Destruction de l'église du Christ Sauveur à Moscou |
Monsieur Pozner
En tant que fidèle ordinaire de l’Eglise Orthodoxe
Russe et, dans une certaine mesure, votre collègue journaliste, je me permets
de vous adresser une lettre ouverte, dans laquelle j’aimerais éclaircir quelques points,
concernant votre intervention publique à propos de la condamnation du blogueur
Sokolovski.
Je ne vais pas vous faire de courbettes parce
que vous êtes « le patriarche du
journalisme russe » et c’est justement pourquoi je vais formuler certaines
choses de façon très claire. Je ne vais pas vous écrire des stupidités
politiquement correctes, du genre « oui, nous respectons votre incroyance,
alors vous-même, s’il vous plaît, respectez notre foi » etc. Nous allons
parler sérieusement.
Vous demandez si l’on peut être athée en Russie ?
A mon avis, non. L’athéisme en Russie
est le reniement de la nature de la Russie, de son sens même, de son essence
même. Le célèbre feld-maréchal Christophore
Minikh avait dit une fois, en plaisantant à moitié : « l’Etat russe a
par rapport aux autres l’avantage qu’il est gouverné directement par Dieu,
sinon, il n’est pas possible de comprendre comment il peut exister ».
Renier Dieu veut dire renier la Russie. Et réciproquement.
La Russie est un état fondé et établi par de saints
princes, défendu par de saints guerriers, un pays que se sont approprié et ont
étudié de saints moines et évêques, fondant leurs monastères dans les taïgas
les plus lointaines et les plus impénétrables, dans la toundra, sur les îles
nordiques. Pendant mille ans, des millions de gens de ce pays ont prié Dieu nuit
et jour, avec une foi si grave et si persévérante, ont vécu dans une si dense
atmosphère de miracle que même si vous et vos semblables avaient raison et que
Dieu n’existât pas, ici, en Russie, il est devenu une réalité. La Russie est si
imprégnée de foi et pénétrée de Dieu que récuser ici son existence est
vraiment stupide et criminel, et en
premier lieu au regard de sa propre raison.
Pourtant, il y a cent ans, il est arrivé malheur à mon
pays. Des athées militants y ont pris le pouvoir. Il ne faut pas raconter que
l’athéisme était quelque chose de peu important et de non essentiel dans la
vision du monde des nouveaux maîtres, au contraire, le rejet de Dieu, la haine
de la religion et des « popes » en était le centre. « Tout bon dieu
relève de la nécrophilie » (V.I. Oulianov (Lénine). Lettre à Gorki du 13/14 novembre 1913). Leurs actes envers
l’Eglise et les croyants furent le reflet de leurs convictions athées.
Les bolcheviques n’avaient pas eu le temps de donner
la terre aux paysans et les usines aux ouvriers, les pourparlers de la honteuse
paix de Brest se déroulaient encore qu’étaient déjà adoptés les décrets de la
séparation de l’Eglise et de l’Etat, de l’école et de l’Eglise. Les opposants
politiques des bolcheviques étaient encore en vie, les journaux d’opposition
étaient encore publiés, que la terre russe s’imprégnait déjà du sang des
martyrs des nouvelles persécutions : l’archiprêtre Ioann Kotchourov fut
fusillé par les athées le 31 octobre (13 novembre) 1917 à Tsarskoïe Selo, sous
les yeux de son fils lycéen.
Vous affirmez dans votre intervention : «Il fut
un temps où pour le reniement de Dieu, c’est-à-dire l’athéisme, on était brûlé
sur un bûcher, la sainte Inquisition y prenait particulièrement plaisir ».
Cela ne correspond pas à la réalité. Vous ne pourriez fournir un seul nom
d’athée qui aurait été brûlé par l’Inquisition, tout simplement parce qu’il n’y
en avait pas. Pour trouver un « athée victime de l’Inquisition », les
propagandistes athées sont même allés jusqu’à la contrefaçon pure et simple,
ils ont inventé le mathématicien Paolo Valmes, soi-disant brûlé par Torquemada,
pour avoir résolu une équation du quatrième degré, et qui n’avait jamais
existé. C’est sur ce genre de lieutenants Kijé que se construit la propagande
athée.
