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lundi 8 avril 2024

Le chemin des écoliers

 

Hier soir, Jason donnait un concert au bar du café. Cela me fait un drôle d’effet de voir cet Américain « crazy », comme j’en ai connu il y a bien longtemps, nous chanter une musique que j’écoutais il y a bien longtemps, dans les bars de son pays, et qui reflète des existences chaotiques, errantes, saignantes de cow-boys, de camionneurs, de vagabonds en leur donnant une dimension tragique, parfois comique, pleine de larmes, de dérision, de passions déçues, notre univers humain déchu, violent et désespéré. C’est comme une étrange résurgence de ma jeunesse dans ma vieillesse, une sorte de téléscopage temporel. Son univers, dans le registre country, me rappelle les romances cruelles du cosaque Iouri Chtcherbakov. C'est du folklore, c’est vivant, c’est vrai, comme Jason lui-même. Il joue avec des partenaires russes qui ont de bonnes bouilles et n’attendaient que lui, et leur niveau à tous est excellent, ils pourraient tout-à-fait se produire dans des bars moscovites. Ce qui me plaît chez Jason, c'est son côté bargeot. Il est très orthodoxe, c'est son côté Silouane, son nom de baptême, et il a un côté bargeot, un côté Kerouac. Le mélange des deux est très touchant.

Le lendemain, comme je l’avais promis à la matouchka Alexandra, je suis allée fêter l’Annonciation et l’adoration de la Croix, qui cette année tombent le même jour, à la Laure de la Trinité-Saint-Serge. C'est d'ailleurs un événement rare, dû à la date très tardive de Pâque, cette année. Nous fêtons le même jour la Conception du Christ et sa mort rédemptrice sur la Croix. C'est intéressant, aussi, comme téléscopage temporel.

Cela représentait pour moi un exploit, car le matin, je suis complètement au radar, surtout quand je ne peux boire un verre d’eau et un café pour remettre mon organisme en route. Conduire plus d’une heure quand je suis rouillée et mal réveillée, puis assister à un office monastique interminable sans pouvoir m’asseoir, cela commence à ne plus être de mon âge. D’ailleurs, je râlais dans la voiture, et je ne suis pas arrivée de très bonne humeur. La cathédrale de la Dormition, construite par Ivan le Terrible, est une pure merveille, avec des fresques d’époque, une iconostase splendide. Le choeur était à la hauteur du reste, c'étaient d'ailleurs plutôt deux choeurs qui se répondaient, avec des effets de canon qui déferlaient comme des vagues sonores successives, l'écho palpitant d'envols séraphiques: « Nous vénérons ta Croix, Seigneur, et nous glorifions ta sainte Résurrection ». Voyant que personne autour de moi ne s’en privait, j’ai voulu prendre une photo, mais un gardien féroce m’a engueulée, sans doute parce qu’il connaissait tous les autres contrevenants, et que l’inconnue de service était la proie idéale. Cependant, il n’avait pas tort et d’ailleurs, prendre une photo dans une église bondée n’est jamais très facile. Mais disons que moulue et somnolente comme je l’étais, cette remontrance n’a pas amélioré mon état intérieur. A cause de cet incident, je mets seulement la photo de l’affiche de Jason pour illustrer la chronique, tant pis pour la cathédrale, ses moines et ses nombreux fidèles et pèlerins, ses starets qui distribuaient leur bénédiction à travers les allées de ses jardins, les coupoles dorées et les oiseaux tournoyants.

Pour me calmer, j’ai recouru à la prière de Jésus, cela m’évitait de fulminer intérieurement ou de trop penser à mes pieds, à mes genoux et à mes contusions. Quand on vient vénérer la Croix, il faut surmonter ses petits malaises... Mais honnêtement, si je suis contente d’avoir assisté à cet office épuisant et d’une grande beauté, cela n’est pas pour moi, en dépit du cadre vénérable et admirable. J’aime autant ma cathédrale, où je me sens en famille, ou bien la paroisse du père Valentin. Il y avait deux sermons, et outre que cela fait beaucoup, et que je n’en comprends pas toutes les subtilités, je ne pouvais m’empêcher de penser à l'homélie inspirée du père Theotokis, à Solan, qui volait tellement au dessus de l’étroite bondieuserie... Parfois, je n'ai plus aucune réaction à l'écoute de ces discours sur nos péchés, comme les gosses en classe qui débranchent quand les profs font des remontrances et dessinent ou regardent les nuages par la fenêtre. Je suis toujours restée un cancre, au fond. J'ai besoin qu'on me fasse rêver, qu'on me donne des ailes et qu'on m'inspire de l'amour. Je pense souvent à la chanson de Brassens "le testament" qui est peut-être celle de lui que je préfère:

Tant pis si les croque-morts me grondent,

Tant pis s'ils me croient fou à lier,

Je veux partir pour l'autre monde,

Par le chemin des écoliers...


