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dimanche 7 mai 2023

Repeï

 



Il a fait si froid cette nuit que la neige est tombée et que j'ai vu toutes les fleurs piteusement penchées, je ne pensais pas qu'elles allaient se redresser, mais elles l'ont fait, héroïquement, c'est tenace, la vie... Cependant, le coup de froid n'est pas terminé. J'ai mal à la gorge et un début de bronchite. Je me suis traînée à l'église, et là, une femme m'aborde pour me dire qu'elle est en train de lire Yarilo, que c'est très bien écrit, et que je jette un éclairage nouveau sur un personnage qu'elle pensait totalement négatif, et que j'arrive à rendre humain. Après la réaction de l'historienne de Natacha l'avant-veille, j'ai presque eu l'impression d'un signe encourageant, et cela me fut confirmé plus tard par l'avis sur ce même livre d'un jeune homme orthodoxe français, fasciné par Ivan le Terrible et son époque. 

J'avais un sentiment de tristesse et d'angoisse, à cause de l'attentat contre Prilepine, dont pourtant je ne partage vraiment pas toutes les vues, mais c'est une drôle de méthode que de faire sauter les intellectuels qui vous déplaisent. A ce compte-là, BHL mériterait, bien plus que Prilepine, de prendre sur la figure, au lieu d'une tarte à la crème, une grenade dégoupillée, avec tout le mal qu'il a fait. Pourtant Dieu, contrairement à moi, aime jusqu'aux individus dans son genre, et lui a donné une soeur lumineuse qui prie sans doute pour lui: il faut bien que quelqu'un s'en charge...

http://russiepolitics.blogspot.com/2023/05/lattentat-contre-prilepine-ou-la.html

Toujours à l'église, j'en parle à Génia Kolesov qui me répond: "Ne vous en faites pas, on s'en sortira. Dieu n'est pas avec eux."

Hier soir, je suis allée au concert de l'Art-Bar, c'était un groupe de folklore, Repeï, quatre femmes qui chantent et jouent de diverses flûtes archaïques, flûtes de langue, flûtes de Pan, flûtes doubles... Autrefois, ces instruments étaient surtout pratiqués par les femmes. Après le concert, pendant lequel on nous a demandé de ne pas applaudir, pour ne pas compromettre une magie dans laquelle on entre lentement, les artistes nous ont dit que leur musique soignait, qu'elle était pure, qu'elle était le produit de la nature et de la méditation, et c'est bien ainsi que je la ressens, cette musique est l'antithèse et l'antidote du vacarme et de la vulgarité dans lesquels nous baignons et qui nous détruit. Leur chant complexe et envoûtant, le son de ces flûtes m'évoquait les rossignols qui commencent à chanter dans les saules, le vent qui passe, l'eau qui coule et ses reflets, les étoiles, la pluie, les nuages. Il est pour moi vertigineux de penser que l'humanité obscure d'avant les Lumières du Progrès pouvait se réunir afin de méditer en commun, par le chant, la musique et la danse. Les gens qui grandissent avec cette musique et la pratiquent n'ont rien à voir avec ceux qui balancent des centaines de tonnes de terre dans le marécage, plastifient les isbas et détruisent les maisons art nouveau. Ou avec ceux qui inventent les fermes de mille vaches, et broient les poussins surnuméraires. Ni avec ceux qui trafiquent les enfants et leurs organes. Ni avec Laurent Alexandre ou Machin Harari, les transhumanistes abominables, persuadés que les trois quarts de l'humanité doivent disparaître au profit de malades dans leur genre. Pourtant, parmi les imbéciles, ce sont eux les pires, puisque ils considèrent leurs esprits mécaniques et glacés comme infiniment supérieurs à ceux des foules qu'ils contribuent à lobotomiser dès l'enfance.

Quand je m'asseois sur la terrasse et joue des gousli, j'éprouve exactement ce que décrivent ces quatre femmes, j'entre en résonnance avec la nature environnante et avec ses souffles qui, c'est bien connu, louent tous le Seigneur. J'oublie les gnomes, à moins qu'une noria de camions ou une séance de débroussailleuse ne m'obligent à me réfugier à l'intérieur. 



Le ciel est si beau, le ciel mystique de la Russie, j'ai fait une photo hier de l'isba de l'oncle Kolia au coucher du soleil, car je pressens que je ne la verrai pas longtemps dans son état originel. J'ai vu une équipe la visiter hier, les moscovites qui en ont acheté la moitié vont probablement détruire les jolies fenêtres pour n'en faire qu'une seule, grande, banale et disproportionnée, c'est très à la mode. Et plastifier la façade. Une voisine m'a expliqué comment transformer la maison d'Ania, par exemple, en gros monstre prétentieux, c'est très facile... Je regrette que, dans mon optimisme et mon insouciance, je n'ai pas songé dès le début à m'isoler derrière des arbres. Maintenant, tout ce que je fais dans ce jardin consiste à me protéger de la vue des différents saccages qui menacent. Que nous soyons condamnés à vivre dans un monde de plus en plus laid et de plus en plus tyrannique nous oblige à chercher la beauté en nous-même, et à recourir au patrimoine immatériel de la musique. Ou bien à fuir dans les endroits déserts, ce qui n'est plus de mon âge. Le plus dur est de surmonter ce sentiment de colère impuissante, de chagrin et de perpétuelle agression, pourtant inconsciente, car "ils ne savent pas ce qu'ils font". Mais ils le font.



