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jeudi 9 août 2018

AUX SOLOVKI - 1 - La saint Elie



Le soir, sur la rivière Itkla
Après en avoir rêvé pendant 30 ans, j'ai décidé, accompagnée des artistes peintres  Sacha et Anna Messerer, qui ont une datcha à côté de Ferapontovo, de me rendre aux îles Solovki, dans la mer Blanche, à la rencontre du métropolite martyr Philippe de Moscou, qui était higoumène dans le célèbre monastère du grand nord, avant d'accepter la charge proposée par Ivan le Terrible. Ma première étape était donc Ferapontovo, 450 km plus au nord. C’était déjà un long voyage. Comme le paysage ne change pas vraiment, on a l’impression de faire du sur place. Anna m’avait écrit de prendre à Vologda la direction de Medvejegorsk, Vyterga, je croyais que c’était dans leur coin et je vois l’un à 300 km et l’autre à 600…
A mon arrivée,  Anna m’a montré l’endroit où la famille se baigne, un ponton dans la rivière. J’ai eu l’impression de me trouver dans un film de Tarkovski.  Comme je me lève tôt, je suis allée nager le lendemain matin. L’eau était douce et tiède, un peu boueuse, on dit ici qu'elle "fleurit", très lisse. Le silence n’était troublé que par le lointain vrombissement d’une route, l’eau froissée, les oiseaux. Les mouettes joignaient l’éclat blanc de leur vol rapide à celui de leur cri. Quand j’étais petite, et que j’entendais le pinson, il me semblait qu’il chantait : « tip, tip, tip, Madagascar ». Et les mouettes du nord crient : « K riekie ! K riekie ! K riekie ! » (à la rivière, à la rivière, à la rivière !)
Je nageais et me disais que la Russie, il faut la connaître aussi en se baignant dans ses cours d’eau, en traversant les reflets du ciel dans leur miroir, quand les algues, nous effleurant dans cette soupe fraîche et douce, évoquent  les chevelures des ondines à l’affût.

les enfants Messerer sur le ponton

Le naufrage de la maison grise

Ensuite nous avons suivi la procession qui va du magnifique monastère de saint Théraponte à l’église saint Elie, dont c'était la fête. Sacha voulait le faire en voiture, mais on lui avait mis d’autorité une icône dans les mains pour l'inclure dans le mouvement. J’ai suivi aussi, à pied, parce qu’en voiture, ce n’est pas pareil.
La procession quitte l'église

Saint Théraponte est un ensemble extrêmement harmonieux d’églises médiévales aux dentelles de briques passées à la chaux, de petites coupoles inégales et pareilles à des fleurs. Dans l’église en activité, j’ai vu une superbe iconostase de bois sculpté, très élégante, très originale. Je n'aime pas ce qui est postérieur à Pierre le Grand, généralement, mais je dois avouer que c'est une réussite esthétique, pleine de charme et de fraîcheur, bien que ce ne soit pas exactement les qualités que l'on doit attendre d'une iconostase.

l'iconostase du XIX° siècle

détails de l'iconostase

détails de l'iconostase

L’église saint Elie est toute en bois. Elle était en ruines, un enthousiaste l’a restaurée. On y voit les habituelles photos des prêtres martyrs locaux. Là encore, magnifique iconostase en bois sculpté et une belle exposition de deux artistes inspirées par l’art populaire, Alina et Genia. Genia chante aussi des chants populaires, de ce style incantatoire qui remonte à la nuit des temps.
L'église saint Elie

la coupole de saint Elie




Il y avait une foire, ensuite, au pied de l’église. La saint Elie est le moment où l’on arrête généralement de se baigner car le temps ne le permet plus. Il faisait très chaud, et nous avons reçu avec plaisir la fraîche pluie de l’eau bénite que le prêtre jetait sur nous à grands coups de goupillon. Mais cela ne durera pas très longtemps, et l’on voit déjà de petites touches dorées ou rouges dans les feuillages.
J’ai discuté avec un ensemble populaire d’Arkhangelsk, qui m’a chanté une chanson rien que pour moi, car je n'étais pas sûre de pouvoir rester jusqu'au moment de sa prestation. J’ai su après que c’étaient des vieilles qui ne s’étaient encore jamais produites et ne chantaient jusque là qu’entre elles.

