Les vigiles dans ma paroisse moscovite |
J’ai dû aller à Moscou, pour récupérer l'enregistrement de mon visa et
différentes démarches. Je voulais aussi fêter la Protection de la Mère de Dieu
dans l’église de mon père spirituel, qui lui est consacrée. Au départ, j’ai dit
au taxi que j’avais peur de manquer l’autobus, il prend son téléphone : «Allo…
dis donc, tu ne peux pas attendre deux minutes pour partir ? Ma cliente va
à Moscou, et je suis presque arrivé, là, je viens de dépasser le monastère
Fiodorovski… »
En chemin, grosse averse de neige, mais elle ne tient pas
encore.
Les corvées expédiées, je retrouve Xioucha, la fille du père
Valentin, et ses nombreux enfants, dans son appartement si joliment décoré,
puis je vais aux vigiles de la fête, dans la paroisse que j’ai longuement
fréquentée quand je travaillais à Moscou : la Protection de la Mère de Dieu
à Krasnoselskaïa. C’est une église que j’ai connue pratiquement en ruines, et
que le père Valentin et son équipe ont restaurée peu à peu. Elle est située au
dessus des chemins de fer de la gare de Kazan, au quartier des trois Gares, en
plein centre, à la limite d’un des plus vieux quartiers de Moscou qui devait
être ravissant, avant qu’on le massacre, et qui garde quelques beaux restes. Ce
quartier trépidant a quelque chose de fantasmagorique qui m’a toujours séduite,
et j’avais écrit un poème sur la fête de Noël à cet endroit, et sur la femme du
père Valentin, la « matouchka » Inna. La matouchka était dissidente
au temps du communisme, mais horrifiée par ce qui se passait à la période Eltsine,
les spoliations des oligarques prêts à vendre le pays à n’importe qui, les
menées américaines pour le dépecer avec la complicité d’apparatchiks véreux, elle était devenue complètement communiste. Cela engendrait toutes sortes de querelles
homériques et fort pittoresques entre elle et son mari monarchiste, et
moi-même, anticommuniste primaire et viscérale, à qui elle répétait : «Vous
verrez qu’un jour vous trouverez que j’ai raison ». Cette prédiction s’est
en partie réalisée. Disons que je me suis rendue à l’opinion d’Alexandre
Panarine, selon laquelle le communisme a été une abomination, un viol
méticuleux et d’une rare méchanceté de tout ce qui faisait la grandeur, la
beauté, la poésie, la spiritualité, l'originalité de la Russie par des gnomes particulièrement
immondes, mais ce pays étrange avait fini par avaler ce fruit indigeste après
en avoir recraché le noyau trotskyste, et avait entamé le processus de russification de cette monstruosité inoculée par l'Occident. Une fois opérée
la réconciliation avec l’Eglise, il eût fallu ne pas y toucher. Quand on aime
la Russie, bien entendu. Mais les démocrates occidentaux n’avaient qu’une idée :
l’achever, et le coloniser. Idée qu’ils poursuivent toujours, avec une détestation enragée.
Entrant dans mon ancienne paroisse, je retrouve avec émotion
des petites dames qui se jettent à mon cou, le clergé qui m’est cher, le père
Valéri, le père Dmitri, le père Fiodor, et je vais me confesser au père
Valentin. Il est tellement heureux de voir que je suis venue à la fête votive
que j’aurais pu lui avouer ma participation à une orgie romaine, cela serait
passé comme une lettre à la poste. Je vais ensuite remplir les dyptiques des
noms de tous mes orthodoxes français et mettre un cierge à saint Philippe de
Moscou et à sainte Matrona. Je m’aperçois qu’en slavon, quand même, je ne comprends
pas grand-chose, par rapport aux offices en français de Solan, il va me falloir
trouver une solution. La sœur qui lit les psaumes le fait à toute vitesse. Moment
d’émotion, les 40 kyrie eleison sont chantés comme à Solan, en grec, et sur la
mélodie byzantine, comme si Dieu avait voulu unir dans cette fête mon monastère
français et ma paroisse russe, également consacrés à la Protection de la Mère de
Dieu.
J'entre dans la boutique de l’église pour acheter une
étagère à icônes en bois sculpté, mais la petite dame qui fait office de
vendeuse n’est pas disposée. Elle est en train d’écouter passionnément une
autre cliente qui lui parle de miracles et de reliques. Je remets au
lendemain. Mais le lendemain, la boutique est fermée. Du coup, elle l’ouvre
spécialement pour moi, et je repars avec mon trophée qui dépasse de mon sac à dos bourré, car j'avais aussi emporté ma lessive, pour la faire chez Xioucha..
Dans la cour de l'église, on a dressé un buffet pour les paroissiens et les SDF et épaves du coin, avec des crêpes et toutes sortes de salades, du thé chaud, de la "compot", boisson obtenue en faisant bouillir des fruits dans de l'eau. Le père Valentin m'offre un livre sur les saints de Pereslavl-Zalesski, et sa bénédiction en prime. J'ai droit aussi à celle du père Dmitri. Un iris blanc s'obstine à fleurir dans les plates bandes, malgré le vent aigre et les 5 petits degrés qui nous séparent de la neige.
Très belle "fenêtre" sur ton monde moscovite. Merci pour les dyptiques à notre intention: Solan t'accompagne. Kyrie eleison!
RépondreSupprimerChère Anna Maria, je pense beaucoup à vous. A notre mère Hypandia, à toutes nos soeurs, nos petites novices, et nos pères spirituels.
SupprimerMagnifique j'ai des images plein la tête et Inçroyable plein les yeux mérci et Tres belle soiree amities
RépondreSupprimerMerci, chere Laurence!
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