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mercredi 28 décembre 2016

L'année 17

Voulant envoyer mes vœux à mes amis, je me suis surprise à écrire : bonne année 1917. J’ai naturellement corrigé et ajouté : qu’elle nous apporte le contraire de ce que je redoute.
1917… Le naufrage de la sainte Russie, séduite et violée par les gnomes lénino-trotskystes. Un abîme de malheur, de destructions, de cruauté bestiale et vile, de méchanceté bureaucratique méticuleuse et acharnée, de persécutions inlassables de tout ce qui était beau, spontané, naturel, épique, poétique, traditionnel, enraciné, spirituel, la perversion de toutes les valeurs, l’humiliation et l’éradication de toute noblesse. Après avoir lancé la destruction de la France en 1789, le diable lançait celle de la Russie, la troisième Rome. Mais c’était là un plus gros morceau. La troisième Rome a avalé et russifié le communisme et ressuscité son orthodoxie martyrisée. « La troisième Rome, Moscou, est debout, et il n’y en aura pas de quatrième » dit le jeune tsar Ivan dans le film d'Eisenstein. Il n’y en aura pas de quatrième, parce que l’Orthodoxie, et plus particulièrement l’Orthodoxie russe, est la dernière arche, le dernier rempart du christianisme des origines, et qu’elle s’apprête à jouer le rôle eschatologique qu’elle s’est préparée au long de son histoire chaotique, excentrique, parfois violente et presque toujours fervente et absolue.
2017. Depuis plusieurs années, les forces qui ont présidé à cette attaque inouïe contre la sainte Russie sont de nouveau à l’œuvre, pour l’entraîner dans une guerre totale dont elle ne veut pas et détruire fondamentalement l’Europe dans son essence et son identité, dans sa culture, ses paysages, son héritage, son histoire, sans doute même dans l’intégrité physique de ses habitants, presque tous aveugles, profondément égarés, spirituellement mutilés et devenus incapables de discernement. Il se peut que la Russie soit entraînée dans la catastrophe à son corps défendant, je veux me trouver avec elle, et non pas au pouvoir de satanistes, de traîtres et de malfaisants comme ceux dont nous dépendons malheureusement ici. Je veux vivre tout cela au côté de la sainte Russie orthodoxe, de ce qu’il en reste de vivace et de fervent.
Mais au sein même de la sainte Russie, subsiste l’Union Soviétique, parfois russifiée à un point acceptable, parfois bornée et amnésique, et s’infiltre le libéralisme du fric éhonté et de la haine trotskiste inlassable pour « ce pays », comme l’appellent les sectateurs de ce mouvement, prêts à la livrer à ses pires ennemis. Les cicatrices de la chute, du travail du diable, sont partout : villes défigurées, constructions hideuses, musique abrutissante, comme partout ailleurs, la hideur bigarrée, criarde des démons triomphants, de Mammon et de Moloch.
Il y a seulement plus de résistance, et je crois qu’elle tient à une certaine simplicité, à un besoin inextinguible de ferveur et d’absolu, et au fait, souligné par mon plombier de Pereslavl, que les Russes ne sont pas formatables.
Et en effet, ils ne le sont pas, sinon, comment auraient-ils résisté à ce qu’ils ont subi ? Car malgré tout, ils ont résisté, et mieux que nous, en Europe. Peut-être leur foi est-elle la bonne ? C'est ma conclusion depuis longtemps.
Ce qu’ils représentent est ma dernière patrie en ce monde, où je ne m’attarderai de toute façon que deux ou trois décennies au maximum. La Russie est de toutes parts calomniée, provoquée et attaquée, c’est là le sort des chrétiens depuis le Christ lui-même, c’est une preuve de plus, à mes yeux, qu’il faut monter dans cette arche, dans l’arche de la troisième Rome dont je devinais le rayonnement dès les années 70, quand elle nous semblait bétonnée sous l’Union Soviétique. J’ai aimé la sainte Russie, je l’ai crue morte et je l’ai vue ressusciter.
Je me trouve en ce moment entre deux pays, à attendre une invitation pour faire mon visa et repartir, dans l’angoisse que les choses ne tournent tout à fait mal et que je ne puisse pas le faire.
Que cette année 17 ne soit pas notre perte, que résiste la sainte Russie, et que puissent rejoindre cette arche tous ceux qui en discernent la direction. Qu'ils le fassent physiquement, comme moi, qui rejoint la troisième Rome mue par une certitude intérieure, ou spirituellement, au sein des quelques lieuх saints qui subsistent encore en Europe. Et qu'ils s'accrochent fermement: ça va tanguer.




