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mercredi 12 juin 2024

Des moustiques, des étoiles et des merles.

 

Rostov

Je n’ai pas eu le temps d’écrire depuis presque une semaine. Vendredi, j’avais une interview du matin au soir. Ma nouvelle connaissance, le cinéaste Vladimir, m’avait amené Victor, auteur du blog orthodoxe « raznie dorogui », « chemins divers », qui voulait faire un numéro sur moi. Vladimir avait planifié tout un périple. Nous avons commencé par tourner chez moi, puis au musée d’art populaire de Rostov, où l’antiquaire Alexandre nous avait préparé un thé avec des petits gâteaux. Ce lieu m’a permis d’enfourcher mon dada folklorique. Ensuite , Vladimir avait prévu la visite d’un monastère très joli, avec une bonne atmosphère, mais je n’en pouvais déjà plus. Je devais, en dernière étape, jouer des gousli et de la vielle dans le jardin de sa datcha, au coin du feu, avec le chant des rossignols, mais comme je le prévoyais de mon côté, nous étions attendus par de telles nuées de moustiques affamés que j’ai catégoriquement refusé de passer des heures à leur fournir du sang frais. Cela s’est passé dans la maison, où il y avait aussi des moustiques, mais pas autant, et puis il a mis des prises insecticides, sa femme m’a donné du spray... Elle était avec une amie, également journaliste et cinéaste, intelligente, vivante, avec un bon sens de l’humour. J’ai dit un mot de mes livres, et surtout d’Epitaphe, mais la femme de Vladimir a évoqué les chroniques année 17 avec des yeux pleins de larmes : « Je ne peux pas m’en arracher, c’est à la fois drôle et plein de douleur ».

J’avais depuis la veille Maxime à la maison, l’associé de Gilles. Nous avons bien rigolé, en parlant de la Russie, de ses problèmes avec les employés. Il trouve que les jeunes qui travaillent là bas ont besoin d’autorité, de direction, ils ont besoin d’estimer leur patron. Et en effet, je crois que les Russes marchent beaucoup au respect et à l’affectif. Maxime m’a beaucoup aidée, il a tondu le jardin, fait une partie du bricolage en souffrance. A un moment, il a observé, avec une pointe de nostalgie, que je parlais un peu comme sa mère décédée, et cela m'a touchée. Il m'arrive, lorsque j'écoute un enregistrement de moi, de retrouver les intonations de la mienne, on nous confondait au téléphone. Et ce qui m'étonne davantage, celles de ma tante Jackie, qui me disait que j'allais reprendre son flambeau, ce que j'aurais bien voulu éviter, je n'avais pas envie de finir seule, comme elle.

Le dimanche, je suis partie à Moscou voter à l’ambassade. Je n’en avais aucune envie, car c’était le sixième dimanche de Pâques, celui de la procession sur l’eau de la rivière Troubej et du lac. Me retrouver à l’ambassade m’a fait un drôle d’effet, car j’y allais très souvent quand je travaillais à côté, mais cela faisait des années que je n’y avais mis les pieds. Tout le monde était très aimable, à la française, j’ai trouvé le bulletin Asselineau, mais il me semble que Philippot et Dupont-Aignan n’y étaient pas. Sur la grille de l’ambassade, des photos commémoraient Normandie-Niemen, alors que Macron n’invitait pas les Russes aux fêtes du débarquement, mais conviait, avec d’enthousiastes tortillement du cul, l’horrible petit bonhomme vert-de-gris, le fourbe petit nazisioniste de Kiev, soutenu par les Bandera à croix gammées. Il a eu le front de traiter de nazis les Russes qui ont laissé 20 millions de morts dans la lutte contre Hitler, et ça passe crème. Une baderne stupide parle d'envoyer la jeunesse française se faire trouer la peau pour les banksters et leur projet ukrainien, et ça passe crème. Macron exhorte notre "vaillante jeunesse" à aller mourir pour Zelenski et ses séides, Pujadas parle avec des trémolos dans la voix de son émotion palpable et de sa sincérité. Celui-là, l'enfer l'attend avec impatience, il est sur le tobboggan direct, il n'a plus qu'à se laisser glisser... Etre pourri à ce point-là, ce n'est pas possible. 

