J’apprécie d’avoir de l’air et beaucoup de ciel, dans mon pigeonnier. Quand j’ouvre la fenêtre, j’ai l’impression d’être dehors. Je regarde se lever la lune et dériver les nuages, j’ai même vu passer une mongolfière, un ballon rouge dans l'immensité du ciel qui voguait et grossissait peu à peu en silence..
Pour la liturgie de la Pentecôte, il y avait du monde, à l’office du petit matin.
J’ai énuméré mes péchés sans commentaires en quelques secondes, mais lorsque le
prêtre a posé son épitrachlion sur ma tête, j’ai senti la grâce se poser sur moi, d’abord pesante, puis légère, un sentiment de bienveillance et
d’apaisement. Mais deux bonnes femmes ont ensuite immobilisé ce pauvre père Alexis
très longtemps, une vieille, puis une jeune qui avait l’air d’une vagabonde un
peu dérangée, et une fois donnée l'absolution, elle continuait à lui tenir la jambe. Le sacristain en avait tellement marre qu’il est venu
ostensiblement replier le lutrin, emporter l’évangile, et souffler le cierge
devant les portes royales pour faire comprendre à la pénitente qu’elle
commençait à nous casser les pieds. Raconter sa vie un jour de grande fête,
quand il y a la queue, c’est pour le moins indélicat...
Au moment de
la distribution des prosphores, je me tenais à proximité, parce que ne pouvant
rester debout en ce moment, le seul coin où je pouvais m’asseoir était à l’entrée.
Mais tandis que je m’approchais, j’ai vu une telle foule se précipiter avant
moi, que j’ai renoncé, et suis allée attendre le moment de la communion un peu plus loin. Alors
j’ai vu arriver une dame qui me tendait une prosphore avec un sourire. Elle
avait remarqué qu’on m’avait coupé la route, et avait pensé à moi. J’en ai été
profondément touchée. Les gens sont d’une extrême gentillesse, à l’église, mais même ailleurs, je dirais d'une façon générale que les Russes sont vraiment bons.
J’ai vu Liéna, la jeune femme de Sacha, qui travaille au café avec Gilles. Elle est adorable, très spontanée, avec des expressions gentilles et amusantes de petite fille. Elle avait une jolie robe, une sorte de tafetas à carreaux vert pâle et rose, avec un jupon, elle ressemblait à une gravure ancienne, et comme je la complimentais, elle me dit, enchantée: "Et si vous la voyiez au soleil, elle rayonne!" Liéna a été convertie par l'évêque Théoctiste, et je me souviens du jour où cela s'est passé. Il donnait une conférence, et elle lui posait des questions hardies et naïves qui le ravissaient, et auxquelles il répondait avec une sorte d'humour gourmand. Depuis, son mari aussi, s'est fait baptiser.
Nous discutions devant l’église quand la vagabonde prolixe que le
sacristain n’arrivait pas à arrêter nous aborde. Elle était maigre et mal
attifée, mais avait dû être jolie, ou aurait pu l’être encore. Elle nous
demandait d’appeler pour elle son fils, dont on lui avait retiré la garde, car
elle n’avait pas de téléphone. J’avais oublié le mien, la jeune Liéna l’a fait
mais sans obtenir de réponse. « Et s’il me rappelle, je lui dis
quoi ?
- Que je
l’aime, que je prie pour lui et que nous serons tous dans la gloire de
Dieu. »
J’avais honte de mon agacement, car il était visible qu’elle n’était pas dans son assiette, et il m’apparaissait que le plus grand de mes péchés actuels était précisément cette irritation de vieille grognon qui me faisait manquer de charité..
Anne-Laure m’a invitée au restau, elle m’a demandé ce que je pensais de l’évolution de notre civilisation. Je lui ai répondu qu’à mon avis, si elle continuait comme ça, elle nous conduirait tous à notre perte, physique et morale, et même intellectuelle, car elle allait contre la vie, elle détestait la vie, et n’en comprenait pas le caractère sacré, c’était une civilisation de mort. « Oui, mais comment s’arrêter sur le chemin du progrès, l’homme n’est-il pas ainsi fait ?" C'est le propos du livre de Barjavel Ravages, que j'avais lu, encore adolescente, dans la foulée du Meilleur des Mondes.
