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dimanche 28 janvier 2024

Enfer

 


Une proche me dit au téléphone: "Question gouvernement, nous sommes dans la saloperie grandiose, la révolution française, les bolcheviques, tout ça, c'était juste le brouillon. Si j'étais croyante, je dirais que nous sommes en plein satanisme, que c'est l'apocalypse... Tu comprends, avant, on avait encore affaire à des hommes, si pourris fussent-ils, et maintenant, on ne sait même plus ce que c'est ni comment les appeler."

Le même jour, je reçois un message d'une jeune femme d'origine russe qui veut faire sa répatriation, comme on dit ici. Il se termine de cette manière: "La situation est vraiment catastrophique ici dans tous les domaines. Je ne peux presque plus m’exprimer sur la réalité, même dans mon entourage pour éviter les problèmes. Les mots ont perdu tout leur sens et il y a une inversion en tout. C’est terrible. C’est l’enfer dans l’indifférence générale."

Et puis je trouve un message en anglais. De vieux américains qui veulent émigrer en Russie. Ma correspondante m'écrit en anglais, mais elle lit le français, et mon blog.

Ma parente me fait un tour d'horizon de notre entourage. Et à l'image d'un pays malade, en proie à des maléfices particulièrement retors, se superpose celle de destins tragiques, de névroses diverses. J’ai une impression de naufrage, naufrage de mon pays, et naufrage de gens qui m'étaient proches, à l’exception des plus simples, des plus traditionnels et des plus anciens d’entre eux. On dirait un roman français contemporain, justement, un roman désespéré, où les gens ne croient en rien, et sombrent, incapables de faire face aux désillusions, à la vieillesse. Où trouveront-ils la force de s'opposer à ce qui se passe? "L'enfer dans l'indifférence générale". Je ne voudrais pas avoir la prétention de me croire sauvée, mais je pense que malgré tout, lorsqu’on marche derrière Dieu et dans l’Eglise, on est protégé de bien des choses, on est à l'abri, on n'est pas tout seul, on est orienté, et l'on reçoit une force, qui n'est pas la nôtre, mais à laquelle nous sommes entraînés à ouvrir le coeur. 

L'aboutissement des destins dont je décris le départ dans mes mémoires jette une toute autre lueur sur cette époque dont on se souvient avec tant de nostalgie, et moi aussi, dans un sens, parce qu’elle était encore relativement normale, les gens étaient gais et optimistes, ils chassaient de leur esprit tout ce qui pouvait remettre en question la toute puissance du Progrès. La Science, la Médecine et la Technique allaient tout résoudre. « On n’était plus au moyen âge ».

Et voici que dans notre crépuscule, cette parente me dessine au téléphone les contours du Moloch vorace vers lequel on nous faisait tous courir. Et je n'ai d'autre solution à proposer, à l'échelle globale ou individuelle, que de commencer à prier.

Curieusement, l'article de Slobodan dans l'Antipresse est tout à fait dans ce thème. Il fait l'éloge d'un roman qui lui est consacré et je ne déflorerai pas le sujet, mais il touche justement à ce qu'évoquait ma parente, la complète inhumanité des clones à l'oeuvre. 

Il y a, on l’a vu plus haut, une différence ontologique entre le Macron® et toute la lignée des dirigeants — rois, empereurs, régents, présidents — qui l’ont précédé. Même le lamentable Hollande, jet de diarrhée dans un collant en latex(1), était encore un résidu de l’ancienne société. Il avait des décennies de militantisme, de grenouillage et de réseautage derrière lui. En un mot: une biographie politique. Macron®, en revanche, est un produit: il a une notice. Le produit en question n’est pourtant pas inerte: il est toxique. Pour le comprendre, il faut d’abord savoir, comme le savait Hannah Arendt, que le Mal commence déjà là où le Bien bégaie. Son œil est «une vitre au travers de laquelle aucune âme ne brille», son regard est d’une hiératique fixité. Il ne voit pas les gens. Ce n’est pas un homme du plaisir commun, note Boucher, et s’il jouit, ce ne peut être «que dans une des formes les plus alambiquées, les plus perverties de la jouissance. Dans une des formes les plus abouties du mal» (p. 68). Il a donné un aperçu de ses plaisirs en se complaisant dans la transgression gratuite de tout ce qu’il y avait à transgresser au royaume de France. Comme le dit l’un de ses cireurs de bottes les plus empressés, «il incarne tout ce dont les Français ont peur». L’envoûtement est tel que ce journaliste de succion ne remarque même pas la perversité de son compliment.

https://antipresse.net/aparchive/426426/Antipresse-426.pdf

Ce même Slobodan avait dit un jour que les dirigeants russes n'étaient pas des anges, mais qu'au moins, par rapport à leurs collègues occidentaux, ils n'étaient pas dingues. Je dirais en complément de la déclaration de ma parente, qu'ils restent dans la catégorie humaine, alors qu'à la tête de "l'Occident collectif", on ne sait plus comment appeler ce qui s'y trouve, y grenouille et médite notre perte et notre spoliation.

Un avion russe transportant de nombreux prisonniers ukrainiens a été abattu par les Ukrainiens eux-mêmes, enfin les forces ukro-atlantistes, et le délégué russe à l'ONU prend soin d'en parler en français devant ses collègues, pour éviter les traductions et les interprétations félonnes. Il sait qu'il n'y a plus aucune règle, aucune conscience en face de lui. Que le mépris est total, chez ces gens, et de la population ukrainienne, de ses soldats, de plus en plus souvent contraints et forcés, et de leur propre population, dont ils ne sont absolument pas solidaires, qu'ils considèrent comme du bétail et qu'ils sacrifieront sans problème pour puiser dans d'inépuisables réserves de serfs exotiques.

https://vk.com/loralira?z=video598629731_456246570%2F15d06778deea9b310e%2Fpl_wall_19879744

vendredi 26 janvier 2024

Opération

 

Igor Strelkov a été condamné à quatre ans de prison pour des propos acerbes et critiques à l’adresse  du gouvernement russe, je trouve cela complètement exorbitant, surtout quand on voit combien de russophobes actifs continuent à agir ici dans l’intérêt et l’esprit de « l’Occident collectif ». Je pense que ce n’est pas seulement injustifiable du point de vue de la justice, c’est une erreur politique qui ulcère les patriotes, et avant les élections, c'est même difficilement explicable