Je n'exclus pas d'ailleurs que ma mauvaise humeur et ma fatigue n'aient attiré le gardien déplaisant et jeté une ombre sur ce moment, il nous arrive souvent ce que notre état intérieur détermine. Car notre office à la Laure avait certainement plus d'élan et de lumière qu'une étrange cérémonie espagnole, dont un ami catho tradi a envoyé la vidéo à Dany. Des militaires promènent un crucifix cadavérique couché, au son d'une fanfare lugubre. Je me suis souvenue, en voyant cela, des digressions de Dostoievski sur le Christ mort d'Holbein qui pouvait faire perdre la foi au spectateur du tableau. C'est là qu'émergent nos divergences, car notre ami ne voit pas cela, il voit juste que les traditions se perpétuent, oui mais lesquelles? Dany et moi sommes évidemment sorties de cet état d'Esprit....




jeudi 4 avril 2024

Archipels

 


Fiodor est parti pour la guerre, Katia est allée avec moi, pour se remonter le moral, au restaurant "les Boyards" manger un menu carémique. Il y a pas mal de pertes sur le front, d'après ce que nous entendons dire. Il part volontaire, il est fils unique, il a deux gosses. Je commande des prières de tous les côtés. En passant, nous voyons des maisons décorées de drapeaux russes ou du drapeau du Sauveur non fait de main d'homme, sur fond rouge. La ville est en ce moment particulièrement moche, parce que la neige a fondu, mais la verdure ne lui a pas encore succédé, et rien ne vient adoucir ses disgrâces. On voit toutes les verrues et toutes les tumeurs qui bourgeonnent sur les maisons anciennes, et puis les maisons nouvelles, boursouflées et contrefaites. Mais la mairie illumine la nuit les bâtiments des siècles passés qui subsistent. C'est un phénomène  nouveau. 

A Belgorod, les bombes pleuvent sur les civils qui demandent nos prières. Les Ukronatos font la guerre aux civils, cela fait dix ans que ça dure. Mais soit on n'en parle pas, soit on met ça sur le dos des Russes, qui l'ont large, comme chacun sait.

 Je suis tombée sur une vidéo d'Anatoly Livry et j'ai été particulièrement intéressée par son idée que l'Europe est l'objet d'un génocide et d'un dressage sournois depuis déjà bien longtemps (à 40 mn). Cela fait plusieurs générations qu'on assassine les Européens en masse en éliminant les meilleurs, de sorte que si nous continuons de la sorte, nous n'aurons plus que des cloportes, stupides, veules, minables et crédules, prêts à disparaître dans un melting pot de sous-hommes fabriqués pour ce rôle par une caste de demi-dieux transhumanistes. Déjà, la plupart des jeunes grandissent comme des enfants loups qui ne réalisent pas les acquisitions nécessaires au bon moment et poussent diminués intellectuellement et moralement. Bien sûr, il y a des miracles, des gamins génétiquement doués qui nous émerveillent, mais on fait tout pour les marginaliser et les exclure, car tout le domaine culturel est entre les mains d'une médiocratie contrôlée qui sélectionne systématiquement les siens. Il n'y a qu'à voir par quelle caste d'imbéciles, de fourbes et de criminels nous sommes maintenant gouvernés. De plus, on nous fait vivre dans un environnement affreux, antinaturel, profondément moche et étranger à la vie et aux valeurs humaines éternelles, ce qui bloque tout développement spirituel, esthétique, éthique, poétique. Ce qu'il dit sur les slavistes français est très judicieux, et je me demande par quel phénomène psychologique ces gens censés comprendre la Russie mieux que les autres font tout, avec une aversion méticuleuse, pour en brouiller la perception et en falsifier l'histoire à longueur d'antenne. J'en viens à penser que ce sont des agents recrutés. Ou bien simplement n'auraient-ils jamais eu leurs diplômes ni leur position si ils avaient eu un autre avis sur la question. Je me souviens de la haine trotskiste dont j'ai été parfois poursuivie quand j'étais en fac. Et pas seulement moi. L'une avait ses examens parce qu'elle était militante, l'autre était recalée parce qu'elle fréquentait des Russes blancs. Cela fait cinquante ans que nous nageons dans le "vomi trotskyste" dont il parle.


Je me dis souvent que depuis deux cents ans, Dieu fait ses moissons de justes, avant les derniers temps, et ainsi ne resteront que les pauvres êtres dressés par la Bête et marqués par elle, et un petit troupeau réparti dans les archipels lumineux que personne ne voit. Ainsi, le tri sera facile.

J'ai vu aussi la vidéo d'un adolescent qui a tout compris, et comme il est né normal, avec un bon fond génétique, il veut avoir une vie normale, celle d'un paysan qui a affaire à la nature et aux choses vraies. Mais je crains qu'on ne le laisse pas faire, car sa personne est une offense aux diminués et à leurs maîtres. Sa seule chance, c'est l'effondrement de tout ce système démoniaque. Au moment de cet effondrement, qui à mon avis ne manquera pas d'arriver, il aura un avantage par rapport à tous les autres, il saura couper du bois, faire pousser des légumes et élever des animaux. Et il en est conscient.