Je suis terriblement sollicitée, des gens m'envoient même leurs amis, de passage dans la ville, comme si je faisais partie des curiosités locales. D'autres me demandent de traduire ou de corriger des traductions que je n'ai pas faites. On m'envoie des centaines de vidéos et d'articles, en message privé, sur les réseaux sociaux, ou pire, sur ma boite mail, ce que curieusement, je ne fais pour ma part que rarement, j'ai une page où je mets ce qui m'a intéressée, et qu'on peut aller voir, je n'ai pas besoin d'envoyer à des particuliers tout ce que je vois passer. Les messages privés, je les réserve aux amis proches, à la famille, aux documents que je préfère ne pas rendre publics avant d'avoir eu un avis ou qui concernent seulement une personne précise. Il est vrai que parfois, dans tout ce fatras, quelque chose peut naturellement attirer mon attention, mais je n'ai absolument pas le temps de tout voir, il me faudrait commencer le matin et m'y tenir jusqu'au soir... On s'adresse à moi comme si j'étais un expert, mais non, pas du tout. Il y a des politologues, il y a des économistes, des psychologues, des prêtres, je n'en fais vraiment pas partie. Moi, je suis le café du Commerce, je fais dans le pressentiment et la réaction épidermique, je suis un témoin de la vie. Dans cette perspective, je suis en revanche toujours attentive aux lettres personnelles. Mais j'en ai beaucoup moins.

vendredi 5 mai 2023

Le merisier fleurit

 


Mes amies de France ont souhaité visiter Rostov, et nous y sommes allées hier, car on annonçait du froid et du mauvais temps, pour le lendemain, c'est le moment où le merisier fleurit. Quand le merisier fleurit, le Russe se caille.

Elles ont été conquises par la beauté de la ville, et le père Alexandre nous en a fait la visite guidée. C'était particulièrement intéressant, car, en temps que prêtre cultivé, original, il donnait une lecture spirituelle des événements de la ville. Il lui voit ainsi trois baptêmes: celui, officiel, qu'est venu accomplir saint Vladimir au X° siècle, et que commémore une croix sur la rive du lac. Puis celui de saint Léonce, qui enseignait aux enfants à lire et écrire, mais ne leur prêchait la loi de Dieu que par son exemple personnel, ce qui lui valut d'être poussé à partir par les habitants, puis martyrisé, et enfin celui de saint Avrami, ermite parmi les païens finno-ougriens. Le deuxième "baptême" fut le moment où les gens furent confrontés à ce saint, et à l'opinion de leurs enfants éclairés par l'instruction, qui ne se gênaient pas pour leur faire remarquer ce qui n'allait pas chez eux; ils furent confrontés à ce qu'impliquait le premier. Enfin le troisième, toujours par la vertu de l'exemple, fut celui de la conversion des païens locaux par le moine Avrami qui, au début, tout feu tout flamme, voulait briser leur idole et en fut empêché par une force mystérieuse, jusqu'au moment où, les ayant convertis par sa sainteté, il la fit tomber par le seul contact d'un roseau. Le père Alexandre n'en voit finalement qu'un seul en trois phases, l'immersion, l'onction, et la communion. Que les trois événements fussent séparés par de grands laps de temps ne le gêne pas, car il y a le temps, et l'éternité, et tout est en correspondance. Il nous a mis en lumière le caractère complémentaire des églises et des bâtiments, sensible dans l'architecture et l'ordonnance des fresques, la chute, la rédemption, la passion, la résurrection, le monde déchu, le Jugement Dernier, la Jérusalem céleste, et il a même établi le lien avec la Nouvelle Jérusalem bâtie dans les environs de Moscou par le patriarche Nikon. Dans l'église du Jugement Dernier, il nous a chanté des motifs "znamenié", le chant ancien des Russes, issu du chant byzantin, qu'a supplanté la musique d'opéra, après le schisme et le transfert de la capitale à Saint-Pétersbourg. En dehors du caractère naturel et cosmique du chant znamenié, comme du chant byzantin, il a le mérite de servir le texte des prières, ce qui n'est pas du tout le cas de la musique, si souvent à la limite du mauvais goût, qui sévit depuis l'intrusion occidentale dans l'orthodoxie russe. Cette musique adapte le texte à ses fioritures, ce qui le rend souvent incompréhensible.

Il a une belle voix forte, et l'acoustique était exceptionnelle, j'écoutais cela en pensant à ce Grec venu à Solan, qui avait chanté comme un ange, malgré un physique de tenancier de taverne à sirtaki. Le père Alexandre est, lui, un Russe typique d'un puissant gabarit. Genre Chaliapine, et d'ailleurs, on lui en a fait interpréter le rôle, l'an dernier, au festival de la datcha du peintre Korovine. Dans la pénombre et le silence, face aux fresques, où, parmi les damnés, figuraient des occidentaux à fraises et culottes bouffantes, la voix de notre colosse en soutane planait comme un séraphin redoutable et serein.

Puis j'ai emmené tout le monde au musée d'art populaire et celui qui en a constitué les collections magnifiques, Alexandre, a pris le relais. Il m'a invitée à venir chanter au festival qu'il a lancé, le 25 mai. Je ne partage pas toutes les idées du père Alexandre ou d'Alexandre du musée, mais cela étant, je n'en reviens pas d'avoir autour de moi autant de gens qui partagent mes intérêts et les comprennent, et qui ont une pensée personnelle, une vision du monde complexe et sacrée. 