. Avec ce que méditent les mondialistes, l’hypothétique maladie très mortelle et très contagieuse, accompagnée du vaccin juteux et des mesures liberticides correspondantes, j’estime que si la Russie ne quitte pas l’OMS et continue à obéir aux ordres des malfaiteurs et des dingues du mondialisme transhumaniste, les soldats russes seront morts en Ukraine pour pas grand chose, et je ne parle même pas des soldats ukrainiens sacrifiés par centaines de milles sur l'autel de Moloch. Les affreux de la Caste nous annoncent carrément la couleur, une maladie qui n’existe pas, mais qu’ils prédisent, et ils la prédisent parce qu’ils la préparent. Nous avons des gouvernements soumis à des mafieux psychopathes prêts à tous nous rendre malades, ou même à nous tuer, pour assurer leur indigne et malfaisante domination sur la terre entière.

Enfin, j’apporterai le correctif que les enjeux de ce qui se passe sur le front dépassent largement et l’Occident collectif, qui sert Satan avec  zèle, et le gouvernement russe, qui subit peut-être des chantages, économiques ou autres, en plus des trahisons évidentes, qui mériteraient bien autant d’années de prison que celles dont on a gratifié un patriote grande gueule. Les soldats russes connaissent, semble-t-il, des révélations et des transformations profondes, et sont témoins de vrais miracles. Ils se conduisent avec courage et dignité, ils font honneur à leur peuple. Les nouvelles qui viennent de leur côté sont souvent dures, bouleversantes, et pourtant encourageantes, humainement, spirituellement. Je prends en compte le paramètre divin, prenez cela comme vous voudrez.

Ce qui m’inquiète aussi, dans le contexte, c’est l’attitude qu’avaient eue, au moment de l'opération Covid, le patriarche et son éventuel successeur, le métropolite Tikhon de Pskov, qui est maintenant métropolite de la Crimée et de la Novorussie. J’ai encore à l’esprit leurs exhortations à appliquer les mesures covidiques de l’OMS, le masque stupide, grotesque et asservissant, les QR codes et le vaccin meurtrier, dont on découvre de plus en plus la nocivité, les effets secondaires fréquents et considérables, sans savoir même ce qu’il nous réserve à long terme. D’après tout ce que je vois et entends, et je précise, de la part de spécialistes, de gens compétents, nous allons avoir de sacrées surprises, ce qui se passe maintenant, ce ne sont que les signes avant-coureurs, comme on dit ici, ce ne sont que les fleurettes, attendez les fruits. Comment en serait-il autrement quand c’est la mafia qui contrôle les gouvernements ?

Igor Drouz a participé à une émission de la télé nationale sur les partouzes de petites filles organisées par Epstein pour le gratin mondial dans son île aux enfants. Commentaire d’un de ses lecteurs pas content : « Oui, après cela, tout le monde va penser que Poutine est impeccable, parfaitement bien, que nous avons de la chance de l’avoir. » J’ai répondu : « Pas forcément. On ne pensera pas forcément qu’il est si bien, mais on pourrait simplement se dire qu’il n’est pas si mal que cela ».



J’ai fait la corvée annuelle d’aller au service d’immigration recevoir mon tampon sur le permis de séjour. Cela s’est passé beaucoup mieux que je le craignais, je n'ai même pas fait la queue. Et maintenant tout le monde me connaît, la juriste qui m'aide à préparer mon enquête m'a dit qu'elle m'avait vue à la télé! Dans la foulée de cette expédition, j'ai dû faire opérer Rita en urgence. Je trouvais qu’elle toussait un peu et pressentais qu’elle avait un souffle au coeur, elle n’en a pas, mais en revanche, on lui a trouvé une tumeur à l’utérus. La vétérinaire m’a dit que c’était une opération classique, et que je ne devais pas me faire de souci, mais je m’en faisais. A six heures, je suis partie la chercher, et dès le seuil de la clinique, j’ai su, en tous cas, qu’elle était vivante, car j’entendais des cris déchirants et immédiatement identifiables, qui se sont tus aussitôt que j’ai commencé à parler aux médecins. Elles m’ont dit qu’il était vraiment temps de l’opérer, qu’elle avait du pus, des kystes et autres horreurs, et je me sentais la dernière des salopes de ne pas l’avoir amenée plus tôt. Je suis très reconnaissante à mon ange gardien de m’avoir donné l'idée de le faire hier, cela faisait déjà quinze jours que j’y songeais, à vrai dire à cause de sa toux, pour le reste, je ne soupçonnais rien. Elle était vive, gaie, elle avait de l’appétit... C’est comme cela que j’ai négligé mon pauvre Doggie, et il en est mort, ce qui me hante toujours et me hantera jusqu’à mon dernier souffle. Grâce à Dieu, j’ai pu agir à temps avec Ritoucha. Au fond, je suis adorée des animaux, parce que je les traite bien, je les couvre d’affection, et je leur fous la paix, mais je ne sais pas les soigner, et je ferais mieux de ne pas en avoir. Il y a des moments où je me dis que si Dieu m'a privée d'enfants, Il avait de bonnes raisons pour cela.   

Elle était complètement tétanisée, hier soir et ce matin, et me regardait d'un air offensé. Je crois qu'en plus des conséquences de l'opération, elle souffre beaucoup d'être emmaillottée dans une espèce de combinaison. C'est ce qu'on met, ici, à la place de la collerette, et apparemment, cela ne lui plaît vraiment pas, mais la collerette lui plairait encore moins. Heureusement, elle est beaucoup plus docile que mon premier spitz, Joulik, j’arrive très bien à lui donner ses pilules, à nettoyer sa cicatrice. Je pense qu’elle va un peu mieux, car elle a grogné sur Georgette qui venait lui faire concurrence auprès de moi sur le divan. Si elle redevient hargneuse, c'est que la vie reprend le dessus...