Ce que je trouve rassurant, c'est qu'en dépit de l'abrutissement et de l'avilissement organisés, émergent encore de telles personnalités. Cela me donne l'espoir que, dans les archipels lumineux, se préserve quelque chose qui permettra à l'humanité de reprendre pied, quand l'effondrement entraînera ceux qui en sont responsables au fond du trou noir qu'ils auront eux-mêmes créé. Il me parait parfois impossible, devant la catastrophe spirituelle et culturelle sans précédent qui est la nôtre, que nous puissions rétablir ce que nous avons mis des millénaires à acquérir et à transmettre. Mais peut-être suis-je trop pessimiste. A moins, bien sûr, que nous soyons au seuil du Second Avènement et du Jugement Dernier...

Mon beau-père me disait de tout laisser tomber et de devenir bergère dans la haute Ardèche ou les Alpes, c'était un sage. Maintenant, je suis trop vieille. Juste un petit îlot de l'archipel avec des chats, des fleurs et des mésanges, à Pereslavl-Zalesski.



Points lumineux

 


La température est montée à plus de 20 degrés pendant deux jours et maintenant, elle va redégringoler jusqu'à 5 degrés demain matin. Un peu éprouvant. Mais la neige a fondu presque complètement, laissant le paillasson marronnasse de cette période, étoilé par quelques crocus. Je suis allée nettoyer un peu ce chantier, ce qui m'a épuisée, les variations brutales de température ne me valent rien. Et puis quand je commence à jardiner, j'ai beaucoup de mal à m'arrêter à temps et à ne pas me lancer dans les douze travaux d'Hercule.

J'ai passé quelques jours à Moscou, laissant ma ménagerie à Valérie, qui est venue passer trois semaines. En sortant de ma voiture, pour laquelle j'avais trouvé une place idéale, je me suis étalée, après avoir trébuché sur une grille d'évacuation des eaux qui dépassait du bitume, je suis tombée la tête la première sur le pare-choc d'une voiture, me voici avec l'oeil au beurre noir, et des contusions diverses. Je vis dans la terreur de ce genre de gadins. J'ai passé tout l'hiver sans tomber, mais ici, on peut se casser la gueule en toute saison. 


C'était la fête d'Aliocha, le gendre du père Valentin, et après la liturgie, j'ai été invitée, avec Dany, à la table des prêtres et de leurs copains, dans la maison attenante. Il y avait, outre le père Valéri, le père Dmitri et le père Valentin,  l'arrière petit-fils du père Paul Florenski, Vassia, et aussi le Baron, Vassili Gueorguiévitch, que je n'avais pas vu depuis des temps. Il dit des choses très intelligentes et très spirituelles, mais j'ai parfois du mal à le comprendre, car il chuchote tel le python Kaa. Mais je l'aime beaucoup, j'ai passé avec lui et avec les Asmus des soirées mémorables. C'est un homme très cérémonieux, toujours en costar, un intellectuel à l'ancienne, autrefois, il aurait fini au goulag.

J'ai passé ensuite la soirée chez Iouri et Dany, dans le théâtre du poète, avec un cinéaste italien contestataire et Laurent Brayard, que connaissent bien ceux qui s'intéressent depuis longtemps à la cause du Donbass, et que je n'avais encore jamais vu en chair et en os. Nous avons beaucoup parlé de la paysannerie française, car c'est son milieu d'origine, à cinq ans il savait déjà danser la bourrée, son père et son grand-père agriculteurs fabriquaient des vieilles à roue. Il a l'âge d'être mon fils, mais il a encore connu ce monde-là, sur lequel on s'est tellement acharné qu'il a pratiquement disparu.

Puis la conversation est venue sur le Donbass, sur les horreurs qu'il a vues et se refuse à décrire en détails et encore plus à filmer. Mais il a rassemblé des témoignages. Comme il va fréquemment là bas, il n'arrive pas à s'arrêter de fumer. Il nous a raconté qu'un jour, il s'était retrouvé avec une équipière dans un endroit particulièrement dangereux, avec des bombes qui tombaient à cent cinquante mètres d'eux, et qu'ayant allumé une cigarette, il s'était fait engueuler par une grand-mère qui lui avait reproché de mettre de la sorte ses jours en danger. Ce qui avait provoqué chez lui un fou rire qu'elle avait aussitôt partagé. 

Ils ont tous évoqué des aspects peu reluisants du conflit, les trafics, les faux héros, les vrais bandits et les fonctionnaires corrompus, mais Laurent a déclaré: "C'est vrai, tout cela existe, je vois des gens immondes, des gens magnifiques, je vois aussi beaucoup de gens qui sont parfois à la hauteur et parfois pas du tout, des pires capables du meilleurs, des meilleurs qui tombent dans le pire, mais ce que je peux dire, c'est qu'en face, ils sont tellement affreux que le choix est vite fait."

Le lendemain, j'ai réussi à rencontrer Quentin le Belge et Xioucha, dans un restaurant belge, justement. Nous avons évoqué une dame libérale que Xioucha souhaitait me voir "anéantir", mais je n'ai pas trop le goût de la polémique, je n'y recours que lorsque j'explose de rage ou que je suis acculée, ce qui n'est pas le meilleur état d'esprit pour discuter. J'admire et j'envie le calme de Slobodan Despot. Cette dame a bien des qualités mais l'habituel défaut dans la cervelle, le point aveugle de ce type de personnes. "Vous auriez dû le faire, me dit le père Valentin, en tant que Française, pour le salut de son âme immortelle!