vendredi 16 décembre 2016

Les chroniques évoquées à Pravda.ru

Alexandre Artamonov a souhaité m’interviewer sur son site, au sujet de mes chroniques et de mon expérience russe :

Dès mon arrivée en France, ma bronchite a connu une aggravation brutale, me laissant sans voix!

vendredi 9 décembre 2016

Interlude

Demain, je quitte Pereslavl, et après-demain Moscou, parce que mon visa se termine et que je dois le renouveler. Je reviendrai, si tout va bien, vers la mi-janvier.
Je n'ai naturellement aucune envie de partir, ou disons, de partir si longtemps, alors que je recommence à faire de la musique avec Skountsev, que ma maison est presque terminée, et que nous avons un véritable hiver russe.
Je n'ai aucune envie de laisser mes chats. Fort heureusement, quelqu'un viendra vivre chez moi en mon absence. Mais je n'aime pas les laisser, et j'ai toujours peur de rester coincée.
Dans la Russie d'avant Pierre le Grand, il était très facile à un étranger d'entrer dans le pays, mais il avait ensuite le plus grand mal à repartir. On trouvait toujours une raison de retarder son départ. Les temps ont changé.
Je suis passée près du monastère Nikitski, et j'ai été prise de colère à la vue du massacre de ses environs sublimes par des promoteurs sans foi ni loi. L'argent ne devrait pas avoir tous les droits, nulle part. On ne devrait pas pouvoir mettre la main sur le patrimoine naturel, culturel et spirituel commun pour faire du fric en construisant n'importe quoi. Il faut que cela change...
Il serait peut-être temps qu'arrive la fin du monde, il commence à prendre une drôle de tête.
Mais dans mon passage Neglinny, tout reste encore à peu près normal, j'ai hâte de le retrouver et de mettre fin à l'interlude...


jeudi 8 décembre 2016

L'opium du peuple


Et je suis sidérée par l’interprétation réductrice que font ces scientifiques de leurs observations. On voit tout de suite qu’aucun d’eux n’a jamais expérimenté quoi que ce soit d’intense et de profond dans les domaines analysés. Peut-être ont-ils pris de la drogue, sans doute ont-ils baisé, mais justement baisé, rien de plus, ils doivent fumer une clope après en se disant que ça va mieux, que leur système de récompense a bien fonctionné et qu’ils peuvent aller prendre une douche.
Moi qui ai pris autrefois de la drogue et qui ai prié et expérimenté la transe de la musique, de la création artistique et la contemplation, je peux faire la différence entre ce que l’on vit avec et sans drogue, entre l’addiction, et la spiritualité, pas eux.
Ce qu’ils appellent prière (les gens qui sortent en larmes de l’IRM) est-ce la prière, ou la transe étrange des charismatiques, qui n’a rien à voir avec la prière orthodoxe, par exemple ?
Ce qui m’intéresse, c’est que oui, le besoin spirituel, la contemplation, l’élargissement de la conscience sont inscrits dans notre cerveau, dans notre physiologie, dans notre être, et comme nous avons des yeux pour percevoir la lumière, nous avons des sens pour percevoir Dieu. C’est un besoin profond, qui reste mutilé chez la plupart de nos contemporains, et je pourrais dire que la religion n’est pas un opium, mais que privé de la dimension religieuse, nos contemporains se réfugient dans la drogue, moyen artificiel et dangereux de remplacer tout ce qu’ils ne trouvent plus dans leur vie pauvre, réduite, stressante et minable.
Un enfant d’autrefois grandissait dans un environnement naturel et beau. La nature était omniprésente, les maisons adaptées à la nature, décorées manuellement par leurs habitants, les vêtements étaient produits par eux, ils étaient nobles et élégants. Dès son plus jeune âge, il apprenait à se servir de ses mains, ce qui développe le goût et le cerveau, et il entendait des sons harmonieux, il entendait des chants, de la musique, on lui racontait des histoires, il était dans l’univers fabuleux et épique qui élargit l’âme et la cultive, et dans la dimension religieuse, à laquelle tout cela prépare.
J’ai vu comment la musique populaire, le chant populaire transfiguraient l’être humain, avec quel bonheur il se jetait dedans comme dans une patrie perdue. Il en est de même avec la tradition religieuse : l’âme plonge ses racines dans ce terreau spontanément, et reçoit la sève cosmique qui traverse les générations comme une plante anémique qu’on remet dans un jardin.
Nous avons tellement perdu de choses mystérieuses et vitales, nous passons si complètement à côté de notre vie, et même le sexe, ce triste sexe porno qu’on nous vante, n’a plus aucun intérêt, et ne nous ouvre plus rien de profond, or il devrait : le sexe est sacré, comme toutes choses, c’est pourquoi il ne devrait pas être pratiqué comme une gymnastique, avec n’importe qui, n’importe comment, dans la plus complète irresponsabilité morale.
Mais les scientifiques qui ont pondu cet article, eux-mêmes complètement mutilés, n’ont aucune idée de ce dont ils parlent, ils ne l’ont pas expérimenté eux-mêmes.
Cependant, ce sont eux qui donnent le ton, la caution qu’attend le diable, dans son entreprise de déshumanisation, d’avilissement, de réduction si obligeamment servie par ceux qui nous gouvernent et ceux qui se croient la mission de nous instruire et  de nous réformer ou de nous déformer. Présenter la religion comme une addiction permettra de la traiter comme une maladie, alors qu’elle est le but de notre existence, avec tout ce qui s’y apparente, le rêve, la fable, le mythe, l’épopée, la création artistique, la musique, la danse, le sens profond du caractère sacré et mystérieux du cosmos.
Je le sais depuis ma petite enfance. Je me suis méfiée, dès ma petite enfance, de la société où j’étais née. En partant en Russie, je retourne à ce qui demeure du moyen âge. Prête à mourir avec les orthodoxes, les processions, les bannières, les icônes, les prêtres et les moines, les cloches, les coupoles dorées, les cosaques et leurs chants, les joueurs de gousli, de vielle à roue et de balalaïkas, car oui, cela est inscrit en moi, cela est inscrit dans mon cerveau, et pourquoi donc, s’il vous plaît ? Qu’attend la Vie de moi ? Que je fonctionne dans un bureau et que j’aille dépenser mon fric en sex toys pour remplir les poches de quelques crocodiles internationaux que seule la pédophilie excite encore ?
Merci bien.