La bonne nouvelle, c'est que son coeur n'est pas en mauvais état, elle m'accompagenra encore un bout de temps, mémère...

vendredi 19 janvier 2024

Bénédiction des eaux

 


Hier, veille de la Théophanie, fête pour moi très importante, je me suis laissée inviter à un repas entre copines, c'est-à-dire que moi, je n'étais vraiment copine avec personne, sauf Katia, ce sont toutes des jeunes femmes de Moscou récemment implantées ici. Du coup, j'ai loupé les vigiles. Il y avait une tempête de neige. J'ai dû aller au restau, à l'autre bout de la ville, en taxi. Cela se passait en face du musée, dont on voyait le portail sculpté du XVII¨siècle, blême dans la tourmente, avec une enseigne lumineuse nouvellement installée. Pour arriver au restaurant qui fait partie d'un hôtel, il fallait tituber dans les congères scintillantes, et la pénombre. La salle fait très repaire de moscovites, papier peint anglais à fleurs, lumières tamisées, et sans doute à cause du temps, nous étions les seules clientes. Et c'est cher. Je veux dire que je préfère aller dans des endroits plus modestes où l'on mange aussi bien, et la veille de la Théophanie, j'aurais même préféré rester chez moi. 

Le lendemain, j'ai dû déneiger avant de pouvoir reprendre la voiture, et je suis arrivée à la liturgie en retard, furieuse contre moi-même, mais je sentais malgré tout la douceur de la Théophanie, et je dois dire que souvent, il me tombe dessus à cette occasion, toutes sortes de tentations. C'est l'anniversaire de mon entrée dans l'orthodoxie. Cinquante-cinq ans.

Je suis arrivée à la confession, je raconte tout cela au père Andreï: "Oh mais n'en faites pas toute une histoire, cela nous arrive à tous, allez communier, bien sûr!"

En approchant du calice, je pensais au père Grégoire, au père Serge, au père Barsanuphe, à la mère Marcadé, à la jeune fille que j'étais alors, il y a cinquante-cinq ans. Je demandais l'intercession de ces pieuses et saintes personnes qui m'avaient mise sur la voie qui m'a menée ici aujourd'hui. Qui pouvait penser alors que je finirais en Russie?

Nous sommes tous passés ensuite à l'église voisine pour la bénédiction des eaux, par un temps clair, avec une belle neige propre, et les prêtres se faisaient, comme d'habitude, une joie de nous asperger. Mon âme baignait dans cette douceur, cette lumière, cette bienveillance.

Pour la première fois depuis des mois, j'ai entendu un oiseau chanter, ce matin, et le soleil a déjà un tout autre éclat, il chauffe un peu. Les oiseaux sont peu nombreux, j'ai peur que le gel n'en ait tué pas mal, malgré l'aide que je leur apporte. Je me suis rendu compte que les gens qui ont commencé à massacrer l'isba de l'oncle Kolia ont aussi achevé son magnifique bouleau, que le voisin avait déjà cassé en deux. A mon avis, ils doivent raffoler de la radio à tue-tête.

Quelque chose change, à Pereslavl. Le nouveau maire, appuyé par le gouverneur, a lancé un programme de rénovation de ce qui n'a pas encore été détruit, après avoir pris conseil des bénévoles du mouvement "Tom Sawyer Feast". J'ai moi-même reçu une série de questions à propos de la ville et de ce que j'en pensais. Je crois que cela va devenir plus pimpant et plus confortable, et, après la transformation de cette ville russe en favella de plastique avec châteaux américains et palais arméniens, on en fera      un lieu de villégiature moscovite chic et cher, avec des éléments pittoresques sauvegardés et peut-être un retour à une architecture plus couleur locale.

Le maire a créé une patinoire sur la place, devant la mairie. Il fait réparer certaines rues parmi les plus défoncées. En revanche, je redoute qu'on ne construise à tour de bras les bords du lac...

jeudi 18 janvier 2024

Messages de la Théophanie

 


J'ai repris depuis quelques temps la rédaction de mes souvenirs d'enfance, entreprise étonnante, parfois déroutante et même douloureuse. Et coup sur coup, je tombe sur deux vidéos qui m'ont rejetée plus de cinquante ans en arrière. J'avais envoyé à Dany la chanson de Trenet "Nationale 7", et youtube m'a proposé un reportage de 1968 sur cette route légendaire. Et que vois-je? Tout a été tourné entre les Blaches et Donzère, autour de Pierrelatte, où maman tenait l'Hôtel du Rocher. Le mistral souffle, les cigales chantent, et voilà le patron du Fer à Cheval, un relais routier, avec qui maman avait des relations professionnelles, il va faire ses courses, et l'espace d'un éclair, je revois l'épicier de l'époque, son grand nez et son béret... Tout cela si vivant, bien qu'en noir et blanc, il me semblait que je n'avais qu'à pousser une porte pour retrouver la cuisine de l'hôtel, son odeur de café, les croissants frais et maman qui fredonnait, la cigarette au bec, en garnissant un plateau pour les clients... 

Mais cette porte est malheureusement fermée, et je vois tout cela en perspective, à l'autre bout de mon trajet de vie. Comme tout a changé... les gens d'abord, simples, contents de leur sort. Ils travaillent, ne partent pas en vacances, mais ils sont contents, ils sont à leur affaire, ils ne se plaignent pas. C'est que justement, c'était leur affaire, les patrons de routiers, le paysan dans son champ, avare de paroles, qui laboure encore avec un cheval et laisse l'entreprise à son fils, tous ces gens-là, comme maman, et comme mon beau-père, travaillaient pour eux et chez eux. On s'apprêtait à les priver de tout cela, et déjà, artisans et petits commerçants protestaient, je me souviens. La machine infernale était en route.




Le jounaliste n'avait que peu d'affection pour les Américains, on n'était pas encore complètement à leur botte, c'était l'année maudite qui nous a fait basculer dans l'idiotisme total, avec sa révolution de couleur en peau de lapin, son Cohn Bendit impudent, ses petits trotskystes pustuleux. Je me rappelle mes condisciples en transes qui se prenaient tous pour Sartre ou Juliette Gréco et moi, qui faisais déjà le mauvais esprit et n'adhérait pas du tout à ce cirque. La Nationale 7 était encombrée et dangereuse, bruyante et puante au delà de ce que je me représentais dans mes souvenirs. On avait peur de la traverser, c'est vrai. Les gens, encore normaux, sans prétention, naturels, avec un français correct, se ruaient vers le midi dans leur jouet à quatre roues, pourquoi n'étaient-ils pas au boulot ou en vacances dans toutes les régions du pays? "Vous ne les enviez pas?" demande-t-on au garagiste, aux patrons des routiers, au paysan qui ne partent jamais. Non, non, ça va, ils ont tous leur affaire, ils ont leur maison, parfois bruyante, au bord de la fameuse route, mais on s'habitue. Ils sont leurs propres maîtres, ce que ne sont déjà plus les employés des villes qui se déversent vers les bacchanales du sud, une fois par an, au risque de leur vie. 