Je ne tenais plus sur mes jambes et à cause de la chaleur, j’avais mal à la tête.  On m’a proposé de me ramener en voiture, mais la voiture était si loin que j’ai fait la moitié du trajet à pied. La propriétaire de la voiture cavalait comme un lièvre, avec Anna, devant, et je boitais loin derrière. Je ne pouvais ni courir ni même hâter le pas. Les Messerer sont plus jeunes que moi de dix ou quinze ans, ça fait toute la différence, ce sont les dix ans qui vous font comprendre que votre corps et vous ne vont plus bien ensemble… A la fête, j’ai rencontré un potier, un type à moitié russe, à moitié hongrois qui vit seul dans un village et parle français. « Cela doit être dur, pour une femme, d’être seule, m’a-t-il dit, même pour moi, ce n’est pas facile, et pour l’instant j’arrive à couper mon bois, mais le jour où je ne pourrai plus ? »
C’est un homme encore très beau, avec un visage médiéval. Ses poteries aussi sont belles. Il m’a confirmé qu’on avait interdit aux paysans, dans les années 50/60, de pratiquer leur artisanat traditionnel, raison pour laquelle dans toutes ces foires typiques, ce qu’on vend comme « souvenirs », c’est toujours de la merde et les gens ne savent même plus ce que c’est que des objets authentiques. Je n’avais d'ailleurs pratiquement pas envie d’acheter.
 
Le lac devant la maison de Sacha Pesterev
A notre retour au village, nous nous sommes arrêtés chez un artiste peintre qui va venir avec nous aux Solovki, Alexandre Pesterev. Sa maison est de très bon goût, très agréable, et elle donne directement sur le lac. Nous sommes allés nous y baigner. L’eau était plus fraîche, plus agitée, et je regardais la lumière jouer à travers les roseaux qui ondulaient souplement autour de moi, en échangeant des murmures. Puis en m’éloignant, j’ai vu le monastère, ses coupoles fantastiques, au dessus de l’eau d’une couleur que je ne vois qu’à ces lacs du nord, d’un gris souple et mauve, sourdement habité de reflets d’or.  Deux immersions totales m’ont guérie de ma migraine commençante.
Ensuite, nous avons dû aller chez Alina, qui le voulait absolument, et c'est une personne très charmante, entre toutes ces invitations,  je n’ai pas arrêté de manger de la journée. Je commençais à être complètement hébétée, et le soir nous avons remis ça chez un peintre du coin, Oleg, dont la femme fêtait son anniversaire. Cela se passait dans un joli jardin près d’une vieille maison, avec une  compagnie adorable,  des gens spontanés, bienveillants. Il y avait Génia, la chanteuse aux sculptures de bois, et elle a chanté, moi aussi, un jeune homme m’a interprété une chanson de marins en français. Son père est devenu moine aux Solovki, et il nous a donné son numéro de portable.
 Une dame m’a expliqué qu’elle avait quitté Moscou pour Férapontovo, elle travaille pour le musée, et vit seule à la campagne avec deux chiens. Elle est perpétuellement confrontée à la faune sauvage : élans, ours et loups. C’est une grande spécialiste du toast, elle en porte d’intarissables, avec des tas de compliments. Les Russes se réunissent pour se dire mutuellement tout le bien qu’ils pensent les uns des autres. Chaque fois qu’on lève son verre, c’est pour chanter les louanges de quelqu’un.
Je dors dans une vieille maison qui coule à moitié dans la terre.  Ses parquets ont aussi du gîte, c'est comme si on se trouvait dans un bateau, pris dans une tempête figée.. C’était celle du barine local, elle est plus jolie, plus simple que celles des oligarques modernes. Elle est encombrée de tout un tas de trucs, avec quelques antiquités. Anna et Sacha veulent la restaurer, mais en attendant de pouvoir le faire, ils en ont construit une plus petite, un peu plus loin… Le soir, des brumes traînent dans les champs, et la lune monte au travers, grosse goutte d’un orange rosé, sanguin, prise dans leurs filets gris.

Le matin, au réveil

La rivière Itkla

une barque...

Fleurs aquatiques

le ponton


2 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour ce récit trés vivant et ces superbes photos, nous avons l'impression d'être à vos côtés et de connaître un peu vos amis russes...Belle fin d'été!


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