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dimanche 17 mars 2024

Pardon

 


J'ai enfin reçu ma valise, les bégonias n'ont pas trop souffert, les semences de kéfir de fruits non plus. Lorsque je l'ai vue chez moi, cette valise, dont Jean-Marc m'avait dit que je l'avais volée chez Prigogine, avec son décor camouflage, j'ai brusquement enregistré que j'étais rentrée. que j'étais allée là bas et que j'en étais revenue, avec mes achats et les cadeaux des uns et des autres, tous ces êtres chers qui sont restés derrière moi et dans mon coeur.

La semaine de la maslenitsa touche déjà à sa fin,  j'ai reçu le père Vassili, sa matouchka et sa nombreuse famille, et les ai présentés à Anne-Laure. J'ai remis à la jeune Macha le flacon de Roger et Gallé  "Fleur de figuier" commandé pour elle par ses parents. Elle était absolument ravie. C'est une jolie petite jeune fille brune, simple et spontanée,  au sourire éblouissant. 

Les enfants ont chanté, moi aussi, le père Vassili m'a dit qu'il était content que je fusses rentrée sans encombres. 

Le lendemain, j'allai m'empiffrer de blinis chez la matouchka Alexandra et sa fille Hélène, à Serguiev Possad. Il y avait une autre "rapatriée", Vassilissa Kedrova, une jeune femme mariée avec un peintre d'icônes de Iaroslavl, et sa fillette Tatiana. La matouchka aussi a fait un tour en France, pour régler des affaires, juste avant moi. Elle a fait un aller et retour épuisant. Pour moi, les choses se sont passées différemment . Ce voyage m'apparaît comme un cadeau et une grâce de Dieu qui peut avoir des conséquences à long terme, non seulement pour moi mais aussi pour les autres. Voici qu'arrive le dimanche du Pardon, et je demande pardon d'abord à ceux que je n'ai pas pu rencontrer là bas, j'aurais dû m'organiser mieux, économiser pour louer une voiture pendant tout le séjour. Je demande pardon à Monique, je comptais la voir à Cavillargues, je n'en ai pas eu le temps. A Hélène, que j'aime beaucoup, je n'en ai pas eu le temps non plus. A Emmanuelle. J'aurais aimé voir plus longtemps les soeurs du monastère. J'aurais aimé voir ma cousine Anne, dans la Dordogne, et mon filleul Antoine à Toulouse, mais la voiture, je n'ai pu la louer que quatre jours. J'aurais pu prévoir un séjour plus long, mais outre les chats qui étaient tous seuls, je craignais de m'attarder dans le contexte politique où nous sommes. Je demande pardon à ceux qu'il m'arrive de négliger, aux cosaques que je ne vois pas assez. A ceux qui m'énervent.   

Le père Antoni nous a parlé du pardon, quand j'étais chez ma tante. Je lui avais dit que j'arrivais à ne pas nuire aux gens qui m'avaient nui, par bêtise ou perfidie, mais que je n'éprouvais pas d'amour pour eux, plutôt de l'indifférence ou du mépris. "Vous êtes recalée à l'examen si vous n'êtes pas prête à les embrasser,"m'avait-il répondu. Comme on dit, il y a du boulot... Evidemment, quand on me demande pardon, cela me désarme toujours, mais la personne qui le fait est déjà suffisemment évoluée pour avoir conscience de ses actes et en éprouver du remords. Katia pense qu'il n'en faut pas tant, que de ne pas nourrir de rancune à l'égard de quelqu'un, ce n'est déjà pas si mal.

Le père Andreï, à l'église, s'exclame à ma vue en riant: "Mais que fabrique donc votre président?

- Ah ne m'en parlez pas!

- Enfin, nous l'aimons quand même, n'est-ce pas? Nous devons aimer nos ennemis...

- Eh bien, vous l'aimez peut-être, mais moi j'ai du mal!"

Oui, j'ai du mal. Mais ce même père Andreï me disait de laisser à de grands spirituels le soin de prier pour les criminels politiques, et de me contenter de le faire pour leurs victimes. Le soir, à l'office du pardon, il y avait notre évêque et tous les prêtres de la ville. Il régnait une atmosphère très aimante et chaleureuse, Katia et moi sommes tombées dans les bras l'une de l'autre, et j'aimais tout le monde. La vieille Antonina aussi m'a embrassée, et Natacha et Valentina. Je priais pour les miens, en France, et pour ceux de Solan, et aussi pour le père Antoni et sa famille. Monseigneur m'a reproché de m'être prosternée, il a toujours peur que les vieilles n'arrivent pas à se relever. J'ai rencontré le père Ioann, que j'aurais dû appeler il y a bien longtemps, et il s'est réjoui: "Venez donc me voir à Glebovskoïé, vous êtes maintenant notre étendard!"

Ensuite, Katia m'a proposé de dîner au restaurant "les Boyards", qui vient d'ouvrir, excellente nourriture russe, excellente musique folklorique. "Laurence, m'a-t-elle dit, je suis si heureuse de vous avoir rencontrée, je ne sais pas ce que je ferais sans vous!"





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