Ce paysan, si ça se trouve, mon beau-père le connaissait, il connaissait tous les paysans de la plaine. Sa fille est secrétaire à Paris, mais le second qui n'était pas doué pour l'école, allait reprendre la ferme. Comme disaient les profs de l'époque aux cancres: "L'agriculture manque de bras..." Mais de toute façon, le cancre en question, il ne voulait pas étudier. C'était peut-être pour cela qu'il étudiait mal. Parce qu'il n'entrait pas dans les cases. Mon beau-père avait eu son bac latin-grec; mais quand il s'était retrouvé en ville, il avait fait de la claustrophobie. A la ferme, il ne pouvait pas souvent partir, mais il était chez lui, il organisait son temps comme il voulait, il avait celui de se tenir au bord du champ et de regarder le ciel.



Deuxième vidéo, qui vient à ma rencontre: un an plus tard, en 1969, juste après la mort du père Grégoire Krug, dont il est question ici, j'arrivai à Paris pour étudier le russe aux Langues O, et mon professeur, madame Marcadé, en 70, m'emmenait à Vanves, pour me présenter le père Serge, père spirituel du père Grégoire, et les icônes de ce dernier. Les icônes du père Grégoire, ont été pour beaucoup dans ma conversion à l'Orthodoxie. Je dirais que trois événements culturels m'y ont poussée au départ: les romans de Dostoievski, le film de Tarkovski "Andreï Roublev" et les icônes du père Grégoire. J'étais allée au skite du Saint Esprit, et le père Barsanuphe m'avait fait une visite guidée, avec un cierge à la main. Il m'avait expliqué la structure symbolique des icônes, leurs couleurs, leur place symbolique dans l'architecture de l'église, les correspondances entre les unes et l'autre, et avec le rite, les chants... Je découvrais un univers médiéval vivant où tout était relié, les vivants et les morts, le passé et le présent, l'homme et le cosmos, où tout avait sa place complémentaire dans une cathédrale divine immémoriale. Je regardais ces icônes, et je les regarde à nouveau, en parallèle avec la vie du peintre, ce fol-en-Christ iconographe qu'était le père Grégoire. Je revois cette icône vivante qu'était le père Serge, et tous ceux qui tournaient autour de Vanves, madame Marcadé, Ouspenski, le père Barsanuphe, dont je n'avais pas entendu la voix depuis des années. Je découvre même des icônes que je ne connaissais pas. Je redécouvre celles que je connaissais. "Le père Serge enseignait sans parler", me disait son fils spirituel, le père Jean. A l'époque, je n'avais pas besoin de comprendre le slavon d'église, ni même les livres ascétiques auxquels je n'ai jamais trop accroché, parce que j'étais toute dans la contemplation inépuisable de ces icônes magnifiques, de ces visions, je voulais aller dans ce monde, celui que me dévoilait le père Grégoire, et qui manquait à ma jeunesse des années soixante-dix, abasourdies de politique sinistre, de débauche vulgaire et de consumérisme béat. Je trouvais une issue lumineuse et insondable à la modernité opaque, à ses mensonges, son manque d'intensité, de véritables sentiments, en un mot, ou plutôt en deux, ou plutôt en trois, d'amour, d'espérance et de foi. 

Le père Grégoire peignait sans arrêt, et n'importe comment, sans se soucier de la qualité de l'enduit, ni des couleurs, ni du vernis, il peignait dans l'immédiat, et c'est ennuyeux, bien sûr, car ses icônes et ses fresques s'abîment déjà terriblement, mais à notre époque apocalyptique, on ne crée déja plus pour la postérité. Ici, je vois beaucoup d'icônes "bien peintes", avec un vernis, un enduit, une dorure, des couleurs impeccables, mais dans le meilleur des cas, ce sont des copies honorables, je vois rarement des icônes vivantes, et elles sont bien loin de l'extraordinaire intensité qui s'est révelée à moi dans ce skite, il y a plus de cinquante ans. Ces deux vidéos coup sur coup m'arrivant à la veille de la Théophanie, fête très importante pour moi et souvent accompagnée de révélations, m'apparaissent comme un puissant message: "Réveille-toi. Fais ce que tu as à faire. Cherche ce que tu dois trouver. Et décolle. Envole-toi enfin. N'as-tu pas perdu assez de temps? Ne t'avons nous pas convoquée alors? Ouvert le ciel au fond de cette humide église de banlieue, à la lueur d'un cierge?"

En ce qui concerne le naufrage qui s'annonçait alors et s'accomplit en ce moment, j'ai trouvé deux vidéos très complémentaires. Celle d'Emmenuel Todd:


et cette traduction d'une vidéo américaine:


Je dis complémentaires, car en elles se trouvent concentrée l'analyse presque complète de l'essentiel de nos problèmes. Emmanuel Todd est un homme extrêmement estimable par son sérieux et son objectivité, qui n'est peut-être pas totale, on est toujours enclin à interpréter selon sa sensibilité, mais  son honnêteté intellectuelle en fait une référence. Cependant, il n'aborde pas la question sous l'angle de la deuxième vidéo qui présente le pouvoir exorbitant de la mafia sur le gouvernement américain et les métastases qu'elle étend partout, y compris en Russie, par le chantage et l'intimidation. 

Dans les deux cas, cet historien, cette politologue perspicace oublient un paramètre que je prends en considération, et qui est d'essence mystérieuse. 


lundi 15 janvier 2024

Tradition

 


A trois heures et demie, tout à coup, il fait encore plein jour. C’est la première fois que je réalise vraiment que le processus s’est inversé, que la lumière revient. Quel bonheur.