Saint Philippe, métropolite de Moscou, saint tsar Théodore, saint Alexandre Nevski, aidez-moi à finir mes jours à Pereslavl, et si cette merde triomphe de la Russie, cela voudra dire que les derniers temps sont venus et qu’il faudra tenir bon, avant la moisson finale.

mercredi 7 décembre 2016

-16

La rivière Troubej et ses pêcheurs

devant chez moi, à l'aube
On se rend compte que la température descend au dessous de - 15 à l'impression d'avoir des glaçons dans le nez, et aux paillettes scintillantes qui flottent dans l'air ensoleillé. - 16, le bel hiver russe. Les pêcheurs sont tous de sortie sur la rivière Troubej. De loin, on dirait des oiseaux mélancoliques et immobiles.
La ville est recouverte de neige, le ciel bleu. Sans vent, ça va, mais justement, il y a souvent du vent, ici, à cause du lac, tant pis, même froid, j'aime le vent, ça nettoie.
Au café français, les deux petites serveuses sont congelées, elles poussent les hauts cris en apprenant que je n'ai pas de collants sous mon jeans. Je préfère une longue doudoune et de hautes chaussettes.
Devant une boucherie deux chiens attendent humblement, frigorifiés, je ne peux m'empêcher d'aller leur acheter deux morceaux de poulet de batterie, que la souffrance des uns soulage celle des autres.
Les jeunes vendeuses du magasin où j'achète le matériel m'ont demandé des aimants français pour leurs frigos. La France leur apparaît comme une contrée fabuleuse.