- Quel culot, me dit Xioucha, et pourquoi ne le fait-il pas lui-même?

- Parce que la parole d'une Française a plus de poids.

- Lolo, c'est inutile, elle est incorrigible, ils sont tous fous. Ainsi, elle me recommande de faire le plein, car selon elle, les raffineries russes sont toutes détruites, le pays est à genoux, nous allons manquer de tout."

Elle écoute strictement les medias russes libéraux et les médias français, et les formidables conneries qu'on y diffuse en boucle. C'est une sorte de secte, et elle a des adeptes dans tous les pays, même si elle ne détient pas le pouvoir partout. Les rhinocéros du septième jour.

https://youtube.com/shorts/tZJoyl0UXvQ?si=RVByiwrTezyn-kxo

Nicolas Bonnal nous a envoyé un extrait d'un film de Louis Malle, "my dinner with Andre", qu'il est paraît-il difficile de trouver maintenant. Cette conversation date des années quatre-vingt, et tout y est, mais ce n'est pas si étonnant que cela, tout était déjà en germe depuis longtemps. Ce qui m'a frappée, ce sont les références à des "points lumineux", des endroits de résistance où les gens conservent les valeurs humaines et des relations normales, c'est exactement ce que j'ai vu en France: une société de plus en plus étouffante et totalitaire sans que les gens s'en rendent vraiment compte, et des "points lumineux" qu'ils ignorent, qu'ils ne remarquent même pas. J'ai ressenti, depuis que je suis montée à Paris faire mes études, le milieu urbain comme une prison, et c'en est aujourd'hui réellement une, sans que les détenus s'aperçoivent de rien, et même, ils estiment que leur incarcération est un grand privilège qui leur donne une supériorité sur ceux qui restent en province. A l'époque, mon point lumineux, c'était l'église de Vanves. Je disais au père Barsanuphe que j'aurais voulu vivre au Moyen Age. Il me répondait: "Mais dans l'Eglise, vous y êtes..."


Quand je vais à Moscou, je suis contente de voir les amis que j'y ai, mais je n'ai qu'une idée, c'est de fuir cet environnement, ce labyrinthe. Et encore, Moscou, c'est une ville où l'on respire, où l'on garde une certaine liberté.

jeudi 28 mars 2024

Passage de cigognes

 


La belle Katia m’a présenté l’homme de sa vie, le beau Fiodor, un garçon baraqué et viril, avec un air honnête et bon, fils de prêtre, il n’a qu’un seul « défaut », il est patriote et part au front, Katia m’a dit qu’elle ne se serait jamais attendue à rejouer « quand passent les cigognes », avec le baiser sur le marchepied du train et le foulard agité à bout de bras sur le quai de la gare... Elle semble avoir tout à coup dix-huit ans, ils se promènent dans Pereslavl en se tenant par la main, et lorsque j’ai vu le solide jeune homme s’agenouiller pour aider « Katioucha » à mettre sa bottine, j’ai pensé que nous n’étions vraiment pas en France !

L’évêque Porphyre des Solovki, le père Tkatchev et beaucoup d’autres prêtres ou conservateurs orthodoxes considèrent que personne ne devrait aller à un concert de rock à folklore sataniste pendant le carême et en temps de guerre, ni non plus les organiser. Iouri Iourtchenko, qui n’est pas particulièrement orthodoxe, le pense aussi, et mentionne le prix hallucinant des places. Jacques Baud souligne d’autre part que ces attentats ont toujours lieu dans ce genre de manifestations. Bien que les auteurs du crime soient musulmans, les commanditaires, comme je l’ai déjà dit, ne le sont certainement pas. Mais on dirait qu’ils prennent plaisir à donner un côté sacrificiel à ces massacres.

Un orthodoxe fan de rock traite de bigots les gens qui font ce style de réflexions, ce qui me fait penser à certains orthodoxes occidentaux qui voient tout sous l’angle de leur spécificité. Il est certain que le public de ce genre de rock, et parfois même les musiciens, n’ont pas consciemment un état d’esprit sataniste, il reste qu’un orthodoxe ne devrait pas mélanger les torchons et les serviettes et connaître la puissance des symboles. Il y a des choses avec lesquelles on ne joue pas, surtout en ce moment. Et je me rends compte que notre satanisation occidentale, notre aliénation mentale néfaste, est le fruit d’une succession de petites compromissions qui nous font accepter peu à peu des choses intolérables. Les groupes de rock ont un folklore sataniste, allons donc, ce n’est que du folklore ! Les bataillons punitifs ukrainiens ont un folklore nazi, allons donc, ce n’est que du folklore ! Eh bien, l’attentat nous démontre que ce n’est pas du folklore. D’ailleurs, le vrai folklore n’est pas du folklore au sens où l’entendent les gens qui font ce genre d’objections, et du reste,  l’amateur de rock en profite pour égratigner la musique traditionnelle russe dont il a l’image caricaturale habituelle. La musique traditionnelle a un sens profond. Elle ne joue pas, ou si elle joue, son jeu est grave, comme l’étaient tous les jeux jusqu’à l’avènement du « divertissement ».