- Eh bien dans un sens, si, je crois que dans la Rome antique, tout était déjà en germe. Mais le christianisme a provisoirement recentré la civilisation méditerranéenne et occidentale sur le sens spirituel de l’existence, l’essor technique n’est venu qu’avec la désacralisation du monde qui a succédé à l’humanisme. Moi, si vous voulez, j’ai toujours été archaïque, hostile à cette civilisation depuis mon plus jeune âge. Cependant, je n’en rejette pas tous les aspects. Il me semble que si nous retrouvions la conscience que le monde est sacré et qu’on ne peut pas se permettre d’y faire n’importe quoi, on pourrait commencer à vivre autrement, en nous protégeant, par des garde-fous spirituels, sociaux et juridiques, des individus brutaux, cupides et dominateurs qui ne connaissent maintenant plus aucune limite, plus aucun frein. Je ne suis pas systématiquement passéiste, et beaucoup de recherches et de trouvailles ont été faites pour cultiver autrement, avec moins de fatigue et plus d’efficacité, sans violer continuellement la nature, pour conserver un certain confort sans tout polluer ni détruire, mais le débat est pratiquement interdit, et rendu terriblement confus, sans doute à dessein. »
J'ai vu ensuite la vidéo d'un paysan français qui montrait une poignée de terre en disant: "Il faut enfin se souvenir que cela, c'est sacré, et que nous ne sommes pas des robots." Ce qui est valable pour les citadins de plus en plus dégénérés, mais aussi pour beaucoiup d'agriculteurs industrialisés qui n'ont plus aucun respect du vivant.
Hier, Sacha
Merzlov, un francophile francophone qui a fondé une association « les plus
beaux villages de Russie » sur le modèle des « plus beaux villages de
France », a voulu me rencontrer au café français. Il a fait travailler ses
étudiants sur une lettre que j’avais écrite à Nikita Mikhalkov, au sujet du
massacre des environs du monastère Nikitski et de la rive nord du lac, médité
par toujours le même genre de rhinocéros irrécupérables et malfaisants. Mais à ma grande
déception, le brillant cinéaste ne m’avait pas répondu. Cette lettre a
finalement pas mal voyagé, depuis que je l'avais publiée dans mes chroniques, si elle est étudiée en fac !
Le cuisinier du café m'a à la bonne et avait écrit: "Bon appétit!" sur le carton de la pizza que j'avais commandée. C'est un gros nounours au regard d'intellectuel.
Sacha Merzlov est arrivé en Deuche à Pereslavl, et il a fait sensation. Je suis allée photographier la brave petite voiture, avec un pincement au coeur. Il avait amené un couple de Français, Christophe et Chantal, qui projettent éventuellement d’émigrer, au moins d’acquérir ici une position de repli. Ils trouvent Pereslavl totalement détruit, avec des bâtisses moches qui ne présentent aucun intérêt, et pensent plutôt à Rostov, ou au village, il est vrai assez délabré, de Ribnoïé Poretchié. Quand c’est resté beau et authentique, c’est délabré, parce que simplement, personne ne trouve encore de raisons profitables de défigurer l’endroit concerné. Maintenant, en dépit des mutilations subies par la pauvre ville de Pereslavl, j'y ai trop d'amis pour encore déménager ailleurs. Dans un sens, elle m'offre en raccourci le symbole même de la Russie post-soviétique et de la tragédie européenne post-industrielle, post-révolutionnaire. Un chaos hideux où surnagent des éclairs de beauté, et des gens qui luttent parmi les mutants pour sauvegarder les braises de la foi et de la Tradition, et les transmettre.