le jardin recouvert de neige


mardi 6 décembre 2016

Clair obscur

Hier soir, tempête de neige, avec des tourbillons fantomatiques. La ville est ensevelie sous des congères étincelantes, et ce soir, j'ai vu le croissant et les étoiles dans le ciel dégagé et glacial. La lumière, dans la journée, me rappelait celle des journées de mistral en hiver. J'ai fréquemment des visions intérieures du midi où j'ai grandi, de la France de mon enfance. Et pourtant, ici, je me sens à ma place, dans ce qui subsiste de ma patrie perdue du moyen âge russe. 
Aux dernières nouvelles, mon visa sera prêt beaucoup plus tôt que prévu et une paroissienne de l'église de Kostia viendra garder mes chats.
J'ai fait connaissance avec un gentil petit garçon, qui habite dans l'une des isbas qui font face à ma maison. Il m'a vivement engagée à aller me promener sur l'escarpement qui domine le lac, mais j'ai peur de l'escalader en hiver. Il m'a dit qu'il me montrerait l'accès qu'il emprunte pour aller faire de la luge.
J'ai rencontré aussi deux adorables petites vieilles. L'une d'elles m'a déclaré: "J'ai quatre-vingt six ans, mais qu'est-ce que la vie? A dix ans, j'étais déjà en charge de toute la maisonnée. Seul Dieu nous donne la force de tout supporter, que serions-nous sans Lui?
- Vous allez dans quelle église?
- Je n'y vais plus, car encore faut-il trouver un prêtre en qui on peut avoir confiance. Le père Un Tel court la gueuse alors qu'il a une femme ravissante...
- Qu'est-ce que tu racontes, l'interrompt l'autre vieille, qui te dit que le père Un Tel ne va pas se repentir?
- C'est vrai, dis-je, nous sommes tous pécheurs...
- Sans doute, admets la première vieille, et je suis pécheresse de juger le père Un Tel, mais comment vous dire? Il y a des prêtres qui portent la Vérité et d'autres non..."
A la suite de ma dernière leçon avec Skountsev et d'un certain entraînement, j'arrive à jouer l’accompagnement de mon vers spirituel préféré, "petite route du Seigneur". Je suis très soulagée de n'avoir pas à m'éloigner trop longtemps de la source d'eau vive de mon vieux-croyant et de de ce qu'il m'enseigne.
Par curiosité, je suis allée voir si je trouvais sur youtube les stichères composées par Ivan le Terrible, ou Ivan le Redoutable si l'on veut traduire plus exactement et équitablement son surnom. Le tsar avait une passion pour le chant religieux. Cela paraît difficile à concilier avec son personnage, mais je me rends compte de plus en plus que nos sommes tous pécheurs, tous en clair obscur plus ou moins tranché, plus ou moins clair, plus ou moins obscur, Ivan le Redoutable comme le père Un Tel, les deux vieilles de cet après-midi et moi-même.


dimanche 4 décembre 2016

Partir, c'est mourir un peu...