Le père Alexandre ne cessait de me taquiner sur les emprunts à l'étranger de la culture russe médiévale que je trouve si originale, et j'ai fini par lui dire: "Mais nous empruntons tous à droite ou à gauche, et ce n'est pas cela qui me gêne, et cela n'empêche pas l'originalité. Le moyen âge français a beaucoup emprunté à Byzance, mais il a transformé ces emprunts à sa façon. Ce qui m'ennuie, c'est la copie servile, artificielle et imposée. Et la perte de sens, de vie, de naturel". 

A propos du musée, de son esprit, et des réflexions du père Alexandre, mon amie Anna Osipova m'a écrit: "Les emprunts, c'est une part naturelle de probablement toute culture, mais ces influences extérieures s'enracinent dans le terreau local, avec sa vision personnelle de la beauté, du sens et de la tradition. J'aime cette plaisanterie que j'ai lue quelque part: ce qui est plagiat pour l'homme contemporain, est pour nous, artisans, qui aimons nos racines, la tradition".

заимствования - это естественная часть любой, наверное, культуры, но эти внешние влияния укореняются на местную почву с ее собственным вИдением красоты и смыслов и традицией. Мне нравится шутка, которую где-то прочитала: что для современного человека плагиат, то для нас, мастеров, ценителей корней - традиция.

A ce sujet, Alexandre du musée m'a montré une icône contemporaine qui pour une fois, ne fais pas dans l'imitation figée mais témoigne de la même liberté et spontanéité de trait que celles du moyen âge. Car il y a malheureusement une iconographie "traditionnelle" académique, où plus rien ne se passe, où figé par le respect, on ne fait plus que copier, se copier soi-même n'est guère mieux que de copier les autres, quand on n'est plus irrigué par la Vie...

le père Alexandre dans le "jardin du métropolite"


Au bar du café a eu lieu le vernissage de l'exposition de Xénia Naoumova, une illustratrice qui m'avait rendu visite, une amie des Asmus et de Natacha, la rédactrice de ma traduction des chroniques. Son oeuvre est surtout graphique, assez poétique et inventive. 


J'ai revu ensuite Natacha au café. Elle a fini la rédaction de l'année 17, que je suis en train de relire. Et nous allons la publier, mais après je marquerai un temps d'arrêt, si je ne trouve pas de sponsors. Elle m'a dit qu'une de ses amies écrivait un ouvrage pour réhabiliter les Basmanov et n'avait pas approuvé le mien qui "inventait beaucoup". Mais d'abord, j'ai écrit un roman, et pas un ouvrage historique, à ce compte-là, je ne suis vraiment pas la seule à l'avoir fait, à commencer par Eisenstein. Et puis honnêtement, je ne pense pas que les Basmanov aient été des saints, je ne le pense vraiment pas, et le tsar non plus, le tsar a une image assez glorieuse dans le folklore, mais pas les Basmanov, ni l'Opritchnina. Enfin chacun ses manies. Mais en ce moment, on réhabilite beaucoup, parfois à tort et à travers, et je tombe là au milieu. Pourtant, d'une certaine façon, je réhabilite, en offrant une vision plus subtile des relations du tsar avec ce jeune homme et du jeune homme lui-même, et aussi de leur époque. J'ai écrit quasiment en état de transe, avec mon âme, et même quelque chose de plus profond et de plus collectif qui la dépassait.

Il me semble que je n'aurai plus la force d'écrire un roman, pas plus que de déménager, ce qui pourtant, au prix absurde qu'atteignent les maisons et les terrains à Pereslavl, serait sûrement une opération qui m'assurerait de finir ma vie sans problèmes d'argent. J'écrirai des vers, ce qui est totalement confidentiel mais relève quasiment de la prière.

mardi 2 mai 2023

Country exilé

 Hier soir, de façon très impromptue, avait lieu le concert chez Art-Bar des "talents" locaux. J'en ai été avertie deux jours à l'avance, Katia le jour même, mais l'avantage, c'est que nous n'avons pas eu de sectateurs extatiques de la variété télévisuelle. Se sont produits de jeunes rockers de Pereslavl, très beaux, très russes, très sympas et avec, à la batterie, une jeune femme qui a ensuite lu un poème avec beaucoup de présence. Je les ai trouvés excellents, et le leur ai crié du fond de la pièce. C'était moi qui ouvrais le concert, avec deux chansons de Pâques, une vendéenne, une russe, et une chanson de noces cosaque très ancienne. Je ne voyais pas les réactions du public, parce que j'avais la lumière en pleine poire. Mais après coup, j'ai rencontré, sur la terrasse, l'équipe du café, Laurent, Bruno et Gilles, qui m'avaient charriée auparavant en long, en large et en travers, et qui m'ont dit: "Eh bien écoute, tu sais, ta musique, c'est trippant! On ne sait pas ce qui se passe avec, mais on part complètement dedans!" 

Pourtant, je me suis trompée, comme d'habitude, mais je pars complètement moi-même, et c'est justement la caractéristique du folklore que cet état de transe, Sérioja me disait la même chose à propos de la balalaïka, dont il jouait des heures avec ivresse. C'est quelque chose dont j'ai besoin, dont à mon avis tout le monde a besoin et qui était à la portée de tout le monde, sans recours aux joints ni même à l'alcool. On ne pouvait pas me faire de meilleur compliment.