J’ai vu une vidéo sur la Serbie d’un ancien officier de la Légion, Jacques Hogard, qui témoigne avec honneteté. Il en ressort que la Serbie était le laboratoire de ce qu’est devenue l’Ukraine : une place d’armes contre les Russes, installée au mépris total des lois, des règles, des vies et des valeurs humaines, à grands coups de bombardements et de calomnies, avec des horreurs invraisemblables commises sur des civils, dans le plus grand silence, ou sous les mensonges diffamatoires empressés d’une presse ignoble. La guerre faite aux civils. La guerre mafieuse, pour des motifs mafieux, avec des complicités idéologiques de la part de divers « hainistes ». Mais l’Ukraine, à mes yeux, et ouvrez les vôtres, avec vos oreilles, est aussi le laboratoire de ce qui attend l’Europe, si elle ne se débarrasse pas de ses Zelensky.



J’ai vu aussi une analyse philosophique et chrétienne admirable de ce qui est en train de nous arriver. Tout est dit, tout est clair. A voir, et le livre de ce monsieur, qui semble écrit dans un français parfait et poétique, est à lire, dommage qu’au pays Maudit, je ne puisse le commander, à moins que passe une cigogne pour me le livrer, chez les schtroumpfs bleus.



Il parle de refoulement de l’âme, et c’est exactement de cela qu’il s’agit, particulièrement en France, où les gens semblent même en redouter le réveil, et se braquent dès qu’on parle de « religions » (les « religions » sont la cause de tous les maux, alors même que les plus grands massacres de l’humanité sont dûs à des idéologies athées ou à un christianisme dépourvu de sa part spirituelle, dans le cas des génocides protestants d’Irlandais, d’indiens et de boers). J’ai observé que mon entourage au sens large était là bas pris de panique dès que j’évoquais, ce que je fais rarement, la nécessité de s’occuper de cette étincelle refoulée qui, en eux, essaie jusqu’au dernier moment de trouver un peu d’oxygène pour flamber. C’est que l’embrasement de l’âme consumme souvent la petite existence où l’on se réfugie pour étouffer sans douleur.

Avec l’âme, c’est la prière, mais aussi la poésie et l’identité, les racines qui sont exclues de nos vies. C’est-à-dire ce qui donne à la vie son élan, sa profondeur, sa saveur et son sens, sa beauté, son prix. Mais on est prié de préserver cette existence plate, insensée et minable à tout prix. De ne la risquer que pour ceux qui l’ont privée de toute dimension quand ils ont besoin de chair à canon pour leurs petites affaires.

Il dit que la maison que nous habitons, son jardin, sont le prolongement de notre intériorité, l’endroit où nous exprimons et cultivons ce que nous sommes. De sorte que spolier les gens de leur environnement, de leur terroir, de leur pays, les condamner à une existence précaire et nomade dans des lieux de vie qui ne leur ressemblent pas, qui sont interchangeables, impersonnels, hideux les prive du refuge où leur âme peut s’épanouir, de son terreau. Et c’est exact, je le constate tous les jours ici, à l’issue des décennies soviétiques d’appartements communautaires et de déplacements de populations. Je le constatais même en France, devant les populations urbaines, déracinées et parquées dans leurs HLM.

samedi 23 mars 2024

Hainisme



Le dimanche du pardon, le photographe de l’éparchie a surpris le moment où monseigneur Théoctyste me relevait après ma prosternation rituelle, et Katia m'a envoyé le résultat. Il passe sur ce cliché  tellement de choses qui m’ont alors échappé, que je le garde soigneusement, il me paraît vraiment symbolique, une sorte de message sacré. Monseigneur incarne à cet instant toute l’Eglise orthodoxe qui me porte depuis que j’y suis entrée, à dix-huit ans, et ne me lâche pas.

J’ai appris hier soir la nouvelle de l’acte terroriste monstrueux qui a eu lieu à Moscou dans un de ces lieux maudits qui ne devraient pas exister, un gigantesque centre commercial. Il paraît que nos bartavelles politico-médiatiques dansent la gigue et pissent d’enthousiasme, et moi, en plus de l’horreur que cela m’inspire, je me ratatine de honte. C’est Daesh soit-disant, mais qu’est-ce que Daesh ? Il y a belle lurette que j’ai compris d’où tout cela vient, je laisse aux neuneus bobos leurs carmagnoles malsaines à bord de leur Titanic des fous. La guerre qu’on livre aux civils est une chose fort basse. Je me demande parfois ce que dirait un Léon Bloy devant les abîmes d’infamie où nous sombrons. Le pauvre homme avait déjà la gerbe en 1900. Que serait-ce cent-vingt cinq ans plus tard ? 

