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jeudi 15 novembre 2018

La mouche et l'abeille



Le prêtre de l’église du Signe, le père Alexeï, m’a contactée parce qu’il a vu le rédac chef de Thomas, Gourbolikov, et que celui-ci lui a parlé de moi. De son côté, Dany, à Paris, à la rue Daru, a rencontré l’évêque de Pereslavl, monseigneur Théodore, le monde orthodoxe est petit…
J'ai reçu aussi un coup-de-fil d'une femme que j'avais connue quand j'avais ma datcha, "la comtesse", qui était effectivement comtesse, de Saint-Pétersbourg. Elle vit maintenant à Pereslavl, dans sa maison de famille, à côté du monastère saint Théodore.
Je suis contente de me faire des amis sur place, car depuis que j’ai Rita, je ne sais plus comment aller à Moscou. Elle n’est pas propre. Bien sûr, elle comprend que lorsqu’elle fait pipi dehors, elle a une « vkousniachka » et se précipite vers l’armoire où je garde les friandises pour chien, mais elle n’a pas le réflexe de demander à sortir, ni même de sortir seule à travers la chatière, ce que faisait Doggie. Elle est contente de sortir, maintenant, elle aboie joyeusement dans le jardin. Mais pas sans moi…
Je l’ai emmenée promener hier avec Rosie, et elle marche beaucoup plus volontiers. Rosie la défend, pour elle, elle fait partie du troupeau, avec moi et les quatre chats. Rosie monte la garde avec un air très compétent. Elle fait des rondes jour et nuit, inspecte même la maison, c’est comme si j’avais un flic à domicile. Au retour de la promenade, nous sommes passées devant un chemin au bout duquel vivent des chiens errants, que je n’avais pas vus depuis longtemps. Rita a fait mine de s’y engager, et bien qu’il n’y eût personne à l’horizon, Rosie s’est précipitée pour la décourager, en tournant autour d’elle et la mordillant, si bien que je l’ai prise dans son sac. La minute suivante, les chiens sont arrivés. Et Rosie est restée sur le chemin pour leur barrer le passage tandis que je m’éloignais avec Rita…
Tout était gelé, terne, mais très graphique, avec ces fleurs sèches devenues une sorte d’écume terreuse qui moutonne, gorgée des graines des floraisons futures, sous les branches nues . Il y a de plus en plus d’ordures, partout, de bouteilles en plastique, les gens ont-ils plaisir encore à venir pique-niquer dans une décharge en apportant, à chaque fois, leur contribution à ce désastre ? Leurs maisons elles-mêmes, qui pullulent insolemment et sans autorisation sur l’escarpement et cachent le monastère tout en cassant l’ambiance, ressemblent à de gros déchets de plastique, et sans doute que leur âme aussi, prend cette allure-là… sinon, ils vivraient et construiraient autrement.
Le lac gelé a pris cet aspect laiteux et opalescent qu’il a en hiver. La neige se fait attendre, mais elle recouvrira bientôt miséricordieusement la plupart des disgrâces. Dans le marais, un arbre brisé étale de grandes ailes osseuses de ptérodactyle, Rosie va et vient, elle casse la glace pour boire là où il y a encore de l'eau dessous, et cherche des proies, en sautant verticalement comme un renard polaire. Rita me suit comme mon ombre, mais trottine et renifle. 
Les commentaires des communistes, sur Facebook, me glacent le sang. Youri Shoubine en a de toutes sortes, sa page est une sorte de forum, où il admet tout le monde, entrant patiemment en discussion avec n’importe quel imbécile, ce que je n’ai pas le courage de faire, et lorsque cela m’arrive, j’ai du mal à rester sereine. En cela, pourtant, il répond aux désirs du patriarche, qui nous demande de ne pas laisser internet aux trolls... Il a mis la photo d’archive d’une des innombrables victimes des purges, une folle en Christ de 90 ans, fusillée au terme des joyeusetés que l’on sait, emprisonnement, interrogatoires musclés… « Elle a eu ce qu’elle méritait », écrit une communiste. Et en dehors de son âge, qui à lui seul aurait pu décider des juges humains à la laisser mourir tranquille, qu’avait-t-elle fait qui méritât cela ? Des gens venaient la voir avec vénération dans son appartement et lui demander des conseils spirituels… En effet, la mort était pour cela un châtiment trop doux. La mentalité idéologique est une maladie mentale. Parce qu’à côté de cela, il y a des gens, sympathisants communistes par horreur du libéralisme ou par amour de la justice (il y en a quelques uns), qui admettent et regrettent ce qui s’est passé. Mais le vrai pur et dur ne regrette rien, il ne demande qu’à recommencer les délations, les exécutions, il partirait joyeux garder la chiourme, toute personne qui lui paraît se mettre en travers de son illusion forcenée et de son idolâtrie des bourreaux est un ennemi mortel à exterminer, du tsarévitch Alexis jusqu’à la vieille folle-en-Christ, en passant par les paysans, les vielleux, les cosaques et les poètes. J’avais une amie orthodoxe qui me disait dans les années 90, à propos des vieux qui défilaient avec la photo de Staline : « Je ne les plains pas, ce sont eux qui ont laissé s’installer tout cela et qui y ont contribué, ils en récoltent maintenant les fruits. Les vieux normaux, leurs familles et leurs paroisses s'occupent d’eux. »
Un autre communiste, en commentaire à un article que j'ai traduit sur les turpitudes de l'abominable "patriarche" Philarète, (et c'est effectivement Iznogoud, le vizir qui voulait être calife à la place du calife, en beaucoup moins drôle), décrète que Staline avait bien raison de tenir les popes avec un collier de fer. C'est-à-dire qu'il voit en Philarète, qui, avant de se rabattre sur les néonazis, avait construit toute sa carrière en mouchardant pour le KGB, soit pour les organes de son cher pouvoir communiste, et envoyé les prêtres et hiérarques ukrainiens en taule par paquets entiers, la justification du martyre et de la persécution de tous les saints prêtres et laïques des répressions bolcheviques et staliniennes. Mais il ne voit pas la gueule de l'apparatchik pourri Koutchma, cauteleux et vicieux jusqu'à la moelle, lui aussi pur produit de son régime bien-aimé. Et il ignore le métropolite Onuphre, ses hiérarques fidèles et les 60% d'orthodoxes ukrainiens qui n'ont jamais trempé dans ces magouilles et en souffrent même tous les jours. Cela me rappelle l'histoire de la mouche et de l'abeille, l'une trouvant toujours la merde, et l'autre les fleurs, de par leurs natures respectives.







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