Mais le clou du concert, c'était Jason, l'Américain. Il s'est trouvé sur place deux complices, l'un joue de la guitare électrique, l'autre du violon et de l'harmonica. Et sa fille Sima dansait devant eux. Ce country américain si authentique à Pereslavl Zalesski, avec cette fillette angélique au premier plan, c'était un grand moment. Je retrouvais ma jeunesse, et tout ce qui me fascinait alors en Amérique, cette liberté, cette folie, le côté Jack Kerouac-Jim Morrison. Jason m'a dit ensuite que toutes les filles étaient amoureuses de Jim Morrison, mais en réalité, ses chansons et sa voix m'ont subjuguées dès que je les ai entendues, car elles m'étaient ontologiquement proches, et cela, avant d'avoir vu sa gueule de Dionysos déjanté, cousin de Fédia Basmanov! Je suis, pour la première fois depuis longtemps, frustrée d'avoir oublié l'anglais, car Jason ne parle pas bien le russe... Il m'a dit que la musique était la meilleure des drogues, et je lui ai répondu qu'en effet. "Piotr Mamonov, qui a connu les drogues, l'alcool et la musique, disait pour sa part que rien ne faisait planer comme la grâce de Dieu". Je soutiens en tous cas que la finalité de l'Homme est de passer les portes de la perception, mais pas n'importe comment. Et pas n'importe quelles portes.

J'ai l'étrange impression, ici, de récapituler ma vie, et aussi d'y trouver tout ce qui me manquait en France, malgré ma famille et la beauté des paysages et des bâtiments. Qu'ils soient français ou américains ou autres, les gens qui viennent ici depuis l'occident partagent avec moi quelque chose qui m'est essentiel, et c'est précisément cela qui les pousse à venir. Nous ne sommes pas compatibles avec le wokisme.




dimanche 30 avril 2023

Petit club français



Au  restaurant
Contactée par une amie du père Basile et de la regrettée Marie Gestkoff, la mère Alexandra, moniale dans le monde, je suis allée, avec mes amies françaises, Anne-Laure, Valérie et Lioudmila, la rencontrer à Serguiev Possad. Née dans l'émigration, comme Marie Gestkoff, elle est repartie en Russie il y a cinq ans, où son fils, le père Michée, est moine à la Laure-de-la-Trinité-saint-Serge depuis vingt ans, et où l'a rejointe aussi sa fille Elena, il y a deux ans. La mère Alexandra est excentrique et marrante, comme on l'était souvent dans l'émigration telle que je l'ai aperçue dans ma jeunesse. Nous l'avons rejointe dans un café où des moines de la Laure et un ministre africain fraîchement baptisé ont partagé avec nous leur petit déjeuner. Le père Michée m'a paru très sympathique, ouvert, spontané et plein d'humour. Ensuite, nous avons visité la Laure, que mes amies n'avaient jamais vue, puis Elena nous a emmenées dans un excellent restaurant russe, et nous avons pris le thé et le dessert chez sa mère. 

Leur maison est située dans les parages vallonés et escarpés du monastère, on l'aperçoit de loin, l'endroit est encore très pittoresque, avec de grands bouleaux, des pins, de petites maisons, des jardins biscornus. On ne se croirait pas dans une ville importante. A l'intérieur, malgré l'origine russe des habitantes et les nombreuses icônes, on sent quelque chose de l'esprit vieille France, ce pourrait être une maison bourgeoise en région parisienne, avec de la jolie vaisselle et des meubles de famille. 

Valérie et la matouchka Alexandra se sont trouvé beaucoup de connaissances communes à la rue Daru, et nous avons évoqué les difficultés de communication qui sont les nôtres, avec des correligionnaires qui par préjugés ou conformisme social, se jettent sur la Russie, et, plus grave, sur l'Eglise Ukrainienne persécutée, avec le même style de hyènes qui ont autrefois contraint leurs ancêtres à partir faire les chauffeurs de taxis à Paris et martyrisé tellement de prêtres et de croyants en Russie même. Nous avons échangé à ce sujet des anecdotes particulièrement ridicules, ces gens qui au téléphone chuchotent d'un ton de conspirateur: "Bien sûr, nous comprenons que tu ne peux pas parler!" Ou cette femme qui me croyait contrainte d'écrire par des tchékistes musclés. "Tu as eu du flair, me dit la matouchka, tu es partie à temps!

- C'est le père Placide, qui a eu du flair! Mais en effet, je vivrais tout cela assez mal. Même à distance, je ne le vis pas toujours très bien!"

A ce propos, j'ai vu une vidéo qui m'a fait réflechir. Je ne peux pas dire que je sois d'accord avec tout, et puis étant chrétienne orthodoxe, je n'ai pas besoin d'une démarche philosophico-religieuse essénienne ou autre. Mais je pense que l'analyse de cet homme est terriblement juste, il exprime clairement des choses que je sens et observe depuis longtemps de façon plus ou moins confuse, l'intimidation, la manipulation, le recrutement, la séléction de ceux qui sont manipulables, de ceux qui vont entrer dans les structures choisies et participer à ce gigantesque système d'asservissement qui se met en place depuis bien longtemps et nous a menés là où nous en sommes. Un asservissement qui nous prive de notre nature et de notre âme, de notre intégrité et de notre dignité, de tout ce qui pouvait nous unir et nous consoler, et nous faire transfigurer notre destin, et cela c'est en quelque sorte nouveau et radical. "Tout ceci vous écoeure et vous révolte? demande-t-il. Eh bien oui, et c'est normal, mais ces sentiments permettent à cela d'entrer en vous." 

