Il fait un froid
terrible. Ce matin, il neigeait, et la neige tenait, je n'en croyais pas mes yeux. Je n'irai nulle part, journée bricolage au chaud.
Je me suis décidée hier à
retourner au café français, mais d’y entrer sans Doggie m’a bouleversée et je
me suis mise à pleurer. La vendeuse et la patronne sont venues me faire des
câlins. Je ne pense pas que cela me serait arrivé en France !
Puis le patron est
arrivé, il a compati. Sa femme Angélika m’a dit qu’eux-mêmes avaient pleuré un
chien pendant trois mois et s’abîmaient dans cette douleur sans pouvoir en
sortir : « Il ne faut pas laisser s’installer une telle situation, et
il ne faut pas culpabiliser, ils ont aussi un destin… »
Ils m’ont présenté une
jeune femme, Macha, très charmante, très jolie. Elle veut ouvrir une sorte de
centre culturel avec une école alternative, pour faire vivre le pays, pour que
les Moscovites, comme elle installés ici, y trouvent un intérêt et un endroit
où instruire leurs enfants, quand le système scolaire habituel ne leur convient
pas. Je l’intéresse beaucoup, pour l’enseignement du français, aux enfants comme
aux adultes. Je ne meure pas d’envie de travailler, mais nous avons une
conception commune de l’apprentissage, naturel, organique, créatif, avec une
motivation sensible. D’autres français pourraient prendre place dans un tel
projet, soit au sein de l’école, soit dans les ateliers ouverts aux adultes et
aux enfants : tout pourrait être proposé, cuisine française, théâtre en
français, tout ce qui pourrait faciliter l’apprentissage au travers d’activités
motivantes. De plus, j’ai tout de suite pensé que Sacha Joukovski et sa femme,
qui voudraient s’installer à Pereslavl, pourraient dans le cadre de ce projet
faire ce qu’ils faisaient à Moscou dans leur maison de la culture, transmettre
les jeux, comptines, chants et danses traditionnels. Skountsev pourrait venir y
tenir des stages d’une semaine ou plus, ou moins, selon ses besoins. Micha
pourrait s’inscrire là dedans aussi, avec sa méthode d’approche de la musique
par tout le corps. J’avais justement envie de participer à quelque chose de ce
genre, qui construise l’âme des gens, la mette en relation avec son
environnement et son arrière-plan culturel particulier.
Je ferai certainement
un atelier pour les petits avec des activités manuelles et artistiques, des
chants, des contes, en français, comme à la maternelle. J’en ferai un aussi
pour les adultes, elle en voudrait quatre, cela me paraît beaucoup, mais en
tous cas, la chose mérite réflexion.
Je pense que dans le
naufrage en cours, des Français émigrés pourraient jouer un peu le rôle, dans l’immense
empire eurasiatique russe qui se dessine et résistera probablement à la
tempête, des docteurs de Constantinople réfugiés à Venise, lorsque la
civilisation byzantine avait été effacée par l’invasion turque. Apporter ce qu’il
restera de leur civilisation disparue. Car naturellement, ceux qui éprouvent le
besoin de partir sont ceux qui en sont porteurs et qui sont désormais
complètement minoritaires. Les autres s’en fichent complètement, sinon, ils ne
suivraient pas le joueur de flûte des banquiers prêt à les vendre à n’importe
qui.
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