Invitée par l’institut Philarète, j’ai fait un saut à Moscou. On m’a offert le taxi dans les deux sens et en plus j’ai vendu des livres. Je ne peux pas dire que j’ai tellement bien joué ni chanté, je me suis plantée quelques fois, et pour ce qui est de parler, j’ai parfois bien du mal à transmettre mes idées, j’ai l’élocution embarrassée, je cherche mes mots, je les cherche même en français. Mais les gens sont contents, ils en redemandent, ils me payent le taxi pour venir leur parler et leur chanter quelque chose. Ils m’ont reçue très gentiment, et j’ai vu Quentin le Belge, son ami Ivan, qui est un rapatrié russe récent, et n’a pas du tout une tête de Belge, il est vraiment russe à jouer dans une adaptation d’un roman de Dostoievski. Et puis Alexandre et Anna Messerer, les peintres. J’ai rencontré une dame charmante qui parlait très bien français. J’ai fait des mondanités.

On m’a demandé de raconter comment j’avais découvert la Russie, l’orthodoxie, pourquoi j’avais aimé l’une et l’autre, enfin en somme, de raconter ma vie. Et puis, quels sont les traits de la Russie éternelle qui subsistent de nos jours, et comment régénerer la Russie, retrouver ses sources, quelle projection dans l’avenir, etc... J’ai répondu comme j’ai pu, n’étant pas politologue, c’est-à-dire que j’ai résumé ce que je dis dans mon blog depuis sept ans. Je m’inscris dans un programme de témoignages d’étrangers venus vivre ici, tout cela est filmé et archivé.

L’institut Philarète a été fondé par le père Gueorgui Kotchetkov qui cherche à promouvoir l’usage du russe, à la place du slavon d’église, pour les liturgies. Cela n’est pas  très bien perçu, à commencer par mon père Valentin. J’en ai parlé avec mon amie Liouba, car à priori, je ne suis pas contre l’usage du russe, en tous cas, je suis pour que ce soit permis, or c’est ce qu’a fait le patriarche. On peut célébrer en russe, on peut aussi célébrer avec tous les usages des vieux-croyants, le spectre est large. Liouba préfère le slavon, qu’elle trouve plus noble et plus subtil, mais me dit-elle : « Au début de ma vie spirituelle, j’allais chez le père Gueorgui, parce que je comprenais tout. Et comme je ne savais rien, j’avais besoin de comprendre.

- Beaucoup de Russes, et aussi le vieux-croyant Skountsev, me disent que l’on ne comprend pas seulement par les mots, et puis qu’on peut faire l’effort d’apprendre un minimum de slavon. Quand je suis devenue moi-même orthodoxe, je ne comprenais pas grand chose, et effectivement, l’essentiel m’a été accessible au delà des mots, ce fut le cas de bien des Français convertis par le père Barsanuphe qui, eux, ne comprenaient absolument rien, et lisaient tout en traduction. Dans mon cas, j’ai été sensible aux icônes en premier lieu, les icônes sont, dit-on, de la théologie silencieuse, de la théologie en image. Et puis à la cohérence des rites, de la musique et de l’iconographie. Mais quand j’ai commencé à aller à Solan, j’ai vraiment apprécié de tout comprendre. Le père Barsanuphe se cramponnait au slavon, et dans son monastère auvergnat, ses quatre moniales célébraient en slavon, on se serait demandé pour qui, si n’étaient montés de Clermont-Ferrand des Serbes et quelques Géorgiens. Il me disait que les traductions étaient mauvaises. Le slavon et le russe sont naturellement moins éloignés, c’est un peu comme si nous célébrions en vieux français. Mais quand même, à Solan, je m’étais rendu compte que les offices étaient extrêmement pédagogiques, la dimension mystérieuse, c’est justement le rite et les icônes, mais les paroles ont leur importance, puisque le chant byzantin doit porter le texte avant tout.

- Tu comprends, en effet, les gens peuvent apprendre le slavon, mais ils ne le font pas forcément, et parfois, ils essaient mais n’y arrivent pas. Il ne faut pas leur compliquer trop les choses. Je trouve bien qu’on nous laisse le choix. »

Le père Valentin lui-même n’est pas d’ailleurs fondamentalement contre l’usage du russe, mais contre toutes les innovations qui accompagnent possiblement son adoption, et c’est aussi mon avis. A Solan, tout est en français, mais tout est canonique, c’est le mont Athos en français. Le slavon relie la Russie actuelle et la Russie ancienne, et c’est aussi une langue commune à tous les slaves orthodoxes. C’est un élément qui complique la question. On n'a pas envie de briser ce lien liturgique avec le passé et avec des peuples frères.

La communauté que j’ai vue a une chapelle dans son institut, tout est fait avec beaucoup de simplicité et de goût, mais l’iconostase est symbolique, une structure en métal, sans icônes, il n’y a que très peu d’icônes, d’ailleurs. Or l’iconostase sépare mais elle relie, aussi, que deviennent la Déisis, les icônes des douze Fêtes? Et puis, il y a des moments où Dieu s’efface de notre vie et des moments où Il se révèle, le fait de fermer ou d'ouvrir les portes, de laisser voir ou de cacher le sanctuaire selon les moments de l'office me paraît avoir tout son sens. Paraît-il que les premiers chrétiens n’avaient pas d’iconostase, mais je me méfie des usages perdus que l’on récupère, nous ne savons pas vraiment comment tout cela se pratiquait à l’époque, nous avons un tout organique qui s’appelle l’Eglise, avec sa Tradition, c’est une construction millénaire qui a sa cohérence. Les premiers chrétiens, jusqu’à l’apparition du Suaire, représentaient aussi le Christ comme un éphèbe grec imberbe... Bernard Frinking avait découvert que les Evangiles étaient chantés et que les gens les savaient par coeur, et je suis persuadée qu’il avait raison, les gens apprenaient tout par coeur à l’époque, et ils chantaient pratiquement tout, l’Evangile d’autant plus. Cependant, je n’ai jamais été très convaincue par la reconstitution qu’il faisait de tout cela. Justement parce que c’était une reconstitution. Ce qui est transmis est parfois modifié mais vivant, ce qui est reconstitué pas forcément. 