Slobodan Despot se penche sur le retour du « hainisme ». Il a le génie de la formule, hainisme convient beaucoup mieux à ce qui se passe de nos jours que fascisme ou nazisme qui, lorsqu’on en manifeste la nostalgie aux limites de la Russie, suscite les lazzis des esprits éclairés à l’égard de ceux qui s’en offusquent, alors même qu’en France, la moindre quenelle, la moindre critique des incritiquables provoque la persécution en règle du contrevenant et sa mort sociale. Il est évident aux gens honnêtes qui se sont penchés un minimum sur la question que le phénomène existe en Ukraine comme aux pays Baltes, je le remarquais déjà il y a quinze ou vingt ans, quand je travaillais encore à Moscou. Et ce n’est pas du simple folklore qu’on peut balayer d’une raillerie, puisque les bataillons punitifs ukrainiens se sont rendus coupables de vraies atrocités au Donbass, atrocités soigneusement dissimulées au public occidental, à qui on les ressert parfois maintenant, en les attribuant aux Russes. Cependant,  ce qui se passe à présent n’est pas exactement, en dépit de la symbolique des croix gammées et des marches aux flambeaux, le fascisme ou le nazisme d’antan, mais une sorte d’abominable mutation, faite de trotskisme, de nazisme, de nazisionisme et de transhumanisme qui peu à peu fusionnent. Raison pour laquelle le truc est couvert et absous par des haineux délirants comme BHL, Glucksmann, Ackermann, Alexieva, Enthoven et compagnie, ils ont partie liée. Donc « hainisme » est le mot qui convient. Il recouvre toute espèce de haine rabique dissimulée sous des prétextes idéologiques à la noix. Cette haine est transversale aux opinions politiques et aux couleurs de drapeaux. Cela me soulève le coeur de voir, derrière la vieille cohorte de manipulateurs ignobles à l’oeuvre depuis les années soixante-dix, défiler des descendants d’émigrés et de distingués slavistes, qui profèrent des stupidités hystériques et bavent sur un pays que malgré toute leur science ou leurs origines, ils n’aiment ni ne comprennent, en fin de compte, et calomnient avec une ivresse et un empressement dégoûtants.

En confession, j’ai dit à monseigneur que si j’arrivais à ne pas haïr ceux qui m’ont nui, ou à ne pas leur nuire en retour, j’avais du mal à déborder d’amour pour eux. Il m’a répondu qu’on ne m’en demandait pas tant, qu’il fallait surtout ne pas déshumaniser les autres, traiter les Français de grenouilles, par exemple.

Ou les Palestiniens d’animaux. Ou les Russes de doryphores. Et nous tous de sous-hommes. Et essayer de considérer ceux qui le font comme des êtres humains, bien que tout indique trop souvent, comme disait l’orthodoxe Photinia, que « ces gens-là n’ont pas d’âme ».  Le terrible mystère, c’est que l’humanité est Une...

J'ai achevé le grand Meaulnes pendant la nuit d'insomnies que m'a valu l'attentat. Finalement, on sent, dans ce monde englouti plein de poésie et de noblesse, les catastrophes en germe, le merveilleux château détruit, le romantique Meaulnes finalement incapable d'assumer son amour jusqu'au bout. Je lisais la description d'Yvonne de Galais, innocente, enfantine, simple et sérieuse. Et profonde. Qui, à mon époque, déjà, parmi les garçons que j'ai vus passer, se serait intéressé à Yvonne de Galais?

Curieusement, je ne peux partager les vidéos de Slobodan directement, je dois me contenter de donner le lien. On a dû bloquer la fonction... Il pense mal, poliment, au dessus de la mêlée, "un pas de côté", mais mal!

https://www.youtube.com/live/fNZ6e1FHmFM?si=-5Y43N0HC0DVM3cZ

jeudi 21 mars 2024

La bête

 


J’ai appelé Mano, pour entendre sa voix, on dirait que ce voyage, je ne l’ai pas vécu, et pourtant, il m’a laissé une empreinte profonde. Je sais que je végèterais en France, mais je réalise à quel point ma famille et aussi Solan me manquent. Je pense à la « bénédiction » que Mano m’a donnée sur le seuil : « Tu as trouvé là bas ta place, tu es apaisée, là bas, tu te réalises »...

Je prie ardemment pour les miens et tout ceux que j’ai vus, et ceux que je n’ai pas eu le temps de voir. Je me fais beaucoup de souci pour eux, le pays est en de très mauvaises mains. J’éprouve devant tout ce qui en émane au niveau officiel, politique, médiatique, une appréhension nauséeuse, une véritable honte, c’est un vrai sabbat qui se déchaîne en occident. Et les gens continuent à se croire en démocratie, hypnotisés par les contes et légendes de l’affreux dictateur Poutine, au moment où le démon qui leur sert de président menace d’envoyer n’importe qui sur le front ukrainien, édicte une loi qui permet de spolier et d’emprisonner les réfractaires, et une autre qui interdit, jusque en privé, dans sa cuisine, de critiquer le gouvernement, les labos pharmaceutiques et leurs médecins vendus, les LGBT, l’avortement obligatoire et les génocides sionistes. (Il a oublié les Ukrainiens, pourtant, ça va avec tout le reste). Ce misérable ment effrontément, prétendant que ce sont les Russes qui bombardent le Donbass depuis 2014, et cela même lorsqu’il est interpellé à ce sujet par une Ukrainienne désireuse de corriger le tir. Je ne peux plus supporter son expression à la fois fausse, vile et impudente, et dire que ma cousine trouve à Poutine « une tête de fou »... S’il était aussi fou que ses adversaires, la planète connaîtrait depuis longtemps un hiver nucléaire.

https://francais.rt.com/opinions/110216-militarisation-discours-envoi-effectif-troupes

Mais le peu que j’ai regardé les nouvelles officielles, c’était instructif. Pour parler de cette loi sur les « dérives sectaires », on montre je ne sais plus quels illuminés qui attendent les extraterrestres, et on les associe aux « complotistes », pour convaincre le troupeau que n’importe quel dissident ou médecin courageux qui s’élèvera contre notre bande de mafieux et leurs discours est un halluciné à enfermer dans les plus brefs délais.