J'en suis bien consciente. Mon père Valentin, qui s'indigne beaucoup, m'a dit: "L'indignation nous ravale souvent au niveau de ceux qui nous indignent." Il faudrait pouvoir passer au dessus, sans pour autant devenir indifférent, sans observer devant l'inqualifiable un silence complice. Mais arriver à ne plus se sentir personnellement blessé par tout ce qui se produit et se dit, à ne plus pousser de cris de colère ou de douleur, "restons des chrétiens orthodoxes", conclut le père Valentin, avec un sourire compréhensif, quand je lui confesse mes coups de gueule. Et dès le début de la sinistre affaire ukrainienne, le métropolite Onuphre prêchait à ses fidèles: "Prions pour garder figure humaine". En effet, y arriver de nos jours relève déjà de l'exploit. Nous aussi, nous sommes recrutés. Pas par des structures au service des ténèbres, mais par les armées des anges, et le plus difficile est d'en rester digne, dans la paix intérieure et la détermination. Je dois dire que je suis loin d'y arriver. 

J'ai vu sur un site le commentaire suivant: En méditation, dans mes livres, je me rebelle aussi contre cette attitude “spirituelle” qui consiste à s’intérioriser dans une posture de rechercher la vérité. Et depuis plusieurs millénaires, c’est comme cela. La spiritualité a largué les amarres de la vie et de l’action et elle encourage la fuite intérieure. Non pas que la démarche soit fausse. Il est vrai qu’elle conduit à la plénitude d’être (après une vie de méditation et une bonne naissance), mais elle est incomplète, partiale et condamne la vie humaine à tourner en rond dans sa misère , son injustice, sa souffrance. Il s'agit à mon avis d'une compréhension erronée et parcellaire du phénomène spirituel, la vie d'un chrétien est un combat. Parfois au sens strict du mot, je pense à saint Serge envoyant le moine Alexandre Peresvet se battre auprès de Dmitri Donskoï. Parfois au fond d'un ermitage, mais la plupart des ermites, après l'isolement, deviennent les guides spirituels de nombreuses personnes. D'autres, comme saint Luc de Crimée, soignent en témoignant de leur foi avec une fermeté inébranlable. D'où vient que l'on confonde systématiquement la vie spirituelle avec les effets du cannabis? Piotr Mamonov, qui avait pas mal abusé de la drogue et de l'alcool, disait que rien ne l'avait fait planer comme la grâce divine, mais cette grâce ne se donne pas si souvent, elle est plus une promesse qu'un état qu'on atteint à volonté, comme on allume un joint.


tableau de Piotr Ryjenko

Le conférencier pense que la plupart des gens qui marchent dans les sombres combines idéologiques et les manipulations médiatiques sont sincères, et que même les manipulateurs le sont quelquefois. Mais que veut dire "être sincère"? En effet, j'en connais qui sont complètement à côté de la plaque, et qui me donnent des leçons péremptoires sur des sujets où je sais pertinement que leurs erreurs, leur ignorance et leur crédulité cautionnent des crimes et des fourberies immondes. Le bourgeois entiché de Tartuffe est tout ce qu'il y a de plus sincère, mais il préfère un parasite étranger aux membres de sa famille qu'il lui sacrifie. N'y a-t-il pas là une suite de consentements faciles aux opinions inculquées universellement admises dont la remise en cause vous met au ban de la société? Une amie me disait autrefois à propos des gauchistes ancêtres des wokistes: "Ils ont l'esprit tellement faussé qu'ils n'en ont même plus conscience." 


Ma soeur m'a appelée, la veille de son anniversaire, où je me proposais de le faire moi-même. Grâce aux miracles de la technique moderne, je la voyais, je voyais son petit chien, sa maison, son jardin, les chênes du voisin, plantés sous Louis XIV, la plaine du Rhône si familière où nous avons grandi, où mon beau-père avait sa ferme, que j'ai arpentée à vélo, à pied, ses champs, ses peupliers, les collines de l'Ardèche au dessus de Bourg-Saint-Andéol. "Si tu savais comme Pierrelatte a changé, me dit-elle, tu ne reconnaîtrais pas.

- Je trouvais déjà pas mal de changements, la dernière fois que je suis venue, tu me fais froid dans le dos...

- Il y a énormément de voilées, et des jeunes, des Françaises de souche. Mon copain Untel, qui adore sa petite-fille, me dit: dans quel pays va-t-elle grandir? Ce n'est pas un intellectuel, rien que de voir des livres lui donne la migraine. Cependant, il comprend bien ce qui se passe.

- Ce sont justement les intellectuels qui n'y comprennent rien, cela fait cinquante ans qu'on les sélectionne en ce sens."