J'ai entendu parler d'un film, que je n'ai pas encore vu, mais j'ai compris qu'il était dans le genre progressiste et critique, cela s'appelle "les passions selon Matthieu", et si j'ai bien compris, c'est l'histoire d'un séminariste que son entourage pousse à se marier pour pouvoir être ordonné prêtre, et ensuite il rencontre une jeune femme qui est à l'opposé de tout ce qu'il est et croit, mais il en tombe amoureux. Un jeune séminariste, au visage particulièrement sympathique et lumineux, commentait ce film en disant qu'il n'avait pas aimé la façon caricaturale dont on représentait les prêtres, et ensuite, j'ai vu un débat entre un prêtre, sa femme, et le metteur en scène, qui se disait orthodoxe, mais affirmait qu'il fallait sortir l'Eglise de sa bulle, lui reprochant d'être hors du monde et loin des besoins de la jeunesse, car enfin, la plupart des gens qui se marient de nos jours savent qu'en cas de mésentente, ils pourront toujours divorcer, et les prêtres ne le peuvent pas, ne peuvent pas se remarier. Et puis il fallait dissocier l'Eglise de tout le fatras russe, y laisser entrer le jazz etc... Je l'écoutais et voyais une magnifique taupe forer ses tunnels dans le sol de l'orthodoxie pour y répandre absolument n'importe quoi. Déjà, depuis la mienne, de jeunesse, je me méfie de ceux qui la flattent et veulent tout lui faciliter, c'est comme cela qu'on a élevé chez nous tant de moules et de nouilles. Si un prêtre se marie avec l'idée qu'il peut éventuellement refaire sa vie, il n'y a plus d'engagement ni d'exemple donné aux fidèles. Bien que naturellement, je compatisse beaucoup aux difficultés des gens mal mariés, ou des prêtres que leur femme laisse tomber, et cela arrive malheureusement. Mais glisser dans la conscience des gens que tout cela est bien trop difficile, et que l'Eglise pourrait leur faciliter la vie, et puis leur permettre aussi de rendre tout cela plus jazzy, tout en égratignant au passage la culture russe qui n'a vraiment pas besoin de cela, j'ai trouvé cela un peu too much... J'ai exprimé mon avis dans les commentaires, j'ai dit que j'étais Française, que j'avais choisi l'orthodoxie justement parce qu'elle était hors du monde, de ce monde, et que je n'avais nulle envie de voir arriver dans l'Eglise toute la vulgarité et la bêtise que je ne savais plus où fuir. J'ai ajouté que j'avais vu le résultat de la permissivité que l'on prônait là, où cela nous avait conduits. Pour l'instant, je n'ai eu aucune réponse de personne!

 Un ami perplexe m'envoie des messages d'un Français de la haute qui sont à la fois stupides et dingues, à un point terrifiant. C’est le genre de choses que je lisais chez les Ukrainiens au moment du Maïdan. On a l’impression d’avoir affaire à des fous, des possédés, qui délirent de haine dans une fantasmagorie qui les dévore, comme les damnés les flammes de l’enfer. Ceux-là sont vraiment prêts à griller des enfants à la broche, pourvu qu’ils soient des « barbares » ! Et eux, aveugles volontaires, déchaînés et bornés, on les caractérise comment ? Ils ne voient rien et n’entendent rien, derrière la tonitruante sarabande de leurs démons, et j’imagine que cela puisse se poursuivre dans l’au delà, que dans les siècles des siècles, ils continueront à éructer sur les Russes, alors qu’ils ont si bien su perdre leur pays tout seul et l’ont déjà livré à des invasions dont il ne se remettra jamais. Que pensent-ils que Poutine ferait de la France? Gérer un pays comme la Russie est déjà bien assez compliqué, mais des hallucinés, envahis par toute l'Afrique, contrôlés par l'Amérique, son UE et son état profond, et contents de l'être, se préoccupent d'une fantasmatique conquête russe... Cela me fait penser à certaines féministes, horrifiées par l'idée du viol quand il est commis par un blanc, mais tout-à-fait disposées à l'excuser dès lors qu'il est infligé par un ou même plusieurs agresseurs exotiques.

Pour remettre les pendules à l'heure: https://www.youtube.com/live/R4HRWQPV6BU?si=fFjttrqsDixrp0FM



 

mercredi 10 janvier 2024

Trente ans



 Aujourd’hui, j’ai senti que l’hiver se tournait vers le printemps, à la qualité de la lumière, à la couleur du ciel. Autrement, il fait toujours assez froid, mais juste ce qu’il faut pour avoir une belle neige propre et sèche et ne pas trop déraper. Katia a eu la même impression que moi. Elle est passée me voir avec sa mère. J’avais heureusement de quoi les nourrir, car j’avais assisté à l’office funèbre puis au repas de commémoration de la mère de notre vendeuse de cierges Natacha, que je trouve très chaleureuse et très marrante. La défunte, sur les photos, me paraissait avoir quatre-vingt-dix ans, mais non, elle en avait quatre-vingt-quatre, soit douze de plus que moi, eh oui. Elle était communiste, et d’après ce qu’on en disait, très autoritaire mais très bonne et elle s'est quand même confessée et a communié . Sa fille lui a dit, au moment où elle déclinait : « Mais tu voulais vivre jusqu’à cent ans..

- Eh bien je n’y suis pas arrivée... »

Je regardais cette frêle poupée dans le cercueil, on sentait vraiment qu’il n’y avait plus personne dedans. Cela m’a tout à coup rappelé les enveloppes de cigales que je trouvais autrefois, après leur mutation, brunes et vides.

Le repas était très chaleureux, assez gai. Il y avait la famille, quelques paroissiens, dont moi, le père Alexeï, notre recteur, le père Andreï, et le père Alexeï qui vient d’être ordonné, un jeune homme. Le recteur a beaucoup plus d’humour qu’il n’en donne l’impression au premier abord.

Je me faisais la réflexion que tout le monde semblait prendre cette mort très calmement, on évoquait la vieille dame avec amour, on racontait des anecdotes sur elle, parfois drôles. Chez les Asmus aussi, la mort semble presque une formalité, alors que chez nous, dans notre famille, elle a toujours été si tragique, si scandaleuse, nous étions tous si inconsolables, moi la première, et pourtant, je suis croyante. Même la mort de Chocha, je ne l’ai pas bien vécue.

