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lundi 19 juin 2017

Un cierge pour Féodor

Un correspondant m'a envoyé un article et une photo sur les laïkas sibériens, il semble que Rosie, si elle n'est pas pure race, est très proche du type... C'est ce que m'a dit la cynologue dès qu'elle l'a vue. Elle a le même masque et la même morphologie que le chien de la photo.
.https://wamiz.com/chiens/laika-de-siberie-occidentale-222
Effectivement, "difficile à gérer pour une personne inexpérimentée". Et d'autre part, fort instinct de chasse. Mon entrée ressemble à la tanière d'un ours, et j'y trouve des cadavres de souris, dont j'attribuais la responsabilité aux chats, mais j'ai vu Rosie chasser: elle guette dans les hautes herbes et bondit d'un seul coup.
Je suis allée à l’église, au monastère, un office à rallonge, pour la fête de tous les saints russes. Le sermon du prêtre portait sur le thème de la sainte Russie, représentée aujourd'hui par chacun de ceux qui font partie de l'Eglise russe. La sœur Larissa, toujours adorable, elle veut toujours me trouver une place assise, et m’a emmenée dans la chapelle latérale des saints Adrien et Nathalie, fierté du monastère. Les murs ont été repeints de fresques, dans le style iconographique. L’iconostase est si tarabiscotée et couverte de dorure que les icônes en sont complètement étouffées. Je trouve que c’est un peu dommage. La sœur Larissa m’a fait asseoir, en me disant que c’était là que priait la mère de Pierre le Grand, la tsarine Nathalie Narychkine, que c’était une femme très progressiste, qu’elle avait fondé des écoles pour instruire les populations, avec sa fille, la sœur de Pierre. Intéressant, mais je ne suis pas en très bons termes avec la famille Romanov à ses débuts. On doit au tsar Alexis et à son patriarche Nikon le schisme impardonnable des vieux-croyants, à la suite de réformes prononcées sans même la convocation d’un concile. Quand à Pierre le Grand, passons, tout le monde sait déjà que ce n'est pas mon copain… Soeur Larissa me ferait davantage plaisir en m'ouvrant l'église saint Théodore Stratilate, construite par Ivan le Redoutable en l'honneur de son fils!
La sœur Larissa insiste toujours pour que je communie, que je vienne plus souvent et si je reconnais qu’elle a sûrement raison, je n’aime pas du tout qu’on fasse pression sur moi, j’avais le même problème avec le très gentil père Dmitri de l’église saint Syméon le Stylite.
C’était une autre sœur qui s’occupait du café, où j’ai acheté du kvas, du miel et des pirojkis. Nous avons un peu discuté. C’est une femme déjà d’un certain âge, des environs de Moscou, qui a décidé d’entrer au monastère. Pour l’instant, elle est novice. «On verra bien, me dit-elle.
- Cela se passe bien pour vous, ici ?
- Vous savez, fondamentalement, on est mal partout, où qu’on aille. Sinon, ferait-on tant d'efforts pour gagner le Royaume des Cieux? C'est là bas qu'est notre place. On ne peut pas aller bien, ici bas, nous n'y sommes pas chez nous.
- Eh bien vous voyez, moi je suis croyante, mais j’y tiens, à la vie terrestre, je pense être quelqu’un de très souffrant, de trop sensible, mais j’y tiens. J'aime la beauté de la vie et ses bonnes choses.
- En réalité, beaucoup sont faits comme vous. On ne part pas au monastère parce qu’on ne tient pas à la vie. Ce sont les gens qui n’y connaissent rien qui disent des choses pareilles…
- En effet, pour moi, ce ne serait pas une bonne raison. »
 Je suis allée mettre un cierge à saint Théodore, pour Fédia. J’ai aussi commandé pour quarante jours la mention du serviteur de Dieu Féodor pendant les prières à l’intention des défunts. La sœur Larissa me demande : «Il n’est pas nouvellement présenté au Seigneur ?
- Oh ça non, vous pouvez être tranquille, ça fait un bout de temps qu’il est mort… »

Dans les quatre cents ans et quelques. Cela fait dans les quatre siècles que plus personne n’avait prié pour ce garçon, pour ce jeune criminel, "beau par le visage, mais affreux par l'âme". J’éprouvais tout à coup une profonde compassion qui me le rendait très présent, et qui, tout en me tirant des larmes, m’emplissait d’une étrange grâce, ou disons peut-être simplement de grâce, qui n'est étrange que parce qu’elle est d’un autre monde. "Je suis étranger sur la terre, ne me cache pas Tes commandements". 
Il m'est revenu à l'esprit ce qu'écrivait de moi à maman la soeur Marie-Rose de ma classe de maternelle Montessori à Annonay, dans l'Ardèche. Je dessinais beaucoup et j'avais commenté ainsi une de mes créations: "C'est une petite fille triste qu'un petit garçon vient prendre par la main". Il venait de loin, dans le temps et l'espace.

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