J’ai vu un merle, qui dans une trouée, essayait de picorer les orties naissantes, sans doute mon merle de l’année dernière qui est revenu... J’adore les merles, et je me suis précipitée pour lui donner des framboises que j’avais surgelées cet été, des morceaux de carotte, mais je n’ai pas l’impression qu’il en ait mangé, bien qu’on eût dit partout qu’il faut leur donner précisément ce genre de choses. Il me semble aussi que les bouvreuils ne sont pas venus aujourd’hui.
J’avais si
peur que Moustachon ne mangeât mon pauvre merle épuisé que je lisais mes
prières de communion en plein vent glacial, sur la terrasse, pour surveiller les
morceaux de carottes. En veillissant, je deviens complètement solidaire de tout
ce qui vit, sauf des créatures dont la seule fonction est justement de nuire à
toutes les autres par leur bêtise, leur cupidité et leur brutalité. Je suis
personnellement concernée par les chats et chiens perdus, les oiseaux affamés
par ce temps de merde, la souris qui a échappé à Moustachon et vit depuis sous
mon évier en se servant dans la poubelle, les élans, les loups, les ours, les
renards, les arbres, je me vois passer l'éternité dans un paradis fleuri et peuplé de toutes les
créatures que j’ai aimées, sauvées et même mangées, car il faut bien vivre, ou
données à manger à mes chats et mes chiens. Je demande à Dieu non seulement de
pardonner mais de réparer le mal que j’ai fait consciemment ou non ;
généralement pas consciemment, je dois dire, à part quand j’étais dans une
colère noire, je n’ai jamais délibérément essayé de faire du mal en parole ou en action.
Cela ne m’intéresse pas du tout. Mais la négligence, la lâcheté,
l’inconscience...
Mirali,
l’artisan de Gilles, est arrivé pour réceptionner la livraison d’isolant. Il me
fait les combles, et cela ne me coûtera pas très cher, en fin de compte. Il me dit que lorsque ce sera fait, je ne descendrai plus de là haut tellement
ce sera agréable. J’espère avoir plus de vue et de lumière, quoique la vue ne
soit pas mal de mon petit bureau, mais si je veux aménager le studio de façon à
le louer vraiment de façon rentable, il me faut lui adjoindre mon entrée
actuelle et y transporter la petite cuisine, pour libérer la grande pièce dans
le prolongement, et faire une entrée particulière séparée pour les locataires,
loin des caisses à chats. Et du coup, je dois faire une entrée pour moi, dans
ce qui est actuellement mon atelier. J’aurais pu caser l’atelier dans ce qui me
sert de salle à manger mais c’est sombre, et je manque dramatiquement de lumière.
J’ai envie d’être en plein ciel. J’aurai un escalier à grimper, ma tante Mano
dit que cela fait faire de l’exercice.
Pour le
dimanche des Rameaux, je suis allée à l’église du Signe, où chante Katia. Nous
devions aller ensuite au village de Nagorié, à une quarantaine de kilomètres de
Pereslavl, car ma voiture ne peut faire le trajet en ce moment, elle a déjà ses
pneus d’été. J’ai vu Tania de l’aide humanitaire, dont le mari Dmitri, ataman
cosaque, est parti au front, considérant qu’ayant élevé ses cinq enfants dans
l’amour de la patrie et le sens du sacrifice, il devait montrer l’exemple. Il a
rencontré un tank ukrainien, et il est assez gravement blessé, son téléphone a
d’ailleurs spontanément enregistré l’affaire, et ses « Seigneur aie
pitié » au milieu des fracas de ferraille, ce qui m’a beaucoup
impressionnée. Mais ses jours ne sont plus en danger, il a gardé ses bras et
ses jambes, en revanche, il est devenu sourd d’une oreille, mais cela va peut-être s’arranger... « Eh bien, ai-je dit à Katia, maintenant que ses
cinq enfants ont vu quel bon patriote il était, j’espère qu’on le renverra chez
lui et qu’il ne repartira plus ! »
La route
pour Nagorié est vraiment très jolie, les villages pas encore trop saccagés. Certaines
isbas sont même bien réparées et pimpantes, et celles qu’on a transformées en
jeu de Lego, semblent à côté frappées
par le rayon de la mort, des espèces d’OVNIs. Les amateurs de plastification
trouvent que cela « fait propre ». Oui, en effet, la vie , c’est
sale. Il faut plastifier les maisons, tondre les jardins, arracher toutes les « mauvaises
herbes », attacher tous les chiens ou les euthanasier, massacrer tous les
animaux sauvages, et après on pourra faire des chachliks sur le béton en
lâchant les enfants dans un environnement stérile et tiré au cordeau, au son du
tohu-bohu que difuse la radio, pour ne surtout pas entendre chanter un oiseau.
Arrivées à
Nagorié, nous avons trouvé la jeune matouchka Xénia très inquiète, et pourtant,
nous étions en avance de dix minutes, ce doit être une anxieuse. Son prêtre de mari est moldave.
J’ai chanté
un répertoire de carême à une sympathique et chaleureuse assistance locale,
répondu aux questions, vendu quelques livres. A l’issue de tout cela, une dame
me demande de chanter « quelque chose de gai ». Le problème, c’est
que le répertoire gai n’est pas toujours très convenable ! D’ailleurs je
me demandais comment Iarilo et Parthène seraient pris par ceux qui l’ont
acheté, bien que je connaisse des orthodoxes et mêmes des prêtres, qui ont aimé
et compris ces romans.
Au retour, j’ai
demandé à Katia des nouvelles du Chat. Il aura peut-être un congé en mai. « Bonne
occasion pour vous épouser, dis-je.
- Il n’a pas
le moral, il a peur de me laisser veuve, ou de revenir mutilé.
- Se marier,
c’est un acte de foi en la vie ! »
Je prie pour
qu’il revienne sain et sauf sur ses deux jambes, avec ses deux bras. J’ai l’impression
de revivre la guerre de quatorze. Katia, tous les jours, lit avec lui l’Evangile
sur Telegram pour l’accompagner dans cette épreuve, ce que je trouve très beau.
Le soleil,
malgré la neige, était vif et printanier, et faisait étinceler les bourgeons
diffus sur les branchages verts, jaunes et rouges. Tout à coup, sur le bas-côté
de la jolie route, je vois une créature énorme que j’ai tout d’abord prise pour
un cheval et qui a traversé devant nous : un élan ! Depuis huit ans
que je suis ici, c’est la première fois que cela m’arrive. De tout le temps que
j’ai passé en Russie, je n’avais encore jamais vu d’élan en chair et en os !
J’étais émerveillée. Il me reste à contempler une aurore boréale.
Revenue chez
moi, je me suis assise sur la terrasse. Le soleil chauffait tellement que mon
pantalon noir me brûlait. J’entendais ruisseler l’eau du toit, sonner des
cloches lointaines, et pépier les mésanges. Dans cinq jours il fera vingt
degrés...
Aux vigiles des Rameaux, la vieille Antonina m'a félicitée pour l'article que j'ai fait en soutien aux habitants du quartier des Pêcheurs, sur la berge de la rivière. "Pereslavl, c'était un village, et on nous le transforme Dieu sait en quoi". Cet article touche beaucoup de monde, et même il voyage. C'est une bonne surprise.
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Toujours un profond plaisir à te lire...
RépondreSupprimerMerci ma belle
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