Pourtant, je me souviens que pour la mort de ma tante Baby, qui fut atroce pour elle et pour les autres, j’avais filé chez le père Barsanuphe, mon père spirituel de l'époque. Il avait été si consolant, que j’étais rentrée apaisée et presque joyeuse, je marchais vers la gare en regardant les étoiles, et rien ne me semblait irrémédiable ni étanche, le cosmos était là, et Baby avait rejoint les nôtres dans quelque repli du temps que Dieu avait prévu à cet effet.  Cela s’est produit il y a cinquante deux ans. Baby avait trente quatre ans, j’en avais presque vingt. Au même moment, ma cousine avait déclaré que Dieu n'existait pas, parce que si Baby avait été auprès de Lui, elle se serait débrouillée pour nous le faire savoir.  

L'archimandrite Basile Pasquiet fête ses 30 ans de Russie. Je fêterai les miens à l'automne de cette année, avec un intermède de six ans en France, nous étions arrivés au même moment, à plusieurs mois de différence. J'ai fait un départ beaucoup moins sportif et radical que le père Basile, mais je pense aussi que Dieu m'appelait, c'est ce que nos expériences ont en commun, avec la date de notre arrivée, parce que pour le reste, je suis une petite joueuse.

C'est aujourd'hui le 30e anniversaire de mon arrivée en Russie. Dieu m'appelait dans ce grand pays qui m'était totalement inconnu et dont je ne connaissais pas la langue. Seule la foi m'a conduit dans cette grande aventure, cette nouvelle et incroyable odyssée. J'étais comme notre père Abraham qui a entendu la volonté de Dieu.

"L'Éternel dit à Abram : Quitte ton pays, ta génération et la maison de ton père, et va dans le pays que je te montrerai" (Genèse 12:1).
Mon but était de devenir un fils de l'Église orthodoxe et d'entrer à l'école des grands moines de la Sainte Russie.
Dieu a décidé de m'envoyer en Russie à un moment critique pour elle. Rien ne m'effrayait, j'étais prêt à tout, la seule chose dont j'avais peur était de ne pas justifier l'appel divin.
Les épreuves étaient nombreuses et parfois difficiles à supporter, mais je sentais la présence du Seigneur et sa grâce. Sa main m'a soutenue et j'ai toujours gardé sur mes lèvres ces paroles de l'Écriture : "Le Christ est ma force, mon Dieu et mon Seigneur". Aujourd'hui, je le remercie pour tout ce qu'il m'a donné. Pour mes maîtres et mes pères, en particulier Monseigneur le Métropolite Barnabé, pour la famille spirituelle qui s'est formée autour de moi au cours de ces 30 années, et pour mes amis fidèles.
Tous ceux qui m'aident, me soutiennent, me supportent, me réconfortent et veillent sur ma santé, je les remercie chaleureusement et je prie pour chacun d'eux, afin que Dieu leur donne en retour sa grâce et sa miséricorde.
Je remercie Dieu pour tout, pour les peines et pour les joies.



lundi 8 janvier 2024

Le tsar et les ados

 

Une amie de Iouri, Elena, qui a une petite maison d’édition, me propose de me récupérer après que mon éditeur précédent a mis la clé sous la porte sans prévenir. Elle est intelligente, profonde, sensible, idéaliste et honnête. Mais je pense qu’elle n’a pas les moyens de payer des traductions. J’ai Epitaphe en cours de traduction, mais je ne pourrai pas faire plus sans sponsors. Il me reste à souhaiter qu'Epitaphe devienne un best-seller, pour elle et pour moi...

Elle m’a écrit sur Iarilo et Parthène des choses qui me sont allées droit au coeur et m’a demandé la permission de citer mes chroniques. Echange de bons procédés, je la cite sur moi-même !

D’abord, je dois dire que dans mes années d’enfance et d’adolescence, j’étais passionnée par Ivan le Terrible. J’ai pratiquement grandi non loin de la Sloboda. Nous avions une datcha près d’Alexandrov, que je considérais comme ma seule véritable maison, et ces coins comme ma petite patrie. Chaque année, je visitais la Sloboda. Vers 13 ans, j’achetai et lu un roman de deux tomes sur Ivan le Terrible et le métropolite Philippe et ensuite sur ses motifs, j’écrivis une pièce historique en vers. Alors je dessinai au pastel le portrait du tsar par Vaznetsov, et il resta quelques temps sur mon mur... en gros, le thème m’est proche. Et votre traitement du type psychologique du Terrible me semble très exact. En tous cas, selon ma conception. Et de même votre description du tsar Fiodor, que l’on abaisse habituellement d’une façon très injuste, ce qui m’a toujours blessée. Le roman lui-même est écrit de façon captivante, on n’a pas envie de le laisser, on a envie de le lire jusqu’au bout. Le second tome m’a davantage intéressée que le premier, et j’y ai rencontré un motif que je voulais jouer dans un récit, mais je n’ai jamais pu m’y mettre. Vous écrivez là que le tsar se retrouve entouré d’enfants, comme s’ils étaient les seuls à pouvoir le supporter. Dans mon récit, je voulais mettre en scène le tsar dans ses dernières années et un enfant (le fils d’un serviteur, peu importe), qui aurait simplement eu compassion de cet être à l’âme malade,  réellement très malheureux, et en lequel celui-ci aurait vu ce qu’il était lui-même, avant que les boyards ne l’eussent perverti, lui-même, tel qu’il aurait pu être, s’il avait eu une enfance normale ; il aurait vu et pleuré sa propre âme pure et capable d’aimer, perdue sans retour. J’aurais voulu jouer ce motif. Et je l’ai trouvé chez vous.

Ivan le Terrible, c’est d’abord une immense tragédie. La sienne et celle de la Russie. Si Anastasia était restée en vie, il ne se serait pas produit en lui cet effondrement, et nous aurions eu un tout autre règne, celui du début de son gouvernement. Le gouvernement d'un Tsar par nature exceptionnellement doué, un gouvernement glorieux, sur le plan militaire, civique et culturel. Un véritable épanouissement de la Russie... Tout aurait continué comme cela, sans perte fatale ni intérêts particuliers et infidélité de tous les côtés, quand près de son lit de douleur, même les plus mesurés (Sylvestre) discutaient de la manière de priver son héritier du trône, et il serait entré dans l’histoire comme un second « soleil de la Terre russe ». Mais tout cela lui a brisé l’âme, et la seconde moitié de son règne, c’est déjà un autre homme, un homme malade, qui se torture et torture. Une personnalité coupée en deux. Et le bilan de cette division, de ces affaires sanglantes et de cette débauche, ce sont les troubles et l’effondrement au lieu de la gloire et de la puissance, que laissait prévoir le début de son règne.

