Le temps épouvantable
se poursuit, il neige, puis il pleut, on patauge et dérape sur la glace fondue,
le ciel est gris, la terre marron. Je devais aller à Moscou hier et sentait un
refus total de mon organisme. Je suis fatiguée par le temps, la pâtisserie.
Didier pense qu’à 65 ans on est en pleine forme, sa mère qui en a 75 travaille
malade, moi je n’ai pas la religion du travail. J’essaie de le faire
correctement quand je suis obligée de le faire, mais je n’en ai pas la
religion.
Lorsque je me suis
décidée à partir, j’ai trouvé le bus bondé : je n’ai pas pu embarquer. Il
fallait revenir une heure et demie plus tard ou se cailler en attendant dans un
décor sinistre, et pas sûr que j’aurais eu de la place dans le suivant, pour lequel on
ne peut pas acheter les billets d’avance, parce que c’est un longue distance et
pas « notre autobus » qui fait exclusivement Pereslavl Moscou et
réciproquement.
J’ai donc opté pour le
monastère saint Théodore. Je me suis confessée, j’ai communié. La sœur Larissa
m’avait ménagé une place assise dans la chapelle latérale sainte Nathalie et
saint Adrien, où se tenait la mère de Pierre le Grand et où les éclopés
trouvent refuge. Le problème est qu’on entend moins bien, et comme c’est en
slavon, plein de choses m’échappent, seule une fréquentation assidue peut
permettre à la plupart des Russes de comprendre complètement ces lectures,
quand ils les savent pratiquement par cœur, si c’est possible.
J’étais épuisée et
dans un état de semi-conscience vaseuse, les vieilles échouées autour de moi
étaient pleines de sollicitude : le fait d’avoir accès à la chapelle
signifie en soi que nous en sommes toutes au même point ! L’unique jeune
femme du lot avait un lumbago…
La sœur Larissa m’a
fait des cadeaux, j’ai eu droit à l’assiette de plastique décorée d’une photo
du monastère. On a offert à tout le monde un livre : « l’influence
des mauvais esprits sur notre vie ». Puis tout le monde est allé au
réfectoire. Le chœur a chanté des noëls. Des gosses ont récité des vers. Une
adolescente a chanté une abominable chansonnette aux accents américanoïdes sur
la nouvelle année. Une jeune fille lui a succédé avec le même genre de
répertoire. J’aurais pu me lever et chanter un noël français ou même russe,
mais j’étais trop fatiguée.
Je trouvais les gens
fort gentils et touchants, mais le mauvais goût, qui s’infiltre jusque dans ce vénérable
monastère, bâti au XIV° siècle, embelli par Ivan le Terrible et plus tard par
Pierre le Grand ou sa mère, me consterne profondément. Je devrais en avoir l’habitude,
mais depuis que je suis au monde, je n’ai jamais pu m’y faire et c’est même ce
qui m’a toujours fait considérer mon époque avec méfiance et aversion : sa
laideur, marque du diable, la laideur du toc, du faux, du clinquant et du
bariolé, du bling bling, de la poudre aux yeux.
A Solan, tout est en harmonie, dans la nouvelle église et les bâtiments
d’habitation, tout est simple, beau et s’accorde, pas une fausse note. A saint
Théodore, malheureusement, comme dans tout Pereslavl, toute la Russie
soviétique et post-soviétique, c’est plutôt la cacophonie. L’évêque fait bien
de se préoccuper de la résurrection du folklore...
Autrefois les gens connaissaient de nombreux noëls et aussi des refrains de quête, car on allait avec une grosse étoile de maison en maison demander des friandises, et l'on pratiquait toutes sortes de jeux carnavalesques et bouffons avec des masques, dont par exemple celui de la chèvre, est probablement un rite de fertilité païen. On se livrait à la divination avec un miroir et une bougie, dans la cabane de l'étuve, dans l'espoir de voir le visage de son futur fiancé.
Avant de partir, tout le monde a décroché sur le sapin des moniales un petit rouleau de papier brillant: c'était notre message spirituel pour l'année qui vient. Voici le mien:
Préparez-vous aux souffrances et elle seront allégées, refusez la consolation et elle viendra à celui qui s'en considère indigne. Saint Ignace Briantchaninov.
Le taxi qui me
ramenait, et que je partageais avec une autre bonne femme, expliquait à
celle-ci que j’étais une vraie Française, et que personnellement, jusqu’à moi,
il n’en avait jamais vu qu’à la télé. Il
voudrait des cours de français. «Et avec qui allez-vous pratiquer ça ? Lui
demande sa passagère.
