'imiter le Christ dans sa soumission?
Ce Golgotha ne va pas toujours jusqu'au martyr effectif, concret, mais il peut simplement se présenter comme une manière plus difficile de vivre et de mourir, acceptée, consentie quand elle nous est offerte. Un jour, j'ai demandé à soeur Agnès, à Solan: "C'est parfois compliqué de discerner quelle est la volonté de Dieu. Serait-ce qu'entre deux choix, celui qui répond à sa volonté est le plus difficile?
- Comment vous dire? Bien souvent, oui."
Sur vkontakte, je vois que mon album "animaux" n'a pas été complété depuis longtemps, et je décide d'y remédier. J'ai donc plongé dans mes dossiers de photos, et vu mes petits spitz. De Jules, j'avais mis déjà beaucoup de photos, mais presque pas de Doggie. Doggie, ma petite créature féerique, béate de bonheur sur la plage des Saintes-Marie-de-la-Mer. Les Saintes-Marie-de-la-Mer... J'avais voulu y retourner parce que je pressentais que je n'allais peut-être plus revoir la mer de ma vie, ou plutôt, je me disais qu'il fallait envisager que ce pût être la dernière fois, même si le ciel ne nous tombait pas tout de suite sur la tête. Que de lumière, aux Saintes Marie, que d'azur, et comme mon petit chien était joli et heureux... Je crois que c'est le plus beau moment que nous ayons passé ensemble. J'étais avec Cécile, qui garde jusque dans la vieillesse, son air d'étudiante nordique hippie. Et je jouais avec les tresses douces et salées de la mer, avec ses reflets, sous l'oeil inquiet du petit Doggie, clair comme le sable, duveteux, immatériel. Un petit nuage de simoun éperdu d'amour.
Et puis les chemins de Cavillargues: tout est brillant, éclatant, dans le Gard, exubérant, les pins, les cyprès, les arbres fruitiers, leurs fleurs miraculeuses qui surgissent au printemps directement sur leurs squelettes sombres, ressuscitant à travers les collines des foules entières de mariées et de communiantes fragiles, illuminées et odorantes, les oliviers, les coquelicots, le Ventoux et l'azur, le vent et les rayons. Le petit chien...
Le petit chien, inconsciemment sacrifié dans mon équipée, car moins soucieuse et moins bousculée, j'aurais peut-être remarqué les signaux de sa maladie et réagi plus vite.
On pourrait penser que j'ai quitté la Russie pour aller vers une vie meilleure, mais en réalité, il n'en est rien, et réfléchir là dessus tombe à point pour moi, puisque une journaliste, Vera Polyt, me pose la question qui intrigue tous les Russes.
Pourquoi suis-je partie? J'étais bien planquée dans le Gard, au soleil, avec le climat idéal pour mon arthrose et ma sinusite, un excellent médecin généraliste, le monastère de Solan, la mère Hypandia. Les paroissiens m'aimaient bien, et aussi les commerçants du village, les clients du café. Il y a des chances pour que cela tourne très mal en France, en tous cas, les maîtres du monde et notre gouvernement à leur solde font vraiment tout pour cela, mais à mon âge, il est plus simple d'attendre la fin du monde là où l'on se trouve ...
Je suis partie sans doute parce que je ne pouvais pas faire autrement, pour être en paix avec moi-même. Et je suis globalement en paix.
Tous les jours que je fais, je faillis à tous mes devoirs de chrétienne, j'oublie mes prières ou néglige le jeune, enfin je ne suis pas du tout à la hauteur, mais je suis partie quand même, à reculons, avec toutes sortes d'oreillers, de parachutes, de petites laines, de valises, de petits chiens et de petits chats, je suis partie accomplir ce pour quoi je suis née et suivre le sens de toute ma vie, parce que sinon, j'aurais eu l'impression de mourir à côté de la plaque. J'ai choisi la nuit polaire, la patinoire-pataugeoire moins un plus un, les douleurs arthrosiques, la sinusite et j'ai perdu mon petit chien chéri dans l'affaire. Mais comme toujours dans ces cas-là, et c'est le signe que je suis en bonne voie, je suis puissamment aidée. Les choses sont difficiles mais elles s'arrangent. Les gens sont avec moi extrêmement serviables et secourables. De tous côtés on m’accueille à bras ouverts. Je suis obligée de compter avant tout sur Dieu, c'est ce que je fais, et Il m'aide.
Je suis venue, entre autres, dire aux Russes de s'aimer tels qu'ils sont, et le message semble être bien passé. J'en suis même étonnée. Comme quoi, lorsqu'on parle avec sincérité et amour, on est entendu, on est aussi entendu de ceux qui écument de haine, mais ce sont des choses auxquelles il faut se préparer et s'attendre...
On m'a dit: "L'exil est une renaissance choisie, et c'est tout." En réalité, s'il s'agit de renaissance, c'est peut-être de celle qui suit la mort du "vieil homme". Je suis peut-être en train de mourir à ce que j'étais, mais il s'agit plus d'un accomplissement ultime que d'une renaissance.
Pourquoi suis-je partie en Russie (en russe)
Que souhaitons-nous, nous humains,à nos enfants ? " Deviens ce que tu es ". Dans la perspective où nous sommes tous des enfants de Dieu " Deviens ce que tu es" est sans doute l'accomplissement ...quel que soit l'âge où nous y parvenons.
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