J’ai vu un journaliste exploser d’indignation devant les commentaires stupides et malveillants qui pourrissent ses pages, depuis qu’il est allé observer les éléctions russes, et a fait part de ce qu’il voyait vraiment : un pays normal, où les gens ne vivent pas mal, et des élections bien organisées. Il faut absolument parler du « KGB », de la police, de la terreur, de la misère, de l’alcoolisme, de la brutalité, bref de tous les fantasmes délirants des journalistes et intellectuels français et de ceux qui les écoutent. J’ai moi-même provoqué un tollé en glissant dans un fil de youtube que mon électricien gagnait 150 000 roubles par mois, soit 1500 euros plus ou moins, c’est pourtant ce qu’il m’a dit, et je ne prétends pas que tout le monde gagne cela, mais quand même, un électricien, ce n'est pas un oligarque... Il y a aussi des gens pauvres, j’en connais, et en France, il n’y en a pas ? Des agriculteurs qui se lèvent la peau du cul pour garder 500 euros par mois après qu’on leur a tout piqué ?

A Pierrelatte, j’avais vu aussi la vidéo d’un garçon qui fait habituellement des analyses politiques, et entrait petit à petit dans une colère énorme, violant tous les tabous imbéciles du politiquement correct, et nous criant qu’il ne voterait plus pour personne tant que ne viendrait pas un candidat prêt à pendre un à un les membres de cette caste maudite qui nous détruit et nous humilie sans arrêt, qu’il fallait cesser de se raconter des histoires, d’entrer dans leurs jeux infâmes. J’avais envie de pleurer. Il parlait de son fils qui était « un petit être de lumière » et qu’il ne voulait pas voir grandir dans ce bordel. Quelle magnifique bravoure, quelle verve, et quelle solitude... 

Je me demande si notre satrape de l'usure apatride va réussir à coller les populations européennes exsangues et démobilisées depuis des décennies, dans une guerre qui ne les concerne pas et qui les achèvera totalement. Comme j'ai eu raison, quand je l'ai vu la première fois réciter ses mantras d'un air stupide, de discerner en lui l'instrument de notre fin. Ce sera tout de même dur de pousser nos moutons à l'abattoir, si hagards qu'ils soient, parce qu'ils n'ont plus les réserves d'héroïsme et de dévouement de toutes les excellentes gens qu'on a immolées par deux fois sur l'autel du fric omnipotent. Et si on recourt, faute d'enthousisame, à la coercition, on n'obtiendra pas de grands résultats face aux Russes qui mènent, eux, un combat existentiel. On a déjà vu cela avec les armées perses contre Athènes et Sparte.

Dans le même temps, je lis "le grand Meaulnes". Je l'ai acheté ici. Je ne l'avais jamais lu: au moment où j'aurais dû le faire, je dévorais Dostoievski. Mais quel merveilleux roman... Il me semblait autrefois relever d'un passé récent, et je vois aujourd'hui le gouffre qui nous sépare de cette France encore si poétique, si romantique, si héroïque et si aristocratique jusque dans ses petites gens, leur simplicité, leur savoir vivre, leur langue riche et noble. Et comme Alain Fournier donne une dimension sonore à ses visions oniriques de la France provinciale d'alors, je l'entends autant que je la vois. Je me souviens de mes promenades avec Cécile dans la campagne gardoise. "C'est si beau, me disait-elle, et pourtant, dans cette beauté déserte et muette, il y a comme une menace latente". Dans la campagne gardoise, les bruits étaient mécaniques en semaine, les tracteurs, les débroussailleuses, les tronçonneuses, et le dimanche, on avait les pétarades des chasseurs. Alors que la campagne hivernale d'Alain Fournier résonne de mille sons subtils, les appels des bergères, le claquement des sabots, ceux des enfants et ceux des chevaux, le pays qu'il décrit est vivant, plein de sève et de rêves, et mon coeur se serre à la pensée que tout cela allait être bientôt englouti par l'énorme, le stupide, l'implacable vingtième siècle qui nous a tous embarqués dans un maelstrom de crimes et de dégradations, à commencer par Alain Fournier lui-même, avec son âme patricienne et visionnaire, et son immense talent.

Après quatre jours d'une inexplicable céphalée, je suis délivrée et euphorique, ça fait du bien quand ça s'arrête... Il faisait si beau que tout fond, ruisselle et dégoutte, je suis restée assise au soleil, sans manteau, et j'ai même joué des gousli dans le fil d'une brise douce. Evidemment, l'ouvrier qui travaille à coller une grosse pustule à l'isba d'en face avait branché sa radio, mais moins fort que ne le fait le voisin d'à côté, de sorte que les gousli couvraient l'écho de cette horrible série de bruits qui détruit les derniers neurones du rhinocéros de base. 

