Je me suis poussée à
sortir hier soir faire une petite marche à pied, car il fait froid, mais il y a tant de
soleil, et cela me fait du bien d’être à l’air libre. Je suis montée jusqu’à l’ancien
monastère, dont il ne reste rien, qu’une chapelle commémorative, une grande
croix orthodoxe et une pierre tombale. La neige est si blanche, sous le soleil,
et l’on ne sait où commencent les nuages, où s’arrête l’escarpement enneigé, il
semble que l’on marche en plein ciel, que l’on va tout à coup voir défiler des
anges, dans toute cette lumière radieuse et douce. Pereslavl s’étendait dans
une ombre bleue, et je voyais scintiller les coupoles du monastère saint
Nicolas comme une poignée d’étoiles. Le lac opalescent semble éclairé de l’intérieur,
et les arbres parfois prennent l’éclat lustré du laiton, comme autant de
chandeliers jaunes qui attendent que le printemps éclaire leurs innombrables
flammèches vertes. Et des oiseaux passent en bande. Un jeune père fait de la luge
avec son petit garçon de trois ou quatre ans.
Je me suis assise au
pied de la chapelle, dans le vent discret. Je pensais au spectacle que devait
offrir Pereslavl au XIX° siècle, avant l’effondrement. Je rêvais de la ville
invisible de Kitej où j’aimerais m’enfuir à jamais. Car dès mon enfance, je n’étais
pas de ce temps, d’ailleurs s’y adapter, n’est-ce pas se donner au démon ?
Cependant, les gros
nuages immaculés passaient dans leur
mouvement éternel et emportaient la lune, toute blanche, dans ce gouffre
profondément bleu qui me faisait face, et derrière moi, brillait une maison
jaune, elle brillait si gaiment, qu’elle éclipsait toutes les autres, les
neuves et moches et leurs palissades métalliques.
Le prince Alexandre n’était
pas loin de mon âme, et aussi le tsar Ivan et son serviteur Féodor, le tsar redoutable et son Peter Pan ténébreux, et je
conversais intérieurement avec eux, comme bien souvent, avec ces deux
personnages qui me semblent si malheureux, et envers moi, bienveillants. Mais
qui prie encore pour eux ? Sans nul doute, ils se raccrochent à cette
prière, comme Ariane à son fil, dans le labyrinthe des siècles désertiques.
Le paysage d'ici est plein de ces présences, ce qui fut m'est plus réel que ce qui est, ou disons que ne je puis séparer ce qui est de ce qui fut. Mon présent est plein de passé, mon présent est insondable et mon être millénaire.
La maison jaune |
Merci Lolo pour ce bon Moment de lecture
RépondreSupprimer