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mercredi 20 mai 2020

Le trésor de notre coeur

Grand soleil ce matin, et j'ai pu prendre ma dose de lumière vitale, j'ai jardiné une heure, cueilli des égopodes, l'épinard du pauvre, organisé les plantations dans le potager, il me vient des idées, peu à peu, et les conseils de la maman d'Aliocha, Ania, moins intrusive que Violetta. La renoncule que j'ai plantée il y a trois ans est maintenant superbe. Auprès d'elle poussent vigoureusement des delphiniums qui, jusqu'alors, me faisaient peine. Cette année, j'aurai de belles hampes de différents tons de fleurs bleues. Les iris des marais colonisent avec mon aide les endroits du jardin où rien ne poussera d'autre, et où j'admirerai leurs fontaines vertes jaillissantes, étoilées d'or. A côté des jonquilles se manifestent des narcisses, des narcisses sauvages ordinaires, mais si souples, si élégants, je ne me souviens pas de les avoir plantés, ils font peut-être partie de ces éléments qui étaient là, mais ne donnaient rien, comme l'un de mes poiriers, qui s'est révéillé l'été dernier. Je m'aperçois que tout se ressème, que de bonnes surprises... des lupins. Des bleuets. Ces bleuets, je suis allée par deux fois en déterrer aux abords de la baraque abandonnée et écroulée où tous les porcs du coin vont déverser leurs ordures. Et voilà qu'ils ont pris, et se sont reproduits, et ils sont somptueux quand ils sont nombreux. Les tulipes commandées l'automne dernier sont ravissantes, mais il en faudrait beaucoup plus, je manque encore de fleurs de printemps, quand rien ne pousse, de ces fleurs que les feuillages ne gênent pas encore, ni le voisinage de plantes volumineuses, pas encore sorties de terre. Les hémérocalles vont prendre de l'ampleur, elles sont bien installées. Les roses trémières se multiplient, et pour certaines, je ne sais pas quelles couleurs elles vont offrir à ma vue.
J'ai planté aussi framboisiers et ronces, dans les endroits sauvages, pour abriter les oiseaux, mon beau-père laissait toujours un roncier près de la ferme, pour les rossignols. Je fais de la place à tout le monde. Sauf à la berce du Caucase, que je compte chasser à coups de topinambours.
J'ai pris mon brunch sur le perron, brunch de carême, c'est mercredi, flocons d'avoine avec cannelle, un peu de curcuma, des raisins secs, et des fraises fraîches, accompagnés de deux tartines de beurre de cacahuète et de confiture de cassis maison. A mes pieds, Rita et Georgette. Dans le lointain, à travers le vent, je percevais le chant des rossignols. Leurs merveilleuses liturgies se déroulent plutôt la nuit, mais aujourd'hui, ils me faisaient cette aubade, et je les écoutais avec une joie pleine et paisible, infiniment reconnaissante.
Puis la pluie est venue tout balayer...
 Depuis ma jeunesse, j'avais dans la tête ce modèle de bonheur et de vie normale qu'est une maison environnée d'un jardin, où tout est harmonieux et naturel, où l'on ne fait violence à personne, où les animaux se plaisent, ce que maman organisait autour d'elle sans intention particulière, parce qu'étant elle-même amour et harmonie, tout était à son image. Il est vrai qu'alors cette maison, dans mes rêves, comportait un mari et des enfants. Mais nous vivons une époque si anormale, que cela ne m'a pas été donné, comme à beaucoup de femmes de ma connaissance, et même d'hommes, d'ailleurs, ainsi que je commence à le constater.
Ce ne sont pas des machines qui peuvent m'augmenter, mais le ciel et ses nuages qui se déversent en moi depuis que toute petite, je les ai découverts par dessus les peupliers de la maison de mon grand-père, assise dans sa pelouse pleine de pâquerettes. Ses étoiles que des monstres voudraient nous cacher derrière un filet de satellites espions. La lune mystérieuse en tous ses états, et l'éblouissante Vénus, émissaire de la nuit et du jour. Les symphonies subtiles de la vie que nous volent moteurs pétaradants, tohu-bohus divers, de la débroussailleuse à la radio diffusant à tue-tête du vacarme pour meubler le vide des cervelles sous-alimentées. Les feuillages en toutes saisons, leur mouvements, leurs murmures, leurs nuances. Et en fin de compte, ce que Rilke appelait l'au delà des choses, cela qui les expire et les inspire, et vers quoi nous irons, avec le trésor de notre coeur.





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