 Il faut 20 jours ouvrés pour faire mon invitation, ce qui risque de me bloquer en France plus d'un mois.  Je suis terrassée, et surtout par l’idée de laisser mes chats si longtemps à la discrétion de Kostia. Je repense à leur terrible voyage, à la petite patte que tendait Georgette, à travers les barreaux de sa cage, pour trouver du réconfort au contact de ma main, quand nous allions de Moscou à Pereslavl.
Les passeports sur un plateau, c'est pour les acteurs, les footballeurs mais pas pour les vieilles Françaises russifiées. Qu'elles se tapent le parcours du combattant, renvoyées comme une balle de bureau en bureau et d'un diable-vauvert à l'autre par des fonctionnaires tordus.
Je me débrouille mal parce que je deviens pathologiquement incapable de faire face à tout ce qui est bureaucratique ou administratif. Je l’ai toujours été, car je suis une femme du moyen âge ou même de la préhistoire, je suis à l’aise dans les activités normales de l’être humain et dans la dimension fabuleuse et spirituelle où il est censé se développer. Tout ce qui est lié à la modernité et à son carcan de lois et d’impératifs administratifs me plonge dans une panique atroce, je n’arrive ni à m’organiser, ni à me concentrer, je vis dans la peur permanente de perdre mes papiers ou de ne pas les établir à temps. En vieillissant, cette inaptitude et cette aversion s’accentuent. D'autant plus que je n’ai pas trop de temps devant moi pour m’occuper de l’essentiel.
Il reste à espérer que cela prendra un peu moins de temps que prévu, que c’est le délai maximum. Que l’on ne me fera pas attendre le visa. Qu’il n’y aura pas de problèmes. Je vais me sentir affreusement fragile et angoissée tout le temps que va durer cette parenthèse.
Je suis allée à la paroisse de Kostia, celle du père André qui a travaillé ici. Tout le narthex est tapissé de marbre noir dans lequel sont gravés les noms des enfants du pays morts pendant la guerre: il y en plus de 12 000, ce qui me paraît indiquer une hécatombe supérieure à celle de la guerre de 14, chez nous. Et cela après les saignées de la guerre civile, des répressions, de la collectivisation... L'église est consacrée à saint Georges le Victorieux, elle est environnée d'avions et de tanks de l'époque.
  La liturgie commence à 9h.30, elle dure aussi presque trois heures, je ne sais pas pourquoi car le sermon est plutôt court, et on ne peut pas s’asseoir dans l’église, car toutes les places sont prises par les vieilles habituées. Ensuite, c’est le repas et la catéchèse pour adultes. le père André a parlé des différences avec le catholicisme. Il a commencé par le baptême qui, dans le catholicisme, délivre du péché originel, alors que dans l'Orthodoxie, il intègre le baptisé dans le corps de l'Eglise. Le catholicisme m’est devenu complètement étranger, mais je ne sais pas si la vision qu’en donne sa catéchèse n’est pas un peu caricaturale. Par exemple, c’est juste que les extases de sainte Thérèse peuvent revêtir un caractère érotique, d’après ce que j’ai entendu dire, mais je ne crois pas qu’elle ai jamais pensé avoir des relations charnelles avec le Christ comme avec un mari ordinaire. Comme je ne l’ai jamais lue, je ne peux pas me prononcer. Mais je conçois la dimension érotique de la religion, car le monde créé en est tout entier baigné et cela se retrouve dans le cantique des cantiques. Du reste, Panarine, dans la "civilisation orthodoxe", en parle abondamment, de l'érotisme cosmique chrétien. Ensuite il a décrit les stigmates de saint François comme le résultat psychosomatique d’une compassion aux souffrances du Christ qui frôle une identification abusive à celui-ci, c’est une explication plausible. Sa façon de s’adresser aux animaux et aux fleurs lui paraît relever de la psychiatrie, et moi, je l’admets très bien,  moi aussi, je m’adresse aux animaux et aux fleurs, je ne leur fais naturellement pas de prêche ou de sermon, mais je ne pense pas que François d’Assise l’ai fait non plus, il englobait simplement toutes créatures vivantes dans sa prière. Il a parlé de l’imagination, de l’enivrement spirituel, de l’exaltation cultivés par les catholiques, mais présents aussi chez les orthodoxes. De la casuistique, et je me suis demandé si le tsar de mon roman n’y recourait pas lorsqu'il justifie la terreur et l’Opritchnina. Quand Ivan dit à Kourbski, dans sa lettre, qu’il aurait mieux valu pour lui mourir innocent de sa main que le trahir, cela ne relève-t-il pas d’une certaine casuistique? Et ce n’est pas moi qui l’ai inventé…
J’ai regardé une série sur Ivan III et la princesse Sophie Paléologue. C’est une bonne série, bien que Sophie soit un peu trop mignonette. Ivan III est crédible, car pas exactement beau, mais avec du charme, une certaine puissance astucieuse et une simplicité, une familiarité qui étaient celles de l’époque. Cela me servira pour la correction de mon roman, encore qu’à mon avis, les scénaristes aient pris autant de liberté que moi avec l’histoire, sinon plus. Ce qui est étrange, c’est que tout ce qui a trait à la vieille Russie me bouleverse, me captive et m’envoûte comme si je retrouvais une patrie perdue. A tel point que je me figure arriver de l’autre côté accueillie par tous ces personnages qui auront hanté ma vie.
Kostia est venu essayer de me remonter le moral. Il y est parvenu, l’appartement que nous avons visité est finalement disponible et accessible. J’aurai mon pied à terre à Moscou, un endroit agréable et pratique. 
Il m’a tracé sur le front une croix avec de l’huile venue du tombeau de saint Spiridon et m’a fait baiser l’icône qui figurait sur le flacon… J'ai bu un coup d'hydromel.
Olga Kalashnikova a publié une photo de deux isbas magnifiquement restaurées dans un village par ailleurs à l'abandon. Preuve que l'on pourrait éviter de saccager toute le Russie ancestrale pour construire des cabanes en plastique...
Photo d'Olga Kalashnikova. Dans cette magnifique restauration, même les petites clôtures basses et discrètes ont été respectées, au lieu d'être remplacées par le mur de Berlin.