En réalité, quand on nous aura rendus minoritaires dans notre pays, ce sont les musulmans qui mettront de l'ordre, ils feront la chasse aux wokistes LGBT trans, parce qu'aucune société plus ou moins normale, depuis la nuit des temps, ne peut tolérer ce qu'on installe chez nous, et je ne parle pas de la bonne vieille homosexualité des Grecs et des Romains, et même des siècles ultérieurs, mais de la bacchanale malsaine, hideuse et vulgaire qu'on donne en exemple aux foules dès le berceau, et dans tous les domaines. Les Français n'existeront plus que de façon résiduelle, et comme me disait la mère Hypandia, ils se convertiront à l'islam pour avoir la paix. Fin de deux mille ans d'une civilisation raffinée et exquise, chevaleresque et brillante, noble et rebelle. 

Pendant ce temps, dans le trou noir:

 Artiomovsk – Les forces armées de Kiev ont fait exploser un immeuble avec ses habitants (odysee.com)

https://vk.com/wall385287235_22835



mercredi 26 avril 2023

La vraie Russie

 


Le printemps avance, de plus en plus vert, translucide et doré. Le temps radieux, paisible et paradisiaque de ces derniers jours a fait place à une pluie bienfaisante, à des giboulées traversées de lumière, nous aurons des arc-en-ciels. Il paraît que nous avons eu une aurore boréale et moi qui ai toujours rêvé d'en voir une, je l'ai manquée. 
Aujourd'hui, j'ai trouvé près du supermarché Magnit un genevrier pyramidal déjà aussi grand que moi, et je l'ai installé du côté des camions et du futur palais sur pilotis, pour ne pas le voir trop longtemps. Ces genevriers sont très jolis, pas trop importants, pas trop hauts, souples, des flammes grises et bleutées. Il devrait faire écran sans trop obscurcir. Il était d'ailleurs temps de planter le pauvre arbuste qui avait commencé à sécher dans son pot.


J'aime beaucoup le blog de Panagiotis qui offre des parentés avec le mien, dans la mesure où la chronique de l'effondrement de son pays est vue au travers de sa vie quotidienne avec ses chats, depuis le coin où il vit. http://www.greekcrisis.fr/2023/04/Fr1020.html#db

Cet effondrement est en trop de points parallèle à celui de la France pour ne pas inspirer aux mauvais esprits qu'il est le fruit du même plan maléfique concerté. Du reste, après avoir discuté avec les cosaques hier soir, je constate une fois de plus que ce plan est à l'oeuvre également en Russie, même encore maintenant, et sans doute le conflit y mettra-t-il un terme où le ralentira, mais il y a eu beaucoup de mal de fait... A ce propos, je conseille de visionner cette vidéo de Pepe Escobar qui met le doigt sur les responsables, qui ne sont même pas des génies du mal, mais des gnomes haineux, acharnés, impitoyables et bassement astucieux: https://videos.francesoir.fr/items/431337a5-9ba8-4144-85a8-41c53406494b/

Parfois, cela suffit...Pour peu que trop de gens leur prêtent l'oreille, se laissent intimider, culpabiliser, monter la tête.

Quand je pense au sang versé par nos pays respectifs pour continuer à exister, avec leur culture, leur foi, leurs usages, aux Grecs de Panagiotis, qui ont survécu à l'occupation turque, qui s'en sont héroiquement débarrassés pour disparaître finalement au pouvoir "européen" dissolvant de ces gnomes corrosifs, j'en pleurerais.

Un jeune homme orthodoxe m'écrit en écho à mes chroniques: "Je ne comprends toujours pas ce suivisme de certains paroissiens orthodoxes derrière cette hystérie médiatique, cette sarabande satanique. Je regarde par curiosité Radio Svobóda et j’y ai lu sans surprise et non sans consternation à nouveau la façon dont ils couvrent le hold-up des lieux de culte en Ukraine (A Dropped Bible, A Brawl, And 'The Fall Of The Moscow Church' In Ukraine

http://www.rferl.org/a/32377110.html). Je me sens toujours plus oppressé devant la frénésie démoniaque qui s’est emparé des esprits ici et qui met en pratique et exerce toute sa rage là-bas, dans cette malheureuse Ukraine. Puissent-ils ne pas entraîner le monde entier dans leur folie !"