Iouri a publié des reflexions sur le fait qu'un peuple doit être cimenté par une idéologie. Ce n'est pas du tout mon avis, les idéologies ne cimentent rien du tout, elles divisent, elles ne cimentent que les quelques décennies pendant lesquelles on peut tenir tranquilles sous la botte ceux qui n'adhèrent pas vraiment. Ce qui cimente, c'est la foi et la culture que les idéologies détruisent. Et une fois que c'est détruit, même si une certaine proportion de gens les conservent, ce n'est pas facile à ressusciter. J'ai vu un texte, que je ne retrouve plus, dont l'auteur disait qu'il fallait regarder notre réalité en face pour nous préparer à réagir. Et cette réalité, pour lui, c'est que nous sommes fichus, que nous ne retrouverons jamais le monde tel que nous l'avons connu, que notre civilisation est condamnée, et que nos pays vont disparaître. En ce qui me concerne, je compte sur Dieu. Je me fie à Lui. Ce ne sont certainement pas les idéologies qui me feront marcher, je les trouve interchangeables, et elles se résument au cri triomphal d'un député révolutionaire français: "Nous avons éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus." Je ne serai jamais du parti des éteignoirs d'étoiles, quels que soient leur couleur ou leur programme. 

Le soir, je suis allée au restaurant belge avec Xioucha. Elle connaît tout le monde, tout le monde la connaît, en chemin et sur place, tout le monde la saluait. Il faut dire qu’elle a une joie et un appétit de vivre étonnants, un rire communicatif. Nous nous sommes assises à la terrasse, il faisait bon, ni trop chaud, ni froid, avec une petite brise vésperale, j’aurais pu me croire en France, dans un café à Uzès ou Vaison, quand on respire enfin, le soir, sans se faire dévorer par les insectes piqueurs, du moins dans le temps, c’était comme cela, car maintenant, il y a le moustique tigre... Au retour, nous sommes tombées sur un de ses voisins qui était avec son père, un vieil homme, je veux dire plus vieux que moi, encore que je n'en sois pas sûre, car je suis un peu comme Virginia Woolf, qui, à soixante ans, se croyait toujours la personne la plus jeune de l'autobus. Un vieux monsieur avec une béquille, qui me regardait d'un air attendri, j'avais manifestement un gros ticket, et je me disais que les hommes sont prêts à draguer jusque sur leur lit de mort. 

Le lendemain, la soeur de Xioucha, Macha, m’appelait pour me féliciter de la victoire de la « droite ». Quelle droite ? Celle de ce clone de Macron complètement sous contrôle ? Bon, les gens ont montré qu’ils ne voulaient pas d’Iznogoud, le vizir des banques, ni de sa politique, mais je crains qu’ils n’aient juste changé d’avatar. Personnellement, je n’ai jamais très bien compris ce que voulait dire « la droite », et je le sais moins que jamais. La droite, c’est tout ce qui n’est pas à gauche, cette gauche geignarde et moche des trotskystes déchainés, ceux qui ont gâché ma jeunesse en fac et détruit la France au fil des années ultérieures.

Un droitard mal réveillé d’une congélation de cinq décennies, au moins, se réjouit entre autres de la poursuite de la lutte « contre les soviétiques » en Ukraine. Où, à part le soutien aux Bandera, toutes les méthodes sont bolcheviques, à commencer par la persécution de l’Eglise authentique au moyen d’un machin autocéphale honteux que plein d’occidentaux orthodoxes font semblant de trouver honorable, pour continuer à ne pas remettre en question la propagande officielle. C’est la confusion totale, j’en ai mal à la tête, et je crois que je finirai ermite, pour ne plus laisser cette bêtise protéiforme et hystérique court-circuiter mes conversations avec le ciel... J’entends de toutes parts, et même ici, des discours contradictoires jusqu’à l’absurdité, et aussi des calembredaines cyniques qui n’essaient même pas de garder les dehors de la vraisemblance et de la décence, ce n’est plus la peine, on n’a plus le temps, il faut vite pousser les derniers représentants de la chrétienté blanche au massacre final, à l’holocauste sur l’autel de Mammon et Baalzébuth réunis dans une ultime copulation LGBT de rigueur. Avez-vous entendu la chanteuse transgenre sourde-muette hurler à la mort devant un aéropage de connards qui l'exhibent avec des airs inspirés? Voilà notre chant du cygne, l'ultime stade d'un emballement morbide commencé dans une floraison de génies et venu, à l'issue de multiples effondrements et profanations plus ou moins frénétiques, s'échouer là, en poussant des borborygmes pitoyables.