samedi 3 décembre 2016

Du vieux monastère au vieux croyant





Entrée du monastère Fiodorovski
Avant de prendre le bus pour Moscou, Kostia m'a emmenée au monastère Fiodorovski, consacré à saint Théodore Stratilate et fondé par Ivan le Terrible pour la naissance de son fils Fiodor, personnage mystique que son père appelait "le sonneur de cloches", que les étrangers trouvaient débile mais très aimable et qui fut canonisé après sa mort. Ayant un grand intérêt pour le tsar et une grande tendresse pour son fils Fiodor, j'ai visité les lieux avec bonheur: quel ravissant monastère, et pourtant, les environs ne paient pas de mine et ont été sans doute pas mal saccagés. J'aime beaucoup son aspect encore simple, solide, sobre et pourtant féerique. Il me semble correspondre à l'idée que je me fais de Fiodor et même de son redoutable père.
A Moscou, je rencontre Skountsev, à l'église saint Dmitri Donskoï. L'église est neuve et sans doute provisoire, mais elle dispose d'une école du dimanche et surtout d'un immense gymnase impressionnants. Le prêtre était autrefois entraîneur olympique, si j'ai bien compris.
Je me suis retrouvée avec une petite équipe de croyantes orthodoxes à longue jupe et à foulards qui m'ont accueillie à bras ouverts. Skountsev leur apprend des noëls, des vers spirituels, des chansons archaïques, car son propos est aussi de faire de "l'archéologie musicale", en gros, tout à fait ce qu'il me faut, d'autant plus qu'il enseigne de façon extraordinaire et qu'il sait et surtout sent, pour ainsi dire génétiquement, tout cela. Il nous apprend aussi des chants d'église des vieux croyants et cela m'est très précieux, car après le chant byzantin, les fioritures occidentalistes importées après Pierre le Grand et sous la grande Catherine me portent encore plus sur les nerfs. Skounstev m'explique qu'Ivan le redoutable a composé un grand nombre de mélodies religieuses, psaumes, stichères et qu'à cette époque, l'isson byzantin était de rigueur, or justement, je me posais depuis longtemps la question. Pour prier chez moi, chanter les prières usuelles et les psaumes, je serais vraiment heureuse de disposer des mélodies des vieux-croyants, ils auraient vraiment beaucoup de choses à transmettre aux orthodoxes si malheureusement réformés par le patriarche Nikon et les souverains en perruque poudrée de Pétersbourg...
D'après Skountsev, le chant populaire traditionnel a très peu changé depuis le moyen âge et peut-être au delà, l'influence ukrainienne a introduit des fioritures à partir du XVII° siècle. Ce chant est à la fois simple et très complexe. La version populaire de "le long de la Volga" académisée par la suite est extrêmement riche et compliquée à chanter, avec d'infinies modulations que l'on ne peut transcrire par des notes.
Evidemment, je n'ai aucune envie de rentrer, alors que je débute ces passionnantes activités et que mes travaux approchent de leur fin, mais il va falloir, pour renouveler mon visa, en attendant d'avoir un permis de séjour, et je préfère passer les péripéties sous silence pour ne pas les revivre!.
Xioucha m'a bien divertie en jouant à quatre pattes avec la chienne qu'elle vient d'adopter et qu'elle appelle sa "commode adipeuse", car c'est un beagle qui manque d'exercice et qui est en surpoids. Nous nous amusons bien ensemble, malgré notre différence d'âge. Et nous bouffons sans arrêt des trucs qui font grossir, en "lavant des osselets", c'est-à-dire en taillant des costars sans trop d'épingles, au milieu des ados au stade Cromagnon et des plus petits au stade australopithèque. Parfois, le père Valentin vient donner des leçons de grec et de latin aux Cromagnon.
Au retour, j'ai trouvé mon plombier, qui m'avait apporté les quatre tomes de la correspondance de saint Théophane le Reclus, plus ses instructions sur la vie spirituelle. Il m'a déclaré que Pereslavl était pour lui le paradis: les gens y sont simples et bienveillants, la nature superbe, et si, comme il le croit, j'y suis venue par nécessité intérieure, j'y trouverai exactement ce que je cherche!
l'entrée vue de l'autre côté, surmontée de
la Mère de Dieu du Signe



jeudi 1 décembre 2016

Un article utile


Cet article, que j'ai eu l'honneur de traduire, est une des meilleurs choses que j'ai lues sur le tempérament russe, ou ce qu'on appelle l'âme slave. Une âme qui n'était peut-être pas si loin de la nôtre, il y a quelques siècles, raison pour laquelle, moi qui me suis toujours sentie moyenâgeuse et décalée par rapport à la France contemporaine, je m'y retrouve souvent, elle me va bien, tout est simple, avec cette âme russe, tout est normal et, à lire cela, je comprends encore mieux pourquoi, entre elle et moi, c'est le grand amour. L'âme russe fait de tous les Russes les membres d'une seule famille appelée peuple russe, entité passivement rebelle dont on ne vient pas facilement à bout quand elle est braquée, et qui adopte généreusement tous ceux qui, sans être Russes, partagent ses valeurs et sa vision des choses.
Pour ceux qui veulent mieux comprendre la Russie et les Russes.

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