 




dimanche 17 mars 2024

Pardon

 


J'ai enfin reçu ma valise, les bégonias n'ont pas trop souffert, les semences de kéfir de fruits non plus. Lorsque je l'ai vue chez moi, cette valise, dont Jean-Marc m'avait dit que je l'avais volée chez Prigogine, avec son décor camouflage, j'ai brusquement enregistré que j'étais rentrée. que j'étais allée là bas et que j'en étais revenue, avec mes achats et les cadeaux des uns et des autres, tous ces êtres chers qui sont restés derrière moi et dans mon coeur.

La semaine de la maslenitsa touche déjà à sa fin,  j'ai reçu le père Vassili, sa matouchka et sa nombreuse famille, et les ai présentés à Anne-Laure. J'ai remis à la jeune Macha le flacon de Roger et Gallé  "Fleur de figuier" commandé pour elle par ses parents. Elle était absolument ravie. C'est une jolie petite jeune fille brune, simple et spontanée,  au sourire éblouissant. 

Les enfants ont chanté, moi aussi, le père Vassili m'a dit qu'il était content que je fusses rentrée sans encombres. 

Le lendemain, j'allai m'empiffrer de blinis chez la matouchka Alexandra et sa fille Hélène, à Serguiev Possad. Il y avait une autre "rapatriée", Vassilissa Kedrova, une jeune femme mariée avec un peintre d'icônes de Iaroslavl, et sa fillette Tatiana. La matouchka aussi a fait un tour en France, pour régler des affaires, juste avant moi. Elle a fait un aller et retour épuisant. Pour moi, les choses se sont passées différemment . Ce voyage m'apparaît comme un cadeau et une grâce de Dieu qui peut avoir des conséquences à long terme, non seulement pour moi mais aussi pour les autres. Voici qu'arrive le dimanche du Pardon, et je demande pardon d'abord à ceux que je n'ai pas pu rencontrer là bas, j'aurais dû m'organiser mieux, économiser pour louer une voiture pendant tout le séjour. Je demande pardon à Monique, je comptais la voir à Cavillargues, je n'en ai pas eu le temps. A Hélène, que j'aime beaucoup, je n'en ai pas eu le temps non plus. A Emmanuelle. J'aurais aimé voir plus longtemps les soeurs du monastère. J'aurais aimé voir ma cousine Anne, dans la Dordogne, et mon filleul Antoine à Toulouse, mais la voiture, je n'ai pu la louer que quatre jours. J'aurais pu prévoir un séjour plus long, mais outre les chats qui étaient tous seuls, je craignais de m'attarder dans le contexte politique où nous sommes. Je demande pardon à ceux qu'il m'arrive de négliger, aux cosaques que je ne vois pas assez. A ceux qui m'énervent.   

Le père Antoni nous a parlé du pardon, quand j'étais chez ma tante. Je lui avais dit que j'arrivais à ne pas nuire aux gens qui m'avaient nui, par bêtise ou perfidie, mais que je n'éprouvais pas d'amour pour eux, plutôt de l'indifférence ou du mépris. "Vous êtes recalée à l'examen si vous n'êtes pas prête à les embrasser,"m'avait-il répondu. Comme on dit, il y a du boulot... Evidemment, quand on me demande pardon, cela me désarme toujours, mais la personne qui le fait est déjà suffisemment évoluée pour avoir conscience de ses actes et en éprouver du remords. Katia pense qu'il n'en faut pas tant, que de ne pas nourrir de rancune à l'égard de quelqu'un, ce n'est déjà pas si mal.

Le père Andreï, à l'église, s'exclame à ma vue en riant: "Mais que fabrique donc votre président?

- Ah ne m'en parlez pas!

- Enfin, nous l'aimons quand même, n'est-ce pas? Nous devons aimer nos ennemis...

- Eh bien, vous l'aimez peut-être, mais moi j'ai du mal!"

Oui, j'ai du mal. Mais ce même père Andreï me disait de laisser à de grands spirituels le soin de prier pour les criminels politiques, et de me contenter de le faire pour leurs victimes. Le soir, à l'office du pardon, il y avait notre évêque et tous les prêtres de la ville. Il régnait une atmosphère très aimante et chaleureuse, Katia et moi sommes tombées dans les bras l'une de l'autre, et j'aimais tout le monde. La vieille Antonina aussi m'a embrassée, et Natacha et Valentina. Je priais pour les miens, en France, et pour ceux de Solan, et aussi pour le père Antoni et sa famille. Monseigneur m'a reproché de m'être prosternée, il a toujours peur que les vieilles n'arrivent pas à se relever. J'ai rencontré le père Ioann, que j'aurais dû appeler il y a bien longtemps, et il s'est réjoui: "Venez donc me voir à Glebovskoïé, vous êtes maintenant notre étendard!"

Ensuite, Katia m'a proposé de dîner au restaurant "les Boyards", qui vient d'ouvrir, excellente nourriture russe, excellente musique folklorique. "Laurence, m'a-t-elle dit, je suis si heureuse de vous avoir rencontrée, je ne sais pas ce que je ferais sans vous!"