Pour le reste, il y a quelque chose de pathétique à voir un grand pays autrefois prospère et puissant se faire ainsi l’artisan de son propre effondrement dans tous les domaines (économique, social, moral, démographique, culturel), et en prime signer son propre arrêt de mort en déclenchant une guerre que, de toutes les manières, il n’a plus les moyens de mener. Car, quand on dépense l’argent public comme il s’est habitué depuis belle lurette à le faire, il s’en prive forcément. Il ne lui reste dès lors que la petite guerre, celle qu’il instrumente pour achever de transformer en cauchemar l’existence de ses propres populations. Mais ce n’est même pas lui qui la mène. La France est présentement dans l’incapacité de mener la moindre guerre. En revanche, elle est en mesure de déclencher l’apocalypse, écrit Eric Werner dans Antipresse.


Au retour de Moscou, je me suis arrêtée chez matouchka Alexandra et sa fille Hélène, dans leur si agréable maison de Serguiev Possad, tout près de la Laure, et nous sommes restées dans le jardin, avec une légère petite brise humide, et de gros nuages, mais pas de moustiques. C'est un espace franco-russe, un peu comme chez moi, parce que matouchka est d'origine russe, mais elle a passé toute sa vie en France, elle vient de l'émigration. C'est un autre ilôt, avec le café de Gilles et Maxime, l'appartement de Iouri et Dany, et même la famille Asmus, avec deux gendres français, tous ces endroits intermédiaires, ces passages d'une vie à l'autre, d'une réalité à l'autre, d'une époque à l'autre.

Aux rossignols succèdent les merles, j'ai des concerts diurnes magnifiques. Il fait chaud, orageux, pluvieux, aux averses succèdent des coups de vent, aux nuages noirs de brusques échappées d'un soleil qui passe comme un cheval blanc dans une caverne aux voûtes trouées. Vivons jusqu'au dernier moment et merde aux malfaisants colporteurs de mort.

Maxime me fait de la pub, merci Maxime!

https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/2024/06/presentation-de-son-livre-epitaphe-par.html










 

 

 

2 commentaires:

  1. Bonjour Laurence. Excusez cette privauté, je dirais Slobodan à Monsieur Despot, car à force de vous lire, l'un et l'autre, forcément, une sorte d'intimité se crée.
    C'est par l'entremise de l'Antipresse auquel je suis abonné que j'ai connu votre blog.
    Ensuite, j'ai connu le courant orthodoxe français car j'ai participé à un stage de chant avec liturgie française.
    Depuis six mois, je fréquente tous les dimanche une église prêtée par les catholiques de Besançon aux ukrainiens du coin.
    Le Prêtre Vitali officie et sa femmes assistée de deux autres font le chœur. Et c'est divin si je puis dire. Je me place 2 bancs derrière et je suis transporté. Tout est en slavon. Une dame, le banc devant, une italienne qui fut mariée à un russe et qui connaît tout me montre la liturgie. Je lis le cyrillique car j'apprends le russe avec une prof retraitée de la fac, Valentine.
    J'ai dit à ma petite внучка Maélia, 15 ans, qu'il y a cent ans, ses arrières-arrières grand-parents italiens avaient du émigrer de leur douce Italie et que elle, assurément, serait forcée à la pareille dans l'autre sens et même plus loin et que moi, j'allais lui préparer le terrain en allant y voir pour de vrai en Russie, comment ça se passe et comment sont les gens et si c'est vrai que l'Espoir est bien là-bas...
    Merci pour votre écriture si apaisante et revigorante à la fois, à la foi.

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    1. Il y a de l'espoir, mais ce n'est pas gagné. Il se peut, en effet, que votre petite-fille soit amenée à émigrer, Dieu veuille que la Russie lui offre encore un asile. Dieu nous vienne en aide à tous.

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