Je ressens la même consternation, et j'exprime le même voeu. En fait le suivisme, je le comprends un peu, dans la mesure où une partie des "spécialistes du monde slave" appartient à la coterie des gnomes, j'en voyais déjà s'agiter dans les facs des années 70. J'ai autrefois eu l'occasion d'échanger dans un avion avec la femme d'un dissident connu défunt, qui était devenue positivement enragée en découvrant que j'avais choisi d'aller travailler en Russie parce que j'aimais ce pays, et j'avais constaté que pour elle, et pour beaucoup de soi-disant Russes, ou Russes tombés de l'arbre, la russophobie outrepassait largement l'antisoviétisme. C'est-à-dire que la dérive communiste ne provient pas pour eux d'une idéologie étrangère inculquée par une caste majoritairement non russe au moyen de la terreur et de la rééducation, mais des défauts intrinsèques de la population russe depuis la nuit des temps. Pour eux, la seule parenthèse lumineuse de l'histoire russe, ce sont, outre les années pré staliniennes du pouvoir soviétique, les dix ans de dépeçage de l'URSS, de pillage et d'humilitation du règne de l'ivrogne servile Eltsine. Parallèlement, il y a tous les rameaux desséchés, indignes d'ancêtres parfois illustres, qui n'ont pas compris qu'on n'était plus dans les années trente, mais que je trouve néanmoins trop prompts à croire n'importe quelles calomnies sur leur pays d'origine pour ne pas être finalement aussi russophobes que les gnomes dont parle Pepe Escobar. Enfin le libéral russe finalement trop bien rééduqué, persuadé qu'avant le règne des gnomes, son pays ne valait absolument rien, et qui, dépourvu de la perspective de l'avenir radieux, estime qu'autant le livrer en pièces détachées aux vautours qui lui promettent la vie de cocagne dans les paradis occidentaux: à aucun moment on ne lui a appris à l'aimer. Quand aux Français de souche orthodoxes qui marchent dans tout cela avec un enthousiasme touchant, je pense et j'ai toujours pensé qu'ils auraient dû rester catholiques de gauche tendance la Croix, ce serait plus en phase avec leur mentalité. 
Rien ne m'agace plus qu'entendre parler ces gens de "la vraie Russie", alors que la vraie Russie, c'est précisément le métropolite Onuphre, ses hiérarques et ses fidèles qui l'incarnent, mais dans leur dégénerescence et leur stupidité, ils sacrifient la vraie Russie à la fausse Ukraine, la véritable orthodoxie à son succédané satanique, les victimes à leurs bourreaux. S'ils aimaient tant que cela "la vraie Russie", ils la reconnaîtraient, et pas seulement chez les fidèles du métropolite Onuphre, d'ailleurs.
Ce qui me console de tout ce qui se passe, dans les divers espaces de la chrétienté vilipendée et persécutée, souvent par ses propres représentants déjà passés à la "Religion du Futur" du père Séraphim Rose, c'est la certitude qu'au delà de tout ce qui nous terrifie et nous horrifie, point quelque chose de grand et de lumineux qui nous dépasse et nous embarque. Qui nous dépasse et nous embarque quand nous sommes prêts à l'envol.

mardi 25 avril 2023

Semaine lumineuse

 


Le semaine lumineuse s'est achevée pour moi à l'église du père Valentin, avec une procession au son des cloches, par un temps radieux. Valérie, qui avait mis 17 heures à franchir la frontière Lituanienne, en raison d'un afflux d'Ukrainiens passés au peigne fin un par un, a logé chez le père Valentin et a fait connaissance avec lui et avec sa famille. Lioudmila, elle, est partie seule en avant-garde pour retrouver mes chats qui lui manquent. Valérie m'a rapporté que si un ou deux Ukrainiens ont protesté qu'ils étaient victimes de discrimination, les autres estimaient que la vigilance des douaniers était tout à fait justifiée. Puis j'ai ramené mon amie à Pereslavl, avec traversée d'un bouchon du samedi. Les cloches, en cette période de Pâques, nous accompagnent partout. Elles résonnent au dessus de mon jardin, en ville, Valérie et Lioudmila s'en émerveillent. Au marché du dimanche, elles ont fait des tas d'emplettes, avec un certain sentiment d'euphorie. 

Il fait doux, avec une brise printanière légère et recueillie, des chants d'oiseaux, une lumière mystique, seulement le type qui avait déjà déversé des camions de glaise chaque jour pendant un mois au milieu du marécage en a remis une dose, décidé cette fois à construire ce qui risque d'être, au vu de ce qu'il fait déjà, un château américain de trois étages que j'aurai bien du mal à cacher, et qui me dérobera les saules et les roseaux de l'espace sauvage conservé par miracle. En attendant, ses camions puants, bruyants et poussiéreux nous gâchent la vie et la suppriment sur tout l'espace de son terrain. Les plantes, les animaux, les terriers, les nids, tout est brutalement enseveli pour édifier un mausolée et faire un jardin sinistre, avec la pelouse tondue et les espèces exotiques autour de petits massifs stupides. Il a déjà fait disparaître un ruisseau, qui remonte chez les voisins, et envoyé ceux-ci, qui protestaient, se faire voir chez les Grecs. Certaines personnes, fort nombreuses d'ailleurs de nos jours, ont la délicatesse d'un gros derrière qui se fraie un siège au mépris de tout ce qui existait auparavant sans lui. J'ai vu comme cela une maison dont la véranda est entièrement obturée par le mur en parpaing de la bâtisse d'un type qui s'est installé sans tenir aucun compte de ce qui pouvait se trouver autour.



Mes amis Soutiaguine ont peut-être trouvé leur datcha ici, une petite maison très mignonne, avec une véranda, et plein de voisins de tous les côtés, mais comme ils n'ont pas beaucoup d'argent et ne veulent pas aller dans un village... En réalité, par les temps qui courent, il conviendrait peut-être de s'installer à plusieurs dans un de ces villages qui meurent dans la campagne, afin de s'éviter les catastrophes écologiques et les constructions indiscrètes et hideuses, encore faut-il avoir le courage de déménager. Toujours est-il que si les Soutiaguine s'installent ici pour leurs vacances, j'en serai bien contente. Je les vois trop rarement, et avec eux, c'est une partie de mon ex paroisse de Moscou qui viendra me rejoindre périodiquement ici.