L’Inquisition était une institution nocive qui ne
correspondait pas à l’esprit du christianisme. Cependant elle ne s’occupait pas des athées, mais en
premier lieu des chrétiens pour leur déviation supposée ou réelle de la ligne
dogmatique. Il est assez étrange d’attribuer à l’Eglise Orthodoxe les crimes
des inquisiteurs catholiques si l’on prend en compte qu’à cette même époque du
XV-XVII° siècle, les catholiques romains persécutaient de la même manière les
orthodoxes considérés par eux comme des « schismatiques ». Il suffit
de se souvenir des répressions massives d’orthodoxes en Ukraine, où on les
obligeait à accepter l’Union avec Rome.
Et maintenant, à ce propos, on planifie en Ukraine une nouvelle tournée
de persécutions des orthodoxes comme membres de l’Eglise
« moscovite ». Nos libres penseurs auront-ils l’audace de prendre,
devant les « européens » nouvellement proclamés, la défense des
croyants dont la seule faute est d’avoir un patriarche résidant à Moscou ?
«Les répressions chrétiennes contre les athées »
sont en majeure partie une invention ridicule, qui ne mérite même pas d’être
récusée. En revanche celles des athées envers les chrétiens sont un fait bien
documenté. Ils les ont tués, fusillés, noyés, crucifiés sur les iconostases, ont
versé dans leurs gorges du cuivre fondu. Ils ont battu, humilié, torturé les
corps et piétiné les âmes. Ils ont détruit les églises et les ont transformées
en lieux immondes. Ils ont fendu à la hache et percé de leurs baïonnettes les
icônes (j’en ai une comme cela, transpercée, qui vient de ma grand-mère). Il
existe un bon livre d’A.A. Valentinov « à l’assaut des cieux », où
sont mis en lumière de façon détaillée les crimes des athées envers les
croyants au moment de la guerre civile, dans les années 20. Et il est pourtant
sorti en 1925, avant le début du « quinquennat sans Dieu ».
La
liste des martyrs et confesseurs de Russie canonisés, qui ont souffert pour
leur foi de la main des athées, compte 1774 personnes. Ce sont seulement celles
dont l’exploit a déjà été étudié par des commissions ecclésiastiques
compétentes et confirmées sans aucun doute. Mais chaque orthodoxe instruit
énoncera facilement la multitude de noms de ceux qu’on n’a pas encore eu le
temps de célébrer, par exemple le prêtre Piotr Kosmodemianski, grand-père de
Zoïa et Alexandre Kosmodemianski, tué en 1918.
La base de données consacrée au clergé victime compte
25 000 noms, parmi lesquels seulement 440 hiérarques. En tout, le nombre
de ceux qui ont souffert pour leur foi de la main des athées est évalué par les
enquêteurs à un demi-million.
Les « gens d’église » constituaient l’un des
courants principaux de réprimés, aussi bien sous Lénine que sous Staline. Et je
ne parle pas de violence symbolique, de persécution sale et incessante, de
calomnie, d’offenses auxquelles les croyants étaient soumis, grâce à l’activité
de « l’Union des militants sans Dieu » et de ses feuilles de choux du
genre « le mécréant à la presse ». Je ne parle même pas de la
profanation de la culture russe et des objets de vénération populaires, les
campagnes d’ouverture des reliques, les « octobrines » délirantes et
les « Pâques rouges » qui, sous Khroutchev, célébraient les églises
fermées avec les minables petites danses
des komsomols et les absurdes traités sur « l’inexistence de Jésus
Christ », que Sokolovski répète aujourd’hui.
Tout cela, ce sont les athées qui nous l’ont fait, à nous,
chrétiens. Oui, oui, et en un sens bien connu vous personnellement, monsieur
Pozner, membre du Parti Communiste depuis 1967. Et qu’allons-nous faire de tout
cela maintenant ?
Il y aurait une sorte de véritable logique à ce que les croyants qui
ont retrouvé la Russie interdissent l’athéisme en tant que vision du monde et
pratique politique criminelles, comparable, mettons, au nazisme. Pour que le camp des Solovki, notre Treblinka,
devienne un lieu de vénération internationale, et le Polygone de Boutovo, notre
Dachau, un objet de souvenir et de douleur international. A ce que toute minimisation
et toute négation de la terreur athée contre les orthodoxes soient punies par
la loi, et que celui qui fait preuve d’une telle vision du monde soit considéré
comme directement responsable des malheurs qui se sont abattus sur notre terre
si souvent martyrisée au cours du dernier siècle.
Nous ne l’exigeons pas pour deux raisons qui s’appellent
la Justice et la Miséricorde. Pour le dire autrement sous une forme connue de
l’homme moderne, des idées purement chrétiennes.