Chantal m’a dit que lorsqu’on pensait mal, en France, on était complètement ostracisé. Je regardais ces deux aimables Français avec une grande compassion. Des gens qui, autrefois n’auraient jamais imaginé partir, surtout en Russie. Et eux aussi avaient de la compassion pour moi, au spectacle de mon émotion, quand nous avons évoqué Nîmes, Uzès, le Gard, l'Ardèche... Nous nous sommes laissé voler notre pays, notre histoire, tout ce qu'avaient bâti nos ancêtres, ce qu'ils nous avaient transmis et je n'ose imaginer dans quel état sera la population dans un demi siècle. Je prie pour que cela n'arrive pas aux Russes, en proie aux mêmes démons, mais encore vivants, malgré des persécutions et une rééducation que nous n'avons pas connues à ce point. Mais peut-être d'une façon plus sournoise et plus efficace, en fin de compte....
Sacha Merzlov évoquait tous les projets de son association, les problèmes posés aux gens qui essayaient de sauver le patrimoine, l’éventualité d’une coopération avec moi, et là dessus, Slobodan m’écrit, à propos d’une chronique que j’ai faite assez récemment et que Nicolas Bonnal a répercutée, sur la loi qui prive les défenseurs des sites naturels et historiques de tous moyens de s’opposer à leur exploitation immobilière par des barbares. Il n’en revenait pas. Eh si, pourtant, c’est la triste réalité. C'est incompréhensible, mais c'est comme ça.
Après, je
suis allée au village de Litchentsi, j’étais invitée à participer à une
procession depuis celui de Tverdilkovo en passant par Filimonovo, puis à
chanter, mais en raison de mon arthrose, j’ai décidé d’attendre tout le monde
au point d’arrivée.
Ce village
de Litchentsi est ravissant, avec une végétation harmonieuse, un étang.
Deux femmes ont pris sur elles la restauration de l’église, qui est très jolie
et très lumineuse. C’est dans l’église que j’ai chanté des vers spirituels, sur
la vielle et les gousli. Irina, une des responsables du sauvetage des lieux, m’a
remerciée avec effusion : « Je vous ai écoutée avec trois oreilles,
celles que j’ai de chaque côté de la tête, et celle que j’ai dans le coeur. J’espère
que vous reviendrez nous voir, parce que vous m’êtes tellement sympathique ! »
Toutes les
personnes présentes étaient vraiment touchantes et gentilles. C’était la vraie
Russie, encore presque intacte. J’ai ramené Olga Victorovna, elle m’a confié
pendant le trajet qu’un de ses fils jouait chaque année de l’accordéon à la fin
de cette procession, mais qu’il avait tout envoyé promener, pour se mettre au
goût du triste jour et ressembler à n’importe quel autre petit con. Eh oui, c’est
plus facile.
J’ai promis
de prendre désormais sa place avec ma vielle, peut-être qu’un jour il reviendra
à de meilleurs sentiments.
Claude Ginisty publie une lettre ouverte de l'Eglise Hors-frontières au sujet du négationnisme stalinien, de la restauration douteuse de monuments au petit père des peuples et à ses séides. ORTHODOXOLOGIE: le Synode de l'Eglise Russe hors Frontières met en garde contre la renaissance de l'idéologie de l'ère soviétique
Laurence, vous avez fait une petite erreur. Le propriétaire de la CV est Sacha MERZLOV. Je le connais depuis 27 ans, quand je l'ai rencontré à Peresslav'l au cours de me première mission pour le PNUD ( décembre 1998). Depuis , on ne s'est plus quitté. J'ai vu sa "deudeuche" quitter la France pour son périple vers la Russie, conduite par Sacha. Elle a été restaurée dans le Périgord. C'est avec Sacha, que nous avons créé son association des Plus Beaux Villages de Russie avec le soutien des Plus Beaux Villages de France, de l'ambassade de France en Russie, dès 2014. Alexandre est très courageux pour défendre et sauvegarder l'authenticité des villages et bourgs russes.
RépondreSupprimerAh oui, merci, je vais corriger.
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