jeudi 20 avril 2023

Croix russe

 Avertie par les cosaques, je suis allée voir hier un film magnifique, à la maison de la culture. Русский Крест, la Croix russe. D'abord les prises de vue sont somptueuses et ensuite, c'est une sorte de transfiguration de la Russie contemporaine, avec ses misères et ses disgrâces, dans la dimension de la Russie éternelle. Un paysan ivrogne et désespéré voit en rêve un dragon, dont le délivre saint Georges, et après une entrevue avec un ermite local, part quêter, une énorme croix de bois sur le dos, de l'argent pour restaurer l'église du village. Le film est en vers, inspiré par un poème. Il a été tourné avec tant d'amour et de lyrisme que même les constructions hideuses et tout ce qui blesse régulièrement mon sens esthétique paraissent, comme le paysan, rachetées, et s'inscrivent dans une harmonie générale retrouvée. L'oncle Slava m'a dit ensuite que la salle était presque vide. Mais le simple fait qu'on ait éprouvé le besoin de faire un tel film me paraît en soi la preuve que le potentiel de salut de la Russie n'est pas épuisé. De plus, je ne crois pas que beaucoup de gens aient été au courant que le film passait, personne à la caisse, je me demandais même si on allait vraiment nous le projeter.


J'attendais aujourd'hui Valérie et Lioudmila, mais elles sont restées coincées des heures à la frontière lituanienne. Leur bus était bourré d'Ukrainiens, que la douane passe au peigne fin. Il est possible que je les récupère demain à Moscou, car j'ai accepté de participer à une émission de la chaîne orthodoxe Spas. J'avais compris que ce serait à la Trinité, mais pas du tout, à la Trinité, ils la montreront, mais ils la tournent demain, ce qui tombe plutôt mal.

Je reçois fréquemment des lettres d'orthodoxes français qui songent à émigrer, car leurs paroisses deviennent la proie d'agitateurs ukrainiens et de russophobes divers, souvent d'origine russe. Si eux-mêmes n'entrent pas dans cette mouvance, l'atmosphère devient pour eux aussi irrespirable à l'église que dans le reste du pays. Sur le fil facebook d'un site orthodoxe, un individu bêlait, à propos de la persécution de l'Eglise ukrainienne: "Prions pour que Dieu éclaire le patriarche de Moscou". Je lui ai répondu qu'il vaudrait mieux prier pour qu'Il débarrasse le pays de son président et de ceux qui sont derrière. Il a bondi comme un pitbull sur le facteur, enjoignant à l'administrateur "de me calmer". Quel soulagement de ne pas avoir affaire à des gens de cette espèce dans ma vie quotidienne! Cette mièvrerie de cureton qui tourne à l'agressivité de prédicateur puritain dès qu'on touche au dogme politique du moment! Ces personnages ne se sont jamais intéressés aux persécutions avant que la chose ne devienne impossible à cacher, mais moi cela fait des années que je suis cela, et je n'oublie rien, ni leur silence, ni leur complicité, ni la hâte avec laquelle ils ont hurlé avec les loups quand l'affaire a filtré. 

Prêchi, prêcha, prêchons, prions mes frères, et brûlons le vilain Cyrille, ce n'est pourtant pas lui qui a provoqué cette situation, et je dois dire qu'il fait tout pour la désamorcer, enjoignant même aux Ukrainiens qui se sont formalisés des critiques du métropolite Onuphe à son égard, de le soutenir de toutes les manières et de ne pas créer de schisme supplémentaire. C'est que maintenant, on peut faire semblant de croire, et persuader de cela les innocents, que les persécutions, vraiment évidentes et indécentes, sont "le résultat de la situation", et finalement bien méritées, n'est-ce pas? Or dès le début de l'aventure maidanesque, j'étais au courant de cela, moi, humble activiste. J'ai tout fait pour attirer l'attention sur les magnifiques processions que le métropolite Onuphre avait organisées à travers l'Ukraine, et de l'élan spirituel qu'elles avaient suscité, malgré les menaces et les sarcasmes. J'avais compilé photos et témoignages, je les avais traduits, je les avais placés dans un article sur facebook, car je n'avais pas encore ouvert mon blog, j'étais encore en France, c'était avant 2016, avant l'autocéphalie bicéphale de Porochenko Bartholomée. J'avais traduit aussi une vidéo d'une députée ukrainienne qui suppliait le patriarche Bartholomée de ne pas créer sa filiale, j'ai suivi tout cela pas à pas et vu comment on escamotait ces témoignages aussi poignants que gênants, jusque sur les sites orthodoxes, dérangés dans leur version "intelligente et occidentale" de la chose, par ces ferventes figures de la sainte Russie qui n'allaient pas dans le bon sens. Alors maintenant, on peut bien venir bêler "prions" et rugir quand je mets les pieds dans le plat. On a tout simplement pactisé avec le diable et son train, dont on voit de mieux en mieux les sabots et la queue (musicale).

Une amie m'écrit depuis la démocratie radieuse que sa fille gravement handicapée, s'est vu proposer dans le centre où elle se trouve, un film sur un tétraplégique qui choisit l'euthanasie. Autrefois on faisait des films sur les handicapés qui réussissaient malgré tout à se faire une place dans la vie, maintenant, on leur suggère d'avoir la délicatesse de ne pas encombrer la société de leur présence. C'est vrai que voilà un pays qui peut se permettre de donner des leçons à la sombre dictature où j'ai le masochisme de m'obstiner à vivre. J'attends le moment où un claquement de doigts va réveiller les hypnotisés de leur sommeil hagard. En principe, c'est comme cela que cela se passait dans les BD que je lisais enfant.