C’est la Justice qui exige de nous de reprocher à un
homme seulement ses péchés individuels, ce qu’il a commis lui-même, et non les
crimes de ses coreligionnaires, de ceux qui pensent comme lui ou qui appartiennent
à la même tribu, ou encore à la même famille. Le monde antique préchrétien ne
connaissait pas de telles idées, même dans les plus développées des sociétés
antiques régnait l’idée de la responsabilité collective. Et c’est seulement la
foi en ce que tout péché « collectif » a été racheté par le Christ
qui a ouvert la voie à la relation personnelle à tout être déchu.
C’est la Miséricorde qui nous demande de couvrir de
notre amour ce qui a été commis contre nous dans le passé et même dans le
présent. C’est elle qui nous demande, parfois, de ne même pas attendre pour
pardonner que le pécheur en fasse la requête, en dépit de son entêtement.
La Justice et la Miséricorde sont les bases de notre
vision du monde chrétienne. Et elle exclut l’idée même de vengeance contre les
persécuteurs du Christianisme.
Cela ne veut pas dire que, revenus à l’état normal de notre
Russie, à une société où Dieu est présent, dans laquelle la foi signifie quelque
chose, que nous ne devons déployer aucun effort pour éviter que vos
persécutions et vos sévices athées contre nous se répètent. Nous ne craignons
pas, bien sûr, de prendre à nouveau le chemin du martyr, il n’y a rien de plus
joyeux, pour un chrétien, que de mourir pour le Christ.
Mais quand on pense au nombre d’enfants morts sans baptême
par votre faute d’athées, je me souviens de mon baptême secret, derrière les
portes fermées, en 1983 et je pense avec horreur à ce qui se serait passé, si
j’étais mort enfant, sans avoir vécu jusque là, au nombre de vieillards morts
sans les derniers sacrements, et enterrés sans office funèbre, au coup
monstrueux porté à toute la structure spirituelle de la Russie on n’a
évidemment pas envie que quoique ce soit de comparable advienne à nouveau,
(bien que nous comprenions que cela se répètera un jour, c’est précisément à ce
propos que fut écrit « l’Apocalypse »).
Comment, en ce cas, nous enjoignez-vous de réagir
devant le méchant enfant Sokolovski, qui hait tout et tout le monde, en
particulier la foi et les croyants ? Ce nietzschéen en chambre pue « sa
Majesté des mouches » de Golding à plein nez. Et si l’on permet à ses semblables de
continuer leur « hate speeches », alors assez bientôt, il s’en
trouvera un qui décidera de passer de la parole aux actes.
Souvenons-nous comment le 9 février 2014, un criminel
inspiré précisément par le « hate » antichrétien, a déclenché une
fusillade dans une église de Ioujno-Sakhalinsk
et tué une moniale et un paroissien.
Je dois avouer que je ne me rappelle pas un seul cas où un croyant
orthodoxe, fils de l’Eglise Orthodoxe Russe, soit tombé sur des athées ou des
sectaires anti église, par haine de ceux-ci, et ait tué quelqu’un. Le contraire se produit avec une régularité bien
connue, depuis le massacre pascal du monastère d’Optino en 1993.
Et vous, ceux qui vous ressemblent, monsieur Pozner,
ou vos compagnons de lutte contre l’Eglise Russe comme monsieur Nevzorov,
portez la responsabilité la plus directe de cette atmosphère de haine et de
meurtres, de cette intonation du journal « le mécréant à la presse »,
qui revient dans notre vie sociale.
C’est pourquoi n’allez pas raconter que Sokolovski est
jugé pour ses convictions, ou que les griefs de la partie orthodoxe de la
société à votre égard sont liés à vos convictions, à ce que vous estimez qu’il
n’y a pas de Dieu.
En réalité, vous comme vos jeunes imitateurs du genre
de Sokolovski, considérez que Dieu existe, mais vous voudriez le tuer, le tuer
en nous, en nos enfants et petits enfants. Et je présume que nous avons
pleinement le droit de nous défendre en accord avec la loi.
Vous pouvez ne pas croire, mais vous ne pouvez
impunément convertir votre incroyance en haine, surtout quand les conséquences
de cette haine, née de l’incroyance, laisse encore des cicatrices sur notre
terre, sous la forme des églises détruites et des tombes anonymes des saints
tués par les mécréants. Votre haine a coûté trop cher à notre peuple.
https://tsargrad.tv/articles/otkrytoe-pismo-gospodinu-pozneru-ateistu_63841
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