Je ne peux pas me faire « l’avocate » du Terrible. Beaucoup de ses actions sont beaucoup trop graves et cruelles. Et les tentatives actuelles de le présenter comme un « saint » me paraissent en quelque sorte... également un genre de maladie. Le bourreau ne peut être mis au rang de ses victimes, même s’il a beaucoup souffert lui-même... Mais je ne peux pas ne pas pleurer ce Souverain tel qu’il fut au début et tel qu’il aurait dû entrer dans l’Histoire. Tel qu’il fut prévu par Dieu. Et le sort de la Russie, qui n’a pas vu se réaliser ce souverain. Et je ne peux pas examiner sa personnalité et son destin sur un seul plan, sans prendre en considération toutes les facettes, c’est-à-dire, à proprement parler, les causes de cette tragédie. Vous l’avez, je me souviens, comparé à un personnage de Dostoievski. Oui, mais d’une autre dimension... Ici, c’est un abîme, sombre, effrayant. Mais en même temps, attirant en cela que le crime et le châtiment s’interpénètrent, le méfait s’allie au tourment et au remords, et l’on a envie de comprendre, de saisir. Ce n’est pas le mal qui est intéressant en lui-même, mais ce mélange de choses inconciliables. Et bien sûr, la comparaison avec Staline ou autres morts-vivants du même genre, est complètement déplacée. Chez les Staline et leurs semblables, aucun remords de conscience n’a jamais été évoqué, en raison de l’absence d’organe correspondant... C’étaient des tueurs pragmatiques, qui anéantissainet les gens « avec énergie et en masse ». Aucun « Dieu qui se bat avec le diable », mais seulement le diable triomphant. Et en ce sens, ils ne sont pas intéressants.

Très étrange est la réaction de celle qui « défend » Basmanov. C’est aussi une espèce de folie... D’après moi, vous l’avez plutôt réhabilité. D’ailleurs, c’est une image très réussie.  Je ne jugerai pas de la véracité historique, mais comme personnage, comme exemple d’homme aspiré par l’abîme qui trouve quand même la force de lui résister, comme exemple de rétablissement d’une âme quasiment damnée sans retour. C’est intéressant d’un point de vue psychologique, et plein d’enseignement d’un point de vue spirituel.

Je suis très touchée qu'ayant grandi dans des pays et culture différents, et à des époques différentes, nous ayons ressenti toutes deux les choses de la même manière, et à peu près au même âge, comme si le tsar cherchait vraiment un écho dans les coeurs d'enfants. Je crois profondément que le tsar Ivan était tel que nous l'avons compris; peut-être son âme cherchait-elle à nous le faire percevoir. C'est pourquoi je prie pour lui. Je prie le métropolite Philippe d'intercéder pour mon livre et ceux que j'y ai fait figurer.  Je trouve infiniment plus intéressant, respectueux et productif d'essayer de comprendre ce personnage dans sa complexité paradoxale que d'en faire le saint qu'il n'était pas, ou une caricature idéologique. 

Son idée que la Russie aurait eu un tout autre destin si Anastasia n'était pas morte et si Ivan n'avait pas perdu le nord me fascine, je ne m'étais pas posé la question. Car en effet, il aurait pu lui donner une grande impulsion, tout en la gardant orthodoxe, sans les dérives occidentalistes des Romanov. Cela aurait peut-être pu éviter à toute l'Europe, en gardant un second pôle chrétien puissant et différent, de verser dans le maelstrom ténébreux du judéo-protestantisme anglosaxon qui a fini par se transformer en trou noir, aspirant la Russie dans sa chute. Je me demande à quoi elle aurait ressemblé à la fin de son règne, s'il n'avait été perturbé de la sorte.

Nicolas Bonnal m'a envoyé un article très intéressant, un commentaire d'extraits du journal d'un écrivain de Dostoievski, consacrés à sa visite de l'Angleterre, et c'est assez complémentaire de nos réflexions sur Ivan le Terrible. Quand j'avais lu Dostoievski, j'avais eu l'étrange impression qu'à seulement quelques décennies de ma naissance, dans un monde irrémediablement coupé de ses sources par la modernité, existait encore un empire qui gardait  le contact avec les siennes, une foi médiévale, une société paysanne et aristocratique presque exempte de bourgeois, mais si, il y en avait, Pierre le Grand avait massivement transformé ses nobles en fonctionnaires, il y en avait suffisemment pour permettre l'avènement de la "grande révolution"... Dostoiveski s'en rendait compte, il discernait la contamination de son univers encore sain par cette atroce maladie occidentale dont l'Europe était en train de crever, sous l'apparent triomphe anglais qui parasitait la terre entière. Quand j'avais lu les descriptions des bas-fonds de Londres par Jack London, j'y avais d'ailleurs vu la préfiguration du Goulag. Une transformation du peuple en une foule d'esclaves mécaniques corvéables à merci par ceux-là même qui, au lieu de le gouverner, se conduisent en colonisateurs. 

J'ai mis un moment à mettre le nez dedans, je ne sais d'ailleurs pas comment fait Nicolas pour lire autant, écouter et regarder autant, et trouver le moyen de recenser tout cela, de correspondre et d'écrire, moi, je suis en complète surchauffe, et réponds à la définition du problème donnée ici par Ariane Bilheran: 




J'ai regardé une flash-mob dans un centre commercial à Saratov, où les participants entonnent des chants de Noël traditionnels, et cela m'a complètement fascinée. C'est l'irruption d'une autre dimension dans un univers factice et moche, dont elle souligne tout à coup le caractère insupportable, avilissant, anti humain. Les gens écoutent, enchantés, leurs visages changent. Il leur arrive l'écho de ce qui était profondément nous, de cette lumière, de cette innocence, de cette espérance, et la hideur de leurs oripeaux utilitaires saute tout à coup aux yeux avec une évidence épouvantable, des oripeaux d'esclaves, de bouffons. C'est peut-être pour éviter ce genre de prises de conscience que l'on nous prive de tout cela et qu'on atrophie les organes spirituels qui permettent de le percevoir?