- Le patron du café la
Forêt est français, son pâtissier aussi ! dis-je
- Voilà, conclut le
taxi. Ca fait déjà deux ! »
Accompagnement de la chèvre chez des cosaques du Kouban
Nous ne venons pas tout seuls, nous amenons la chèvre.
Et notre chèvre vient d'arriver de Moscou.
Elle vient de Moscou, avec ses longues tresses, ses petits chevreaux.
Ohoho la chèvre, ohoho la chèvre grise,
Ne va pas la chèvre à Mikhaïlovka.
a Mikhaïlovka, ils sont tous chasseurs.
Ils ont blessé la chèvre à l'oreille droite
De son oreille gauche a coulé du sang. voilà la chèvre qui tombe, la voilà morte.
Hé toi, Mikhanos, souffle-lui sous la queue!
Hé toi, Gavrila, souffle-lui dans le museau!
Voilà la chèvre qui se lève, la voilà vivante!
Tape, tape du pied, pique, pique de la corne.
Où la chèvre lève la queue, voilà le blé en gerbe.
Où la chèvre pique de la corne, voilà le blé en meule.
Où la chèvre passe, voilà le blé qui lève.
J'avais mis ce jeu en scène avec mes enfants de grande section de maternelle à Moscou.
Des enfants recueillent des friandises
Joyeux Noël!
RépondreSupprimerJe viens de lire un billet d'un habitant de Voïvodine qui se réjouissait de fêter Noël deux fois... comme chaque année. Les Bunjevci sont des catholiques " primitifs' qui vivent avec les Serbes orthodoxes depuis toujours, et leurs familles sont étroitement imbriquées.
Le Monastère de Saint Théodore est vraiment joli, avec sa belle église ancienne et l'autre église, au toit bleu… Par contre, l'environnement n'a pas l'air bien extraordinaire, plutôt du genre « industrie abandonnée ». Le Monastère se situe non loin d'un beau lac. - Évidemment, à Solan, c'est une démarche spirituelle « de haut niveau » ! Ce sont des gens qui savent ce qu'ils font, et pourquoi ils le font… Par contre, en Russie, c'est une Orthodoxie de masse, portée par la culture nationale - une Orthodoxie coutumière, pratiquement une question de gènes… On ne saurait donc s'étonner d'y trouver un peu de tout, « kitch » compris. Ce sont d'excellentes gens, remplies de bonnes intentions. Certainement, elles iront au Ciel sans grand problème. Avec notre esprit incorrigiblement occidental, nous y trouvons des défauts. Mais soyons assurés que ces « défauts » restent invisibles et indécelables aux yeux de ces pieux fidèles.
RépondreSupprimerNaturellement, mais je vois un phénomène d'ordre mystérieux dans la pénétration du kitsch et tout simplement de la laideur dans le tissu social des peuples contemporains. La beauté était naturelle, elle était présente partout, et voilà qu'elle disparaît et que non seulement elle disparaît mais on la fait disparaître. Pourquoi les bolcheviques se sont-ils acharnés sur toutes ses manifestations? Il fallait faire perdre jusqu'au souvenir de la beauté du monde précédent qui aurait pu en donner la nostalgie aux esclaves de la technologie que nous devenons tous, post-communistes ou post-capitalistes que nous sommes, également victimes d'un matérialisme et d'un progressisme avilissants et réducteurs. Je ne sais plus quel personnage républicain français se vantait d'avoir "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeraient plus". Il s'en vantait... discerner le beau du laid revient souvent à discerner le vrai du faux et le bien du mal.
Supprimer« Éteindre des étoiles qui scintillent dans le ciel » : quelle horrible chose ! - Les bolcheviques avaient un certain talent pour détruire tout ce qui était beau mais, chose assez curieuse, ils ont respecté certains objets, qui étaient auréolés du « sacré » qui émanait de la personne du Tzar. La couronne impériale a subsisté, et, si je ne me trompe, le trône du Patriarche qui se trouve dans l'église du Christ-Sauveur à Moscou, est l'objet original, alors qu'il aurait été si facile de le détruire ou de le brûler… Les bolcheviques avaient une sorte de maniaquerie du classement, ce qui fait que de très nombreux documents et témoignages ont été conservés jusqu'aujourd'hui. Mais tout cela n'est qu'une goutte d'eau, par rapport à ce qui a été sauvagement détruit ou qui a stupidement disparu. - Effectivement, la « sobre beauté » est une pierre précieuse, qui est plutôt rare…
RépondreSupprimerC'est comme ça que se sont conservées dans les réserves d'un musée et d'un institut les reliques de saint Séraphin de Sarov ou de saint Alexandre de la Svir!
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