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samedi 13 juillet 2024

Insolation

 


Hier soir, des gens sont arrivés de Suisse, Myriam, son mari et son amie Eliane. Des lecteurs de Slobodan Despot et de son Antipresse, des amis de Jean-Marc Bovy qui m’envoyait une bouteille de vin et que je remercie. Ils m’avaient apporté aussi du chocolat Lindt, auquel je n’ai plus le droit de toucher, et du fromage. Ils voulaient voir de leurs yeux ce qui se passe ici, et dans le même esprit, Myriam est allée déjà cinq fois en Syrie où elle a trouvé une toute autre réalité que celle qui est présentée par les médias aux ordres. Ils voulaient aller avec moi au restaurant, je les ai emmenés aux « Boyards », où j’ai trouvé Katia, dont c’est le quartier général. Nous avons dîné avec elle, dans la bonne humeur et le plaisir de parler librement de la situation qui nous préoccupe tous. Les Suisse étaient impressionnés par l’accueil qu’ils rencontrent partout et par l’importance que conserve ici la culture française.

Katia m’a paru triste et fatiguée. Elle se ronge les sangs pour son Fiodor. D’après ce que nous entendons dire, il est temps que Bielooussov fasse le ménage.

Le matin, j’étais allée à la liturgie de la fête des saints Pierre et Paul, et j’ai vu une femme d’une quarantaine d’années sangloter tellement à la confession qu’elle ne pouvait pas parler. Elle était accompagnée de deux vieux, probablement ses parents, eux-mêmes en larmes, et j’ai pensé que c’était encore un jeune homme qui avait dû périr au front. Que dire des fonctionnaires qui trahissent et étalent leur luxe et leur débauche, de tous les serviteurs de la caste, en Occident, et de ceux qui, ici, se vendent à eux et vendent les leurs ?

Après l’office, je suis allée au café avec Jean-Pierre, Tatiana, Thaissia et leurs enfants, j’avais la vue sur la coupole de bois de l’église du métropolite Pierre, et sur son toit en forme de tente, d’une blancheur irréelle, depuis qu’on la restaure, quel cachet elle donne déjà à tout l’ensemble...

Aujourd’hui, j’ai revu mes Suisses au café, ils sont très sympas, je voulais prendre congé, et puis ils ont rencontré Veniamine, mais c'était un exploit de ma part: je suis tellement surmenée en ce moment, je devais aussi aller chanter au petit marché de la « place Rouge », je n’ai pas pu refuser, pour ne pas snober les gens du cru. Quand je suis arrivée, une jeune femme chantait de la variété française, en robe rouge sous un soleil de plomb. C’était le cosaque Alexeï qui dirigeait la manoeuvre. Quand mon tour est arrivé, j’ai tout de suite senti que ce serait très dur. Au bout de deux chansons, j’étais au bord de l’apoplexie. Un brave homme est venu m’ombrager d’un parapluie, il m’a sans doute évité une insolation. Curieusement, je n’ai pas mal chanté, et tout le monde était très content. J’ai entonné le « corbeau noir de Donetsk », en précisant que, dans les circonstances actuelles, un hommage à ceux qui se battaient là-bas n’était pas déplacé. Un jeune homme est venu jeter cent roubles dans l’étui de ma vielle-à-roue et une bonne dame m’a offert un bouquet de lavande ! Après encore deux ou trois chansons, j’ai dit que si l'on ne voulait pas me voir repartir en ambulance, il fallait mettre fin au concert. Un jeune soldat s’est précipité pour m’aider à remporter mes instruments. Il me regardait avec un sourire ravi qui s’est encore élargi, quand il a appris que j’étais ici depuis presque huit ans.

Au retour, je me suis jetée sous la douche, des pieds à la tête sous l’eau froide, je me demande s’il ne me sortait pas de la vapeur par le nez et les oreilles. Puis je suis allée m’étendre sur le hamac, dans le fil d’une brise miséricordieuse, avec la vue sur les astilbes, leurs épis de lumière rose, et les calices oranges des hémérocalles.



1 commentaire:

  1. Quelle phrase magique, ultra-pagnolesque et méta-nervalienne : Puis je suis allée m’étendre sur le hamac, dans le fil d’une brise miséricordieuse, avec la vue sur les astilbes, leurs épis de lumière rose, et les calices oranges des hémérocalles.

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